LE SENS DES MOTS EST LE SENS DE L’HISTOIRE, GUERRE RUSSE EN UKRAINE 1 par Sylvain Desmille ©

 














Nota Bene 1 à l’intention des traductions étrangères. En français, le mot « 
sens » revêt différentes significations. La première désigne la faculté d’éprouver des sensations physiques voire sexuelles (les cinq sens, l’éveil des sens, le plaisir des sens, le commerce des sens) et une certaine sensibilité émotionnelle et/ou émotive (le sixième sens). Dans le domaine intellectuel, sens désigne la faculté de comprendre et de juger, ou tout du moins d’apprécier les situations avec discernement, de manière individuelle (le bon sens) ou collective (le sens commun). La notion de sens en français n’oppose donc pas l’émotion (le sang chaud, l’instinct, la nature) à la raison (le sang froid, le sens froid comme on le disait encore au XIXe siècle - cf Laclos in Education des femmes, Paris, 1803, p.467), ni l’intuition à la signification mais au contraire il intègre toutes ces deux dimensions, chacune se complétant et se renforçant l’une l’autre aux autres. A cet égard l’essence du sens se fonde autant dans la conjugaison que dans la déclinaison des sens. C’est sans doute la raison pour laquelle le sens et les sens partagent la même orthographe au singulier et au pluriel (rien n’est anodin car rien ne doit être anodin). Le sens est autant organique que signifiant (en tant que signe et en tant que symbole, allégorie). Son double sens est un sens double. Et s’il existe bien un sens commun, c’est parfois (et toujours ?) en débit du bon sens. Ne tombe sous le sens (les sens) que ce qui a été mis sens dessus dessous. C’est sans doute pourquoi la dernière signification du mot « sens »  désigne l’orientation et non la direction comme on le confond parfois, surtout dans le langage politique. 
Des faits peuvent partir dans toutes les directions mais c’est pour forger le même sens de l’histoire - comme au moment de la Révolution française - et si une conversation peut changer soudain de direction c’est pour mieux conduire à sa démonstration, un peu comme si on empruntait soudain des chemins de traverse, des digressions, pour mieux atteindre la destination initiale. Pour le philosophe allemand Hegel, l’Histoire - qu’il range dans la catégorie de  « l’esprit objectif » rationnel et irrationnel ( « and the catégory is » comme dirait RuPaul), -  a non seulement une orientation, progressive qui transcende les décadences périodiques et les disparitions des société et des civilisation (il se distingue de Rousseau) mais aussi un but et ce que Hegel qualifie de « fin de l’Histoire » n’est ni un arrêt ni le triomphe des sociétés totalitaires (prolétariennes - cf Engels - ou capitalistes suite à la disparition du communisme - cf. Fukuyama) mais c’est l’accession au but, c’est un accomplissement (ce en quoi la fin de l’Histoire est bien une apocalypse au sens étymologique du terme, c’est-à-dire de révélation). Ce but est aussi un moyen : l’histoire selon Hegel est un processus d’autoréalisation de l’Idée, dont la fin est la liberté humaine, en tant qu'individu et en tant qu'être universel. Le philosophe allemand Marx s’inspire de la théorie de Hegel. Mais contrairement à ce dernier, pour qui l'étude du passé ne nous fournit pas les réponses sur l'avenir ni sur le présent, les époques étant trop différentes (d’où la nécessité de se replacer toujours dans le contexte), Marx conçoit le mouvement historique - le sens de l’histoire, fondé sur une analyse causale de l’histoire (surtout révolutionnaire) - comme une dialectique et un processus dont le moteur serait l’économie et les rapports sociaux (opposition entre les classes sociales de la bourgeoisie et du prolétariat). Le sens de l’histoire se réalise grâce à la praxis, c’est-à-dire l'activité de transformation des conditions socio-économiques (matérialisme historique), possible grâce à l’analyse rationnelles des pratiques humaines (économico-sociales et culturelles) même si celles-ci sont irrationnelles. Le sens de l’histoire s’exprime comme un moyen en vue d’une fin à savoir la disparition du capitalisme (le sens de l'histoire chez Marx est un projet, une volonté, une ambition - et son négatif aussi, à savoir  une illusion aussi). Le mot sens utilisé ici reprend donc ces trois principaux ressorts distingués en anglais par les mots sense(s) - sentiments, sensations, esprit - meaning  - signification, acception - et direction - orientation. 


Nota bene 2. Dans la rhétorique juridique latine, un discours dit « Contre » rassemble les plaidoiries d’un avocat visant à démontrer la culpabilité d’un accusé. Le célèbre Contre Verrès de Cicéron est la traduction latine de In Verrem et non Contra Verrem. En latin contra + accusatif s’emploie plus dans le sens de « face à », « en face de », ou « vis-à-vis de », ce qui est intéressant: « être contre » n’est pas être opposé à mais « se tenir en face » pour se poser en alter-ego et en alternative, en contradiction les yeux dans les yeux (à l'inverse, aujourd'hui, se tenir "en face de" c'est "être contre" à partir du moment où celui qui se tient en vis-à-vis n'est pas votre reflet, est perçu comme l'autre qui contrarie le narcissisme). Dans le monde romain, se placer « en face de » peut être une forme d’intimidation mais aussi exprimer la nécessité d’établir un dialogue. Ce n’est pas être a priori « anti », par bêtise et facilité, mais chercher à comprendre ce que cette alternative et cette altérité signifient. « Être contre » s’est se placer « tout contre » pour éprouver (mettre à l’épreuve) aussi la force de ses convictions. Le sens latin n’est pas forcément péjoratif ni obligatoirement négatif comme l’exprime l’imbécilité contemporaine (et Vladimir Poutine) qui utilise cet argument pour contester, réfuter, censurer toute possibilité de critique, tout regard autre que le sien (droit dans ses bottes, Poutine regarde rarement droit dans les yeux). « Être contre », c’est reconnaitre l’existence d’une altérité, de la comprendre, de l’analyser, de se mettre dans la tête et la peau de l’accusé pour en montrer tous les visages, toutes les images et toutes les réalités - et mieux le démonter de l’intérieur.


Nota bene 3: les références sont indiquées sous forme de liens, qui renvoient aux articles et permettant d’approfondir.



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La crise sanitaire de la Covid-19 et l’invasion russe en Ukraine ont cristallisé les dérives du langage contemporain, encouragées, accélérées et supportées (dans tous les sens du terme) par les réseaux sociaux dont on ne soulignera jamais assez le pouvoir de transformations mentales - et d’une certaine manière, aussi, de nuisances. Dans la presse, à la télévision et via internet, alors qu’il vient de déclencher l’invasion militaire de l’Ukraine en février 2022, le président russe Poutine accuse le pouvoir de Kiev d’être « nazifié » et responsable d’un « génocide ». Ces accusations s’inscrivent dans une rhétorique ancienne et assez classique développée par le Kremlin. Déjà, en 2014, Vladimir Poutine avait justifié son intervention en Crimée au nom de la défense des populations russophones soit disant victimes des « nazis » ukrainiens. 


Et Poutine dit: « Dénazifier » l’Ukraine.


Cette référence constante au nazisme de la part de Poutine s’explique par le rôle des Ukrainiens de l’Ouest qui, dès 1941, suite à l’opération Barberousse, ont décidé de rejoindre l’Allemagne nazie pour lutter contre les Soviétiques dont ils avaient subi l’occupation (dans les années 1930, la collectivisation forcée des terres par les Soviétiques a provoqué une grande famine tuant cinq millions d’Ukrainiens) et plus encore après le pacte Ribbentrop-Molotov de 1939. Pour « convaincre » les Ukrainiens, Hitler avait « promis » de les aider à recouvrer leur indépendance vis-à-vis de l’URSS de Staline. Preuve de cette occupation soviétique, en septembre 1941, le siège de Kiev par les Nazis fut l’une des plus grandes batailles de la Seconde Guerre Mondiale et, malgré une résistance héroïque des troupes russes et des Ukrainiens (militaires et civils), elle aboutit à la capture de plus de 600 000 soldats de l’Armée rouge, victimes par la suite des pires atrocités dans les camps nazis. La conquête hitlérienne en URSS reste un profond traumatisme dans la mémoire historique et collective (qui servit aussi à occulter les crimes de Staline et consorts). Chaque famille russe a perdu au moins un des siens pendant la Deuxième guerre mondiale.


Toutefois, cette référence historique par V. Poutine reste partielle et partiale. Il s’agit d’une reconstruction, d’une réécriture de l’Histoire à des fins propagandistes et politiques. Elle ne tient pas compte de la création, dès le début de l’invasion allemande en 1941, d’une armée insurrectionnelle ukrainienne qui a combattu à la fois contre les soviétiques et les nazis. Elle occulte la déportation en Allemagne d’une grande partie de la population ukrainienne contrainte au travail forcé et « oublie » que les Ukrainiens ont représenté une part importante des combattants de l’Armée rouge et de ses dirigeants… En 1945, on a estimé à sept millions le nombre d’Ukrainiens tués par les Nazis dont un million d’Israélites abattus par les Einsatzgruppen dont 30 000 rien qu’à Kiev (à cet égard, il est symbolique que l’une des premières frappes russes a visé le mémorial de Babi Yar commémorant le massacre des Israélites de Kiev.) Les civils ont particulièrement été victimes des exactions perpétrées par l’armée allemande dont l’Ukraine servit de base arrière au moment de l’invasion de l’URSS. Mais la propagande soviétique a toujours veillé à accuser l’Ukraine d’avoir collaboré avec les Nazis - non seulement pour mieux ensuite justifier la domination de l’URSS sur Kiev - au point de faire de cette accusation un acquis et une certitude dans la mémoire collective russe mais aussi pour raviver la culpabilité (réelle et entretenue) des Ukrainiens vis-à-vis des pages sombres - de leur histoire.


A partir de là, Poutine met en parallèle (pour faire écho) la référence au nazisme historique avec l’existence - réelle - d’une extrême droite ukrainienne, patriote, anti-féministe, viriliste, homophobe (cela rappelle quelqu’un en France) voire néo-nazie, à l’instar du mouvement Pravy Sektor ou du Régiment Azov qui lutta contre les troupes russes au moment de l’invasion de la Crimée en 2014 puis dont certains membres furent intégrés à l’armée nationale pour mieux les contrôler- ce qui permit à Poutine de poser en « défenseur » alors qu’il était en réalité un envahisseur. Cette extrême droite toutefois perdit très vite de son influence et de son audience. Le principal parti d’extrême droite pronazie, Svoboda, n’a obtenu que 2,15 % des voix aux législatives de 2019, et, la même année, son candidat à l’élection présidentielle, Rouslan Kochoulynsky a recueilli 1,62 % des suffrages alors que Volodymyr Zelensky a obtenu 73,2% des voix. Et même si Poutine injurie ce dernier en le traitant de « Nazi », il est difficile de voir dans le président de la république ukrainienne un nostalgique du IIIe Reich: sa famille, de confession israélite, a subi la politique d’extermination d’Hitler. En plus, il est né et a vécu dans une ville russophone, à Dnipropetrovsf, dans le sud-est de l’Ukraine et contrairement aux mensonges de la propagande russe il n’a jamais cherché à discriminer les russophones du Dombass, puisque toute sa politique consiste au contraire à les intégrer solidairement à l’Ukraine, et ce au grand dam de Moscou.…


En réalité V. Poutine se sert du contexte historique comme d’un prétexte. Dans la rhétorique soviétique et celles des partis communistes, voire de la Gauche en occident, tous ceux qui n’étaient pas de gauche (antifascistes), qui contestaient l’URSS ou faisaient mine de s’en dissocier, voire de quitter sa révolution et sa force d’attraction furent qualifiés de fascistes et / ou de nazis. A l’automne 2021, alors que la Russie commence à concentrer des troupes le long de ses frontières avec l’Ukraine, le ministère russe des Affaires étrangères a affirmé sur Twitter que les Etats-Unis et l’Ukraine ont voté une résolution de l’ONU condamnant la glorification du nazisme… ce qui est vrai… sauf que les deux pays ont motivé leur refus parce que, selon eux, le document était une "tentative à peine voilée de légitimer les campagnes de désinformation russes »… et qu’ils ont tout deux rappeler leur condamnation absolue et sans équivoque du nazisme au moment du vote… 


L’Occident, les pays européens et la France en particulier auraient dû être plus vigilants au lieu de voter tête baissée comme l’autruche, d’autant que ce n’est pas la première fois qu’un État au régime autoritaire instrumentalise la bonne et mauvaise conscience des états démocratiques pour contester leurs principes et valeurs (les États islamistes ont plusieurs fois tenter de faire voter une résolution interdisant le blasphème, donc la liberté d’expression, en prétextant qu’il s’agissait d’un discours de haine contre leurs croyances religieuses (Cf. mon article Blasphémer est légal). Il s’agit dans les deux cas du même processus qui consiste à utiliser le ressort démocratique contre les démocraties et la démocratie (ce qu’Hitler et le parti nazi avaient déjà fait dans les années 1930). Mais bon, peut-être que la France a voté la résolution certes au nom de ses grands principes (qu’il faut effectivement et de plus en plus défendre) mais aussi parce qu’au même moment, dans l’actualité, en pleine crise épidémique et sanitaire, alors qu’on enregistrait déjà des milliers de morts en France (dont un grand nombre auraient pu être évité si le bien commun, le souci envers les autres et la solidarité avaient été appliqués par tous), le Président Macron était qualifié de « dictateur » par une partie de l’opinion publique issue des mouvances et groupuscules complotistes antivax et anti-masque. Ces derniers auraient pu toutefois se demander pourquoi celui qu’ils accusaient d’être un dictateur les laissait s’exprimer et manifester librement, ce qui n’est pas le cas dans la Russie de Poutine qui arrête tous les manifestants anti-guerre en Ukraine… Le confort égoïste doit-il primer sur la sauvegarde commune, le bien-être individuel sur le bien de tous, sans tenir compte des plus faibles, comme le proclament les antivax et anti-masque ? Il faudrait le demander aux Ukrainiens qui combattent pour défendre leur nation à travers leur pays. Mais bon, l’hypocrisie et la malhonnête intellectuelle ne se limitent pas qu’aux régimes autoritaires. Accuser l’autre d’être un nazi , d’être un dictateur, est un classique de ceux qui se comportent comme des fascistes.


De la nécessité de rétablir le sens de l'histoire en restaurant le sens des mots...


face à la malhonnêteté et au négationisme honteux et méprisable des antivax: la ré-écriture et reconstruction de l'histoire n'est pas sa déconstruction. Les antivax utilisent la même rhétorique que Poutine et ne valent pas mieux. 


Comme l’a rappelé BBC Afrique, sitôt la résolution votée, la société technologique Logically a d’ailleurs observé de nombreux pics sur les réseaux sociaux liant l’Ukraine au Nazisme, et ce à partir de comptes pro-Kremlin… On observe exactement les mêmes attaques  diffamatoires vis-à-vis des États baltes… Relayés et propagés, re-twitter à la manière d’un virus, les commentaires des lecteurs sont instrumentalisés pour donner l’impression qu’ils représentent un vrai mouvement d’opinion international (pas uniquement russe), lui-même très vite légitimé par la chaîne d'Etat russe Rossiya 1 qui, comme le rappelle franceinfo et ARTE, peut dès lors annoncer que le "drapeau nazi flotte au-dessus des tranchées ukrainiennes dans le Donbass" et que l'Ukraine est un "Etat nazi", soutenu par la France et l'Allemagne…  A cet égard, la propagande complotiste des antivax anti-masque suit la même « tautologie » auto-justificative, la même fabrique du mensonge, par approximation, déformation et instrumentalisation que la propagande poutinienne (Il faut voir l’excellente enquête d’ARTE Antivax, les marchands de doute, toujours disponible sur Youtube). 



En fait, pour Poutine, les Ukrainiens qui défendent et qui luttent désormais pour leur indépendance ne sont des « nazis »  que parce qu’ils représentent l’Ennemi historique, ceux qui ne veulent pas rentrer dans le rang, qui refusent de se soumettre, de penser comme et par Poutine. 


Changer le sens des mots pour réécrire l’histoire et nier l’Autre.


Dans ce nouveau schéma de penser, à partir du moment où la notion d’altérité est elle-même perçue comme une possibilité de contestation, d’opposition, d’alternative, l’Autre est forcément un ennemi, à abattre, à faire disparaître, à annihiler (cf. mes articles sur H24 et sur le Wokisme et la Cancel culture). Aux yeux du Président russe, ses concitoyens qui manifestent courageusement contre l’intervention de Poutine en Ukraine ne valent pas mieux que les populations ukrainiennes qui luttent pour défendre leur pays. Comme en Chine et encore plus spécifiquement à Hong Kong que les États occidentaux ont honteusement et lâchement lâché alors que s’y passait l’un des premiers combats pour la défense de la démocratie - en avant garde et en avant poste de tout ce qui ne fait que commencer - la guerre ukrainienne n’est qu’un détonateur - comme dans l’Iran des ayatollahs, la Turquie d’Erdogan, le califat de Daesh, la propagande et la censure sont les deux instruments imposés pour contrôler le sens des mots donc de l’histoire.


Ne pas oublier que si Poutine a lancé son armée contre l'Ukraine, c'est aussi parce que les Occidentaux n'ont pas réagi au moment où Pékin réprimait toute expression démocratique à Hong Kong...

pas plus qu'ils ne sont intervenus après le coup d'État militaire en Birmanie...

pas plus qu'ils ne sont intervenus après la répression du pouvoir islamiste turc d'Erdogan contre les étudiants de la place Taksim... 



pas plus qu'ils ne sont intervenus quand la Russie a envoyé ses troupes combattre les opposants au dictateur syrien - et les mêmes soldats ainsi que des  "volontaires" syriens se trouvent aujourd'hui en Ukraine, ainsi que des mercenaires russes au Mali... Quand on se contente de condamner - confortablement - en laissant faire-laissant agir, il ne faut pas s'étonner que privés de sens les mots ne contrôlent plus le sens de l'histoire. En fait on retrouve la même impuissance des pays occidentaux sur les questions de politique étrangère que chez chacun d'eux en matière de criminalité, d'incivilités et surtout d'injustices légales (les arrestations qui ne sont pas suivies de condamnations sinon verbales) et sociales (comme l'a montré la crise dite des Gilets jaunes). Il existe en ce sens une corrélation entre  la montée en puissance des régimes autoritaires et la progression des populismes dans les démocraties européennes (pour qui Poutine est sinon un modèle du moins un exemple, une référence), progression qui s'explique aussi par l'essor de l'égoïsme (défense de ses intérêt particuliers, instinct de survie, loi de la jungle) et du narcissisme. A cet égard est symptomatique la disparition du mot collectif - dans le sens de tout - au profit du terme collaboratif ( de chacun en relation, en connexion, avec d'autres).   



C’est une révolution mentale. Les mots ne sont plus perçus de manière objective mais en tant qu’objection, c’est-à-dire de manière purement subjective, émotionnelle. Poutine attaque l’Ukraine avec en partie les mêmes arguments qu’Hitler. La question du rattachement de la Crimée et du Dombass russophone résonne étrangement à celle des Sudètes, germanophones, qui servit de prétexte à l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne en 1938 - il plagie la même stratégie de la guerre éclair et agit et la même sauvagerie aussi, en particuliers à l’égard des populations civiles. Compterait-il ensuite envahir la Moldavie comme Hitler la Pologne ? Entraînant le monde dans une troisième guerre totale ? 


Le 26 février 2022, l’agence de presse russe RIA-Novosti (porte-parole du pouvoir) a brièvement publié un article dans lequel Poutine affirmait que « la Russie était rétablie dans son intégralité historique ». En fait l’article aurait dû paraître une fois acquise la victoire russe en Ukraine…Sa  divulgation (erronée, vraiment ?) a toutefois permis de clarifier les justifications de Poutine concernant l’Ukraine, à savoir: « assurer la sécurité de la Russie » et ensuite, dixit le texte : « corriger une erreur historique ». A cet égard, la deuxième guerre d’Ossétie du Sud en août 2008  - et avant cela les guerres en Tchétchénie entre 1994 et 2009 -  puis en 2020 l’opération de « maintien de la paix » russe dans le Haut-Karabakh (en fait, Poutine a donné des troupes à l’Azerbaïdjan pour reprendre le territoire arménien) et tout récemment l’intervention russe au Kazakhstan cristallisent le projet russe de « correction historique », qui rappelle la même volonté d’Hitler de « corriger » (dans tous les sens du terme) les erreurs du Traité de Versailles de 1919. Au regard de cette « vision » géopolitique,  le prochain objectif serait donc la Moldavie.  


Cette « correction historique » est en fait une construction intellectuelle, une ré-écriture histoire, au sens premier du terme: Poutine cherche à écrire à nouveau l’Histoire en faisant revenir les pays autonomes depuis 1990 dans l’empire russe, c’est-à-dire aussi en ré-écrivant leur histoire. Pour lui, leur indépendance est un non sens, et à ce titre elle est inexistante. Il l’avait rappelé dans un article publié dès juillet 2022: selon lui, le peuple ukrainien n’existe pas (cf. l’entretien de Julien Théron par RFI), car il appartient à la même nation que les Russes (et les Biélorusses), à la même slavité. En ce sens, la guerre en Ukraine doit être analysée comme une guerre nationaliste (l’extrême droite française utiliserait plus le terme de « patriote »). C’est sans doute la raison pour laquelle Poutine n’entend pas juste réintégrer la Crimée et le Dombass à la Russie mais également l’ensemble de l’Ukraine qui, dans la mythologie russe et surtout poutinienne, est encore perçue comme un berceau de la Russie à l’époque médiévale (entre le IXe et XIIe siècle). Kiev, « mère de toutes les villes russes - cf. l’article d’André Larané dans la revue Hérodote)  est alors la capitale historique de Vladimir Ier dit le Grand (tiens, tiens, comme Poutine ?) qui rassembla dès 981 sous son autorité les différentes cités-états qui constituaient la fédération des Rus’ de Kiev, et qui les contraignit à se convertir au christianisme (d’où actuellement aussi des tensions entre le patriarcat de Kiev et celui de Moscou - cf. l’article de Stéphane Sionan). 


A cet égard, la guerre de la Russie en Ukraine permet de voir concrètement, dramatiquement, tragiquement, les conséquences du révisionnisme histoire fondé sur des doxas ou  instrumentalisé à des fins idéologiques, les dangers de la reconstruction historique, de la ré-écriture de l’histoire et de son non-apprentissage rationnel, analytique, au risque de laisser le champ libre au mythologies et mythographies par exemple complotistes. La déconstruction de l’histoire ne doit être pas être un prétexte ni avoir pour but une reconstruction de l’histoire, par exemple en analysant les faits non dans leur contexte mais au regard d’une contemporanéité et selon une intentionnalité partielle et partiale qui fait contre-sens (Cf mon article sur l’apologie de la déconstruction et celui sur le Wokisme et la cancel culture). 


Le fait que Poutine justifie sa guerre en Ukraine comme une « correction » et même comme une « revanche de l’histoire » (cf l’article du 26 février) devrait nous alerter sur les forces qui, par exemple en France, et d’une manière générale dans un grand nombre d’universités occidentales (cf. les polémiques à Science Po Grenoble), cherchent à réviser l’histoire (et non pas à la déconstruire) selon des critères de simple et pure revanche aux motifs idéologiques, et ce qu’il s’agisse d’un wokisme d’extrême droite (de type Zemmour ) ou de gauche (de type Sandrine Rousseau ou Alice Coffin). D’ailleurs, le nationaliste Poutine, héraut et héros des « partisans » des régimes autoritaires, qu’ils soient d’extrême droite ou d’extrême gauche, ne se comporte de manière pas si différente que Staline et applique les mêmes violences vis-à-vis de tous ses opposants. 




Arrestation et condamnation en 2012 du groupe féministe punk Rock les Pussy Riot après leur prière punk contre Poutine


Symbolique fut l’arrestation puis la condamnation en 2012 du groupe de punk rock féministe les Pussy Riot accusé de blasphème après avoir accompli une performance artistique et politique (qualifiée par la justice russe « d’exhibition profanatoire ») dans une église orthodoxe pour dénoncer la campagne présidentielle du Premier ministre Vladimir  Poutine (cf. mon article Blasphémer est légal). Cette condamnation marque un tournant, en associant la notion de blasphème à toute forme de contestation de Poutine (en fait il retourne la prière punk anti-Poutine des Pussy Riot à son profit). C’est à cette époque, à partir de 2013, que le Maître du Kremlin accentue son contrôle sur les médias russes (Cf. l’article d’Ivan Chupin sur « Des médias aux ordres de Poutine » dans le n°28 de Savoir/Agir, 2014), qu’il multiplie aussi les apparitions médiatique le présentant comme une sorte de sur-homme (super athlète), version plus moderne du Culte de la personnalité, investi d’une dimension morale et même quasi religieuse depuis le blasphème des Pussy Riot. Bien sûr, comme à chaque fois, l’Occident a critiqué l’arrestation et la condamnation aux travaux forcés (tout aussi symbolique) des jeunes femmes du groupe punk rock, au nom de la liberté d’expression, par principe et sans plus de conviction (nombreuses ont été les voix à dénoncer le caractère blasphématoire de leur prestation - au nom du respect religieux - présageant aussi des réactions confuses après l’assassinat par les terroristes islamistes des membres de la rédaction de Charlie Hebdo - du genre « c’est pas bien, mais ils l’avaient bien cherché »). En 1991, les mêmes réserves avaient été mises en avant après une opération de l’association de lutte contre le Sida Act Up à Notre-Dame de Paris pour dénoncer la position de l’Église catholique qui condamnait l’usage du préservatif. 





De Act Up manifestant à notre Dame au Pussy Riot : le blasphème est une arme contre tous les autoritarismes et totalitarismes. Pour célébrer l'élection de Poutine à la présidence de la Russie, l'un des premiers actes symboliques de la justice russe fut de condamner les Pussy Riot aux travaux forcés. Les Occidentaux ont condamné, bien sûr, par bonne conscience et s'en sont aussitôt essuyés les mains... 


dix ans plus tard, symbole de l'opposition à Poutine, Alexeï  Navalny était emprisonnés. La mise au pas de l'opinion était la première phase avant l'envoie des chars russes en Ukraine.

De même, l’arrestation d’Alexeï Navalny en 2020 puis 2021 aurait dû alerter l’Occident et susciter des réactions concrètes, autres que purement symboliques et simplement émotives, expiatoires, comme s’il suffisait juste de « s’alarmer », d’éprouver une indignation, une colère, une peine pour mieux se faire une raison. Cela avait déjà été le cas à Hong Kong (cf. l’article de Chloé Froissart), lâché comme la Tchécoslovaquie en 1938  ou  encore en Turquie (il faudra un jour analyser tous les articles et reportages qui ont vanté l’arrivée au pourvoir d’Erdogan, avec bienveillance et complaisance - souvent en ne quittant pas l’enclave européenne d’Istanbul où se concentrent il est vrai le plus grand nombre de bars… alors qu’il suffisait de se longer les remparts byzantins ou de se rendre sur la rive asiatique pour voir ce qu’il était en train de se passer…) A chaque fois, l’Occident s’est offusqué (oups !) a dénoncé (bouhhh), par principe, haussé la voix (« non, mais, hein, quoi, quand même ») mais en veillant à ne jamais hausser le ton, et toujours pour finir par laisser-faire-laisser-agir, par principe, doctrine libérale et libertarienne oblige, ou plutôt par souci de confort et de bien-être (pour ménager son opinion publique), et surtout par incapacités structurelles (ce qui est plus inquiétant pour la suite). A cet égard, Poutine n’a fait que tirer la leçon des donneurs de leçons, qui sont persuadés qu’il suffit de dire pour faire (valeur magique de la parole), alors que le sens des mots est aussi dans le faire. Pourquoi n’envahirait-il pas l’Ukraine dès lors que les occidentaux n’ont pas réagi à la suppression de la démocratie à Hong Kong ? n’ont pas réagi au coup d’état militaire en Birmanie ? Il faudra un jour analyser toute cette hypocrisie de complaisance, ne serait-ce pour prendre acte des faiblesses, des limites et de la perte de pouvoir des pays Occidentaux - leur suffisance ne permettant plus de dissimuler leurs insuffisances. A contrario, la guerre en Ukraine a permis de mettre en avant le front commun des pays de l’Union européenne - et de l’OTAN ?. Toute la question est de savoir combien de temps ce rempart (qui n’inclue pas l’Ukraine) va résister aux fissures intestines. Déjà, l’Allemagne - dont 60% du gaz est importé de Russie - refuse un embargo sur les matières premières russes (et cela se comprend, comme à chaque fois).


Hautement significatif fut aussi le vote, en mars 2022, de la loi sur la presse concernant l’Ukraine qui punit le « partage des informations mensongères » c’est-à- dire non conformes à la propagande de Moscou et qui interdit de tenir un autre discours que sa version officielle.  Conséquence: depuis que les fake news sont le discours officiel de vérité - comme du temps de Trump ou chez les complotistes - les populations russes ont une vision mensongère de ce qui se passe réellement en Ukraine. Elles sont persuadés qu’il ne s’agit que d’une intervention destinées à réduire des groupuscules nazis au pouvoir et qui s’apprêtaient à commettre un génocide et que les civils ne sont pas concernés ni victimes des troupes russes… Pour elles, le siège de Kiev, la destruction d’une maternité à Marioupol, les crimes de guerre n’existent pas parce qu’elles ne sont pas au courant, parce que la vérité officielle - celle des médias - leur dissimulent la réalité. 


On perçoit mieux le danger qui consiste à laisser se développer des systèmes de croyances (religieuses, idéologiques) qui considèrent être détenteur de la vérité (donc de la réalité, désormais subordonnée à la vérité, comme l’objectivité à la subjectivité, l’émotion simple à la raison trop complexe). Mais les médias russes avaient-ils besoin de ce rappel aux ordres pour continuer à rabâcher la propagande poutinienne ? Il suffit de voir comment ils ne cessent de qualifier le gouvernement démocratique de Volodymyr Zelensky de « nazi » pour comprendre combien résonne la voix du maître du Kremlin. Et c’est de conserve, à son écho et en parfaite harmonie, que ceux-ci accusent l’ensemble des pays occidentaux qui seraient contre Lui d’être eux aussi des Nazis (c’est d’ailleurs ainsi qu’il perçoit la France, de plus en plus critique vis-à-vis de son pouvoir autoritaire, sauf pour les candidats d’extrême droite (Marine Le Pen et Eric Zemmour) et de Jean-Luc Mélanchon qui voient en lui sinon un modèle du moins une source d’inspiration - cf l’article l’interview de Jean-Yves Camus dans Ouest France). 


Poutine serait-il au monde réel 

ce que serait un Mark Zuckerberg au métavers ? 


Car pour Poutine, « nazi-e » qualifie et représente l’Autre, les non-Russes et les Russes non-poutiniens. Et peu importe que l’usage du mot « nazi » soit un non-sens historique. Pour le maître du Kremlin, le sens des mots exprime le sens qu’il entend donner à l’histoire. On se situe à la fois dans la réalité et dans le virtuel, à mi chemin entre Facebook et Meta, et d’une certaine manière les gouvernements autoritaires actuels pourraient donner une idée assez juste de ce qui pourrait advenir dans le prochain métavers (metaverse en anglais), sorte d’univers parallèle, avatar des « espaces ludiques partagés en ligne ». 


Dans ce nouveau monde aux espaces infinis à conquérir, les groupes à la tête des réseaux sociaux seraient les nouveaux maîtres. Ils pourraient y imposer leurs cryptomonnaies pour contrôler leur supra/alter économie, mais aussi leurs règles de bienséances, de bienveillances, de bonnes conduites et autres code moral d’autant qu’ils leur serait facile de bannir tous ceux qui ne pensent pas comme eux dans la mesure où chacun serait contraints de passer par eux pour pouvoir y exister. Surtout, ils pourraient imposer le démocratisme en lieu et place de la démocratie actuelles, car leurs lois seraient régies par des algorithmes - ceux là même que l’on nous vend comme facteurs de confort et de bien-être personnalisés, individualisés - chargés désormais de faire appliquer les dogmes qu’ils auraient auto-décrétés (en d’autre terme un monde dans lequel le code informatique remplacerait le code civil). 


Comment appréhender la réalité avec un masque sur les yeux ? en se mettant en retrait du réel ?  (c'est bizarre, là on n'entend plus les sans-masque de la covid-19 qui criaient à la dictature parce que le port du masque contrariait leur  leur petit confort personnel). Le métavers qu'on nous promet sera-t-il un happy world united nation  sans guerre, un jeux vidéo à échelle humaine et supra-humaine où on pourra jouer à la guerre la plus cruelle sans risquer sa vie et commettre les pires atrocités en toute bonne conscience. Sera-t-il Le meilleur des mondes ou un 1984 ? 

Eminoznen / barbarue en Syrie



Dans ce nouveau Nouveau monde, il serait tout aussi facile de changer le sens des mots, en tout cas  à couper toute références avec ceux du monde réel. Le mot « nazis » pourrait désormais qualifié les démocrates et les régimes démocratiques (comme dans les discours des complotistes antivax et anti-masque - cf. mon article Covid 19, le hold up de Hold up) ou encore les Israéliens et les Israélites (comme on l’entend encore dans les discours de certains anti-sionistes et parfois antisémites d’extrême gauche). De même, les mots « culture », « élite »,  « apprentissage », « analyse », « vérité » « démonstration », « raison » pourraient enfin revêtir un caractère péjoratif, enfin ! être des « gros mots » et même conduire à des peines d’emprisonnements dans des camps de rééducation bienveillante, nécessaire et salutaire (pour votre bien), afin de rappeler les saintes vertus populistes (et non populaires , les mots ont un sens !), de l’égalitarisme (géométrique ? et communautrariste ? - et non communautaire, les mots ont un sens) et du naturalisme émotionnel en vigueur et de rigueur, principes selon lesquels chacun a le droit d’être soi - personnellement et totalement - à condition de ne pas être différent des autres - individuellement et totalitairement - de ne pas être autre, ni supérieur ni inférieur, mais toujours à l’Image et à la Ressemblance de l’autre (puisqu’il n’y a plus d’autre que l’autre comme même que soi), au risque sinon de briser la belle harmonie et d’être accusé de nazisme par les nouveaux Poutine. Ces camps pourraient être gérés par des plateformes collabo-ratives qui utiliseraient les prisonniers pour effectuer leurs services à la personne (de manière personnalisée et individualisée), aux meilleurs coûts (et aux meilleurs coups) car dans ce nouveau Nouveau monde comme tout le monde le sait  « Arbeit macht frei » puisque tel est le slogan scandé par certaines plateformes pour convaincre les auto-entrepreneurs. Dans ce monde virtuel parfait, et revanchard à souhait, les influenceurs (version moderniste et plus rentable des hommes et femmes-sandwichs) seraient les épigones de la non-culture de la non-élite, et les meilleurs gamers de jeux vidéos (en particulier celui sur la Guerre en Ukraine ?) seraient élevés au rang de champions comme les joueurs de football dans l’ancien monde réel. 


Si au moins la guerre en Ukraine pouvait nous faire prendre conscience que le pire des mondes est dans le métavers qu’on nous promet pour demain matin… Quant à la fermeture de Facebook et de twitter par les autorités russes, elle ne doit pas faire de ces réseaux des parangons de vertu démocratique, gentilles victimes de la censure du méchant Poutine. D’abord, ces deux réseaux ont été des vecteurs de la propagande russe et complotiste qu’ils ont laissée proliférer comme des bactéries et se répandre comme des virus et ce à dessein, e toute connaissance de cause et de conséquence, par pur et simple intérêt (ils n’avaient aucun avantage à les bannir, au contraire vu le nombre de clics que ces sites et influenceurs généraient. Surtout, si Poutine les as interdits c’est parce que les services russes les ont utilisés pour désinformer, et manipuler les élections présidentielles américaines et sans doute françaises. 


Le conflit en Ukraine, révélateur de la malhonnêteté intellectuelle contemporaine ?  


Cette révolution du sens des mots n’est pas une spécificité poutinienne. Elle s’inscrit plus profondément dans un processus mental contemporain qui consiste non à déconstruire la sémantique, par exemple en retraçant les évolutions étymologiques, en interrogeant et en  précisant au plus près et au plus complexe les sens d’un mot, mais en en changeant le sens et l’essence, le plus souvent en prenant un mot pour un autre, jusqu’au non-sens (sans toutefois atteindre l’absurde, ce qui serait une démarche en soi plus intéressante, mais trop intellectuelle sans doute, donc suspect d’élitisme, de manipulation, d’incompréhension, aux yeux de nos contemporains). Cette dérive du sens - qui n’est pas une perte du sens, mais une transformation du sens - s’explique en partie par  les réseaux sociaux qui réduisent l’espace du sens (cf. le nombre de caractères dévolus sur Twitter), en partie par l’outil informatique dont l’usage (et la fatigue physique qu’il génère) empêche les trop longs développements (les démonstrations longues), en partie par l’émergence d’une pensée du court, du court terme (diktat de l'actualisme) et du court-circuit (de la simplification, nouvel instrument de la "mauvaise foi" telle que définie par Sartre) pour répondre aux usages des réseaux sociaux (on préfère désormais penser en slogans et autres punchlines  que de disserter, et ce jusqu’à la caricature la plus pathétique,  à l’image de Valérie Pécresse tout au long de sa campagne pour les élections présidentielles françaises), et tout cela se retrouve aussi dans  l’apprentissage de plus en plus superficiel de la langue et des langues, soit que les structures éducatives aient le souci de correspondre à l’air du temps,  à son image et à sa ressemblance, quitte veiller et à se surveiller d’être toujours  à la mode,  soit pour des raisons idéologiques (l’égalitarisme, le démocratisme, le simplisme). La "logique" autrement dit la mauvaise foi de Poutine accusant les Ukrainiens d'être des "nazis" et des "criminels de guerre" pour justifier sa guerre participe du même "raisonnement" autrement dit de la même mauvaise foi que ceux qui disent qu'il ne faut pas parler de l'esclavagisme pratiqué par les populations africaines elles-mêmes ni de la traite pratiquée par les musulmans au prétexte qu'elles seraient antérieures au commerce esclavagiste occidental et moins importantes quantitativement (ce qui est vrai) - c'est un peu comme relativiser les crimes du fascisme italien au prétexte qu'ils seraient moins importants que ceux perpétrés par les nazis (et c'est d'ailleurs ce que les fascistes ont défendu après la Seconde guerre mondiale comme arguments de défense). 


En fait cette simplification - ce refus volontaire et délibéré de penser le complexe, le paradoxe et la contradiction, cette volonté de bannir la complexité de la pensée et du penser, ce choix de tout appréhender selon un angle unique, toujours en gros plan, sans aucune mise en perspective, de manière obtuse, purement et simplement émotionnelle généralement (cf ma critique du film Les damnés, des ouvriers en abattoirs: le but n’est pas de dénoncer l’émotion, de bannir nos émotions, au contraire, je suis de ceux qui considèrent que les émotions sont des instruments de la raison, qu’elles participent au travail de la raison. En revanche, je critique l’usage qui est de plus en plus fait d’opposer les émotions (pures et simples, voire purement simplistes) à la raison et pire encore de  les instrumentaliser pour justifier le refus de penser le complexe, de mettre en perspective voire de mentir sur la réalité en occultant tout ce qui n’est pas conforme aux émotions. Je préfère oeuvrer en conscience, générer des états de conscience plutôt que promouvoir la bonne et/ou la mauvaise conscience, qui autosatisfait mais qui n’agit pas), cette résolution, au nom du libre-arbitre, à réfuter toute ce qui n’est pas à son image ni à sa ressemblance, à nier par principe toute contradiction et désavouer tout discours contradictoire, alternatif, ce refus du débat parce qu’il impose la présence et l’existence de l’Autre, cette hypocrisie et cette malhonnêteté intellectuelle - est l’une des caractéristiques de la propagande (cf. le psychanalyste Adam Phillips dans le documentaire Propagande: l’art de vendre des mensonges disponible sur la chaine Youtube d'ARTE). Et c’est aussi au prisme de la propagande qu’il faut appréhender l’essor des fake news, destinées à produire des réactions - de l’émotion - et ce pour détourner ou occulter  l’auscultation  de la réalité. Celles-ci dépassent le simple mensonge. Elles doivent plutôt s’appréhender comme l’émergence ou la poursuite de système de croyances fondées sur la dénonciation de tous les faits rationnels, réfléchis, prouvés, analysés voire sur le refus pur et simple de la rationalité. Elles traduisent aussi l’émergence d’une pensée totalitaire, qui appréhende la pensée comme une tautologie et une totalité qui ne saurait être contesté puis qu’elle se pense elle-même, en soi et pour soi, comme une vérité absolue (d’où aussi la dénégation du relatif et de la relation, de la relativisation). Comme si on rétrogradait soudain à l’âge de la superstition et des obscurantisme, loin, très loin de la Renaissance et des Lumières. 


Voilà ce qui arrive quand on laisse prospérer les complotismes… 


Les fakes news dont la propagande russe se gargarise à la télévision, via internet et les réseaux sociaux sont révélatrices du discours profondément complotiste de Poutine. Toute la question est de savoir si pour le Maître du Kremlin il s’agit juste de purs mensonges, propagés à dessein stratégique et de manière cynique pour manipuler et contrôler l’opinion publique - autrement dit s’il agit de manière rationnelle - ou au contraire si, à force de les répéter à l’instruction de la méthode Coué, il s’est auto-convaincu de leur véracité, au point de développer une pseudo logique (subjective) et un discours aux postures rationnelles  (objectives) pour justifier ses mensonges (causes) et son intervention en Ukraine (conséquences) - à l’instar de tous les discours complotistes comme celui des antivax. Le fait que Poutine accuse les Ukrainiens de commettre les crimes de guerre que l’armée russe accomplit sur ses ordres révèle une inversion du principe de réalité, encore plus inquiétante lorsqu’il accuse désormais les Ukrainiens et les Etats-Unis de produire des armes chimiques et biologiques en Ukraine - une manière de prévenir de leur utilisations par l’Armée russe ? 


L'idée fixe de Poutine sur l'Ukraine (et la restauration d'un Empire russe, voire de l'Union soviétique, le premier se confondant au second) fait écho à l'idée fixe de personnages de la bande dessinée, comme celui de Gargamel qui veut à tout prix exterminer les Schtroumpfs  qui ne sont pas de la bonne couleur à ses yeux ( peut-être parce qu'il craint  "le grand remplacement" des humains par les Schtroumpfs ?), ou encore à celui du revanchard Iznogoud (He's not Good) qui, rejeté aux marches du pouvoir (comme Zemmour de l'ENA) veut "être calife à la place du calife. L'idée fixe est aussi une caractéristique des complotistes.

En fait le complotisme de Poutine, sa paranoïa, doit être analysé en tant que système de croyance. Comme beaucoup de rescapés de l’Armée rouge et du KGB soviétique, Poutine est persuadé que l’effondrement de l’URSS au tournant de la décennie 1990 résulte de la conspiration des démocraties occidentales et surtout européennes, qui n’ont eu de cesse de démembrer l’Empire soviétique une fois le régime communiste renversé. Son ressentiment rappelle celui d’Hitler après le Traité de Versailles de 1919. Comme Hitler qui exprima dès lors son ambition de restaurer le Reich en y réintégrant tous les territoires germanophones sis dans des pays étrangers, de même Poutine entend - dans un premier temps ? - reprendre par la force les territoires qui concentrent une majorité de russophones. Son but ultime serait-il ensuite de restaurer les frontières de l’URSS, y compris les anciens pays satellites qui font désormais parti de l’Union européenne ? 


Le processus mental de Poutine n’est pas si différent de celui de Donald Trump (et d’Éric Zemmour ? ) Car quand l’ancien président américain répète, comme une poule qui caquette, qu’il s’agit de fake news, son intention n’est pas de pondre un nouvel oeuf de Christophe Colomb mais de chercher à convertir la réalité à son dessein et à sa conception, à son image et à sa ressemblance.  La réalité devient un mensonge parce qu’il le déclare, comme s’il s’agissait d’une parole divine. Peu importe si le propos est totalement irrationnel, seul compte la force de conviction (la capacité à tout ravaler au niveau des émotions, de manière horizontale) qui le rend crédible, à l’instar de la télé-réalité (et ce n’est pas un hasard si nombreux parmi les participants sont ceux à devenir des influenceurs sur les réseaux sociaux). Au total selon le Washington Post, Donald Trump aurait prononcé 30 573 mensonges soit une moyenne de plus de vingt par jour au cours de sa présidence des États-Unis, tout en dénonçant encore plus de la part des médias américains. Cela rappèlerait-il Poutine qualifiant de fasciste le gouvernement ukrainien ? et lâchant ses troupes sur les Ukrainiens soit disant pour déjouer un complot contre la Russie, car c’est bien ainsi qu’il interprète le désir initial de l’Ukraine de rejoindre l’OTAN (de se mettre sous sa protection). C’est typique des complotistes d’accuser l’Autre d’être un conspirateur, alors que ce sont eux qui créent les complots, en voyant (en fantasmant) des complots qui n’existent que dans leurs têtes (métavers) et leurs délires paranoïaques, et non dans la réalité. Les complotistes cherchent à se sentir exister car ils sentent qu’ils existent de moins en moins dans le monde réel. D’où aussi une l’usage de l’emphase systématique, voire une certaine hystérisation assumée de leurs discours qui rappelle la langue du nazisme analysée par Victor Klemperer et la Novlangue dans 1984 de George Orwell).



Le Président américain Trump dont on a dénombré 30 573 Fake news pendant son mandat décernant des Fake News Award aux journalistes qui ont osé le contredire: cynisme ? wokisme d'extrême droite ? complotisme ? En tout cas, ce n'est pas si éloigné d'un Poutine accusant Zelensky d'être un nazi... 


Cette théâtralité n’a plus rien à voir avec la distanciation brechtienne qui « crée une certaine distance entre le spectacle et le spectateur, afin de développer l'esprit critique de celui-ci, par le choix du sujet, par certaines techniques de mise en scène, par le jeu des acteurs » (cf. B. Brecht, Écrits sur le théâtre, trad. de J. Tailleur, Paris, L'Arche, 1972 ). Au contraire, elle utilise les ressorts du théâtre épique pour en retourner et détourner le sens: le caractère naturel et terrestre, l’humour, l’humanité dans l’humain mis en avant par Brecht comme valeur dramatique ne visent plus à déconstruire les anciennes mystiques ni à prendre du recul vis-à-vis de ce que l’ont dit, fait et montre (sauf, encore, dans les mises en scène de Krzysztof Warlikowski et Ivo van Hove, en revanche, par respect et en hommage pour la génération des Patrice Chéreau, Georges Lavaudant et Luc Bondy, on n’épiloguera pas sur les metteurs en scène français). Au contraire, le but est aujourd’hui d’instrumentaliser les ressorts brechtiens pour réduire toute distance, créer une proximité (comme on parle de commerce de proximité - et encore plus depuis le confinement - ou encore de circuit-court, la réduction de toute distance accroissant d’autant les indices de confiance, comme sur les réseaux sociaux), afin de faciliter l’adhésion (mesurée en taux d’audience et de parts de marché à la télévision, en taux de performance sur les réseaux sociaux, en fonction du nombre d’abonnés - les clics ayant remplacés la claque théâtrale aujourd’hui). Le but n’est plus de démythifier mais de mystifier en toute connaissance de cause (cf. les filtres qu’utilisent les « influenceurs »).

   

Et effectivement, d’une manière systématique, on retrouve le même process dans la pensée complotiste qui opère par pur et simple déni de réalité. Quand des néo-nazis allemands manifestent en arborant une étoile jaune pour dénoncer le port du masque, c’est-à-dire tous les gestes barrières prophylactiques, et plus encore la vaccination, quand, au nom de croyances complotistes aux (im)postures pseudo-scientifiques et médicales, des personnes d’obédiences libertaires ou dites de gauche (persuadées qu’elles le sont parce qu’elles disent l’être) défilent de conserve avec l’extrême droite et les groupuscules fascistes  - unis sur les réseaux sociaux (comme sous le même drapeau, la même bannière), par la même idée fixe et la volonté d’imposer leur visions, leurs vérités en lieu et place de la réalité rationnelle, quand d’aucuns osent brandir des pancartes assimilant au nazisme la vaccination contre la covid-19 (en fait contre toutes les vaccinations), le contre-sens équivaut à une perte de sens proche du délire (hystérique et paranoïaque)  Là encore, le subjectif l’emporte sur l’objectivité et l’émotion sur la raison, même si l’un des principaux enjeux du complotisme est de donner à la croyance une apparence d’objectivation - en ne fondant son discours que sur des points concrets et en fuyant toute réflexion de nature abstraite car perçue trop élitiste (l’ennemi à abattre) et trop clivante et selon cette « logique » l’arme réthorique (le concours d’éloquence) sert à garantir son irréfutabilité (comme l’analyse le sociologue français Gérald Bronner dans le Charlie Hebdo du 4 mars 2015, les conspirationnistes « singent la pensée méthodique, mais sont imperméables à la contradiction »). 


A cet égard, il ne faudrait pas appréhender ces manifestations comme l’expression d’une hystérie collective. Ce serait faire le jeu des complotistes (on connaît la chansonnette, quand ils dégainent leurs rengaines) et c’est surtout plus complexe. Elles ne fonctionnent pas comme des Manifs classiques mais suivent plutôt la logique des réseaux sociaux, qui réunissent des individus d’univers différents (sociologiques, politiques, intellectuels), mais qui font corps sur une prise de position commune et partagée (terme promu d’ailleurs par les réseaux sociaux). En fait, il s’agit surtout d’un regroupement d’individualités et d’individualisme plus que d’un collectif (le sens de ce mot a d’ailleurs été mis à mal par les réseaux sociaux). D’où le sempiternel refrain sur la défense des libertés - et non de la liberté - sur le déni (libéral et libertarien) du principe de solidarité et du souci de l’Autre. En fait, là encore, on assiste à une dérivation du sens, à l’instrumentalisation d’un mot pour un autre. Ce que les manifestants antivax appellent leur défense des libertés est en réalité du pur et simple égoïsme (cf mes articles, Les anti-masques seraient-ils des salauds ? ou encore Le hold-up de Hold Up). Leur esprit de corps est surtout l’expression d’un profond narcissisme et ils n’ont de cause réelle que la satisfaction de leurs intérêts individuels et de leur confort de pensée.  Entendent-ils sauver des vies ? ce qui les intéressent surtout c’est de sauver leur peau menacée selon eux par le vaccin… Plutôt que d’exister, ils préfèrent se sentir exister (il est vrai que ce qui existe n’éprouve pas le besoin de se sentir exister). Sans doute se sont-ils mêmes auto-persuadés en croyances et non en conscience qu’ils sont dans le juste et le vrai ? 


Tel est le propre des modes de pensée religieuse. L’étymologie du mot religion viendrait du latin religare qui signifie « relier » - réunir par des liens (l’avocat romain Cicéron, lui, proposait plutôt comme origine le verbe latin relegere, qui signifie « recueillir », « relire » mais aussi « choisir » - ce qui autrement intéressant). C’est aussi une des caractéristiques des réseaux sociaux de créer, tisser, générer du lien via le partage des données individuelles et les algorithmes personnalisés autrement dit de se constituer en religion (alors qu’à l’origine internet devait avoir pour but de diffuser le savoir et de promouvoir l’esprit des Lumières). Et d’une certaine manière, ces manifestations antivax cristallisent ce passage entre les luttes - sociales - pour le bien commun, pour tous, et celles - sociétales - pour l’intérêt de chacun, car dans les nouvelles manifestations, les participants n’ont nulle envie de s’effacer ni de disparaître dans un tout (un ensemble et une somme) qui les transcenderait. Ils-elles veulent éprouver la sensation d’être avec - c’est-à-dire à ce qu’on prenne soin de veiller à ce que  chacun soit compté comme une unité défilant avec les autres de manière autonome singulière (cf l’ensemble des selfies et des posts dont dégorgent les réseaux sociaux, comme ce fut le cas le jour des manifestations contre les attentats terroristes islamistes ou pour dénoncer la guerre russe en Ukraine - après tout c’est l’intention qui compte, même si ce besoin de participer devrait plus susciter des états de conscience que des bains d’émotions / d’opinions). 


Cette volonté de se montrer « avec » rappelle la vieille théorie du libéralisme d’Adam Smith selon laquelle le bonheur de tous est l’addition (et non le total, la somme) des bonheurs individuels c’est-à-dire de la satisfaction des besoins, des désirs et des intérêts de chacun). Cette évolution traduit surtout le clivage qu’il existe désormais entre la gauche historique, majoritairement prolétarienne (celle du XXe siècle, en voie actuellement de disparition) et la gauche-bourgeoise, celle des étudiants de 68 qui se retrouvèrent au sein de ce que l’on a appelé la gauche-caviar et qui s’est convertie avec aisance au libéralisme dès 1983 (après tout il s’agissait d’un retour aux racines et d’un retour à l’ordre) - celle là même qui, pour son bien-être, prend plaisir à se faire livrer confortablement, à moindre prix au meilleurs coûts par les « auto-entrepreneurs » esclavagisés, en étant persuadée qu’en plus elle contribue à donner du travail à ces jeunes et aux migrants, pour leur permettre de s’intégrer à cette nouvelle société tellement bienveillante (super, grâce à eux le taux de chômage est en baisse, comme quoi ce sont des gens bien, vraiment, qui méritent de s’auto-congratuler, puisque le confort matériel est aussi un confort d’esprit). 


La Russie « coupable mais pas responsable » selon Eric Zemmour.


L’autre dérive actuelle consiste non pas à changer le sens des mots, à prendre un mot pour un autre mais à jouer sur les mots et avec les mots, en utilisant le sens des mots à bon escient mais pour en changer la portée. C’est ce que l’on apprend dans les écoles d’éloquence, celles où on apprend à maîtriser pour mieux dominer la langue et le langage, de manière surtout formelle, pour travailler ensuite dans la communication, la publicité et la propagande aussi. C’est assez retors et pervers - narcissique - pour être aussi une technique du mode de pensée zemourrien. 



Le Z marqué sur les chars russes correspond à l'initial du président ukrainien Zalensky, l'homme à abattre pour Poutine. Rien à voir avec le Z de la "Génération Zemmour", ces jeunes qui soutiennent le candidat de l'extrême droite radicale à l'élection présidentielle française de 2022. D'un côté l'honneur d'un démocrate qui combat pour la démocratie, de l'autre le déshonneur des adorateurs de Poutine




Ainsi le lundi 28 février, dans un entretien diffusé par RTL, répondant à une question sur la guerre en Ukraine, le candidat à la présidentielle Zemmour a déclaré que si Poutine était bien coupable (difficile de le nier), il n’était pas « responsable » car selon lui, les responsabilités étaient partagées, par «les Français, les Allemands, les Américains, qui n'ont pas fait respecter les accords de Minsk et qui n'ont cessé d'étendre l'Otan pour qu'elle soit autour de la Russie comme une sorte d’encerclement». Une manière d’excuser les crimes de guerre de Poutine… ? 


Cette expression « coupable mais pas responsable » avait été utilisée en 1991 par la ministre socialiste des Affaires sociales Georgina Dufoix pour se justifier (sic) dans l’Affaire du sang contaminé. Une manière d’accepter et de ne surtout pas reconnaître ses torts, d’adopter une certaine posture d’honnêteté (Errare humanum est ) mais fondée sur une hypocrisie magistrale (perseverare diabolicum est). Peut-être Zemmour avait-il cette référence en tête quand il plagie l’expression (on parle de copier-coller aujourd’hui) pour promouvoir sa vision de la guerre russe ? A moins qu’il se soit référé au procès d’Oreste mis en scène par le dramaturge grec Eschyle dans Les Euménides dernier volet de sa trilogie sur l’Orestie… Accusé d’avoir assassiné sa mère - Clytemnestre - qui avait assassiné son père, Agamemnon, Oreste est reconnu coupable de matricide mais pas responsable car il était de son devoir filial de venger la mort de son père. Fondé sur une analyse (ressort de la raison), et prenant soin de ne jamais versé dans l’émotion, ce procès est le premier à distinguer le meurtre du crime. Mixte, à la fois divin (Apollon / Athéna)  et humain  (l’Aréopage des citoyens d’Athènes), il distingue les nécessités des lois divines - ancestrales et antérieures - de celles des hommes désormais habilités à faire la loi et à rendre la justice dans les tribunaux du nouveau régime démocratique. C’est pourquoi le procès d’Oreste revisité par Eschyle est apparu par la suite comme un symbole de la démocratie.


Utiliser ainsi la référence de la tragédie grecque pour défendre, comprendre, justifier la position et les ordres d’invasion de Poutine  est une véritable trahison du sens non seulement de l’histoire (Les Euménides) mais aussi l’Histoire telle qu’elle évolue actuellement. Car, en l’occurence, Poutine est coupable et le seul responsable. L’OTAN n’a pas imposé à l’Ukraine de se joindre à elle. C’est le gouvernement ukrainien librement et démocratiquement élu qui a fait la demande d’adhésion, pour se prémunir et éviter la guerre avec une Russie toujours plus menaçante depuis l’occupation de la Crimée (invasion qui rendait de facto caducs les accords de Minsk) et les mouvements de rebellions dans le Dombass. Il est dommage que les médias n’aient pas analyser cette fake news, que Zemmour présente comme une vérité  dont le caractère absolu (et absolutiste) interdit tout commentaire, toute contestation,  toute contradiction, tout débat. On est dans du pur wokisme d’extrême droite. En fait, on retrouve la même réthorique polémiste que dans l’affaire dire « Pétain a sauvé les juifs français » qui traduit bien ses manières qui consistent à instrumentaliser la réflexion intellectuelles contre et/ou à défaut de toute honnêteté (cf mon article Contre Zemmour, apologie de la déconstruction). 



Zemmour-Poutine, une idylle à mots couverts Obs


C’est pourquoi, il faudrait retourner la pensée du gourou de la génération Z (qui n’a rien à voir le président Zalenski dont l’initial est peinturlurée en lettre majuscule sur les chars russes pour désigner le démocrate à abattre). Car si Poutine est bien coupable et responsable, il importe aussi de voir dans quelle mesure nos propres comportements irresponsables, vis-à-vis des pourvoir autoritaires et des dictatures, en Russie mais aussi en Chine ou en Turquie et en Iran n’ont pas conduit à l’émergence de ces situations de crises mondiales (les impacts et conséquences économiques de la guerre en Ukraine sont d’ors et déjà mondialisées à cause de nos interdépendances - la hausse du prix du Nickel menace l’économie chinoise…).  


La guerre est à cet égard un bon révélateur de ce que par paresse (recherche de la facilité et/ou refus du moindre effort), et au prétexte de libéralités (et non au nom de la liberté), les démocraties occidentales ont laissé faire laisser agir y compris en leur sein. La lutte contre le discours complotiste - comme processus d’expression - apparait dès lors comme une priorité absolue, ainsi que la fin de l’anonymat (pseudonyme) sur les réseaux sociaux au nom du principe de responsabilité et responsabilisation, ou encore leur contrôle par des autorités tiers vraiment indépendantes (pour éviter qu’ils fassent leurs lois / la loi, à l’instar de ce qui s’est passé avec les religions dite du Livre). Il importe aussi de restaurer le principe de collectif / collectivité - donc de solidarité et de fraternité - contrepoids indispensable à l’hubris (la démesure) de l’individualisme (et non de l’individualité, les mots ont un sens). Dans la mesure où le vivre ensemble ne devrait plus se réduire à un vivre avec (par intérêt et hypocritement), il importe de refonder le « tous » comme totalité, non totalitaire (les mots ont un sens), de contrebalancer le totalitarisme intrinsèque des mouvements communautaristes (qui perçoivent tout ce qui est différents d’eux comme une menace identitaire) en remettant en avant les notions de « communauté » et « de communautaire » (pour lutter contre les discours nationalistes et populistes, totalitaires par nature).  Cela impose de refonder les relations non sur le principe de l’identitaire (et non de l’identité, les mots ont un sens) mais sur une nouvelle culture de l’altérité (qui ne nie pas l’identité). Cette restauration du sens des mots nous permettrait d’appréhender concrètement les réalités et les enjeux. Par exemple, le fait de préciser notre relation à l’Autre est indispensable  (pour s’opposer aux conséquence de la lutte contre le grand remplacement proposer par un Eric Zemmour) pour anticiper les mouvements majeurs de populations désormais inéluctables à cause du réchauffement climatique que l’on peut encore réduire (?) mais dont on ne peut plus réduire le mouvement désormais irréversible. Parce qu’il va provoquer des changements de processus qui dépassent nos peurs de révolutions, il induit déjà un nouveau sens de l’histoire. C’est aussi à l’aune de cet impératif qu’il faut analyser la conquête de l’Ukraine par Poutine: certes, il s’agit d’une guerre d’expansion, impérialiste et nationaliste, mais c’est aussi une guerre pour l’acquisition des terres agricoles. Car l’Ukraine est l’un des greniers à blé du monde, et le réchauffement climatique va entraîner une réduction massive des produits alimentaires à l’échelle mondiale (on s’attend au retour des grandes famines - cf le rapport du GIEC). En fait, au lieu de tergiverser encore et encore sur un calendrier de mesures pour diminuer les émissions de gaz carbonique, il importe surtout de prévoir l’accueil des populations qui vont être contraintes d’abandonner leurs territoires, mais aussi leur intégration.







La guerre en Ukraine, première guerre du réchauffement climatique ? 

Une nouvelle guerre mondiale sociale et économique. 


La guerre en Ukraine peut à cet égard servir de répétition. Lundi 14 mars 2022, Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, a alerté sur le risque de voir réapparaître « un ouragan de famines dans le monde »  en raison du blocage des productions agricoles en Ukraine et en Russie. « Les prix des céréales ont déjà dépassé ceux du début du printemps arabe et des émeutes de la faim de 2007-2008 ». « L’indice mondial des prix des denrées alimentaires de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture basée à Rome) est à son plus haut niveau jamais enregistré », a-t-il précisé, « 45 pays africains et pays les moins avancés importent au moins un tiers de leur blé d’Ukraine ou de Russie – 18 de ces pays en importent au moins 50 %. Cela comprend des pays comme le Burkina Faso, l’Egypte (84 % du blé importé en Égypte vient de Russie et d’Ukraine), la République démocratique du Congo, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan ou encore le Yémen ». 63 % de blé consommé en Turquie vient de Russie (ce qui va poser la question de la fidélité - des intérêts - d’Erdogan à l’OTAN), et 11 % d’Ukraine. En Tunisie, 41 % du blé vient d’Ukraine… 




Tous ces pays ayant peu de réserves alimentaires et monétaires, l’augmentation du prix des matières agricoles liée à la loi de l’offre et de la demande, conséquences aussi des phénomènes d’anticipation et à la spéculation va entraîner des problèmes économiques et sociaux à très court terme. Les émeutes de la faim (semblables à celles qui ont sévit lors du Printemps arabe ?) et les nouvelles famines vont contribuer à déstabiliser ces pays et la géopolitique régionale, démultipliant les foyers de tensions et les nouvelles vagues migratoires massives dans le monde. Depuis le début du conflit, en quinze jours, dix millions de tonnes de blé et dix-huit millions de tonnes de maïs n’ont pu être exportées depuis le port d’Odessa (on peut d’ailleurs se demander si Poutine a pour l’instant épargné cette ville parce qu’elle est un symbole culturel dans l’imaginaire russe ou si c’est parce qu’il est l’un des principaux ports d’exportation). Le paradoxe, c’est que avec une production de 2,6 milliards de tonnes de céréales en 2021 (grâce aux records en Amérique latine), le monde ne se trouve pas en situation de pénurie mondiale. Toutefois, la peur de la guerre et de la restauration d’une logique de blocs ne permettant plus la redistribution et le rééquilibrage (ce qui va se passer également avec le réchauffement planétaire) mais aussi à très court terme, les récoltes qui s‘annoncent catastrophiques en Chine pour des raisons climatiques (endémiques ?) risquent de changer durablement la donne économico-stratégique. 


Tel est également l’un des principaux enjeux de la guerre russe en Ukraine. Aujourd’hui, la Russie exporte 22% du blé mondial. Si Poutine absorbe l’Ukraine, il contrôlera au moins 35% de l’exportation de blé dans le monde, plaçant un grand nombre de pays sous sa dépendance économique, et sa tutelle politique et sa vassalité géo-politique. 40 % du blé ukrainien est produit dans le Dombass, et donc il appartient déjà à la Russie.En accordant ses faveurs à un tel ou un à tel pour éviter les émeutes de la faim et les renversements politiques, Poutine disposera des moyens d’imposer son bon vouloir et son bon plaisir à l’échelle du monde, même à la Chine dont les populations ont connu les premières tensions alimentaires lors des confinements massifs pour contrôler l’épidémie de Covid-19 et de ses variants (on peut se demander d’ailleurs pourquoi la Chine tient tellement à réduire la propagation du nouveau virus, alors que les pays européens ont décidé de laisser-agir laisser faire au - et pourquoi elle cherche à éviter que ses populations, y compris vaccinées, ne soient contaminées. En fait, la dernière étude menée par une équipe de chercheurs britanniques et publiée ce 7 mars 2022 par la revue scientifique Nature sur les effets neurologiques voire psychiatriques liés à l’infection au SarsCov2 permet de comprendre les conséquences et enjeux réels d’une contamination par la covid-19, même dans les cas asymptomatiques et bénins, y compris chez les moins de 50 ans, les jeunes voire les enfants (les analyses sont en cours): le virus agit non seulement sur le volume de matière grise (il réduit le cerveau), donc sur la production neuronale (entraînant un vieillissement accéléré du cerveau)  mais aussi il affecte  les performances cognitives sans que l’on sache pour l’instant si ce phénomène est réversible ou non - en fait cette étude confirme les précédentes découvertes (le covid-19 s’installe dans des zones du cerveaux susceptibles de développer des Alzheimer précoces). 


En fait, la guerre en Ukraine remet en question la théorie du libéralisme économique sur les avantages comparatifs et la politique de globalisation mis en oeuvre (?) dans les années 1990 - délocalisations surtout imposées par les entreprises souvent au corps défendant des États qui ont dû se faire une raison pour permettre aux populations de consommer moins cher et donc d'avoir l'illusion d'un certain maintien voire d'une croissance de leur pouvoir d'achat. Après la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19, la guerre en Ukraine, retour aux guerres classiques du contrôle des territoires pour leurs ressources, démontre  les faiblesses d’un monde trop interdépendant. Elle affecte non seulement les pays européens voisins mais l’ensemble des échanges mondiaux. En France,  comme 50 % des importations de  tourteaux de tournesol destinés à l’alimentation du bétail viennent d’Ukraine, il va falloir s’attendre soit à une réduction drastique du bétail soit à acheter ces denrées alimentaires sur un marché excessivement tendu et dans tous les cas à une augmentation très forte des prix (donc à des tensions sociales). A moins de produire plus et à fort rendement, autrement dit de manière agro-industrielle (et de donc non écologique). Mais voilà, les engrais produits actuellement le sont à partir du gaz russe… A cela s’ajoute aussi la question du chauffage des serres… Pour tenter de réduire les effets de ce nouveau cercle vicieux, le gouvernement français n’exclue pas taxer les exportations pour garder les productions agricoles sur le territoire nationale… au risque d’accroître un peu plus les tensions sur les marchés agricoles… 


Et si, plus qu’un simple enjeu nationaliste et militaire, la guerre russe en Ukraine visait à déstabiliser tout l’ordre économico-politico-mondial, en restaurant la notion d’Etat, la primauté du politique sur l’économique (et en particulier sur les besoins vitaux, nouvelle arme de destruction massive à l’échelle planétaire) -  et c’est peut-être aussi qu’il faudrait analyser l’autoritarisme de Poutine et de ses alliés comme la Chine ou la Turquie (?), expression d’une restauration du contrôle du politique et d’une soumission de l’économie au politique (cf. les mises au pas des grands patrons russes et chinois). Serait-on en train d’entrer dans une nouvelle ère où primeraient les intérêts nationaux, la loi du plus fort et la loi de la jungle, facteurs des guerres anciennes ? La guerre russe en Ukraine doit elle analyser comme une guerre territoriale et/ou coloniale, comme l’émergence d’un nouveau colonialisme territoriale ? en Europe ? mais aussi en Afrique (cf les mercenaires du groupe néo-nazie russe Wagner au Mali) ? La Russie et la Chine visent-elles en ce XXIe siècle à faire main basse sur l’Afrique comme ce fut le cas pour les pays européens au XIXe siècle ? ne sommes-nous pas en train de restaurer d’ailleurs tous les processus du XIXe siècle, économiques, sociaux, moralisateurs, religieux, politiques et géopolitiques et dont le moteur commun est la défense collective des intérêts particuliers et l’égoïsme souverain ? 


Tel est ce que révèle la guerre russe en Ukraine et les enjeux éthiques contemporains. Veut-on ou non lutter contre toutes les formes de fascisme  et en premier le fascisme de l’égoïsme, promu par les réseaux sociaux, qui tend à faire de chacun sa propre référence, son propre absolu, partie et totalité, alpha et omega et à substituer le commun accord au détriment une vision commune, solidaire, et le participatif (à distinguer de la participation, les mots ont un sens) au collectif. Ce fascisme de l’égoïsme, cette dictature de chacun sur tous, rappelle la définition sartrienne du salaud. Sont des salauds pour Sartre tous ceux qui sont convaincus de ce qu’ils racontent, sans que leurs paroles ne les engagent, mais sont des  salauds aussi ceux qui confondent et assimilent bonne conscience et mauvaise foi, sont des salauds ceux qui refusent aveuglément (de manière lâche , délibérée et volontaire) l’existence de tout ce qui déplaît  (en fuyant dans le métavers ou en prenant des pseudonymes sur les réseaux sociaux), ceux qui se complaisent dans leurs ressentis, leur émotions égocentrés - qui s’intéressent aux autres parce qu’ils le valent bien, eux pas les autres -  mais qui en refusent de considérer les conclusions rationnelles de l’analyse  — cf mon article Les sans masque seraient-ils des salauds ?). Ce fascisme de l’égoïsme est une menace réelle et intrinsèque pour la démocratie, le souci et le respect des autres et de l’autre perçu(s) en dehors de l’orbite de chacun. La chute des taux de participation aux élections, le déni des notions de représentativité, de légitimité et de majorité, l’irrespect vis-à-vis des lois qui ne conviennent pas aux intérêts des individus particulier et dont témoignent la hausse des incivilités ou dernièrement encore le non-respect égoïste du port du masque (je ne parle même pas du vaccin), par souci de confort personnel, au prétexte que le porteur du virus ne se sent pas « malade » quitte à mettre en péril la vie d’autrui de manière directe ou indirecte, le fait que les jeunes élites occidentales se détournent de plus en plus de la démocratie, ou  la contestation des élites par les populismes (et le fait qu’elles ont fait aussi le jeu des populistes),  au nom d’un égalitarisme depuis les années 1970, impose peut-être de redéfinir une éthique contemporaine - et surtout d’imposer une morale - fondée sur la prise de conscience (la cristallisation d’état de conscience ?) et l’honnêteté intellectuelle. Tous les articles que j’ai écrits depuis eux ans visent à interroger toutes ces nécessités. 


En 1946, l’écrivain et philologue allemand Victor Klemperer commença à rédiger l’essai qui le rendit célèbre, Lingua Tertii Imperii, qui décrypte la novlangue nazie (en référence à la langue officielle d’Océania dans 1984 de George Orwell). Il étudia sur le vif les mots de la propagande nazie, et démontra comment celle-ci vise en particulier les affects (les émotions perçues comme plus pures car plus naturelles, immédiates et comme une forme de langage autonome - cf aujourd’hui l’essor des émoticones). Le pathos est un instrument privilégié (praxis) pour provoquer l’exaltation, le désir de jubilation et de domination. Il en va de même de la pensée intuitive opposée à la pensée rationnelle que les Nazis cherchèrent à éliminer systématiquement, car fondée sur des références culturelles, un savoir forcément pré-nazis, donc suspectes. D’où le recours à l’emphase, au superlatif, à l’exagération ( cf nos « Its a measing !!! » actuels) car la haine de la pensée impose de privilégier les postures et les impostures, la forme (l’éloquence) au fond. Les vérités - même s’il s’agit de fake news - ont valeur d’arguments et réciproquement. Comme le précise Alexandre Dorma à la lecture de Victor Klemperer (traduit en français en 1996…):  «  Les mots nazis ne s’adressent pas à la conscience et à la logique, mais visent les automatismes de l’âme collective, l’être moral, les sentiments (ce que l’on qualifierait aujourd’hui « de politiquement correct » ou « de doxa »).  Le discours fasciste/nazi cesse d’être un outil pour convaincre mais est mis en scène pour persuader à partir d’un martellelement des mots. Dans le même temps, le mode de pensée nazi privilégia les sigles utilisés en surabondance afin de favoriser la mécanisation du langage et la déshumanisation des êtres. (cf. aujourd’hui nos acronymes, le jargon des écoles de commerce et le langage sms ou des réseaux sociaux). 


Mais l’une des caractéristiques spécifique du nazisme fut d’inverser le sens des mots. Ainsi le terme « fanatique » péjoratif revêt désormais une valeur laudative. Parallèlement, le terme de « système » se substitue à celui de « démocratie » afin de la discréditer (« la pensée nazie ne se réclame pas d’un système, elle est bien plus une organisation pyramidale, hiérarchisée, centralisée », cf supra). Etre « anti-système » est un gage de qualité pour les Nazis, une preuve de soumission aussi au régime. Et c’est au coeur du nazisme que se trouvent les racines de la haine et l’exécration contemporaine envers « le système » (cf. les gilets jaunes et les discours complotistes). D’ailleurs, nombreux sont les mots et expressions forgés par les nazis qui sont toujours employés aujourd’hui, comme l’a démontré Matthias Heine dans son livre  publié en 2019 chez Duden Verbrannte Wörter: Wo wir noch reden wie die Nazis – und wo nicht.


Dans la société totalitaire inventée par Orwell dans 1984, le contrôle de la langue est primordial. L’idée fondamentale du novlangue est de supprimer toutes les nuances d’une langue afin de ne conserver que des dichotomies qui renforcent l’influence de l’État (on retrouve le même processus dans le wokisme de gauche (la blanchité)  et d’extrême droite (le grand remplacement) car le discours manichéen permet d'éliminer toute réflexion sur la complexité d'un problème : si tu n'es pas pour, tu es contre, il n'y a pas de milieu. De plus, ce type de raisonnement binaire permet de favoriser les raisonnements à l'affect, et ainsi d'éliminer tout débat, toute discussion, et donc toute potentielle critique. Dans la novlangue orwellienne, la grammaire est tantôt simplifiée par souci égalitariste (le « s » devient la seule marque du pluriel, par exemple, on dit « des chevals » et non plus « des chevaux »)  tantôt complexifiée par l’ajout de suffixes comme dans les langues agglutinantes telles que le thaïlandais, le turc ou le japonais (cf l’écriture inclusive aujourd’hui). Le but à terme de la novlangue est non pas d’exprimer la pensée mais de la façonner (comme via les réseaux sociaux aujourd’hui), afin de la garder sous contrôle.  « L'appauvrissement du vocabulaire était considéré comme une fin en soi, écrit Orwell dans 1984, et on ne laissait subsister aucun mot dont on pouvait se passer. La novlangue était destinée, non à étendre, mais à diminuer le domaine de la pensée, et la réduction au minimum du choix des mots aidait indirectement à atteindre ce but. »


Le sens des mots définit vraiment le sens de l’histoire. 



© Sylvain Desmille.





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