COVID 19: LE HOLD-UP DE HOLD_UP. Réflexion sur le documentaire, par Sylvain Desmille.

 



Le succès phénoménal du film conspirationniste Hold up de Pierre Barnérias - plus de trois millions de vues sur Internet - pose la question de la nature et les raisons peut-être de cette curiosité, parfois de cet engouement. Fait-il écho à une inquiétude ou la révèle-t-il. En tout cas, il impose au documentariste que je suis de s’interroger sur la notion de documentaire, puisque ce film est présenté comme tel. Nombreux sont les articles à en avoir démontré les mensonges. Aussi ce n’est pas tant sur le fond que sur la forme, la manière fallacieuse de la démarche, que se fonde cette analyse. Car si ce film jette une ombre sur la nature même du documentaire - au point de se demander dans quelle mesure il serait peut être temps d’instaurer une sorte d’Ordre des auteurs, comme il existe un Ordre des médecins, des avocats et des architectes -  il permet aussi à sa manière de documenter notre réalité, notre manière de percevoir et de concevoir l’information. Aussi ce texte s’intéresse-t-il moins au pourquoi qu’il interroge le comment. Ce n'est pas la première fois que je me sens obligé de m'atteler à cette tâche - l'interrogation critique s'impose dès qu'un film, un texte traduit un malaise dans notre civilisation.  La première fois que j’avais analysé la construction-déconstruction d’un discours, dans un article publié alors dans un journal local - mais bon, je n’avais pas encore 18 ans comme aurait pu chanter Dalida, lmoin de là - c’était dans les années 1980. Je m’étais alors intéressé à montrer le discours en spirale du Front nationale ou de l’usage de la tautologie dans le propos identitaire et totalitaire. A l'époque, les médias étaient persuadés qu'il ne s'agissait que d'une "phase", que le "Front national allait disparaître avec la reprise économique", que "son discours ne passerait et ne durerait pas". C'est pourquoi il est important de déconstruire le discours complotiste aujourd'hui. 




Prolégomènes à une raison critique: un film de propagande de nature sectaire qui n'est en rien un documentaire.


Si le reportage de type journalistique se doit d’être théoriquement et déontologiquement d’une objectivité imparable, en présentant tous les points de vue, sinon à égalité, du moins sur le même plan, le documentaire s’en distingue par sa subjectivité affirmée. Non qu’il ne soit pas lui-même objectif, au contraire, mais parce que son objectif n’est pas une objectivité de principe. Il ne vise pas la vérité comme un absolu mais (dé)montre plutôt la relativité de la réalité. Le documentaire ne se donne pas à voir comme une clairvoyance mais cherche plutôt à montrer la réalité à claire-voie. Il n’est pas mise une en lumière mais un travail des ombres, et sur les ombres. Il ne cherche pas à montrer le cadavre mais dessine le trait de craie qui atteste de sa position une fois qu’il a été emporté. Il est plus de l’ordre de ce qui reste que de ce qui est. Il est plus un positionnement qu’une posture, une prise de position mais sans imposture. A cet égard il est moins image  (impeccable) que regard, non pas un faire image - surtout pas - mais  une poétique, une matière qui donne à matière et matière à. 


Le documentaire est un processus et non un procédé. Il est un moyen plus qu’un fin en soi. Il est un voyage: l’auteur documente le réel, c’est-à-dire qu’il en récolte des éléments, des murmures, des bribes, des cris, des éclatements, des joies et des effrois, des paroles et de la parole, des dits et du non-dit, des silences et des mises au silence, des coquillages et des tempêtes, des musiques et des images, des faits et des défaites. Certains les classent, d’autres les pèsent et les soupèsent, les jettent en vrac. A la manière d’un historien, d’un metteur en scène, d’un écrivain, d’un anthropologue, d’un mathématicien, d’un poète et de tous à la fois. L’auteur combine cette collecte-collection, la met au regard et en regard, la propulse en abîme, la malaxe mais il ne l’instrumentalise pas. Elle est la matière de sa matière, jamais le moyen de justifier une fin. Et c’est toujours assez jouissif ce moment précis où l’auteur cesse de faire son film mais où c’est le film qui se fait, de lui-même, à égalité avec l’auteur, l’un au regard de l’autre, l’un en sympathie avec l’autre - mais non sans violence ni caresses. Il importe que l’auteur consente à cette liberté là, du film par lui-même, à cette réalité là, du film en lui-même, qu’il les respecte, sans quoi le film ne parviendrait pas se laisser aller à l’autre, au risque de confondre regard et reflet, ne pas faire en sorte - de ne pas accepter - que le documentaire devienne un document. 


Le documentaire interroge le réel non de manière binaire, en opposant un tout à son contraire, mais en faisant varier les angles, en l’appréhendant à la fois de face et de biais, au plus proche et au plus lointain - et à tous les stades intermédiaires. En ce sens, non seulement il conjugue le regard intime et omniscient mais il en donne aussi toute ses désinences. Ainsi, les photographie documentaires de Dorothea Lange rendent-elles compte autant de la réalité du sujet photographié (de sa condition sociale, de ses état d’âme à un instant donné) que du regard de la photographe à ‘instant de déclic photographique. A parité, et sans trahir précisément le sujet. Sans en faire un objet du photographe. Car c’est aussi le propre du documentaire de transcender (de se libérer de) l’opposition sujet et objet (à la différence du journaliste qui regarde son sujet comme un objet). L’objectif du documentariste est de réduire la distance entre lui et le sujet, sans jamais réduire l’autre à être son sujet. Autrement le documentaire se doit d’être à l’autre sans l’aliéner ni s’y confondre. Il est au reflet à la surface de l’eau la tâche d’huile qui ne s’y mélange jamais. Le journaliste lui a à coeur de maintenir une certaine distance qu’il perçoit comme une distanciation critique, indispensable au travail de l’esprit critique et qui le légitime. Le journaliste écrit sur un sujet. Le documentariste (s’)écrit avec le sujet.


La mise en oeuvre du film documentaire - la mise à l’oeuvre - est une épreuve (comme on parle aussi de l’épreuve photographique ou de celle d’un livre) est un état de conscience. Une prise de conscience, un examen de conscience, une conscientisation. Elle implique un total respect pour l’objet et le sujet, une honnêteté radicale vis à vis de soi et des autres, non seulement ceux qui verront le film mais le film lui-même (j’aime bien cette représentation de la conscience grecque dit archaïque qui considérait chaque organe comme une personne en soi, par exemple quand Ajax parle à son bras, il parle à la personne même qui est son bras). C’est plus un code d’honneur qu’un code déontologique une éthique personnelle et volontaire qu’une application de règles édictées et devant être suivies. Mais là où le documentariste et le journaliste se retrouvent c’est dans leur souci commun de vérifier tout ce qu’ils avancent, de démontrer ce qu’ils montrent, de développer un raisonnement (un travail de la raison), d’apporter des preuves afin de ne pas mettre en doute.


En ce sens, même s'il se revendique être un documentaire, Hold-Up ne correspond pas du tout à la définition ni à la nature d'un film documentaire. Il s'agit plutôt d'un film de propagande, idéologique et sectaire, somme toute assez classique, manipulateur et communicant, entre fake-news et bons sentiments, ce qui, en soi, en fait un bon produit tant au niveau de l'offre que de la demande, et un révélateur de l'air du temps présent. 



De l’auteur dans Hold-Up.


Quand je lis les nombreux articles de presse consacrés à Hold up, rares sont ceux à citer le nom de l’auteur, Pierre Barnérias. Ils préfèrent se concentrer sur les intervenants, souvent afin de rectifier leurs propos et d’en montrer le mal fondé. Pourtant le réalisateur se met directement en scène dans son film, que ce soit à l’image (on le voit regarder des écrans comme s’il s’agissait du contre-champs des entretiens, on entend sa voix questionner les intervenants) comme dans la voix off où il dit "je", où il "s’interroge", exprime ses "émotions". Mais quel est son rôle exact qu'il joue dans son film ? L'auteur se donne à voir comme un enquêteur, un candide qui essaie de comprendre les ressorts de la crise sanitaire de la Covid-19. Des exclamations témoignent de sa surprise. Il s’interroge. Il s’indigne. Il se révolte. (Progression dialectique classique). Mais, à la vérité, il ne fait que jouer un rôle. Il dupe son monde en n’apparaissant pas tel qu’il est réellement. D’abord, il faut voir sa joie quand un intervenant livre un propos qui va dans le sens de son opinion. Surtout on s’aperçoit au détour d’un entretien, que le réalisateur (qui se présente comme un détective) donne d’abord une somme de documents à ses intervenants, avant de les interroger et ce, afin d’orienter leurs discours (Cf. l’intervention de l’avocat Régis de Castelnau vers 1 heure 30 minutes et 20 secondes du film - 01:03:20). En fait tout est mis en scène sous couvert d’authenticité, manipulation. 



Pierre Barnérias 


Mais bon, un auteur est aussi une oeuvre et un film s’inscrit dans un parcours de création. A cet égard, il suffit de consulter la biographie de Pierre Barnérias-Desplas  publiée par wikipedia pour s’apercevoir qu’il n’est pas à son coup d’essai.  Le documentariste est en fait issu du monde du journalisme et non du documentaire. Après avoir fait ses étude de droit à l’Université Sorbonne Paris 2, Panthéon-Assas dans les années 1980… il intègre l’école européenne de journalisme de Bruxelles. Il travaille d’abord dans la presse écrite - il est en charge de la rubrique religion  à Ouest France - puis à la télévision (pour les magazines Envoyé spécial, Zone interdite, Faut pas rêver, Le jour du Seigneur…).


Ce n’est qu’à partir de 2013 qu’il s’éloigne du journalisme pour le « documentaire ». La raison de cette évolution s'explique peut-être par la nouvelle orientation de son discours. Le journalisme oblige normalement, moralement, à la vérification des faits. Serait-ce à dire que Pierre Barnérias choisit de se dire documentariste pour n'avoir plus à respecter cette obligation ? Pour avoir "la liberté de faire mentir les documents ? au prétexte qu'il développerait un point de vue personnel au services des thèses conspirationnistes et théories complotistes. Toutefois, ce n'est pas parce que l'on s'auto-sacre documentariste qu'on écrit pour autant des documentaires... A cet égard, les films qu'il réalise s'inscrivent dans la tradition journalistique, celle de la culture des faits. Pierre Barnérias reste fidèle à sa formation. Hormis la nature du propos, ses productions ne diffèrent en rien de celles, journalistiques, diffusées sur les chaînes privées et publiques. D'ailleurs, aucun travail d'écriture n'apparaît dans Hold-Up. Par exemple, la musique n'est pas travaillée pour faire corps avec le texte et l'image. Elle n'est qu'illustrative, plaquée après coup, une fois le montage réalisé.  En fait, elle est juste destinée à induire les émotions du spectateur pour mieux les manipuler. Il ne s'agit que d'une technique. Elle ne fait pas art. 


En fait, Pierre Barnérias reste profondément un journaliste. D'ailleurs, ses défenseurs lors de la polémique médiatique qui a suivi la sortie du film Hold-Up, utilise souvent cet argument - "il est journaliste de formation "- pour justifier tout ce qui est avancé dans ce film.  Lui-même ne se place pas dans la position de l'auteur mais de l'enquêteur - du fil rouge qui fait des noeuds et qui tourne en rond.  Il se tient en retrait, à distance, en contre-champs, dans l'ombre des intervenants afin de les laisser seuls responsables de leurs positions. Car pour le journaliste Pierre Barnérias, le propos - dire et faire dire - prime sur l'écriture. Dans son premier film "documentaire" A qui profite le flou ? il affirme que les images de la Préfecture de Police tournée lors de la Manif pour tous ont été délibérément truquées pour minorer le nombre de manifestants et réduire l’importance et donc la portée « réelle » du mouvement. Bien sûr, il n’avance aucune  preuve vérifiée. Et c'est la raison pour laquelle, il qualifie cette production de documentaire... Malaise. 


En fait, l’affirmation a valeur de preuve en soi, comme c’est souvent le cas dans la dialectique et le soit disant « bien fondé » des réseaux sociaux. Elle se donne à entendre comme irréfutable , comme l’analyse  Pierre-André Taguieff dans La foire aux illuminés ( Paris, 2005) et L’imaginaire du complot mondial (Paris 2006). D’ailleurs, le fait de poser l’affirmation gratuite comme une vérité absolue - un dogme - d’imposer une posture qui ne démontre jamais rien mais qui met en doute tout ce qui peut la contredire et la contester est un ressort dialectique du film. Son but n’est pas d’apporter les preuves qui permettrait de ne rien mettre en doute, mais au contraire, de faire douter, de susciter et d’entretenir un doute devant être perçu comme raisonnable, alors que le propos ne fait jamais l’objet  d’une démonstration raisonnée. On retrouve d’ailleurs cette réthorique finalement d’inspiration très religieuse, de la croyance contre l’esprit de démonstration, de la superstition contre la raison, et du diktat de l’affirmation sans possibilité d’infirmation, dans la communication de la Manif pour tous et des associations telle que Civitas. Plane toujours l’ombre d’un grand Satan, de l’Autre qui complote, du Danger. 


En 2014, Pierre Barnérias pointe du doigt dans son film M et le 3e secret ceux qui seraient aux ficelles du grand complot mondial, à savoir les Francs-Maçons et le Parti communiste… A cet égard, la fin de l’URSS étant actée, c’est-à-dire sachant qu’il n’a plus rien à craindre de ce côté là, qu’il peut tout dire et surtout faire dire ce qu’il veut, Pierre Barnérias innove en associant les communistes avec les francs-maçons que Léon Trotsky considérait comme une partie non officielle mais au pouvoir considérable du régime bourgeois (Cf, le discours du 25 décembre 1922). Associer les contraires, confondre et dissoudre les oppositions, ne pas redouter de dire tout et son contraire, brouiller les enjeux, désarticuler les frontières s’impose dès lors comme une marque de fabrique de ses films, que l’on retrouve dans Hold-up.



De la mise en scène comme manipulation mentale.


Ce dispositif est tellement systématique, tellement répétitif qu’il ne peut être que volontaire. Il est vrai que les complotistes tiennent à singer la pensée méthodique hyper-critique en veillant toutefois à rester imperméables à toute forme et tout esprit de contradiction. Ils sont d'ailleurs les premiers à accuser tous ceux qui ne sont pas en accord avec eux de porter atteinte à leur "liberté d'expression" dans la mesure où ceux-ci les contestent, alors qu'à aucun moment l'Autre ne les censure. Pour preuve: le film Hold-Up existe.  Pire, les complotistes vont accuser l'Autre d’être méprisant, car élitiste. En effet, l'élite, tous ceux qui se distinguent, qui se différencient sont leur Bête Noire. C'est le Juif dans l’Allemagne Nazie, le Franc-maçon qu'accuse de tous les maux l'extrême droite.  L'élite renvoie à leur propre complexe revanchard d'infériorité / supériorité. Mais  ils occultent le fait que si la classe de l'élite est parfois un fantasme, il existe toujours une élite dans chaque classe sociale, y compris les Gilets jaunes. De plus, que leur haine envers l'élite révèle leur peur de son propre déclassement n'excuse en rien la chasse aux sorcières contre tous ceux qui osent confronter l'affirmation à l'information, la foi et la croyance à un point de vue non-croyant. 


Ainsi les complotistes remettent en cause le bien fondé de l'analyse au prétexte que vous seriez plus - donc trop - diplômé (ce qui ne signifie pas grand chose aujourd’hui), que vous maîtriseriez plus les codes d’une élite contestée par le démocratisme ambiant. Ils revendiquent oeuvrer par la persuasion (le Diktat devenu Culture des émotions,  forcément justes car immédiates, le fait de sentir naturellement les choses (c’est-dire la vérité) et non par la démonstration (jugée suspecte car plus complexe donc pouvant être manipulée par ceux qui savent « bien parler » et donc qui peuvent faire dire aux choses - aux mots - ce qu’ils veulent).  Plutôt que l’analyse et la contre-argumentation, ils préfèrent - et de loin, l’avis, l’opinion, le témoignage mais toujours indirect. Ainsi, dans le film Hold-Up, tous les intervenants évoquent  qui « un ami », qui « un commerçant » ( on a appris par « des pharmaciens ), qui un membre de sa famille.  A chaque fois, tous « l’auraient dit que… », bien sûr sans qu’à un moment le réalisateur pourtant journaliste de formation, ne prenne la peine de vérifier les dires et les sources, ni si les quidam évoqués existent).   


En fait si les complotistes sont soucieux de désigner l’Autre, toujours coupable à leurs yeux, donc forcément responsable. On est loin du théâtre grec fondateur de la démocratie, de l'Orestie d'Eschyle. La question de la responsabilité / culpabilité ne doit faire l'objet d'aucun débat pour les complotistes: "Tu es coupable, donc tu es responsable, le fait de te désigner comme coupable - toi, l'Autre - implique de facto ta responsabilté." En fait, tout dans leur monde fonctionne à l'envers, ou plutôt en miroir de la réalité.. . Ils refusent le regard d’un autre qui pourrait poser la question de leurs théories. Tous ceux qui n’appartiennent pas à leur sérail, à leur communauté - à leur élite ? - c’est à dire tous ceux qui ne valident pas leurs dires, qui les interrogent, qui n’y croient pas, deviennent l’Ennemi, des Blasphémateurs, des Apostats, les comploteurs que dénoncent précisément les complotistes.  Le simple fait de les pointer du doigt accrédite l’existence du complot. En fait cette pensée-miroir est ego-centrée, narcissique et paranoïaque. Si elle se développe en spirale, c’est toujours autour d’un centre, d’un oeil du cyclone à savoir le complot énoncé/dénoncé. Le seul fait d’y entrer vous aspire dans un mouvement ascendant et descendant perpétuel qui vous empêche d’en sortir.


Les données constituent la trame de cette dynamique. Dans Hold-up, le réalisateur, en bon "journaliste de formation" les présente comme factuelles. A cet égard certaines ne sont pas fausses ou inexactes. En revanche, toutes sont présentées sur le même plan, à égalité, qu'elles soient vraies et fausses.  En réalité, ces données factuelles importent moins que leur articulation, leur mise en relation. L'une au regard de l'autre. L'une au prolongement de l'autre. C'est à cette condition que le fait se transforme en demi-vérité, qu'une donnée vraie en soi résonne comme fausse grâce à l'effet de montage. Le réalisateur journaliste utilise cette technique pour faire dire aux données ce qu'il veut lui en entendre.  


Dans Hold-Up, le mille-feuille argumentatif est mis en scène via un montage qui accumule des énoncés aux allures de dénonciations et des affirmations présentées comme des informations, toujours de manière très syncopée, très courte (moins de dix secondes, soit une phrase), et qui défilent très vite, avec juste le temps de les recevoir pour ne jamais donner la possibilité de les réfléchir, de les mettre en perspective, d’analyser la donnée, puis en prenant soin de sauter du coq à l’âne, sans aucune logique pour démultiplier les champs de soit disant investigations. Le but est de rendre le propos dramatique,  comme si cette dramatisation était une justification en  suscitant l’intérêt via la punch line (l’effet de phrase comme effet de manche), en transformant le montage en zapping et souvent en prenant le contre-pied des médias classiques (le producteur du film, Christophe Cosse, dans son édito  (Lien "Édito" de Christophe Cosse) parle de « presse inféodée », champ lexical utilisé par la Manif pour tous, le Front national  et d’une manière générale se qui se définissent non en soi mais en opposition aux autres). Le tout sur une très longue durée - le film dure 2 heures 45 - pour donner précisément l’impression d’être tenu en éveil, même si on s’ennuie tout de même assez vite. 


Bombardé d’affirmations comme si on lui maintenait la tête dans une baignoire remplie d’eau, le spectateur se retrouve en situation d’apnée: il a juste le temps de prendre une bouffée d’air frais, à l’occasion précisément de petites séquences (mais qui paraissent longues au regard des autres) en extérieur, dans un cadre bucolique, naturel, pour associer le film aux problématiques écologiques actuelles, sous-entendre qu’il y fait écho et qu’il s’y inscrit. Ça ne mangera de pain et ça peut rapporter gros. A l’inverse, les principaux entretiens ont été tournés en studio - pour faire plus professionnel et donner l’impression qu’il ne s’agit pas d’un film amateur, à petit budget, réalisés avec les bonnes volontés et les moyens du bord, comme la plupart des films militants. La forme ici importe, par souci de crédibilité, afin de marquer les esprits, montrer qu’il y a de l’argent (et montrer à tous ceux qui ont participé au budget via les plateformes de financements participatifs que leurs dons ont été utilisés à bon escient - les pauvres ont toujours pris plaisir à voir l’or de leur impôts devenir les palais des rois). C’est assez paradoxal, car le réalisateur plagie les codes des films diffusés par la télévision et les médias « officiels »  dont ils dénoncent la corruption. Sans doute est-ce aussi une manière de s’auto-valoriser, de complaire aux exigences de son ego.


Les entretiens se déroulent dans un studio très sombre, et dont il semble impossible de s’échapper: les caméras tournent sur des rails autours des intervenants placés au centre du dispositif. Il n’existe pas d’autres points de fuite que la lumière des écrans qui diffusent l’affiche du film (comme on le fait d’habitude pour les interviews promotionnel des films hollywoodiens). Le point de mire est ici une mise en abîme. Il s’en dégage une atmosphère très sombre, étouffante voire anxiogène. La caricature d’un univers complotiste, conspirationniste, une noirceur qui évoque les conjurés se réunissant chez Brutus pour mettre au point l’assignat de Jules César. Version Astérix. Les gros plans sont privilégiés, comme pour réduire toute mise à distance entre les propos et leur réception. 


Ceux-ci s’enchaînent à un rythme effréné, en roue libre, déchaîné, comme pour montrer qu’il n’existe aucun carcan, qu’il s’agit d’une parole libérée, impérieuse et donc impérative - toujours dans son édito le producteur Christophe Cosse évoque  « un élan instinctif «  à « l’heure des choix » «  à la fin d’un cycle » où « tout va très vite ». 


La forme, la forme, la forme. Comme si seulement ça importait désormais, non pas la nature ni la qualité du discours, mais la manière de le mettre en scène, c’est-à-dire de le diriger, de l’orienter. D’ailleurs, cette forme prime à ce point sur le fond que le discours souvent s’arrête à la forme, comme c’est le cas dans la première intervention d’Alexandra Henrion-Caude qui se contente d’énoncer le nombre de pages des trois recommandations de l’OMS sur le port du masque  sans jamais analyser la raison de l’amplification évoquée (d’ailleurs est-elle seulement juste ?), et encore moins leurs motifs (qui s’expliquent tout simplement par l’aggravation de l’épidémie qui devient une pandémie). Non, la généticienne se contente juste de rester dans une dimension formelle et conclue par une opinion: « de qui se moque-t-on ? » Mais quel rapport existe-t-il entre sa conclusion assénée comme la morale de l’histoire avec ce quelle a énoncé ? 


En fait pour que le process du film fonctionne, il est primordial qu’aucune des affirmations n’ait de rapport avec ce qui précède ni ce qui suit. Sinon, cela montrerait le caractère délirant du discours. Ainsi l’énoncé d’Alexandra Henrion-Caude est suivi par une opinion de Michael Lewitt , prix Nobel de Chimie, selon laquelle il est en fait préférable - naturel - de laisser mourir les personnes âgées plutôt que de gêner de bien être et le développement personnel des jeunes, en précisant que c’est la société (et non le pouvoir politique) qui aurait dû faire ce choix. Ensuite, sans transition, le réalisateur nous propulse dans un taxi pour écouter les brèves de comptoirs de Mamadou le chauffeur (le réalisateur ne prend même pas le soin d'indiquer son nom son nom  en entier, ce manque de considération est assez méprisant au regard de "l'élite" des autres participants dont les titulatures sont surgonflées). Ses propos et leur suite logique sont tellement décousus qu’on ne comprend même pas de quoi il parle exactement. 


Ces associations entre Prix Nobel et chauffeurs de taxis («véritables décodeurs » dixit le réalisateur à 00:22:25), entre universitaires et quidam, sont très bien mises en scène, de manière récurrentes. Le but est en effet de veiller à ne pas opposer une parole savante à un discours de bon sens, afin de tout mettre sur le même plan - comme sur les réseaux sociaux - c’est dire sans aucune hiérarchisation de l’information, ni distinction de nature. Peut-être au nom du démocratisme ambiant (tout se vaut, tout doit être abordé à valeur égale, le poète Rimbaud et le rappeur Maka, du pareil au même, et malheur à qui dépasse d’une tête, comme en statistique il la perdre par écrétage).  Plus sûrement pour éviter de donner à croire qu’il s’agit d’un film de « spécialistes « , « d’experts », quitte à réduire tous les propos et les propos de tous à de simples avis, à des opinions, à des témoignages (mais toujours de seconde main),  pour mettre en avant l’affirmation et non l’information (car elle se vérifie, elle se discute, elle s’analyse, elle se démontre), en prenant soin de susciter le doute mais en ne doutant jamais de ce que chacun énonce.


Peu importe le propos. Ce qui compte c’est la manière dont il est énoncé - d’où l’importance du ton, pour faire croire à ce que chacun dit, et des petites phrases qui concluent en émettant un doute ou en tirant la morale de l’histoire (le démocratisme impose son moralisme). A dire vrai, on peut même se demander si les propos des intervenants ont une quelconque importance. C’est leur association par le réalisateur qui s’impose. Déstabiliser, perturber le champ d’analyse pour le réduire au néant des considérations est la seule stratégie qui vaille ici. Vers 00.15:50, Nathalie Derivaux, sage-femme, tient un petit laïus sur l’obligation qui aurait été faite aux femme d’accoucher en portant un masque, puis Violaine Guérin, gynécologue, intervient pour dire que pendant le confinement 1 enfant sur 5 (20%) aurait été victime de violences sexuelles (donc de la part d’un ou de plusieurs de ses parents…), pour ensuite contredire les chiffres,  dans le prolongement de  son propre énoncé, en affirmant avec le même aplomb, qu’il n’y a eu aucun dépôt de plainte, non pas parce qu’il n’y a pas eu de violences sexuelles ( ce serait trop simple et donc pas vrai) mais parce que les enfants ne pouvaient se plaindre car sous surveillance, comme l’ensemble de la société. Quelle est la suite logique à travers cette connexion ? Faut-il déduire un lien, entre le port des masques par les femmes qui accouchent et les violences sexuelles sur mineures ? Puis le réalisateur semble établir une relation, entre une multiplication des viols et des suicides de jeunes dont il dit juste avant qu’ils n’ont en réalité jamais été dénombrés (sic), qu’il associe aux milliers d’amendes pour non respect des gestes barrières et des mesures sanitaires et à une évocation des menaces physiques, en montrant à cet instant précis du discours un policier en train de demander gentiment à des clients d’un café de respecter la distanciation physique (re sic)… Ces derniers sont présentés comme des victimes alors qu’ils sont en infraction et que ce sont eux qui plus est qui sont responsable de la propagation du virus, et du prolongement de l’épidémie (avec toutes les conséquences mortelles et économiques que celui-ci entraîne). Autant de mauvaises fois, de malhonnête intellectuelles en moins de 2 minutes (de 00:15:50 à 00:17:33) , c’est un record. Le problème est que ce schéma se perpétue et se reproduit en permanence sur les 2h45 du film. 


Les entretiens des participants sont souvent fractionnés, éclatés, réduits à des avis, à des opinions, à des formules twitter, comme sur les réseaux sociaux. Peut-être pour leur faire dire ce que le réalisateur a envie d’entendre et de faire entendre, l’affirmation énoncée est re/construite à partir de plusieurs phrases de l’intervenant (on le repère aux plans de coupe,  soit quand on change de valeur de plan soit quand apparaissent les split-screens, les doubles-écrans) voire en associant des propos de plusieurs intervenants (cf entre 00:26:28 et 00:26:50, quand la sage femme dit que des patients n’ont jamais vu son visage sans masque, donc, poursuit le médecin Astrid Stuckelberger, « il s’agit d’une politique de peur, d’un terrorisme psychologique » ( sic) et le philosophe Michel Rosenzweig d’embrayer pour conclure que « le quai de la gare de Bruxelles était désert parce que personne ne prend plus le train » mais que des militaires patrouillaient pour vérifier si les rares voyageurs portaient bien leur masque (Re sic) . 


On retrouve toutes ces techniques dans les méthodes de manipulation mentale, dont le but est de fausser et d’orienter la perception de la réalité, en usant d’un rapport de séduction, de suggestion, de persuasion, de fascination et de crainte, en instrumentalisant les émotions pour en faire le principal instrument de toute analyse. Les émotions ne s’opposent pas à la raison, elles ne s’y équilibrent pas, elles la dominent au prétexte qu’elles sont naturelles donc honnêtes, qu’elles ne nécessitent aucune culture, aucun effort d’apprentissage, perçus comme suspects à partir du moment où tout le monde n’en a pas une maîtrise égale, où il existe des différences. D’ailleurs, la manipulation mentale répond souvent aux besoins fondamentaux, d’appartenance et de reconnaissance, de tout ce qui fait de nous des êtres humains. C’est comme cela qu’elle capte l’attention. 



De la tautologie.

Éloquence et instrumentalisation.


Ce film ne serait-il pour autant qu’une sorte de délirium tremens ? Ou une sorte de révélateur comme une mise en abîme - au propre et au figuré - du fonctionnement d’une forme de pensée contemporaine, telle qu’elle prolifère sur les réseaux sociaux et dans les séries de télé-réalités de certains médias. Une forme de pensée soit disant populaire dans la mesure où elle tient à se distinguer  d’une « élite » qu’elle fantasme au point d’en devenir populiste ? A cet égard, tous ceux qui dans le film ont critiqué la présence des chauffeurs de taxis pourraient être taxés de mépris de classe ou plutôt de mépris de masse. Et c’est sans doute à ce dessein que le réalisateur a aussi tenu à les inscrire dans sa mise en scène, précisément pour jeter l’opprobre sur ceux qui feront juste remarquer sinon le manque de cohérence effective, réel, indéniable de leur propos, du moins la difficulté à suivre le fil de leurs idées. Et c’est assez mesquin  voire malhonnête d’instrumentaliser un chauffeur de taxi qui peine à s’exprimer en français, parce qu’il n’a pas encore la maîtrise de la langue, installé d’ailleurs en premier dans le film à ce dessein et à cet effet. Technique de la tactique.. 


Et tandis que j’écris cette analyse, je me demande moi-même si je suis pas en train de verser dans le complotisme ? par capillarité, comme si le simple fait d’énoncer ses énoncés en corrompait l’analyse. Mais  c’est plutôt logique. En fait, le propre du complotisme est de croire qu’il existe une intentionnalité générale, que tout revêt une dimension cachée - sacrée ? - et intentionnelle. Il s’agit en fait d’une forme de pensée religieuse. L’intention est aux complotantes l’équivalent de la Divine providence pour certains Chrétiens, ou de la Grâce de Dieu mais versus Grand Satan. Dès lors, plus besoin d’analyser ou de développer un raisonnement. L’agglomérat de faits pas forcément faux en soi suffit à faire sens, pour peu qu’on y mette un ton - le bon ton, celui qui induit et qui sert à conduire le fil décousu des idées - et à condition qu’on suscite toujours au final la suspicion.  


Dès lors, si tout est se doit d’être intentionnel et de dévoiler l’intentionnalité cachée derrière chaque chose, plus besoin de cohérence. Tout est même permis. Le réalisateur journaliste interroge (à partir de 01:59:30) un individu à visage masqué, car soit-disant « spécialiste du renseignement », d’ailleurs ça doit être vrai puisque pour preuve, il refuse de montrer son visage ! En quoi ce témoignage est-il juste, recevable ? Aucune importance. La mise en scène justifie toutes les associations d’idées et les affirmations délirantes. Et Valérie Bugault, docteur en droit privé, d’établir un lien entre le refus du gouvernement d’appliquer l’article 16 de la Constitution (utilisé une seule fois en 1961 au moment du Putsch des Généraux à Alger) et la soit disante corruption généralisée des sociétés politiques (!!!!!!). 


Peu importe les dénies de réalité ( comme l’inexistence d’une deuxième vague, théorie défendue par Didier Raoult et répété dans le film par Jean-Dominique Michel, anthropologue de la santé, à 00:30:16). Peu importe, si, dès que le réalisateur journaliste décide de laisser les interventions dans la durée, celles ci se révèlent complètement délirantes, comme celle de Jean-Bernard Fourtillan qui déclare que le virus de la Covid-19 serait une création du Laboratoire Pasteur (à partir de 01:50:05), en montrant pour prouver ses dires une photocopie sur laquelle il est impossible de rien lire, quand on sait la grosseur des brevets.  Il y a aussi le laïus d’Ariane Bilheron, psychologue clinicienne (sic), à partir de 02:07:58, qui certifie que les privilégiés, parce qu’ils appartiennent à l’élite, complotent pour éliminer tous ceux qui ne sont pas des privilégiés, même si ces derniers ne revendiquent pas leurs privilèges ni ne cherchent à intégrer les élites… C’est le cas aussi avec la longue prestation de David Pliquet, chef d’entreprise spécialisé dans le numérique (?) (de 02:11:08 à 02:17:28) et qui affirme que google a déjà implanté une clé usb dans le cerveau d’un cochon, sous-entendu, ce sera bientôt le tour des humains…  


De même, le discours du film peut se contredire lui-même, jusqu’à la déraison et la nausée. Aucun problème ! Alors, d’un côté, on a droit au témoignage tout en émotion quasi hystérique de la Sage-Femme qui visiblement a dû perdre sa grand-mère pendant l’épidémie et qui dénonce la notion d’espérance de vie résiduelle et le la mise à mort des aînés dans les EPHAD, (02:20:10) vers et de l’autre le prix Nobel de Chimie Michael Lewitt qui n’arrête pas de dire qu’il aurait fallu laisser mourir les vieux - voire sous entendre les tuer - au prétexte que sauver dix de ces vies maintenant pourraient qui sait un jour peut-être entraîner la morts de dix milles autres (vers 01:48:45) mais bien sûr, tout n’est que supposition, fantasme, il ne présente aucune démonstration, aucune preuve.  D’un côté,  David Pliquet s’attaque au patron de la firme Amazon qu’il définit comme libertarien (vers 02:12:00) « comme tous les membres de cette sphère de hautes décisions » mais grâce à l’étude du sociologue Antoine Bristielle publiée par la Fondation Jean Jaurès ( Lien Article "Bas les masques" ), on sait que les Anti-masques, position que défend le film ( de 00:12:05 à 00:16:10 et de 00:31:57 à 00:35:52), sont en majorité des Libertariens et d’ailleurs, dans son édito, le producteur de Hold-up, Christophe Cosse, en reprend les éléments fondateurs de la doctrine quand il évoque les libertés bafouées par le confinement pour finir sur la liberté de mourir (ou s’agirait-il pas d’une sorte de droit de laisser tuer ? l’équivoque autorise l'équivoque). Retiré par vimeo et youtube, le film est désormais uniquement disponible sur la plateforme Odyssée, lancée en 2020 par un Libertarien... ( Cf. Lien Article Libération).


Extrait de l'Edito de C.Cosse

Peu importe enfin si le réalisateur n’hésite pas à stigmatiser l’Autre, l’Ennemi, le Grand Satan, sous forme de fiches signalétiques, qui rappellent les « heures sombres  de notre histoire » auxquelles les intervenants font pourtant souvent référence, ou encore en désignant spécifiquement des membres de l’Institut Berggruen (mais bon, c’est vrai, à l’époque où le film a été monté, n’était pas survenu l’assassinat de Samuel Paty qui avait été désigné de la même manière au terroriste). Quoi qu’il en soit, le réalisateur agit tout de même en appliquant les mêmes agissements que ceux des comploteurs qu’il prétend dénoncer. 


Tous ces éléments mis en scène prêtent à confusion.  A dessein. Car pour faire passer le message, il importe de susciter le doute, de brouiller les repères. La confusion sert à confondre ceux que les complotistes  qualifient comme comploteurs. Le discours revêt alors une dimension tautologique, que ce soit au sens étymologique du terme, à savoir  « le fait que dire (λέγω) la même chose (ταὐτό) » - et d’ailleurs  dans le film  le premier énoncé  semble servir de preuve à ce qui est répété, de même que la répétition d’une affirmation justifie sa première énonciation, comme ça c’est assez pratique, tout s’auto-justifie sans avoir besoin d’être démontré, comme au sens grammaticale classique: « effet de style qui fait en sorte que sa formulation ne peut-être que vraie ».  Les tautologies ne déconstruisent pas, n’analysent pas, ne démontrent pas. Grâce à elles, « on monte en haut » et « on descend en bas ». Et les complots existent puisqu’il existe des complotistes pour les énoncer. 


A cet égard, Hold-Up met en évidence deux grandes conspirations, l’une nationale et l’autre mondiale (globalisée), l’une est directement liée à la crise épidémique, l’autre s’y inscrit dans son développement. La première vise à oser remettre en question les travaux du Professeur Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine. D’ailleurs, les complotistes vont dire que l’actualité leur donne raison, car depuis qu’il est poursuivi par l’Ordre des médecins, Didier Raoult lui-même dénonce « un complot très haut placé » (Cf. Lien article La Dépêche). On n’est jamais mieux servi que par soi-même. 


Dans ce premier complot, les complotistes se placent en situation de victimes, de martyres: c’est parce que le « Grand On » leur a interdit d’utiliser un médicament miracle que le complot existe. Ils en sont chacun la preuve; le professeur Didier Raoult, sorte de grand Gourou, en est le Bouc-émissaire (victime de l'élite du corps médical qu'il aurait osé défier). 


Animation tirée du film Hold-Up.



La question de l’hydroxycloroquine est récurrente dans le film et le structure. Le professeur Raoult est mentionné à partir de 00:09:14. Ses positions sur l’ impossibilité d’une « deuxième vague épidémique » sont reprises à 00:30:16. Puis l’affaire de la chloroquine est développée, de 00:43:47 à 01:10:07) mais sans jamais abordée la question de son efficacité réelle. Elle revient de 01:31:24 à 01:38:58 sous l’angle des laboratoires pharmaceutiques. Puis de 02:26:54 à 02:31:55à travers les témoignages de médecins généralistes interdits d’hydroxycloroquine. Elle conclue le film de 02:41:55 à 02:45:22, en dérivant sur la question du vaccin anti-covid dont le professeur Raoult avait dit que c’était de la science-fiction, au journal Valeurs actuelles… (Lien article Valeurs actuelles )


Le premier complot n'est là que pour chauffer la salle -comme les chanteurs qui font la première partie avant l'arrivée de la "vedette". Il n'a d'autre but que de conditionner le spectateur, forcément plus sensible à l'actualité. Le deuxième grand complot survient d'ailleurs assez tard dans le film, autour de la deuxième heure. Il renvoie à la définition classique de Karl Popper: événement politique causé par l’action concertée, secrète et abusive d’un groupe de personnes qui avaient intérêt à ce qu’il se produise, plutôt que par le déterminisme historique (conception marxiste) ou le hasard (la « logique de Dieu selon Bernanos).  C’est bien entendu celui des élites, corrompues et méprisantes, transhumanistes, piloté par Bill Gates, et qui préparerait le Great Reset, la grande réinitialisation du monde, reboot coordonnée et concertée entre les grandes entreprises - les GAFA - les banques centrales, le FMI, les chefs d’États, et visant à faire disparaître toutes les personnes inutiles à la société. Le Great reset serait aux complotistes ce que le grand remplacement est aux extrêmes droites et aux islamistes.


Animation tirée du film Hold-Up.


D’après leur scénario, une pandémie mondiale servirait de détonateur pour amorcer le processus qui à terme, comme le dit très explicitement la sociologue Monique Pinçon-Charlot, conduit à une troisième guerre mondiale, «  guerre de classe que les plus riches mènent contre les pauvres de la planète, dans laquelle « comme les Nazis l’ont fait, il y a un holocauste qui va éliminer la partie la plus pauvre de l’humanité, c’est-à-dire trois milliards cinq cent millions d’êtres humains » ( de 02:38:49  à 002:39:18). La sociologue a beau s’être rétractée depuis, dire qu’elle a été dupée, le fait est qu’elle précise tout de même « je vais peut-être choquer votre caméra » avant de lancer sa phrase polémique, preuve de l’intentionnalité de son propos. Après, si par cette provocation elle se pose la question de l’existante vitale des personnes inutiles économiquement ou simplement pas indispensables, au regard qui plus est de préoccupations écologiques qui posent la question de la survie de la terre au regard d’une croissance démographique exponentielle qui en épuise les ressources, elle se situe en fait en écho et dans la continuité des grosses productions cinématographiques hollywoodiennes comme Time Out d’Andrew Niccol, sorti en 2011 et avec Justin Timberlake en premier rôle…


D’où l’appel du réalisateur à la révolte citoyenne, c’est-à -dire  au combat de ceux qui n’appartiennent pas à l’élite (c’est le versant Gilets jaunes du film, et source d’une partie de son financement collaboratif), et dont Hold-Up serait l’une des expressions. Tautologie de la tautologie, la construction dialectique en spirale des conspirationistes est bouclée.  



Hold-Up, Mein Kampf: 2020.


En fait, quand on lit l’édito-manifeste du producteur de Hold-up Christophe Cosse d’entrée sa citation de Kierkegaard fixe clairement l’objectif du film: « Il s’agit de trouver une vérité qui soit vérité pour moi, de trouver l’idée pour laquelle je veux vivre et mourir ». Peu importe que la vérité soit vraie ou fausse, qu’elle ait été démontrée ou contredite. Quelle existe réellement ou qu’elle soit fantasme. Du moment que la vérité soit pour moi et non en soi. Le rapport de chacun au monde, l’émotion que chacun éprouve justifie tout à partir du moment où l’ego prime sur tout, devient à lui-même sa propre valeur absolue, refuse la relativité et le relativisme de l’Autre, toujours considéré a contra, comme un opposant et une menace.   Il est l’ennemi, le diable. Le complotiste se définit non au regard de l’autre, non dans la curiosité de l’autre mais à son opposition binaire. La tautologie de sa pensée transforme l’ego en pouvoir totalitaire. L’ego participe à une communauté du similaire, qui rassemble tous ceux qui « pensent comme lui », à son image - son faire image - et à sa ressemblance. Son identité est identitaire. Elle se développe par identification. A partir du moment où devient crédible la pensée magique, celle qui assigne à une hypothèse plausible une possibilité d’existence, irréelle mais pas irréaliste, alors peu s’imposer la croyance.


Tous les participants de Hold-Up croient en ce qu’ils disent. Et effectivement, le discours complotiste se rapproche du discours religieux. Sectaire et sectariste. La croyance n’impose aucune autre justification que celle de croire, d’y croire. On se place du côté de la foi - de bonne foi et de mauvaise foi. Dieu - le complot mondial - existe parce qu’on croit en Dieu. Les non-croyants - ceux que la grande Inquisition des complotistes démasque, pourchasse, veut anéantir - sont des blasphémateurs, des mécréants, des apostats. Il est donc primordial que la minorité des Croyants convertisse le plus grand nombre pour renverser et détruire l’élite, c’est-à-dire cette minorité des Autres afin de prendre le pouvoir. Celui-ci sera forcément démocratique puisque totalitaire: les complotistes promettent une nouvelle Terre  - écologique - où chacun y sera du pareil au même, fraternité parfaite d’ego égaux, tous enfin libres de croire à ce qui convient de croire. C’est le Great reset des dénonciateurs du Great Reset.  Et « mort aux traitres ! » même si dans le film aucun des intervenants fait bien attention de lancer juste des appels à une « prise de conscience », « à réagir avant qu’il ne soit trop tard », au nom des prochaines générations qui pourraient les accuser de « n’avoir rien fait à temps ». 


On retrouve cette eschatologie - ce discours sur la fin du monde, la fin des temps, la fin de l’homme - dans les idéologies religieuses et profanes. Du Nouveau testament dans la Bible à Mein Kampf d’Hitler. Elle en est d’ailleurs souvent la justification. 


En 2015, l’annonce d’une réédition de Mein Kampf, ouvrage tombé dans le domaine publique,  a suscité un débat, très intéressant et très fructueux. L’historien Claude Quétel dans son livre Tout sur Mein Kampf, publié chez Perrin, y démontre comment Hitler propose une utopie à l’envers. Ce qui apparait comme un outil spirituel de mobilisation conçu comme un ensemble lié d’images motrices révèle en réalité une idéologie très précise, racialiste et raciste. La théorie conspirationiste qu’Hitler développe fait doctrine, l’accumulation des données fait système. Dans Manipuler et stigmatiser, Démystifier Mein Kampf, publié aux éditions du CNRS, Albrecht Koschorke s’intéresse plus à la forme qu’au fond. Il montre comment le livre a acquis une légitimité précisément à cause de sa forme confuse, de l’absence de cohérence, de la faiblesse des théories ou de leur analyse, signe qu’il s’agit d’un livre écrit par quelqu’un du peuple, qui comprenait « l’âme allemande » qui se distinguait de « l’élite » dominante, celle qui avait méprisé « l’artiste Hitler ». Toutes les critiques faites par cette élite ont garantie au livre une certaine autorité et légitimité. Enfin pour Olivier Mannoni, le traducteur choisi par Fayard, cette réédition permettrait de remettre en lumière la dimension complotiste et paranoïaque. 


Hasard de l’actualité, la réédition de Mein Kampf est prévue pour 2020. Hitler en a commencé la rédaction en 1924, voilà bientôt un siècle. La pandémie dite de la Grippe espagnole est survenue voilà un siècle. Bien sûr l'histoire ne se répète jamais en soi - la gestion de la crise mondiale actuelle le prouve - sauf à condition de la plagier, de la remixer, d'en faire le remake. La question est: sommes nous à une époque du plagiat ? du copier-coller ? du remix permanent et du remake perpétuel ? ou du désir de vivre et d'inventer l'histoire d'une autre histoire ? 


© Sylvain Desmille. 





DOSSIER CRITIQUE.



LIEN Film HOLD-UP (version intégrale attention sur Odyssée) 



Qui sont les intervenants de Hold-Up ? 

(Voir l'article du Huffington Post: Comment réagir si les théories complotistes de Hold Up s'incitent auxfêtes de fin d'années ? )


Jean-Dominique Michel

Rares sont les personnes qui arrivent à être reconnues comme spécialistes dans plus de trois ou quatre domaines. Jean-Dominique Michel, cité comme anthropologue dans Hold-Up, fait figure d’exception. Le Covid-19, la musique techno, la coupe du monde de football, les magazines Panini, l’agonie du pape Jean-Paul II ou encore l’intelligence émotionnelle des traders. Pour chacun de ces sujets à la télévision française ou suisse, Jean-Dominique Michel est présenté comme un spécialiste.

Vous avez besoin de cours de ski? Jean-Dominique Michel est aussi instructeur, en suisse, d’après son Linkedin. Envie d’un cours sur le cinéma? Il est également titulaire d’un certificat en études théâtrales et cinématographiques. Monsieur Michel vend aussi des formations en théologie et défend le pouvoir de guérison des chamans, guérisseurs et médiums, selon l’Express. Une telle variété de qualifications alerte sur la légitimité de l’intervenant. S’il est amené à s’exprimer sur l’épidémie, rappelez-vous qu’il n’est ni épidémiologiste, ni infectiologue, ni virologue, ni médecin, ni chercheur.

Nadine Touzeau

Nadine Touzeau est présentée dans Hold-Up comme une “profileuse” et apparaît notamment à la toute fin du documentaire. Elle affirme pouvoir retracer le profil d’individus à l’aide de leurs photos. 

Nadine Touzeau est aussi détective, à la carrière qui a connu des hauts et des bas. Elle a par exemple été condamnée en 2014 pour escroquerie et tentative d’escroquerie, comme le rapporteFrance 3.

Jean-Bernard Fourtillan

Jean-Bernard Fourtillan est un militant anti-vaccination. En 2019, l’Agence du médicament interdit un essai clinique sauvage et illégal organisé par le pharmacien et professeur de chimie thérapeutique, aujourd’hui à la retraite. Jean-Bernard Fourtillan avait proposé à 350 malades de Parkinson ou d’Alzheimer de tester une molécule qu’il a découverte, sans avoir obtenu d’autorisation de la part des autorités ni avoir mis en place de protocole de sécurité valide.

De telles pratiques sont dangereuses car les essais cliniques doivent pouvoir être interrompus à la moindre alerte de santé d’un des patients. Un système de surveillance est donc mis en place en amont dans les tests autorisés, avec notamment un accès à des soins d’urgence. Monsieur Fourtillan ne disposait pas d’un tel dispositif. 

De plus, avant d’être autorisées sur l’homme, les molécules découvertes sont analysées et administrées à des animaux dans le but de s’assurer que les volontaires des phases sur l’homme ne courent pas un risque trop grand pour leur vie. Ces éléments de sécurité n’ont pas été mis en place dans les essais sauvages de Jean-Bernard Fourtillan. Une enquête judiciaire est toujours en cours.

Olivier Vuillemin 

Présenté comme un expert en métrologie de la santé ou encore un expert en fraude scientifique, dans Hold-Up, Olivier Vuillemin n’affiche pourtant aucune publication scientifique dédiée à ces thématiques, rapportCheckNews, la cellule de vérification de l’information de Libération.

Silvano Trotta 

Ses vidéos reprennent des théories sur l’origine du coronavirus. Elles lui rapportent des centaines de milliers de vues. Silvano Trotta n’a pourtant jamais apporté de documents permettant de valider les thèses qu’il partage. Âgé de 53 ans, le vidéaste est un ancien entrepreneur dans le secteur des télécommunications. Il est suivi par Conspiracy Watch, un observatoire indépendant du conspirationnisme dont la mission est d’informer sur les personnes susceptibles de partager des contenus erronés ou trompeurs.

Sur sa chaîne YouTube, Sylvain Trotta évoque régulièrement des théories paranormales et mystérieuses. Ses thèmes de prédilection? Les ovnis, la Lune, les vaccins, les phénomènes inexpliqués. La lune est par exemple un objet creux et artificiel, selon le youtubeur.

Martine Wonner

Martine Wonner est une députée anciennement sous l’étiquette LREM, groupe parlementaire dont elle a été exclue le 6 mai 2020 pour son opposition à la stratégie de déconfinement et l’opposition dont elle a fait preuve envers le parti présidentiel.

Conspiracy Watch relate que dans le but de prouver que l’hydroxychloroquine est efficace, Matin Wonner a réalisé une étude, sans effectuer de répartition aléatoire de ceux qui devaient recevoir le médicament et ceux qui auraient un placebo. C’est un problème, car en science, seules les études qui respectent ce protocole permettent de démontrer l’efficacité d’une molécule.

Ainsi, les revues scientifiques, chargées de vérifier étape par étape les études, ont refusé celle de madame Wonner. La député et ancienne psychiatre a alors payé pour paraître dans une revue dite prédatrice. C’est une revue qui ne relit pas les articles qu’on lui soumet et qui n’a donc aucune valeur scientifique. 

Monique Pinçon-Charlot

Monique Pinçon-Charlot est une sociologue reconnue, spécialiste de la bourgeoisie et de la reproduction sociale. Peu de temps après la sortie du film, elle a exprimé qu’elle ne soutenait pas les hypothèses évoquées dans l’œuvre, dont elle s’est désolidarisée. 

Monique Pinçon Charlot dénonce une instrumentalisation de ses propos : “un montage choc au service de l’émotion et de la colère”, explique-t-elle. Pour elle, les passages retenus par le réalisateur Pierre Barnérias à son sujet renvoient un message trompeur, qui ne reflète pas ses positions. 

Christian Perronne

Remarqué pour son livre amer contre la gestion de l’épidémie “Y a-t-il une erreur qu’ils n’ont pas commise”, Christian Perronne est un habitué des plateaux TV.  Dans Hold-Up, il dénonce les risques de collusion entre l’industrie pharmaceutique, le personnel hospitalier et le gouvernement.

Le médecin n’est plus le chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital de Garches, dans les Hauts-de-Seine. Les Hôpitaux de Paris ont décidé de se séparer de lui et de déposer une plainte auprès de l’ordre des médecins, pour des propos considérés comme indignes d’un médecin.

Épinglé pour des prises de position qui sortent de son domaine d’expertise, Christian Perronne est notamment convaincu que la maladie de Lyme prolifère à cause de tiques génétiquement modifiées par un virologue nazi.

Il moque régulièrement les scientifiques qui siègent dans des comités, déconnectés du terrain selon lui. C’est pourtant le même Christian Perronne qui a présidé jusqu’en 2016 la Commission maladies transmissibles du Haut conseil de la santé publique, et fait partie de groupes de travail de l’Agence du médicament et auprès de l’Organisation mondiale de la santé. De nombreux comités. 


ARTICLES DE PRESSE

Avant tout, une affaire de gros sous : Les producteurs du documentaire complotiste Hold-Ip ont récolté près de 159 000 euros sur la plateforme Tipeee ( qui empoche 8% du montant) qui s'ajoutent au 182 000 euros récoltés sur Ulule (qui a pris 10% du montant...) (20 minutes)



Les contre-vérités de "Hold-up" (Le Monde)


"Hold Up" le documentaire confronté aux faits scientifiques (Huffington post)


"Hold-Up" ou l'art de désinformer en prétendant informer (Télérama)


On a vérifié les affirmations de "Hold-Up" (20 minutes)


Dix-neuf contre-vérités véhiculées par "Hold-Up" (Libération)


Douste-Bazy demande à être retiré du film "Hold-Up" (Ouest France)


Comment le documentaire "Hold-Up" a berné les plateformes de crowdfunding (qui ont gagné pas mal d'argent avec) (Huffington post)


Face au succès de "Hold-Up" , "le travail de déconstruction du mensonge reste essentiel" (Télérama)








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