7 OCTOBRE 2023. ANTISÉMITISME: LE MOT DES MAUX. par Sylvain Desmille©


Massacre du 7 octobre 2023, photo Tsafrir Abayov AP


Massacre du 7 octobre 2023, photo Tsafrir Abayov AP. Ce jour là, les Juifs ont compris: que la politique de colonisation promue par la droite et l'extrême droite israélienne était arrivée à un point de basculement et de rupture (la décolonisation de la Cisjordanie est impérative ou sinon son maintien conduit à la politique de destruction de tous les Palestiniens),; que la paix ne se réalisera plus que par la victoire ou la défaite et non sur la diplomatie; que le mur - les murs - ne protégeai.en.t pas; qu'Israël n'était plus un territoire refuge ni un sanctuaire pour les Juifs du monde entier; que tout pouvait se reproduire comme avant et pendant la Seconde guerre mondiale, et ce partout dans le monde: les pogroms, la Shoah (des enfants français juifs ont même appris "à se cacher"). L'antisémitisme rayonne après le point d'impact que constitue le 7 octobre 2023. Ce jour là, au moment même où des civils désarmés se faisaient massacrer et s femmes se faisaient violer et mutiler, des universitaires et des étudiants - américains, mais pas seulement - reprenant la propagande du Hamas se sont "félicités que la peur change de camp". Mais la peur n'a pas changé de camp. Elle ne fait que ressurgir. Comme une ancienne blessure. Une rage de dent, la rage aux dents. 

Paris, 3 décembre 1983, cent mille personnes accompagnent la dernière étape des Marcheurs, jeunes partis de Marseille pour dénoncer le racisme dont sont victimes les immigrés et enfants d'immigrés. Toutes les associations  antiracistes sont présentes, en particulier la Licra et le Crif, alors que l'antisémtisme ne cesse de progresser alors, tout le monde fait corps. Ce jour là, les corps ont l'esprit de corps. 



Paris, 12 novembre 2023, cent mille personne défilent en France dans une marche unitaire contre l'antisémitisme, En l'absence du Président de la République française. Parmi les milliers de manifestants, moins de jeunes, peu de jeunes - les réseaux sociaux dématérialisent jusqu'à la notion de "présence", de faire corps. Moins et peu de Musulmans aussi. Comme s'il existait une rupture entre antiracisme et antisémitisme. Comme si l'antisémitisme ne faisait plus parti des combats antiracistesde l'antiracisme. Dans un entretien à France Info, suite à la nette croissance des actes et injures islamophobes depuis les deux attentats islamistes d'Arras et de Paris et surtout suite au meurtre de Thomas à Crépol, la polémique qui a suivi et les provocations de l'extrême-droite, Abdallah Zekri, vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) a déclaré que "L'islamophobie et le racisme en France sont devenus endémiques". Il n'évoque pas l'antisémitisme. Opposer, même non ouvertement, par abstention, islamophobie et antisémitisme n'est pas une bonne chose. Le 7 octobre 2023 marquerait-il une rupture ?  En tout cas, la montée de l'antisémitisme en France est antérieure au 7 octobre 2023 - l'attaque terroristes du Hamas l'a accélérée et amplifiée. En fait, elle coïncide à l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République Française et correspond à l'affaiblissement des partis de gouvernements dits traditionnels ou républicains, de droite et de gauche, du Parti républicain et du Parti socialiste, au profit des partis d'extrême droite et d'extrême gauche. Chez les uns, le mot "État français" remplace celui de "République". Les autres envisage d'en changer la constitution sur le modèle des anciennes démocraties populaires fondées sur le culte de la personnalité. D'aucuns dissimulent un antisémitisme sous couvert de défendre des populations palestiniennes (un euphémisme et une synecdoque pour parler du Hamas sans avoir à le citer - puisque le Hamas considère tous les civils palestiniens comme étant ses combattants et ses martyres, à l'égal de ses propres soldats (sauf que ceux-ce se cachent dans les tunnels et derrière les boucliers humains). Pourtant il ne devrait y avoir aucun rapport, aucune relation entre la protection des civils à Gaza et la montée de l'antisémitisme en France, en Europe et aux Etats-Unis. 


Manifestation contre l’antisémitisme du 14 mai 1990, après la profanation des tombes juives du cimetière de Carpentras. A l'époque, le Président de la République François Mitterrand marchait aux cotés des manifestants. Dans les jours qui avaient suivi la profanation des stèles et des tombes, National-Hebdo, journal du Front National (FN), parti alors alors aux mains et à la botte de Jean-Marie Le Pen, avait accusé une organisation terroriste palestinienne d'avoir commis cet acte antisémite. C'était un mensonge destiné à opposer les Juifs et les Musulmans. Suite aux aveux de Yannick Garnier, 20 ans au moment des faits, et qui avait participé à la profanation, il s'avère que celle-ci fut bel et bien organisée et perpétrée par des néonazis proches du PNFE (Parti national français et européen - groupuscule d'ultra droite néonazi, antisémite et xénophobe, adepte « du racisme biologique », fondé par Claude Cormilleau, un ancien de l'OAS). 

24 et 25 mars 2012, manifestations contre l'antisémitisme à Toulouse puis à Paris, après le massacre perpétré par Mohamed Merah deux jours plus tôt, devant l’école juive Ozar Hatorah. Le terroriste français islamiste, délinquant multi-récidiviste radicalisé en prison,  avait assassiné sept personnes dont trois enfants et deux soldats et fait six blessés. Cette tuerie est revendiquée par l’organisation Jund al-Khilafah (Les soldats du Califat) affilée à Al-Quaïda. Celle-ci aurait formé « le tueur au scooter », surnom donné à Mohamed Merah lors d’un de ses voyages en Afghanistan en 2011. Elle qualifie « de martyr » le tueur des civils sans défense de Toulouse. Le comportement meurtrier de Merah - scooter, assassinats et disparition immédiate , extrême mobilité - rappelle le dispositif et la tactique des terroristes du Hamas le 7 octobre 2023. Le président de la République française Nicolas Sarkozy ne participe pas aux marches silencieuses pour dénoncer la tuerie antisémite. L’association antiraciste « Touche pas à mon pote » manifeste. Parallèlement, des manifestations sont organisées en mémoire de l’assassin Merah - et finalement « dissuadées » par la Police. Dans la nuit du 9 au 10 juin 2019, le domicile de la mère de la première victime du tueur islamiste Mohamed Merah, à Toulouse, a été l'objet de tags menaçants et antisémites. Le 4 juin 2022, un internaute reçoit sur l’application Snapchat une photo d'un homme portant un maillot du club de football Toulouse FC floqué du nom de Mohammed Merah et du numéro 7 correspondant au nombre de ses victimes. Le 6 janvier 2023, l'internaute publie la photo sur son compte twitter. 


11 janvier 2015,  après les attaques djihadistes contre la rédaction du journal satyrique Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher à Paris, plus de 4 millions de personnes ( deux millions à Paris) participent aux « marches  républicaines » contre le terrorisme partout en France. A l'époque, le Président de la République François Hollande défile en première ligne à Paris contre l'antisémitisme. Plusieurs dirigeants ou représentants de chefs d’État sont également présents, dont Mahmoud Abbas, chef de l’Autorité palestinienne. Marine Le Pen, alors présidente du Rassemblement national, appelle ses militants à défiler en Province mais pas à Paris.  Lire l’article de Laurie Boussaguet et Florence Faucher « Quand l’État convoque la rue » in Gouvernement et Action publique, 2017/2 (vol 6) 


Manifestation contre l'antisémitisme après l'assassinat de Sarah Halimi en 2017.  Le 9 avril 2017, la marche blanche organisée par le CRIF ne rassemble qu'un millier de personnes. Elle ne reçoit pas le soutien des politiques. Le 25 avril 2021, 26 000 personnes défilent en France en réclamant "justice pour Sarah Halimi" après la décision de la Cours de Cassation de ne pas reconnaître la responsabilité de l'auteur du crime antisémite car sous l'effet de drogues au moment des faits. 


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Ce 12 novembre 2023, soit presque 85 ans jour pour jour après la Nuit de cristal, pogrom de l’État nazi contre les populations juives d’Allemagne, s'est tenue une manifestation pour dénoncer le retour en force de l’antisémitisme en France. La poussée des actes antisémites1 enregistrées partout dans le monde depuis l’attaque terroriste et les massacres perpétrés contre des populations civiles en Israël le 7 octobre ne doit pas occulter une montée constante de l’antisémitisme en France et en Europe enregistrée depuis plusieurs années. Dans un sondage de décembre 20182 sur les expériences et les perceptions de l’antisémitisme en Europe, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a constaté que 89% des personnes juives vivant en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Danemark, en Espagne, en France, en Hongrie, en Italie, aux Pays-Bas, en Pologne, au Royaume-Uni et en Suède avaient le sentiment que l’antisémitisme avait augmenté dans leur pays ces dix dernières années, et que 85% d’entre elles estimaient qu’il s’agissait d’un grave problème. Près de la moitié s’inquiétait d’être insultée ou harcelée en public parce que juive et plus d’un tiers avaient peur d’être physiquement agressée. D’après un rapport récent de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) française, les actes antisémites en France avaient augmenté, en 2018, de plus de 70% par rapport à l’année précédente. La même année, en Allemagne, les crimes antisémites, qui comprennent les propos haineux, ont augmenté de 20%, selon les données gouvernementales, qui font aussi état de 62 attaques antisémites violentes, contre 37 en 2017. Enfin au Royaume-Uni, le Community Security Trust, une organisation non gouvernementale, a enregistré 1 652 incidents antisémites en 2018, dont 123 avec violence3. Cette poussée de l’antisémitisme est en réalité une vague, un mouvement, un trend. Mais que recouvre le mot d’antisémitisme ?    

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L’antisémitisme est un phénomène très ancien4, qu’il se manifeste par un antijudaïsme ou par la haine des Juifs. En revanche, le terme  « antisémite » est assez récent. Selon l’historien Alex Brein5, il apparaît pour la première fois en 1860 sous la plume de  l’intellectuel juif autrichien Moritz Steinscheinder pour dénoncer les préjugés d’Ernest Renan à l’encontre des « peuples sémites ».


Que recouvre le terme "sémite" dans antisémite ? 


Ce terme de « sémite » a lui-même été forgé en 1781 par l’orientaliste et philologue allemand August Ludwig Schlözer, en référence à l’un des trois fils de Noé dénommé Sem (ou Shem), et dont Abraham serait le descendant. Il ne désigne à l’origine ni un peuple ni une race mais un groupe de langues apparentée: l’hébreu, l’araméen et l’arabe. D’une certaine manière et du point de vue occidental, le terme sémite désigne l’Autre,  à savoir tous ceux qui partagent une religion monothéiste qui n’est pas le christianisme mais dont la langue n’est plus celle de la divinité christique (car si Jésus prêchait en hébreu ou en araméen - langues sémitiques -  la Bible chrétienne parle grec ou latin). 


Cette référence philologique est utilisée au XIXe siècle pour rassembler sous une même appellation les peuples associés au groupe linguistique "sémite" mais sans autre parenté que leurs correspondances philologiques. Les "sémites" regroupent dès lors non seulement les Hébreux, les Arabes et les Araméens  mais aussi les Assyriens, les Babyloniens, les Cananéens et les Phéniciens voire les Coptes et même les Égyptiens ! Le mot "sémitisme" est utilisée pour la première fois en 1848  par S. Birch qui s’interroge sur l’expression hiéroglyphique de deux noms propres égyptiens6. En fait, les échos de la langue servent de prétexte pour circonscrire un territoire correspondant au proche et au moyen Orient.  


On passe de la linguistique à la géographie. On associe langue et terre, et à travers la langue, culture et territoire. L’entité géo-linguistique permet de faire correspondre une sorte d’identité "orientale". Du point de vue occidental et géopolitique, celle-ci  permet de distinguer les groupes humains "de même identité linguistique" de l’aire d’obédience (et de référence) ottomane qui  dominait à cette époque la région, le tout dans un contexte très colonialiste. Pour les Européens, le sémitisme associe les peuples hébreux et arabes. La Palestine est perçue comme une terre double, religieusement,  mais dont les peuples, tous sémites, restent unis par une mêle référence (origine) linguistique (même si concrètement l'arabe reste très différent de l'hébreu, ne serait-ce que graphiquement). Le protectorat britannique en Palestine, après 1919, maintiendra cette idée d'une double identité (juive et arabe) mais d'une seule entité (linguistique sémite). La puissance colonisatrice se perçoit comme transcendante et unificatrice. Juifs et Arabes de Palestine s'accordent pour lutter ensemble contre la présence britannique jusqu'à son départ en 1947. 


La création des néologismes "sémite" et "sémitisme" partait d'une bonne intention. En réunissant les peuples et les cultures, la linguistique - la science - luttait contre la stigmatisation des Juifs et donc contre l'antijudaïsme, terme employé avant la création du concept d'antisémitisme (concept dominant aujourd'hui). Il était fondé sur une haine religieuse - dans une société où la religion édictait aussi les principes moraux,  homologuait la hiérarchisation sociale, édictait les comportements individuels et collectifs). En Occident les Églises, le catéchisme, la culture et l'art religieux transmettaient, véhiculaient et encourageait cette haine, présente au coeur de la foi. Les préjugés jugeaient et condamnaient les Juifs. Elle justifiait leur mise à l'écart (s'en nourrissait) dans les ghettos (vénitien et romain à l'origine) ou les "quartiers", imposait leur exclusion sociale et leur différenciation. Dans la France moyenâgeuse, les Juifs devaient arborer ostensiblement sur leurs vêtements des rouelles jaunes - réputée couleur "du diable" - afin que chacun puisse les distinguer et les identifier, les reconnaître pour surtout ne pas avoir à les connaître. 


Le paradoxe est au coeur de la haine envers les Juifs: d'un côté on exige qu'ils se rendent visibles (identifiables donc identitairement marqués), mais c'est dans le but de les placer à l'écart et donc de les invisibiliser. On met en exergue leur caractère minoritaire, le fait qu'ils constituent une minorité mais c'est pour ensuite condamner leur esprit communautaire, leur "solidarité". L'ancienne secte chrétienne devenue majoritaire décrie leurs pratiques perçues comme  sectaires car minoritaires. A cela s'ajoute la concurrence des monothéismes. Comment les religions prosélytes chrétiennes et musulmanes peuvent-elle concevoir l'existence d'autres religions monothéïstes ? La possibilité de l'existence d'un autre dieu unique, ou d'un dieu unique des Autres est une incohérence et une aberration : comment peut-il y avoir plusieurs dieux uniques ? Le monothéisme impose son totalitarisme (religion et politique, dogme et lois publiques ne font qu’un et ne sont qu’un), ou tout du moins son monopole.. Les monothéïstes prosélytes  se doivent de détruire la concurrence soit par la destruction soit pas la conversion religieuse, mais aussi morale dès le dogme fait loi. 


Dès le Moyen-âge, l'antijudaïsme renverse les propositions: les Juifs sont accusés de haïr les "non-juifs". Les crimes rituels le prouveraient - sauf qu'ils n'existent que dans l'imagination des inquisiteurs, qu'ils n'ont jamais existé dans la mesure où ils n'existent pas dans la religion israélite. Les croyances anti-juives se fondent alors sur la méconnaissance de l'Autre avec lequel il convient de mettre le plus de distance possible. Le fait que les autorités les cantonnent dans les ghettos et les mettent à l'écart sert à expliquer le fantasme et le mythe selon lequel, ils se livreraient "entre eux" à des "cérémonies" et des "complots" pour renverser et détruire la société d'Ordres de l'Ancien régime - sans que personne ne soit en mesure de dire par quoi ils la remplacerait ? Le mythe selon lequel seuls les Juifs seraient au courant de leurs desseins secrets expliqueraient pourquoi les non-Juifs ne savent rien de leur plan, même s'ils s'en sont persuadés: "il" ne peut qu'exister précisément parce que  "eux" n'en connaissent ni les tenants ni les aboutissants... Dans leurs délires, ce n'est pas parce que le plan dans lequel Ils croient n'existe pas ( cela ne se peut pas parce qu'Ils y croient, qu'ils sont convaincus de son existence), mais parce que la machination est restée secrète. Le secret explique tout, justifie tout. Son silence prophétise.


En fait, et cela va devenir une pratique récurrente, "On" accuse les Juifs d'être responsables des mesures discriminatoires les visant et les ciblant et des violences perpétrées sur eux. Une dialectique tautologique qui rappelle la rationalité folle des complotistes actuels. Le concept de "peuples sémites" cherchait à dédiaboliser les "Juifs" en les intégrant dans un ensemble plus vaste, plus complexe et donc en changeant les points de vue et les mises en perspectives. Il a nourri au contraire l'antisémitisme. 


Cette référence au "sémitisme", en tant que concept et substantif, a été assez peu mise en exergue, du moins jusqu’à une période récente. Dans une déclaration faite au journal l'Humanité du 13 décembre 1967, Ibrahim Makhos, ministre des affaires étrangères du gouvernement syrien, a refusé de manière catégorique l'accusation d'antisémitisme comme mobile de la politique arabe. Il voyait même une contradiction dans les termes, puisque, affirmait-il, en reprenant la définition du XIXe siècle " les Arabes sont non seulement des sémites, mais de vrais sémites ". Les accuser d'antisémitisme serait dès lors un contre-sens et une erreur. Il conclut d'ailleurs son exposé qu': « En conséquence, nous condamnons tout antisémitisme, car cela équivaut à être anti-arabe. ». En revanche, sa "précision" finale interroge. Y aurait-il comme il l'affirme  de vrais et de faux sémites ? Et d’argumenter que, selon lui, seuls les Juifs orientaux sont sémites. Ce faisant, il sous-entend que, seuls les Juifs qui ont vécu en Palestine, sous domination britannique, sont des sémites (dimension géographique et anthropologique), que seuls les Juifs qui parlent hébreux (et arabe) sont des Sémites. En conséquence de quoi, d'après lui, seuls les Juifs qu'il reconnait comme sémites auraient le droit et  seraient légitimes de vivre parmi les autres Sémites, c'est-à-dire selon sa logique, en Palestine, sous domination palestinienne (?). 


En revanche, pour Ibrahim Makhos, les Juifs américains, français, allemands, polonais, russes et autres ne seraint pas sémites au prétexte qu'ils ne parleraient plus l'hébreux mais le Yiddish voire plus aucune langue sémite (au profit des langues nationales). Ce pourquoi, il les considère comme des "envahisseurs", des "étrangers" venus depuis l'Europe pour coloniser la Palestine. Ibrahim Makhos voit dans cette politique d'immigration puis de croissance démographique une volonté de "grand remplacement" des populations locales "sémites" par des "non-sémites". Le sémitisme lui sert d'argument pour condamner le sionisme venu d'Europe dans lequel il voit un nouveau colonialisme. Il omet de rappeler que les Juifs de Palestine sous domination britannique étaient favorables au sionisme.  


En fait, cette opposition entre vrais et faux sémites, entre "bons et mauvais Juifs", les uns certifiés conformes car nés en Palestine et parlant hébreu, et les autres perçus comme des colons ou des pièces rapportées  avait surtout pour but de diviser la nation israélienne et de discréditer la légitimité des Juifs issus de la diaspora qui ont participé à la création d’Israël, de les présenter comme des envahisseurs ou des colonisateurs, au prétexte que comme ils ne seraient pas sémites ils n’auraient aucun droit à revendiquer des territoires réputés et qualifiés de sémites par les Européens eux-mêmes. En bon révisionniste, Ibrahim Makhos omet de dire que les Juifs qui ont immigré en Israël à partir de 1947 sont devenus des citoyens israéliens. La démocratie ne fait pas (ne devrait pas faire) de différence entre citoyens "indigènes" et citoyens "étrangers". La force et le pouvoir de la démocratie "occidentale" sont de faire de chacun un citoyen. Et au delà des débats sur le "droit du sol, droit du sang", il, serait bon de rappeler que la démocratie se construit avant tout sur le droit d'être. A cet égard, la "démocratie israélienne" actuelle mériterait de s'interroger sur elle-même, sur le fond, le sens, l'esprit et la manière - les dernières manifestations sur la réforme de la justice en on montré la nécessité.  On perçoit dès lors le caractère racialiste de l'exposé d'Ibrahim Makhos associant "non-sémitisme" et d'antisionisme et en dissociant les "Juifs orientaux" (minoritaires dans le monde "arabe") des Juifs qu'il considère comme "non-sémites" (dans la mesure où les reconnaître serait admettre que les Juifs dans leur ensemble constituent une majorité dans un ensemble territoriale défini). 


Cette doxa est récurrente. Dans un discours prononcé en septembre 2023 devant le conseil révolutionnaire de son parti, le Fatah, le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas a réaffirmé que les Juifs ashkénazes ne descendraient pas des anciens Israélites, mais d’un ancien peuple turc connu sous le nom de « Khazars », qui se serait converti en masse au judaïsme.  Dès lors, comment qualifier  les insultes et violences envers les Ashkénazes « d’antisémites »  dans la mesure où, poursuit-il, « les Juifs ashkénazes, eux au moins, ne sont pas des sémites »7. C’est une démonstration spécieuse dans la mesure où elle manipule la logique en utilisant des arguments qui ne sont pas accrédités, et dans la mesure où elle considère pour acquis, des spéculations. Il en va de même de l’argument qui consiste à dire que les Juifs ne seraient plus sémites (définition linguistiques) à partir du moment où ils ne parleraient plus ou ne comprendraient plus l’hébreu. Toutes ces théories sont surtout des instruments politiques et idéologiques. En 1947 déjà, l'hypothèse khazare avait été utilisée par les représentants britanniques et arabes pour tenter d’empêcher la création de l’État d’Israël8.


En fait les études génétiques35 révèlent une réalité à la fois plus simple et plus complexe. Elles montrent en premier lieu que les Juifs ashkénazes, séfarades (Grèce et Turquie), marocains, syriens et moyen-orientaux (Iran et Irak) font tous partie d'un groupe génétique commun. Tous ont une même origine moyenne-orientale. Ce groupe se divise en deux sous groupes, associant d'une part les Juifs ashkénazes, séfarades, marocains et syriens et d'autre part les Juifs moyen-orientaux. En fait la différence réside dans l'apport génétique sud-européen, en particulier italien dont le premier groupe a bénéficié. Ensuite, l'étude réalisée en 2000 par Michael F. Hammer a montré que "la plupart des communautés juives étaient restées relativement isolées des communautés non juives voisines durant leur vie en diaspora",  du fait de leur discrimination et de leur ségrégation, ce qui a réduit les possibilité de métissage.  Enfin (en conséquence de quoi)  selon Almut Nebel plus de 70 % des hommes juifs et la moitié des hommes arabes (habitant seulement Israël ou les territoires palestiniens) dont l'ADN a été étudié, ont hérité leurs chromosomes Y des mêmes ancêtres paternels qui vivaient dans la région il y a quelques milliers d'années. En fait une majorité de Palestiniens et d'Israéliens partagent le même sang et la même terre. Seule la religion les divise et les oppose. 


Ajoutons qu'il existe actuellement deux hypothèses concernant l'origine du peuplement ashkénaze. L'hypothèse rhénane soutient une dispersion des Juifs par le sud de l'Europe, puis vers la Rhénanie jusqu'en Europe de l'Est. Elle expliquerait l'importance de la communauté juive médiévale en France septentrionale.  Selon la seconde hypothèse dite Khazare, les Juifs auraient franchit le Caucase avant de se répandre en Europe par l'Est. En fait l'analyse de l'ADN-Y (lignée paternelle) tend à montrer une conjonction des deux hypothèses, avec cependant une part nettement plus importante de la première par rapport à la secondeAinsi le patrimoine génétique paternel des Juifs ashkénazes a une base moyen-orientale avec des contributions significatives des populations de l'Ouest et de l'Est de l'Europe, ainsi que des origines indéterminées. L'analyse ADN-X (lignée maternelle) des Juifs ashkénazes remonte quant à elle principalement à l’Europe occidentale préhistorique ! Plus encore, l'étude de Kevin Brook publiée en 2022 n'a trouvé aucun lien génétique direct des Juifs ashkénazes avec les Tchouvaches ni à aucun des échantillons khazars médiévaux qui ont été collectés à ce jour ! 


En fait, toutes ces études génétiques tendent bien à démontrer que les Juifs ne sont pas une race. On nait juif et on le devient, ou non. La conversion permet également de devenir juif Les apports génétiques multiples révèlent leurs relations au gré de leurs migrations avec l'ensemble des peuples. Le sang juif traverse l'espace, se mélange à celui des autres peuples. Il se renouvelle et se renforce au contact de l'histoire, du moins jusqu'au Moyen-Âge, jusqu'à ce que l'anti-judaïsme puis l'antisémitisme se développent. Ce sont les racistes qui veulent les concevoir en tant que race, souvent pour se concevoir eux-mêmes en tant que race. La dénonciation de "la race juive" par les Nazis sert à valoriser l'énonciation et l'identification de "la race aryenne". Ainsi en va-t-il aussi des discours des dirigeants palestiniens, turcs, iraniens... On retrouve le même processus aussi par les réseaux sociaux et les sites de rencontres, qui classifient en fonction de "l'origine ethnique" (astatique, noire, caucasienne, arabe...)  souvent à des fins discriminatoires, afin que les algorithmes puissent faciliter la « sélection » ciblée en fonction « des goûts » de chacun, de ses « critères » ( couleur de la peau, origine sociale, niveau d’études ou de revenus, âge, poids, sexe ( genre et taille), pratiques sexuelles, religion… ), pour un plus grand confort et par souci d’efficacité. En fait les algorithmes ne font que reprendre et appliquer les systèmes de classifications développés dès le XVIIIe siècle par les théoriciens du racisme, la hiérarchisation n’étant plus arbitraire ou institutionnelle mais « individualisée et personnalisée ». Ce processus contribue à l’essor du radicalisme, du communautarisme racisé, voire « d'un racisme systémique ? ». Il fait écho à une tendance montrant la réification et l’homogénéisation des groupes selon un principe d’identités définies. Plus les individus choisissent et plus ils se conforment (se conformisent) à des stéréotypes.  


Mais non, il n'existe pas de "race sémite", pas plus qu'il n'existe d'ailleurs de "races" en terme génétique, dans la mesure où l'espèce humaine partage le même patrimoine génétique à 99,8 % et les différences morphologiques retenues entre groupes humains sont négligeables au vu des différences biologiques entre individus d'une même population. Le fait de désigner des personnes en fonction de critères comme la couleur de leur peau n'est en réalité qu'une représentation (un fantasme) cherchant à asséner une assignation et à imposer une hiérarchie. S'il n'existe pas de races (nous sommes tous blancs, noirs, asiatiques) parce que nous avons tous les mêmes gènes, en revanche d’aucuns divisent l’espèce humaine en plusieurs ethnies  (qu'il ne faut pas confondre avec les races) de dimensions variables, allant du clan à la nation,  de la bande de potes à l'union européenne, homogènes sur le plan culturel (langue, pratiques, imaginaire, références) et se fondant sur un principe d'identité par association (qui se ressemble s'assemble) ou par opposition (la même identitaire envers l'Autre). 


Si le terme "sémite" n'a presque été utilisé que dans un registre linguistique, il n'en a pas été de même pour celui d' « antisémites », qui se détache de toute référence philologique. A aucun moment "antisémite" n'a désigné un groupe de langues qui aurait été "contre" celui rassemblant celle du monde oriental. En fait, l’adjectif « Antisemitismus » a été créé par le journaliste allemand Wilhelm Marr en 18799 pour qualifier une ligue destinée réunir tous les opposants aux Juifs. Pas les opposants à tous ceux qui parlaient une langue sémitique, comme les Araméens ou les Arabes. Non, le néologisme réduit le champ sémentique et ne concerne - ne cible et ne vise - que les Juifs. Le mot a a connu un succès populaire immédiat, repris par toute la presse occidentale. 




Antisémitisme et sionisme: quand les antisémites européens encourageaient le sionisme, lui-même créé en réaction à l'antisémitisme.



Wilhelm Marr est une personnalité étrange, paradoxale, que l'on pourrait qualifier de "bipolaire" voire de schizophrène aujourd'hui. Proche des milieux de gauche - fiché comme communiste et anarchiste - puis presque aussitôt partisan d’une Allemagne sous hégémonie prussienne, il défend d’abord l’émancipation des Juifs puis il la combat. D'un côté, il épouse en seconde noce Hélène Sophia Emma Maria Behrend, qui est juive, puis après son décès prématuré, Jenny Therese Kornick qui est en partie d'ascendance juive et parallèlement, il développe ses théories anti-juives. En 1879, il emploie "antisémite" pour remplacer judenhaß » (littéralement la «haine des juifs»). Celui-ci correspond selon lui à une tradition trop religieuse et médiévale, aussi bien catholique que protestante. Ainsi, les dénonciations de Martin Luther contre les Juifs sont parmi les plus virulentes de  du christianisme et de la chrétienté; à partir de 1530 et plus encore de 1543, persuadé que les Juifs n’entendront jamais ses arguments sur la messianité de Jésus et qu'ils refuseront de se convertir, il exhorte même à brûler les synagogues et à chasser les Juifs des villes; quatre siècles plus tard, en 1930, les textes antisémites de Luther sont compilés dans des anthologies qui sont les livres de chevet d'Hitler...  


Cet antijudaïsme se fonde sur la croyance en une sorte de péché originel (la mort du Christ) et sur la superstition dont la plus connue et qui fut à l'origine de nombreux progroms est la rumeur selon laquelle les Juifs accompliraient des meurtres rituels puis mélangeraient le sang d'enfants à la matza, le pain consommé pendant la fête de Pessa'h qui commémore la libération des Hébreux d'Égypte et le début de leur exode. Joanna Tokarska-Bakir, dans son article sur "Les racines mythiques de l'antisémitisme : le meurtre rituel juif" publié au Presses Universitaires de France par Ethnologie Française (volume 40) en 2010 a bien montré comment cette rumeur et cette légende a persisté depuis le Moyen-âge, en particulier en Pologne. 


En novembre 2015, Salah Al-Bardawil, un des dirigeants du groupe terroriste du Hamas, dans une interview à la télévision du Hamas, a relancé les accusations et fausses allégations concernant "des meurtres rituels d'enfants palestiniens, en vue de recueillir son sang pour le pétrir dans le pain qu’ils mangent à l'occasion de la Pâque juive" a-t-il précisé avant de conclure sa propagande complotiste en disant "Aujourd’hui, les Juifs essaient de dire que ces choses n’ont jamais eu lieu, et que c’était une blague ou un mensonge, mais ce sont des faits de l’histoire. Toute personne qui lit leur histoire s’en rendra compte".  Et pourtant ce que le dirigeant du Hamas avance est bien un mensonge, et ce n'est pas une blague.


Wilhelm Marr conçoit son antisémitisme comme une "nouvelle haine envers les Juifs", qu'il qualifie de "moderne" car  plus rationnelle et scientifique car fondée sur les théories racistes et non sur un "antijudaïsme" primaire, moyenâgeux et religieux. Afin de régler "le problème juif", il plaide pour une expulsion systématique de tous les Juifs d’Europe, vers la Palestine, et ce afin de préserver « une germanité » menacée par la « judaïté » (judéité dirait-on aujourd'hui). Selon lui, les Juifs devrait concevoir cette expulsion comme une sorte de libération, un peu comme leur départ d'Égypte dans les temps antiques.  L'antisémitisme de Marr voit dans la création d’une nation juive, en Palestine, une solution pour préserver l’identité allemande. 


L'antisémitisme Hitlérien a repris à son compte, au début du moins, cette "solution". Le plan dit "Madagascar" prévoyait de déporter quatre millions de Juifs d'Allemagne et de ses pays "alliés" ou "conquis" à Madagascar, alors colonie française. Cette idée de déporter les Juifs hors d'Europe avait surgi dès 1936. Elle fut plus sérieusement envisagée par Himmler dès 1938 et un projet en vue de sa concrétisation fut rédigé par Eichmann en 1940. Mais la résistance britannique perturbe les plans du IIIe Reich et Ribbentrop  abandonne le plan Madagascar dès août 1940. Parallèlement, dès 1933, le régime nazi a  "encouragé les départs" par une politique de terreur physique, économique, discriminatoire, liberticide, vis-à-vis des citoyens allemand s et juifs. Selon le Mémorial de la Shoah, sur les 522 000 Juifs qui vivaient en Allemagne en janvier 1933, plus de la moitié, soit environ 304 000, émigrèrent pendant les six premières années de la dictature nazie. Nombreux furent ceux à avoir été arrêtés puis déportés des pays où ils avaient trouvé refuge comme la France occupée par les Nazis et avec la bénédiction du pouvoir pétainiste. 


Rappelons au passage que le régime de Vichy a mené une politique antisémite dès 1940, en promulguant un ensemble de « Lois sur le statut des Juifs ». Destinées à identifier les Juifs pour ensuite les discriminer de manière administrative et rationnelle, elles établissaient des différences non seulement entre citoyens français non-juifs et juifs (ces derniers sont exclus de la fonction publique, des fonctions commerciales et industrielles dès le 3 octobre 1940, la "zone libre de Pétain" s'inspirant des lois de Nuremberg décrétées par les Nazis en 1935) mais aussi entre Juifs eux-mêmes (le régime distingue les Juifs en fonction de leur nationalité, entre les Juifs étrangers (américains, espagnols, britanniques) les Juifs ressortissants des pays annexé par le IIIe Reich (Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne) et les Juifs français - et non les Français juifs menacés par la loi de dénaturalisation de juillet 1940 qui autorisait de déchoir de leur citoyenneté française tous les Juifs naturalisés depuis le 10 août 1927... Ces Français Juifs  déchus de leur nationalité française parce que Juifs furent déportés par Pétain et son régime de Vichy dans les camps de concentrations et d'extermination nazis, pas en tant que "Juifs français" (en réalité, Français juifs) mais en tant que "Juifs" (afin que d'aucuns puissent dire par la suite que "Vichy n'a pas déporté de Juifs français"). 


La création du mouvement sioniste10 s'inscrit à l'écho et dans le prolongement des thèses de Wilhelm Marr, et surtout en réaction à la montée de l’antisémitisme occidental. En témoignent l'Affaire Dreyfus en France et la multiplication des pogroms en Russie. Fondée en 1897 par Theodor Herz, le Premier Congrès sioniste de Bâle émet trois principes fondamentaux : l’existence spécifique du peuple juif (1) entraîne l’impossibilité de son assimilation (2) donc la nécessité de créer un État spécifique, en Palestine (3). Le sionisme de 1897 s’inscrit dans les réflexions politiques spécifiques du XIXe siècle, en particulier sur le principe de  nationalité. Il encourage l'installation en Palestine d'agriculteurs et d'artisans juifs, cherche à mobiliser et à unir les communautés juives au moyens d'organisations locales et internationales et ce afin de renforcer le sentiment national juif et d’accroitre sa légitimité. 


A la fin du XIXe siècle, en Occident, l'antisionisme n'est pas un ressort ni un prétexte à l'antisémitisme. Au contraire, les antisémites approuvent plutôt le sionisme. Le départ "volontaires" des Juifs d'Europe est perçu par eux comme la solution la plus pacifique.   


A l'inverse, le mouvement sioniste fut contesté par une partie de la communauté juive,  à la fois par les dirigeants traditionalistes juifs, pour des raisons religieuses (le mouvement est trop laïc et républicain, voire socialiste à leurs yeux) et théologiques (« la venue du  Messie est une condition pour retourner vers la « Terre d’Israël) et surtout par les populations de confession juives assimilées voire assimilationnistes11. Leur réserve n'est pas l'expression d’un anti-sionisme comme on l’entendrait aujourd’hui. Les populations juives socialement assimilées expriment plutôt leur volonté de maintenir une altérité sans revendiquer une différence. Cette aspiration, ce désir, ce choix de conserver une identité non identitaire est ancienne. Elle remonte au judaïsme hellénistique et correspond à la communauté des Romaniotes (présente en Grèce jusqu’aux déportations vers les camps de la mort nazis - 86% des Juifs grecs furent alors exterminés). Après cet "âge d'or", (relatif), suite à la montée en puissance du christianisme, la ségrégation et les discriminations  antisémites, de la fin de l’Empire romain jusqu’à la Révolution française, avait empêché cette assimilation des populations israélites. 


A partir de 1789, puis tout au long du XIXe siècle, en Europe, au Canada et dans l’Empire ottoman, l’émancipation des Juifs, désormais égaux en droit, favorise leur intégration et une certaine ascension sociale, notamment en leur permettant d’entrer à l’université ou de pratiquer des métiers naguère interdits. C’est à partir de ce moment que se développe un antisémitisme social, de classe dont on retrouve le prolongement jusque dans un discours de Mahmoud Abbas lors d’une session du Conseil national palestinien en 2018: « Ils disent qu’Hitler a tué les Juifs parce qu’ils étaient Juifs et que l’Europe détestait les Juifs parce qu’ils étaient Juifs. Ce n’est pas vrai. Il a été clairement expliqué que [les Européens] ont combattu [les Juifs] en raison de leur rôle social et non de leur religion. (…) « Hitler a dit qu’il combattait les Juifs parce qu’ils s’occupaient d’usure et d’argent. Selon lui, ils faisaient du sabotage, et c’est pourquoi il les détestait ». Et de conclure:  « Nous tenons à préciser qu’il ne s’agit pas de sémitisme ou d’antisémitisme.” Ah bon ? 


Le révisionnisme et le négativisme sont pourtant des formes de l’antisémitisme. Ils ne datent pas des années 1980. Cependant, contrairement à ce que les caricatures antisémites cherchaient à mettre en scène depuis le Moyen-âge, à puis au XIXe siècle et surtout dans les décennies 1930 et 1940,  plus nombreux étaient les Juifs à appartenir à la classe prolétaire qu’à profiter du confort de la bourgeoisie. Pourtant, le socialisme a dénoncé la collaboration des « milieux juifs » (sic) au capitalisme. En témoigne la publication en 1845 par Alphonse Toussenel Des juifs rois de l’époque; histoire de la féodalité financière, véritable brûlot antisémite, inquisitorial et complotiste, qui renouvelle la figure médiévale de l’usurier juif en stigmatise la spéculation comme contraire aux valeurs chrétiennes12. L’antisémitisme rejoint la guerre contre "le capitalisme", et même un antisémitisme devient un anticapitalisme. C’est à nouveau la figure de l’Autre qui s'impose, de l’ennemi radical, de classe, qu’il faut renverser - révolutionner - détruire, abattre. Les victimes des pogroms dans les shtetlechs de Russie étaient-ils des nantis ? Certainement pas. 



Émergence d'un "nouvel antisémitisme" lié à l’émancipation des Juifs au XIXe siècle et à la publicité des théories racistes.


 

Profondément influencé par les Lumières, le mouvement juif de la Haskala promeut une acculturation destinée à accélérer l’émancipation et l’intégration des Juifs dans les sociétés occidentales, par l’abandon de pratiques et de tabous réputés désuets ou anachroniques et de tous signes distinctifs (vestimentaires, symboliques, voire la circoncision). Comme le rappelle André Kaspi dans son étude historique sur Les juifs américains (Point Histoire, Seuil, 2009), les Juifs "séfarades", les premiers à avoir immigré aux États-Unis dès le milieu du XVIIe siècle (et en but à l'antisémitisme des Hollandais qui leur interdisent de faire du commerce avec les Indiens) furent les promoteurs de ce mouvement progressiste (non conservateur), à la grande consternation des Ashkénazes, plus orthodoxes et conservateurs, qui émigrent d'Europe orientale à partir de 1870. Les mariages interconfessionnels, ne sont plus interdits. De même, la Haskala encourage l’ouverture d’esprit par l’éducation, la curiosité intellectuelle et l’essor de la culture générale axées sur les sciences, la philosophie et la littérature, contre les partisans d’un respect scrupuleux de la culture traditionnelle religieuse. Le but était de supprimer les barrières, les ghettos. 


Tout au long de la décennie 1810, des jeunes intellectuels juifs berlinois ont cherché à promouvoir l’insertion des Juifs dans la société allemande et la modernité, en faisant connaître (en donnant à comprendre) le fait juif aux non-juifs. Ils furent à l’origine de la Science du judaïsme (Wissenschaft des Judentums, en allemand ou Hokhmat Israel en hébreu) fondé à Berlin en 1819. Sa démarche est intellectuelle et scientifique, en aucun cas prosélyte.  Son ambition est d’éclairer tous les aspects du judaïsme à travers une approche historique et objective, agnostique voire athée. Une association inspirée du modèle allemand fut créée en France en 1850.


Mais cette ouverture sociale imposait de prendre ses distances vis-à-vis d’une religion orthodoxe trop rigoriste, sans pour autant renier son identité religieuse - mais réservée désormais à la sphère de l’intime, de la conscience individuelle. C'est pourquoi, à partir de 1880, cette idéologie du progrès fut dénoncée par une partie de l’opinion publique juive suite à la vague des pogroms en Europe de l’Est et surtout en Russie. Malgré tous les efforts pour se faire « accepter », rien ne changeait. Il n’y a d’autres solution de que fuir - de s’exiler -  de se renfermer sur soi-même et les pratiques religieuses ou de combattre pour changer la politique, de régime (nombreux sont les Juifs à rejoindre le mouvement bolchevique avant la Révolution de 1917). C’est dans ce contexte de violences antisémites que croit le nouveau nationalisme juif, contre l’universalisme, et en opposition aux volontés acculturatrices de l’Haskala.


L’apparition du terme « antisémitisme » marque l’évolution d’une hostilité anti-juive fondée sur la religion (qui se poursuit néanmoins) vers une idéologie racialiste et raciste. Contre les risques de prosélytisme, pour la préservation d'un sang national "pur" menacé de corruption depuis que les populations de confession israélites sont devenues des citoyens comme tout le monde, il importe pour les antisémites de faire des Juifs non pas un peuple de croyants mais une race. La théorie raciale a le mérite à leurs yeux de rassembler tous les Juifs, pratiquants ou non, religieux et athées, autrement dit, de faire de la diversité des autres un même. Sur le plan social, politique et idéologique, la théorie raciale permet aussi de justifier le racisme: on "nait' juif sans avoir à le devenir, l'inné - la génétique - fait de vous un juif, que vous le vouliez ou non, de manière irréversible et fatidique voire fatale. Même si on ne pratique pas, si on est athée, si on ne « fait pas juif » ou si on ne veut pas l’être, on le reste, malgré tout et à tout jamais. Le racisme fait de l’origine le péché originel. Seul la mort vous en délivrerait selon les racistes. .  


Les caractéristiques biologiques établies par Joseph-Arthur de Gobineau dans son Essai sur l’inégalité des races humaines paru en 1853 tendaient à établir une spécificité de « la race juive » afin de justifier son caractère décrétée "inassimilable car corruptrice" - dans son livre 5 sur la « civilisation européenne sémitisée », il oppose l’âge d’or de la conquête romaine grâce au « sang blanc des Sabins, héritiers des Gaulois «  (??? Sic !!!!) à la décadence de l’Empire romain à cause selon lui de « l’amalgame des peuples « sémitiques » et de leur métissage ». Jules Soury (maître à penser du jeune Maurice Barrès) associe quant à lui hérédité raciale et hérédité ancestrale. Dans Le système nerveux central, paru en 1899, il essaie de justifier une continuité des caractères héréditaires en correspondance et en corrélation avec le respect des traditions: « les caractères propres, ethniques et nationaux, écrit-il, sont des phénomènes aussi réels que la matière des éléments anatomiques ». Autrement dit, le corps, la race, et la culture ne font qu’un. Combattre une culture passe donc par l’extermination des êtres. La masse impose son massacre. Soury donne des arguments à Hitler. Comme Marr, Soury est un être complexe qui se définit lui-même comme « un clérical athée de tradition catholique13 ». On retrouve cette posture paradoxale dans ses positions « scientifiques ». Elles s’inscrivent dans la traditions d’un « darwinisme social » selon lequel chaque race possède un instinct ethnique (qu’il qualifie « d’inconscient neurologique »). Le respect de la tradition justifie tout à ces yeux et en particulier l’antisémitisme. 


Cette approche racialiste va de paire avec l’essor des théories conspirationnistes et complotistes qui accusent les juifs de vouloir « dominer le monde grâce à la finance, les guerres et les manipulations de l’opinion publique ».  En fait ce discours reprend celui qui stigmatisait les Juifs «  hommes d’argent «  et « usuriers » depuis le Moyen-âge, mais en l’adaptant, en le « modernisant » c’est-à-dire en l‘amplifiant  pour le faire correspondre à la nouvelle société capitaliste.  


Edouard Drumond en est le chantre et le héraut. Dans son sillage,  se dire « antisémite » est presque un titre de gloire, en tout cas il ne revêt pas de considérations péjoratives. C’est le discours du Même contre l’Autre - de celui qui n’est pas le même (comme n’appartenant pas à la communauté du Même) contre celui qui permet au Même de se reconnaitre et de s’identifier par opposition à l’Autre (en rejetant l’Autre et en le forçant à rester dans l’entre-soi de l’Autre, même s’il aspire à intégrer la communauté des autres, qui deviendrait dès lors celle de tous). Dans La France juive (114 réimpressions lors de la première année 1886), Drumont dénonce l’invisibilité des juifs de France, émancipés, « déjudaïsés » et « assimilés ». Comme on ne peut plus l’identifier comme Autre, comme on ne le reconnaît plus, Drumont l’accuse « d’avancer masqué » et lui prête « des pouvoirs occultes ». 



L’antisémitisme est un complotisme. 



Le complot - des meurtres rituels aux machinations financières destinées à prendre le "contrôle" de manière "occulte", perverse et malicieuse -  est au coeur des fantasmes et des délires antisémites. Comme chez les complotistes contemporains, il s’agit de présenter et de décrire un évènement comme résultant de l’action planifiée et dissimulée d’un groupe considéré et déclaré « minoritaire » cherchant à parvenir par tous les moyens à ses fins. Dans ce mode de fonctionnement, l’hypothèse (en anglais theory)  - c’est-à-dire la croyance - est déclarée être "vraie" - voire être "la Vérité" - à partir du moment où elle est plausible, quand elle permet de susciter un doute « raisonnable » à défaut d’être raisonnée. Ils érigent en savoir - absolu-  leurs propres convictions - relatives - même si elles ne font que propager et se fondent sur la rumeur. Croire est pour eux savoir. Leurs croyances - subjectives - sont perçues par eux-mêmes comme des connaissances objectives. C’est pourquoi les complotistes s’appuient sur des prédicats pseudo-scientifiques pour justifier leurs croyances, à l’instar du néo-créationnisme14


Ce fut cette même démarche qui fit évoluer l’anti-judaïsme vers un antisémitisme scientiste et racialiste. D’un côté, les complotistes diabolisent ceux qui ne pensent pas comme eux - c’est-à-dire qui les ne croient pas ou qui critiquent et contestent ce qu’il croit (leur Vérité est la Vérité, leur absolutisme justifie leur totalitarisme).  De l’autre, ils cherchent à se dédiaboliser aux yeux de l’opinion publique, en adoptant une (im)posture pseudo-scientifique "certifiée" par "des spécialistes" afin que leur minorité sectaire puisse apparaître comme l’expression d’une majorité décisive (de confort et non d’effort) - à l'image et à la ressemblance des théories et idéologies racistes au XVIIIe et du XIXe siècle.  En fait, les complotistes ne font qu’appliquer ce qu’ils dénoncent comme étant un complot et c'est parce qu'ils se comportent comme des conspirationnistes (im-posture victimaire) qu'ils sont donc persuadés que le complots qu'ils d-énoncent et veulent anéantirent (en bourreaux) existe bel et bien. Sic.  


Au Moyen-âge, les Templiers furent le premier groupe structuré accusé de comploter contre le roi pour étendre leur puissance à l’ensemble du monde. Puis ce fut le cas des Jésuites. Mais c’est un Jésuite, l’abbé Barruel15 qui, dans ses Mémoires pour servir l’histoire du jacobinisme, publiée en 1798, élabore la première théorie d’un complot de la Franc-maçonnerie révolutionnaire contre la chrétienté. Selon lui, l’ordre secret de la Raison a conspiré contre la Croyance, les révolutionnaires contre l’Ordre divin. Le temps n’est plus figé, immuable comme sous l’Ancien régime et sa société d’ordre très hiérarchisée. Il est mouvant, inconstant car soumis aux résultats des élections démocratiques. 


Quand les Loges maçonniques ont commencé à la fin du XVIIIe siècle à s’ouvrir aux citoyens de confession ou d’origine juive, le complot maçonnique est devenu judéo-maçonnique. L’amalgame a été facilité par le fait que certaines Loges utilisent des mots hébreux dans leur rituels (avant même l’intronisation des citoyens juifs). Lorsqu’en 1871, les décrets Crémieux accordent la nationalité française aux Juifs d’Algérie, la droite et l’extrême droite les dénoncent au prétexte qu’Adolphe Crémieux est juifs et franc-maçon. Ces attaques ont beaucoup contribué à populariser l’idée de l’existence d’un « complot judéo-maçonnique » dans l’opinion publique française. En atteste la publication en 1893 par l’archevêque Leo Meurin de son livre intitulé La Franc-maçonnerie, synagogue de Satan. La messe est dite. 


Le complotisme traverse l’histoire et l’essor de son expression est un bon moyen de repérer les crises sociales. Dans les années 1950, la chasse aux sorcières maccarthyste, qui traque les communistes aux Etats-Unis, n’est pas sans rappeler les dénonciations qui visaient les Juifs avant 1945. La contre-culture américaine a été dans les années 1960, puis les séries télévisées comme X-Files dans les années 1990 ont été un vecteur de la pensée complotiste. Le but est de proposer une vérité - sa vérité - en contradiction  avec le discours officiel. Le poids démographique des générations du Baby-boom explique l’importance de cette contestation de masse et des masses. Elle s’inscrit dans une crise de confiance, d’autorité et de représentation envers les institutions. L’hyper-individualisme se méfie et se défie de la pensée collective, de celle des autres, et préfèrent rester dans l’entre soi du Même. Ce nouveau communautarisme des egos qui se considèrent comme égaux fait de chaque cellule un creuset d’échanges mais unilatéraux. L’essor de l’internet et des réseaux sociaux, n’a fait qu’amplifier ce phénomène. 


Au XIXe siècle et XXe siècle, ce complotisme réactionnaire est nourri et encouragé par l’Eglise (très voire ultra) catholique. Les amalgames antisémites se réfèrent à une tradition ancienne. En 1319, une rumeur de complot fomenté par « les Juifs » accusés de propager la peste se répand  de Bavière jusqu’en France. Conséquence, lors de l’épisode de peste noire de 1348 à 1351, les Juifs sont accusés d’empoisonner les puits et massacrés. Et près de cinq siècle plus tard, la même rumeur complotiste ressurgit lors de l’épidémie de choléra qui touche Paris en 1832. Cette haine est sans cesse renouvelée par la propagande catholique contre la franc-maçonnerie, surtout après le Krach boursier de l’Union Générale en 1882. La surévaluation de cette banque explique sa faillite, mais son fondateur, Paul Eugène Bontoux l’a attribué à  un complot « de la finance juive » et de son alliée « la franc-maçonnerie gouvernementale » qui voudraient détruire les banques voutant des programmes conservateurs et catholiques… Comme, le Krach se situe après la défaite française de 1870, ce complot aurait été orchestré par « une société de banquiers germano-juifs ». Cette association « juifs et allemands », nouvelle figure mythologique du Traitre est au coeur de l’Affaire Dreyfus16, capitaine de l’armée française de confession juive accusé, condamné, dégradé et emprisonné en Guyane pour avoir soit-disant « transmis des documents secrets à l’ennemi allemand ». Cette affaire a provoqué un déferlement de haine anti-juive, parmi toutes les classes de la société française, propagé par une grande partie de la presse française qui s’est rendue compte que l’antisémitisme faisait vendre du papier et que cultiver la haine envers les Juifs faisait marcher les affaires…  


En 2019, le tag salissant le portrait l'ancienne ministre de la Santé, rescapée de la Shoah et première présidente du Parlement européen, représenté sur deux boites aux lettres à la demande de La Poste au moment de sa panthéonnisation n'a pas soulevé d'indignation auprès d'une certaine droite catholique française hostile. Certains députés avaient d'ailleurs tenu des propos antisémites dans l'enceinte de l'Assemblée nationale au moment où Simone Veil défendait la loi pour légaliser l'avortement en 1975. Ces tags ont été réalisé en marge d'une manifestation des Gilets jaunes à Paris, dont le porte-parole a dénoncé leur responsabilité.


Antisémitisme de droite et des gauches: Marx / Bakounine. 



Pour les conservateurs forcément catholiques de cette époque, leur antisémitisme est anti-républicain et patriotique. C’est une association fondamentale de l’antisémitisme. Dès la première motive du XIXe siècle, en Allemagne, la petite et moyenne bourgeoisie perçoivent la modernité comme un danger car elle menace leur statut ancestrale. Le mouvement völkisch17 promeut la défense et un retour aux « valeurs » traditionnelles du peuple allemand, à travers un retour « aux sources » (ou plutôt à la source), même s’il s’agit plus d’une construction romantique, fantasmagorique et mythographique, irrationnelle que réelle. Elle relève surtout de la croyance, de la mystique, du ressenti et de l’émotion. Selon les théories völkisch, le Volk ("le peuple" comme valeur) s'est battu héroïquement à la manière d'un valeureux chevalier teutonique contre l'invasion étrangère. En revanche, tous les groupuscules issus de ce mouvement, qui le portent et le déploie en Allemagne et en Autriche, perçoivent les Juifs récemment émancipés comme les promoteurs d’une révolution moderniste que le mouvement völkisch dénonce et dont il fit les boucs-émissaires, comme aux Moyen-âge…


Parallèlement Paul Böttisher, alias Lagarde, dans Deutsche Schriften publié en 1878, fait la promotion d’un nouveau germanisme comme « force vitale » et appelle de ses voeux la venue d'un personnage charismatique dont l'Allemagne aurait besoin pour l’incarner et guider la nation allemande vers sa destinée… Il dénonce le Juif - figure révolutionnaire, de droite et de gauche, symbole du changement de l’Allemagne et de la modernité, mais pour lui, l’antijudaïsme reste encore un combat religieux: la religion hébraïque serait selon lui incompatible avec le mysticisme allemand et c’est la raison pour laquelle  il veut que l’Etat distingue - rejette, discrimine - le judaïsme incompatible car inconciliable avec le Volk et la religion allemande18. Il préconise à cet égard le maintien des populations juives dans des ghettos, leur identification visible c’est-à-dire leur stigmatisation.


De leurs côtés, les Gauches ne dissimulent pas non plus leur antisémitisme. En 1843, Karl Marx écrit un article intitulé « Sur la question juive » publié à Paris un an plus tard sous le titre Zur Judenfrage dans la revue Deutsch-Französische Jahrbücher. S’il jette les premières bases de sa théorie sur le matérialisme historique, ce texte est surtout un pamphlet antisémite dans lequel Marx rejette sa propre judéité. « L'argent est le dieu jaloux d'Israël devant qui nul autre Dieu ne doit subsister. » écrit-il.  Reprenant les bas-fonds des écrits d’Alphonse Toussenel, il assimile les Juifs à "l'égoïsme et l'injustice capitalistes". Dès lors, pour Marx, judaïsme et bourgeoisie sont équivalents, d'où il découle « le devoir de supprimer le judaïsme » au même titre que le capitalisme… 


L'antisémitisme de Marx, puis des Marxistes, des Staliniens reprend à son compte - et fait perdurer -  l'une des deux attaques majeures de l'antijudaïsme  médiéval, concernant "les Juifs et l'argent", les "Juifs usuriers" qui profiteraient de la misère des pauvres (même si, en général, ces "pauvres" étaient les puissants et les riches qui manquaient de liquidités, mais qui, il est vrai, remboursaient les emprunts en augmentant les taxes et les impôts devant être payés par tous, y compris les plus démunis). En reprenant cette thématique, Marx et les marxistes développent un antisémitisme par association et généralisation. Parce que les Juifs (en réalité, certains, une toute petite minorité, voire une exception mais réputée représentative d'un ensemble) sont des agents du capitalisme, qu'ils oeuvre pour sa promotion et leurs intérêts, il appartient à la dictature du prolétariat de les réprimer, au même titre que les autres bourgeois, non stigmatisés par leur appartenance religieuse, eux.  


En fait Marx ne fait que s'inscrire dans un mouvement, une petite musique idéologique, un air du temps de son temps. Dans les années 1840, socialistes utopiques comme Fourier ou Leroux, banquistes ou proudhoniens, toute la gauche française fut traversée par un imaginaire judéophobe et véhicula le mythe du Juif banquier, roi de la finance et exploiteur des ouvriers - en méconnaissance des conditions de vie réelle des Juifs, du prolétariat Juif majoritaire au sein de la communauté.  


En 2019, lors de manifestations de Gilets-Jaunes ou dans leurs échanges sur les réseaux "sociaux", nombreux ont été les propos antisémites ou les actes graves ciblant la communauté juive en France. En fait, le problème n'est pas que  plusieurs groupuscules antisémites, les uns adeptes des théories d'Alain Soral, les autres groupies d'un Dieudonné, aient convergé dans ce mouvement de protestation sociale pour profiter de son audience. Non, la question qui se pose est de savoir pourquoi  celui-ci les a "laisser-agir, laisser-faire", de semaine en semaine, malgré une violence, une présence et une pression, sans cesse accrue dans des cortèges il est vrai de plus en plus clairsemés (ce qui contribue à rendre les actes antisémites encore plus visibles). Pourquoi un tel silence "des Gilets Jaunes" face aux cris de haines racistes et antisémites. 



Gilets Jaune faisant "une quenelle" dieudonniste, Champs elysées 2019. 


Au moment de la crise des Gilets jaunes, une fresque géante a été réalisée à Avignon  représentant Jacques Attali en marionnettiste manipulant un Pinocchio au visage d'Emmanuel Macron. Le graffeur Lekto qui l'a réalisée fut poursuivi en correctionnel pour "injure, provocation à la haine et discrimination raciale" mais pas pour antisémitisme, même si sa fresque reprend exactement les codes des affiches antisémites des années 1930.  Le procureur de la République demanda une peine de 6000 euros d’amende dont 2000 avec sursis. Le graffeur fut finalement relaxé  au prétexte que rien ne prouvait « absolue certitude que l'utilisation de la marionnette ait été conduite par un sentiment antisémite. ». L’auteur avait nié avoir « connaissance des codes  des milieux antisémites et complotistes ». Si nul n’est censé ignoré la loi,  ne devrait-il pas en aller de même des références culturelles ? L’inculture sert aussi trop souvent d’excuse au plagiat. (Cf. France Info)  

Là, à Poncharra, le 18 décembre 2019, pendant toute la journée, est déployée une banderole sur laquelle on peut lire «Macron = Drahi = Attali = Banques = Médias = Sion». Mais aussi, sur une banderole de l'autoroute A6 " Macron, Pute à juifs", ou encore, à Paris, "Macron Youpin, Youpine". Un peu plus loin, sur les Champs-Elysées, on retrouve sur un gilet jaune un dessin représentant une pyramide franc-maçonnique et des étoiles de David avec le texte latin "Omnia sunt judeaum" ("Ils sont tous juifs"). Plus haut, au Sacré Coeur, le 24 novembre 2019, plusieurs personnes entonnent: «Manu, la sens-tu, qui se glisse dans ton cul, la quenelle ?». L'antisémitisme rejoint l'homophobie primaire. La "quenelle" en question désigne un geste "subversif" inventé par le polémiste Dieudonné (équivalent d'un salut nazi ? car geste interdit en France ?). Celui-ci a mis d'ailleurs en vente sur son site internet des gilets fluo, marqué d'un ananas avec dans le dos marqué "Macron la sens-tu la quenelle ?". L'ananas fait référence à la chanson Shoah ananas, hymne officieux du dieudonnisme (Cf.  l'article de Tristan Berteloot "Les gilets jaunes, étouffés par la gangrène antisémite" in Libération du 18/02/2019). "L'expression populaire" parce que "sans filtre" ou "antisystème" pourrait-elle justifier des propos antisémites qui ne rentrent pas dans la liberté d'expression définie par la loi française ? Faut-il juste laisser dire ? sans rien faire ? en se contentant, à l'instar de certains coordonateurs du mouvement, de hausser les épaules en disant  "qu'il faut dissocier des cons des autres...". 


En 2006, l’affaire Ilan Halima ou encore dite « du gang des barbares » s’inscrit dans cet antisémitisme d’argent. Dragué par Yalta alias Emma qui sert d’appât, ce jeune français descendant d’une famille juive marocaine est précipité dans un guet-apens. Ses ravisseurs exigent une rançon de 450 000 euros au prétexte que ce simple vendeur dans un magasin de téléphonie appartient à une famille juive, donc qui aurait par nature et essence de « l’argent » (« les Juifs sont bourrés de tunes » est-il avancé au procès). Ce poncif est en réalité de l’antisémitisme primaire. a cela s’ajoute la dimension communautaire perçue comme logique par des apologues du communautarisme: même si la famille Halima n’a pas de ressources, elle obtiendrait l’aide des autres « juifs » se persuade le Gang des Barbares de Bagneux. Ilan est torturé pendant vingt quatre jours par ses geôliers dont le chef est Youssouf Fofana. Il est retrouvé tondu, bâillonné, menotté, défiguré, le corps brûlé et agonisant, le 13 février 2006. Il meurt lors de son transfert à l’hôpital. La dimension  antisémite justifie ici le crime crapuleux. Et c’est parce qu’Ilan est Juif que le crime crapuleux se transforme en assassinat. Lors des perquisitions chez les ravisseurs, ont été saisis plusieurs documents de soutien au comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens ainsi que du matériel de propagande salafiste. En 2017, Youssouf Fofana fut également condamné pour des tentatives d’extorsions de fonds avec menaces de mort, quand entre 2002 et 2005, il se faisait passer pour un messager du Front de libération de la Palestine. Francis Szpiner, avocat de la famille Halima a rappelé que « le processus de la mort d'Ilan Halimi ne peut que renvoyer à la mémoire juive qui est celle de l'exécution des juifs » par les Nazis ».




A Gauche (et à droite), pour certains, les Juifs incarnent le capitalisme et la puissance financière; à droite (et parfois à gauche), la révolution sociale et l'anticapitalisme, d'un côté le conservatisme et de l'autre,  la modernité. En même temps. L'antisémitisme revêt différents visages mais conserve les même traits. Il n'est que reprises et remix perpétuels. (Illustration Laurent Duvoux / Télérama) 


Ce fantasme du "juif cosmopolite, riche, qui  tiendrait le monde dans ses mains, ainsi que le pouvoir médiatique, financier et politique ou encore associé aux Francs-maçons" n'est qu'une reprise et une perpétuation par les Gilets-Jaunes des poncifs complotistes du XIXe siècle. 


Dans ses Lettres aux internationaux de Bologne - Pièces explicatives et justificatives, de décembre 1871, le révolutionnaire et théoricien de l’anarchisme, philosophe russe qui inspira le socialisme libertaire, Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine, dont le père était franc-maçon mais qui dénonce le caractère bourgeois des Loges, tient des propos antisémites virulents: « Tout ce monde juif qui forme une seule secte exploitante, une sorte de peuple sangsue, un parasite collectif dévorant et organisé en lui-même, non seulement à travers les frontières des États, mais à travers même toutes les différences d'opinions politiques, ce monde est actuellement, en grande partie du moins, à la disposition de Marx d'un côté, et des Rothschild de l’autre"19. Les Juifs seraient-ils à la fois des communistes et des traitres à la classe ouvrières ? des révolutionnaires et des suppôts du capitalisme ? En fait Bakounine entretient la représentation antisémite des Juifs qui avanceraient masqués, agent double qui joueraient double-je et double-jeu, mais que les caricatures antisémites représentent avec des attributs physiques spécifiques… A chaque fois, le « ressenti » sert à tout justifier, même les propos et convictions les plus délirantes. L’émotion, la défiance est mis en avant comme preuves. On est dans le domaine de la croyance. 


A partir des années 1880-1890, quand l'antisémitisme se racialise, les intellectuels à gauche commencent à distinguer les Juifs prolétaires des Juifs ploutocrates. La prise de conscience sociale tend à associer antisémitisme et socialisme, antisémitisme et pensée révolutionnaire, antisémitisme et progressisme. Le problème est que cette dichotomie n'oppose pas bourgeois et ouvriers, capitalisme et socialisme mais distingue les bons Juifs pauvres des mauvais Juifs riches.


L'affaire Dreyfus change la donne. L'antisémitisme cesse d'être social à partir du moment où il est porté et défendu par la classe dominante et soutenu par l'extrême droite. Etre antisémite c'est être un défenseur du capitalisme chrétien, d'un patriotisme xénophobe, et se dire ultra ou néoconservateur. Pour la Gauche, l'antisémitisme est associé à l'Ennemi. Le mot disparaît de son vocabulaire, sauf pour une partie de l'extrême gauche, celle qui considère que défendre la démocratie et combattre le fascisme est faire le jeu du capitalisme. En 1911, Georges Sorel, théoricien du syndicalisme révolutionnaire, considéré comme un des introducteurs et promoteurs du marxisme en France, dénonce dans le journal L'indépendance, "les meurtres rituels pratiqués par les Ashkénazes". Peu de temps avant, dans Réflexions sur la violence, il présente la violence comme l'unique solution face à la passion de la bourgeoisie pour le compromis et défend l'idée d'une violence révolutionnaire destructrice dans la mesure où elle doit être également créatrice d'un nouvel ordre. 


A partir des années 1930, on observe l'essor à gauche d'un antisémitisme de convenance et d'identification partisane, du Parti communiste contre Léon Blum, chef de la SFIO. Les insultes antisémites disparaissent de la presse communiste au moment de l'Union des Gauches, union de la Gauche juste avant la victoire du Front populaire. Elles reprennent au sein de la SFIO en 1938. Les pacifistes, favorables aux Accords de Munich accusent Blum et son entourage de vouloir précipiter la France dans une guerre contre l’Allemagne par solidarité avec les Juifs persécutés, réactivant ainsi le vieux mythe complotiste.  



L’antisémitisme nazi est un essentialisme: de la haine envers les Juifs à la haine du Juif. 



C’est en Russie où les pogroms antisémites se multiplient qu’apparaît en 1903 un texte complotiste plagiant le Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu, pamphlet de Maurice Joly de 1864 qui décrivait la « domination mondiale de Napoléon III ». Les Protocoles des Sages de Sion se présentent comme une compilation de comptes-rendus écrits par des Juifs (mais c’est un faux et c’est faux) suite à la tenue de réunions secrètes au cours desquelles aurait été élaboré un « plan » en vue de « contrôler le monde ». Ce texte a nourri la propagande antisémite en présentant "le peuple juif » en « péril juif ». La dimension mondialiste est nouvelle. Les Juifs sont décrits comme le seul peuple à être partout, dans tous les états du monde (c’est-à-dire en Occident, celui-ci se concevant et se percevant alors comme « le monde »). Leur altérité vis-à-vis des Mêmes (des « nationaux » non discriminés) induirait leur volonté de nouer des « alliances » entre eux. Les Juifs seraient donc des transnationaux, du moins aux yeux des « patriotes » de chaque pays.  


Les Protocoles des Sages de Sion a été considéré par Hitler comme véridique et il le cite dans Mein Kampf pour justifier sa lutte antisémite. Il marque à cet égard un tournant. Il ne s’agit plus seulement de combattre les Juifs mais le Juif. L’idéologie totalitaire le définit en valeur absolue. Hitler institutionalise la haine du Juif qui transcende celle envers les Juifs. Et ce que vise les Nazis dans le génocide c’est de tuer le juif - la judéité, le judaïsme - que représente chaque juif. Chaque juif est un corps dont tous les juifs font partis, et donc pour anéantir « le juif », il faut détruire chaque Juif qui possède et incarne en lui « le juif ». Ce en quoi l’antisémitisme hitlérien est totalitaire: puisque chacun est un tout, les Nazis entreprennent la destruction de tous pour que l’anéantissement puisse être total. 


L'antijudaïsme entretenait la haine envers les Juifs. Hitler la cristallise en l'essentialisant, en enfermant les Juifs dans une identité figée, restreinte à l'Image et à la croyance. En faisant des Juifs "du juif". Plus de subtilités, de nuances, de pluralité ni de diversité (de diversifications), plus d'état de conscience ni de prise de conscience. Les Juifs ne peuvent plus être "juif" de la manière que chacun d'entre eux l'entend.  Etre "Juif" pour Hitler impose de présenter tous les Juifs, chaque Juif à l'image et à la ressemblance d'un ensemble, d'un Tout. Et c'est le propre des totalitarismes d'essentialiser, de raciser, de ne percevoir et de ne concevoir qu'en fonction de l'appartenance à une "race", à une identité. Le Juif devient un concept, ou plutôt l'idée que les Nazis s'en font. L'Image du juif est le regard que les Nazis en ont. Exactement comme l'Aryen est l'idée ou l'image que les Nazis se font des (vrais) Allemands (ceux qui ne sont pas envoyés en camp de concentration dès 1933). 


Cette essentialisation est la praxis de l'antisémitisme hitlérien. Elle facilite l'acceptation par les populations allemandes et alliées - assez vite convenue, il est vrai - de la déportation des Juifs, ensemble, perçus comme un ensemble et une essence, et non plus chacun comme une histoire et des histoires et moins encore comme des êtres. Faire des Uns un Autre permet de ne plus considérer les Autres comme des êtres. L'essentialisme impose l'être contre les êtres, en les désignant, en les réduisant à des étiquettes, en les pointant du doigt. 


Si l'existentialisme est un humanisme, l'essentialisation serait-elle une déshumanisation ? Peut-on essentialiser le réel - Aristote - sans en perdre la et les réalités (la pluralité et la diversité des points de vus dans l'espace et au gré des temps) ? En ce sens, réfléchir sur l'antisémitisme permet d'interroger notre conteùporain. L'essentialisation en est une caractéristique. Sur le plan idéologique, elle consiste à réduire la totalité de l'individu (d'un individu) à une seule de ses dimensions, à prendre la partie pour le tout. La couleur de la peau, le sexe, la religion ou le genre est l'Image à laquelle tous les individus du même critère doivent se ressembler et dans laquelle ils doivent se rassembler - faire communauté. Et parce qu'il est l'incarnation - le dépositaire, le descendant, le représentant - d'une Histoire spécifique (celle que définit le critère), chacun disparaît dans le grand Tous (le tout propre au critère). Les Musulmans ne sont plus perçus que comme des Musulmans et chaque Musulman devient le dépositaire de l'Islam dans son entièreté et dans sa totalité - au risque de voir en chaque Musulman un terroriste, comme en témoigne la poussée d'islamophobie après les attentats de Paris en 2015. 


L'essentialisme conjugue l'histoire d'hier au temps présent. Il refuse toute contextualisation, toute prise en compte de la durée, des évolutions, des changements de points de vue et des nouvelles mises en perspective. Il refuse de prendre en considération l'Autre, sinon négativement, toujours par rapport à soi, et souvent en opposition à soi, uniquement pour justifier ses propres postures en guise de positions. Car pour les essentialistes, l'Histoire n'est plus un temps mais un Tout, plus une ligne mais une surface (ou un conglomérat) et c'est au miroir de cette Image que doit se faire sa relecture. Et d'ailleurs, les  essentialistes défendent et impose lcette grille de lecture (à condition qu'il s'agisse de leur grille de lecture). Du moins, est-ce ce que les extrêmes droites et les islamistes veulent donner à croire. Ce que les partisans du "choc des civilisations" veulent donner à penser. L'un contre L'Un, l'Un contre l'Autre et l'Un contre tous les Autres. Hitler déjà avait conçu le nazisme comme un choc de civilisations - race contre races.  


Simplifier, réduire à l'essentiel, refuser le complexe (la complexité, la complexification, le contradictoire interne), penser contre mais jamais de manière contraire, définir des entités en guise d'identités stables, faire du principe d'identité un diktat, telle est l'ambition de l'essentialisme. Le propre des réseaux dits sociaux est d'essentialiser chacun à la correspondance de ses données personnelles, de l'y enfermer, de faire de l'Image de soi repérée par les algorithmes son propre (état d') être. Chacun devient l'Adam modelé dans sa propre boue des données personnelles. La personnalisation rendue possible grâce à l'appropriation des données personnelles par les algorithmes (par les sociétés qui contrôlent les réseaux sociaux) essentialise l'individu en soi, prisonnier de son quant à soi, enfermé et enferré en lui-même, sans plus de possibilité d'être autre que lui-même, à lui-même et en lui-même. Sans plus de liberté que d'être à sa propre Image, en représentation permanente, c'est-à-dire en "publicité" ( puisque tout n'est plus qu'une question de publicité sur les réseau sociaux, de savoir se rendre visible (Image) pour se vendre (et vendre). En fait, le danger n'est pas que les robots prennent le pouvoir mais que nous devenons des robots nous-mêmes, conditionnés et révélés à nous-mêmes  - auto-déterminés - par les algorithmes eux-même programmés. Que le reflet se confonde à l'Image et qu'il soit perçu puis qu'il se conçoivent comme Etre. Que chacun ne devienne plus qu'Un ensemble de données, au gré d'une nouvelle dialectique du "donnant" (Es gibt) - données. Toute la question est de savoir dans quelle mesure chacun n'est pas conditionné ou s'il est vraiment libre d'être vraiment à l'origine et à l'initiative de ses propres données, celles qui servent de repères et de repérages aux algorithmes pour qu'ils puissent ensuite "offrir" des publicités ciblées, personnalisées ? L'essentialisme ne consiste-t-il pas à reproduire un déterminisme social ? culturel ? La collecte des données personnelles n'est-elle pas une forme de racialisation des ego permettant leur hiérarchisations comme le prétendaient les théoriciens du XVIIIe siècle ?  La société de demain sera-t-elle cette d'un fascisme des égoïsmes et d'un totalitarisme des ego ? L'antisémitisme essentialiste des Nazis en fut une des premières étapes. 


 


Berlin, 1938, juste avant la Nuit de Cristal.


Tags antisémites, à Paris, après le 7 octobre 2023. Certains ont crié au scandale, non pour dénoncer la référence à l'antisémitisme de l'Allemagne nazie, mais parce qu'ils croyaient qu'il s'agissait de tags faisant la "promotion et l'apologie d'Israël". Voilà où nous en sommes aujourd'hui de l'enseignement et de la culture historique en France. 

Le changement de vocabulaire pour caractériser les populations de confession ou d’origine juive est intéressante. Au XIXe et début du XXe siècle, au moment de l’émancipation des « Juifs » en Europe, c’est-à-dire de la fin de leur discrimination légale, le terme (adjectif et substantif)  « israélite » est substitué au terme « juif » pour désigner les citoyens « juifs ». On parle désormais de Français de confession israélite et non plus de « Juifs français ». Il s’agissait précisément de marquer une rupture avec l’époque des discrimination et des persécutions envers « les juifs »20. 


Le terme « israélite » exprimait une volonté de changement légal de situation, voire de progrès fondée sur l’intégration et l’assimilation, de considérer les Israélite à l’égal des autres, comme les autres, « mêmes et autres » mais non plus « différents » (la culture de la différence conduit à maintenir des différenciation et donc des différences, ce qui n’est pas le cas de la culture de l’altérité). En 1881, dans son Marc-Aurèle, l’antisémite Ernest Renan utilise même le terme « israélisme » pour qualifier le « judaïsme éclairé » et condamner son rapprochement avec le « catholicisme progressiste » et « le protestantisme libéral ». Le terme israélite n’a aucun rapport avec celui d’ "Israélien". Ce dernier qualifie les citoyens de l’Etat d’Israël, qu’ils soient juifs ou arabes (on devrait d’ailleurs plus parler « d’Israéliens arabes » que « d’Arabes israéliens » (parfois un changement de terminologie équivaut à un signe de paix, ou tout du moins d’apaisements, mais les « Arabes d’Israëls  (les Musulmans et les Palestiniens d’Israël) veulent-ils être considérés en premier lieu et avant tout comme des Israéliens, telle est aussi la question ?). Le terme israélite correspond plus à une situation (à un état et non à un État) qui marque la judéité d’un groupe, sans que ses membres soient forcément religieux (par exemple concernant tous les « interdits alimentaires »), pratiquants, sans même qu’ils se perçoivent, se considèrent ni se revendiquent comme juifs, a priori. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle une partie des citoyens allemands ne s’est pas sentie concernée par la politique antisémite des nazis au moment de leur arrivée au pouvoir. Selon eux, elle semblait plus viser les « juifs immigrés, reconnaissables, identifiables », pas les citoyens allemands (d’abord allemands) de confession ou d’origine israélites, complètement assimilés.


Dès la fin de la Première guerre mondiale, la propagande hitlérienne a restauré la terminologie antisémite ancestrale du « juif ». L’étoile jaune comme la rouelle médiévale (le jaune était alors considérée comme la couleur « du Mal », les caricatures racistes, le fichage des populations visaient avant tout à les identifier, à donner « un visage », une visibilité  aux Juifs, une étape nécessaire selon les nazis depuis que l’émancipation les avait faits « disparaître », c’est-à-dire rendus comme tout le monde. Il important d’énoncer « le juif » pour pouvoir ensuite permettre à tous de le « dénoncer » , de le déporter, de le tuer. 


En 1935, les lois discriminatoires de Nuremberg et toute la propagande antisémite visent à restaurer la figure « du juif », à l’image du film nazi de 1940 Le Juif Süss ou de l’exposition de 1941 à 1942 sur « Le Juif et la France ». Ce travail de "figuration" mis en oeuvre par les Nazis  leur semble nécessaire pour donner à voir le Juif, à se le leur représenter. Car comme le dit très justement l’écrivain israélien Avraham Boolie Yeoshuah, dans le documentaire d'Arte (opus cité) « La définition du Juif n’est ni facile ni simple. On ne sait pas si c’est une nation, si c’est une religion. Un Juif ne doit pas parler hébreu pour être juif, ne doit pas vivre dans une communauté juive pour être juif, ne doit pas croire dans la religion juive ni être religieux pour être juif. ». D’où la nécessité pour les antisémites de mettre en forme et en scène leurs fantasmes.   


Il s’agit d’abord de "le" distinguer, de "le" différencier, afin que les Allemands ne s’y identifient pas, ne s’y reconnaissent pas et ne réagissent pas au moment où les Nazis mettent en place la « solution finale » - trop heureux d’échapper au déferlement de haines envers les Juifs. Pour les Nazis, la différenciation doit conduire à l'indifférenciation et à terme à l'indifférence (les Juifs sont déportés dans des convois de Juifs, "peu importe, ce sont tous des juifs"). La non réactivité des populations est une donnée fondamentale au succès de l’entreprise de mise à mort de six millions de Juifs d’Europe pendant la Shoah. 


Serait-ce l'une des raisons qui explique pourquoi Pétain et son gouvernement ont exigé que les Nazis déportent les enfants avec leurs parents? Ils ont d'ailleurs conseillé aux Allemands de ne pas constituer des convois réservés aux enfants juifs. Les Français risquaient de voir d'abord les enfants et non les "Juifs". En revanche de voir partir les enfants accompagnés de leur parents les rassuraient.    


L'essentatialisation comme distinction a permis aux idéologues nazis d'aller au bout de leur raisonnement. Parce que les Nazis  font des Juifs l'antithèse de la race aryenne, ils vont jusqu'à la concevoir comme une "anti-race", une "contre-race". On retrouve cette conception au sein de certains groupes de militants antiracistes mais également antisémites (par antisionisme). Selon eux, les Juifs ne seraient une contre-race, car en opposition aux autres racisés. Cette rhétorique spécieuse leur permet de se dire antiracistes tout en justifiant leurs positions antisémites.



La société actuelle des réseaux dits sociaux refuse le contradictoire, le complexe. Tout doit être binaire. On est 0 ou 1, majeur levé ou pouce baissé, pour ou contre, ami ou ennemi, même (entre soi) ou Autre. Ne pas être reconnu comme "entier" est suspect, depuis que l'essentialisation est la règle - une disposition d'esprit, un rapport à l'Être et à l'Autre mis en place politiquement par les Nazis. Même les métis sont sommer de choisir ontologiquement leur camp. Être pour papa oblige à être contre maman  - et inversement. Le mode de pensée binaire impose d'être noir ou blanc, Noir ou Blanc.  Il est de plus en plus de se positionner, non pas "en même temps" mais "à la fois", et plus encore "de part et d'autre". Reconnaître la défense légitime d'Israël à ne pas confondre avec la légitime défense), surtout après l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023 n'implique pas de soutenir la politique de colonisation illégale en Cisjordanie - légitimement surnommée "Territoires occupés" contre le droit. Le sionisme est le droit pour les Juifs d'avoir un Etat et de se constituer en Etat. Le sionisme n'est pas un expansionnisme ni un colonialisme. L'antisionisme est une négation de l'Etat d'Israël, de son droit à exister et des Juifs à avoir un Etat.  Il devient un antisémitisme à partir du moment où le politique sert à justifier une idéologie antisémite. La reconnaissance de l'Etat d'Israël n'implique pas la déconnaissance de l'Etat palestinien. La reconnaissance de l'Un impose la reconnaissance de l'Autre, le droit à l'existence des Uns dans l'Un, la reconnaissance des Autres dans l'Autre, et à terme, qui sait, des Autres dans l'Un et des Uns dans l'Autre, pour le meilleur et non pour le pire. L'un avec l'Autre et non l'Un contre l'Autre. En fait, les problématiques  sionisme / antisionisme cristallisent celles autour de l'Etat-Nation. Une nation doit-elle faire état ? Un état est-il à sa nation, à une nation ? Il est intéressant de noter que les partisans de l'antisionisme invoquent plus la défense de "la cause palestinienne" qu'ils n'évoque la création d'un Etat palestinien, souvent parce qu'ils sont souvent aux-mêmes idéologiquement contre l'idée ou la promotion de l'État nation. Leur malaise s'explique par l'identification de la nation avec le principe de nationalité et de celle de peuple perçue comme une racine, une culture, une religion uniques voire une race -, une conception défendue par les nationalistes, ultra-conservateurs, de droite et d'extrême droite. A l'inverse, l'extrême gauche se méfie voire se définie de la notion d'Etat-nation, trop républicaine, exactement comme les libérariens qui défendent l'idée d'un monde entièrement régi par un capitalisme débridé au risque de mettre en place un nouveau totalitarisme  du  marché.  Mais" la cause" des Palestiniens cherche à faire Etat - certains en vouloir détruire celui d'Israël, comme certains ultra-nationalistes israéliens cherchent à réduire la présence des Palestiniens en peau de chagrin jusqu'à la faire disparaître de Cisjordanie. On reste dans un débat très dix-neuviémiste, sur le principe de nationalité. Peut-être serait-il temps de passer d'une dialectique fondée sur la destruction réciproque à une dialectique de construction partagée. 



Antisionisme et antisémitisme. 



Après la fin de la seconde guerre mondiale, malgré la Shoah, l’antisémitisme ne disparaît pas. De nombreuses campagnes et purges antisémites sont organisées en Union soviétique dès 1948. Les membres du Comité antifasciste juif sont arrêtés et accusés de « trahison », de « nationalisme bourgeois » , " de cosmopolitisme" et de « planifier l'instauration d'une république juive en Crimée ». Dans la nuit du 12 au 13 août 1952, treize poètes et écrivains yiddish sont exécutés sur ordre de Staline. En janvier 1953, l’agence soviétique Tass annonce qu’un complot de médecins juifs visant à tuer Staline a été  « démasqué ». Des purges antisémites sont aussitôt organisées en URSS et dans tous les pays du bloc de l’Est.


Cet antisémitisme stalinien s’explique par la position du nouvel État israélien, créé en 1947, qui choisit d’intégrer le bloc occidental pro américain et non le "bloc de l'Est". Un camouflet pour Staline. L’antisionisme sert de prétexte pour justifier les purges antisémites soviétiques. 


Dans les années 1960, la nouvelle vague antisémite prend de l’envergure et de l’ampleur. Elle est portée par la sphère d’obédiences soviétiques et le monde arabe. Dans ce dernier cas, l’antisémitisme « géopolitique » musulman ne date pas de la création d’Israël qui entraîne l’exode des populations palestiniennes. Le 28 novembre 1941, le grand Mufti de Jérusalem, Mohamed Amin Al Husseini s’était rendu à Berlin, de son plein gré, pour apporter son soutien à Hitler contre les Juifs. Il voulait faire de la lutte contre les Juifs non seulement un combat religieux, mais surtout racial, raciste. Son but était de créer une sorte de fédération des États arabes voire un seul État pan-arabe  fondée sur une culture et la religion musulmane et dont il se serait bien vu en tant que chef suprême (Führer en allemand). C’est la raison pour laquelle il était farouchement hostile à toute nouvelle immigration juive en Palestine, aux mouvements sionistes et à tous ceux qui défendaient les aspirations nationales juives. En 1943, il demande aux Nazis de bloquer par tous les moyens le transfert de 4000 enfants juifs de la Bulgarie, le Hongrie et la Roumanie vers la Palestine. Parallèlement, il recommande aux autorités bulgares d’envoyer « en Pologne » les enfants juifs nés en Bulgarie et non d’autoriser  leur émigration vers la Palestine. Mohamed Amin Al Husseini savait très bien ce que cette déportation signifiait. Le 2 novembre 1943, bien avant la création de l'État d'Israël, il déclarait que « les Musulmans devraient suivre l'exemple des Allemands qui ont trouvé une solution définitive au problème juif ». Arrêté par les Français en 1945, placé en résidence surveillée, mais pourvue de tout le confort moderne  (avec un cuisinier personnel et des serviteurs pour s’occuper de lui), Mohamed Amin Al Husseini « s’échappe » en 1945. Il trouve asile en Égypte d’où il ne cessa d’oeuvrer pour la promotion d’un nationalisme palestinien. Antisioniste, anti-israélien, il s’est déclaré aussi antijuif. 


Le grand Mufti de Jérusalem, Mohamed Amin Al Husseini rencontre Hitler à Berlin en 1943.

L’antisémitisme de Mohamed Amin Al Husseini s’inscrit dans les délires complotistes. Selon l’historien Henry Laurens, « il avait cependant acquis la conviction que le judaïsme mondial soutenait de façon occulte les sionistes et exerçait une influence majeure.21 ». Dans les premières pages de son livre Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt écrit : « Les connexions du Grand Mufti avec les nazis durant la guerre n’étaient pas secrètes ; il avait l’espoir qu’elles l’aideraient à exécuter une sorte de solution finale au Proche-Orient ». Selon l'historien Zvi Elpeleg, il n'y a aucun doute que « la haine d'Husseini n'était pas limitée au sionisme mais s'étendait aux Juifs en tant que tel. (...) Ses contacts étroits et fréquents avec les leaders du régime nazi ne pouvait lui laisser de doute sur le destin qui attendait ceux dont l'émigration était rendue impossible par ses efforts. Ses nombreux commentaires montrent qu'il n'était pas seulement heureux que les Juifs ne puissent émigrer en Palestine mais qu'il était satisfait de la solution finale nazie.22»


L’antisionisme de Mohamed Amin Al Husseini est un antisémitisme. Après 1947, il s’oppose à la création de l’État d’Israël dans lequel il ne voit qu’un état Juif. Il perçoit et considère l’État d’Israël exactement comme l’antisémitisme d’Hitler cristallisait sa haine du Juif dans les Juifs. Autrement dit, la destruction de l’État d’Israël passe par l’anéantissement non seulement des Juifs israéliens, des Juifs israélites, et d’une manière générale de tous les Juifs de la planète. C’est ce que reprend et prône la Charte du Hamas du 18 août 1988, au moment de la première Intifada. Inspirée par le Mouvement égyptien des Frères musulmans, très religieuse pour se démarquer d’une OLP de tradition plus laïque (« L’Islam est sa règle de vie; il en tire ses idées, ses concepts de même que ses points de vue sur l'univers, sur la vie et sur l’homme » est-il écrit dans l’article 1), elle aspire à l’instauration d’un État théocratique, régi par la Sharia. Son nationalisme islamique justifie « le jihad contre Israël jusque’à sa destruction » (articles 7, 12, 22, 34 et 35). Le patriotisme religieux, islamiste, sert de fondement idéologique pour justifier la mise à mort des Juifs et au terme de leur anéantissement la destruction d’Israël. Il s’agit comme entre 1933 et 1935 de développer un antisémitisme génocidaire. On n’est pas en face d’un nouveau antisémitisme mais dans la poursuite et le prolongement de l’antisémitisme nazi. 


L'antisionisme et l'antiracisme comme fondement et justification de l'antisémitisme aujourd'hui ? Pourtant, historiquement, les premières organisations antiracistes avaient combattu l'antisémitisme. C'était le cas de la Ligue des droits de Homme. La Ligue internationale contre l'antisémitisme (Lica) est devenue en 1979 la Licra afin de défendre toutes les victimes de racisme. En revanche, le discours institutionnel a conservé voire intégré une différenciation entre "racisme" et "antisémitisme" - démarche quoi pourrait même apparaître antisémite. Mais distinguer racisme et antisémitisme ne donnerait-il pas à laisser penser qu'on puisse établir une hiérarchie parmi toutes les formes de haines raciale, voire une volonté de susciter des oppositions, y compris racistes et religieuses, entre les racismes. Cette distinction risque de brouiller l'intelligibilité des faits et de nourrir le mythe (l'impression, la conviction) du "deux poids deux mesures".  Il est très dangereux de créer des apartheid entre les racismes, de jouer les racismes les uns contre les autres, de susciter et d'entretenir le racisme de populations racisées envers d'autres populations victimes elles-aussi de discriminations et de racisme. Dans les commentaires des réseaux sociaux, notamment à l'occasion des manifestations pro-palestiniennes comme celle qui s'est tenue devant Sciences Po Paris le 29 novembre 2023, d'aucuns se félicitent de l''union des Blacks et des Arabes "tous solidaires contre "les Juifs" . D'autres appellent tous les "Musulmans" à combattre contre les "Juifs". Il faut souligner que ces commentaires fondamentalement antisémites, tous énoncés masqués derrière des pseudos (le grand courage des anonymes) , sont conservés en ligne par les administrateurs des réseaux, des sites et des profils en lignes... Même quand il s'agit d'agences de presse... Cette haine envers l'Autre rappelle une homophobie de type "religieux" ou dite encore "culturelle" perpétrée par des populations se définissant comme racisées (à juste titre) et discriminés, y compris vis-à-vis des membres de leur communauté "d-énoncés" comme homosexuel.le.s, et vers les gays "en général" ( cf le processus d'essentialisation). Dans ce cas également, il existe une distinction entre racisme et homophobie. D'ailleurs, ces criminels ne considèrent pas leur actes homophobes comme racistes, dans la mesure où les homosexuels ne constituent pas une "race" (effectivement mais un "type" et "un genre" de personnes et de populations). Notons au passage que les Nazis et les antisémites français des années 1930-1940 (avant et au delà) associaient les mots de "race" et de "type" ( on parlait souvent de "type juif"  ou de "juif typique" - et il faudrait dès lors s'interroger sur les expressions communément utilisées sur les réseaux sociaux et en particulier les sites de rencontres telles que "tu n'es pas mon type" ou "pas mon genre" pour justifier la fin de toute discussion et la négation pure et simple de l'Autre (perçu comme Autre, car pas son type ni son genre, c'est à dire ne correspondant pas aux canons en vigueur ni à ceux de la personne qui émet ce commentaire, souvent car "trop typé", blanc, asiatique, noir, vieux, de banlieue ou au contraire "pas de cité" - toujours trop ou pas assez quelque chose). L''antisémitisme des antiracistes ciblent bien les "Juifs" comme race. C'est pourquoi, au lieu de populations racisées ( qui est un concept raciste en soi), peut-être serait-il plus juste de parler de population discriminées ? Mais cela induirait une dimension sociale et non plus raciale. Or l'analyse sociale est bien plus complexe car complète, moins identitaire que transidentidaire, moins binaire que transversale. Trop pour le XXIe siècle ? Certes, il existe une dimension, un portée, une mise en perspective et un point de vue social dans la lecture raciale, portée notamment par la Gauche et l'Extrême gauche en France. Pourtant ne faudrait-il pas  privilégier (revenir à) la lutte sociale ( plus universaliste donc universelle) plutôt que la lutte raciale (plus identitaire et communautariste) ? Et ce pour réduire le discours de l'Extrême droite dont l'idéologie s'appuie sur cette dialectique en opposant les races plutôt que les classes ? Mais cela imposerait de restaurer les valeurs et principes de la République. Trop XXe siècle ? 


 Yahya Sinouar, en 2017 AFP/Mahmud Hams                   

Le chef du mouvement islamiste Hamas dans la bande de Gaza, Yahya Sinouar, le 30 avril 2022. Né en 1962, il dirige à la fin des années 1980  les services de renseignements et devient un chef de milice chargé de traquer "les traitres de la cause palestinienne". C'est à ce moment là qu'il gagne son surnom de  " boucher de Khan Younès", du nom du camp de réfugiés dans lequel il est né et parce qu'il décapitait ses victimes palestiniennes avec un couteau de boucher.  Arrêté par les Israéliens puis libéré en 2011 lors d'un échange de prisonniers, il devient chef du bureau politique du Hamas en 2017, il est l'architecte et l'organisateur de l'attaque terroriste du 7 octobre 2023. Des 1989, il avait dit planifier "un grand massacre de Juifs" ( Cf. RFI) Source AP - Adel Hana

A nouveau, on retrouve dans la charte de 1988 le discours complotiste antisémite traditionnel. Dans l’article 22, le Hamas précise que « les ennemis ont amassé d'énormes fortunes qu'ils consacrent à la réalisation de leurs objectifs. À travers l'argent, ils ont pris le contrôle des médias du monde entier (...), ils ont financé des révolutions dans le monde entier (...), pour détruire les sociétés et promouvoir les intérêts du sionisme. » Il ne s’agit que d’une paraphrase - ou un copier-coller, ou un plagiat - du Protocole des Sages de Sion.  


L’article 12 de la Charte du Hamas de 1988 dit que « lorsque l’ennemi foule du pied la terre des Musulmans, incombe à tout Musulman et à toute Musulmane en tant qu'obligation religieuse individuelle ; la femme alors n'a pas besoin de la permission de son mari pour aller le combattre ni l'esclave celle de son maître ». Autrement dit, à l’instar de toute idéologie totalitaire, le Hamas considère chacun.e et tou.te.s comme des combattants devant « servir » sa cause afin de détruire tous les Israéliens juifs ainsi que tous ceux qui travaillent pour eux et avec eux, d’ailleurs visés au même titre que les Israéliens juifs par les « combattants » ou plutôt les bourreaux du Hamas lors des massacres du 7 octobre 2023. Il appartient de faire des masses l’instrument des meurtres de masse; de faire des masses les agents du massacre, en les présentants souvent comme des « résistants ». Chaque civil est donc associé par le Hamas à son combat - quitte à lui servir de bouclier humain. Pour le Hamas, les civils sont tous ses sujets, femmes et enfants compris, tous doivent combattre pour sa cause - un peu comme ce qui s'est passé lors du siège et de la bataille de Berlin en mai 1945. C'est ainsi que l'on doit entendre les cris des enfants dont les proches, les pères et les mères, les soeurs et les frères, ont été tués par les bombardements israéliens sur la bande de Gaza. A chaque fois, ils disent "ils sont morts en martyrs". Il s'agit d'un véritable conditionnement. 


Enfants palestiniens tués par les bombardements israéliens sur la bande de Gaza. Victimes collatérales pour les uns. Martyres de la Cause pour les autres. L'instrumentalisationde ces crimes contre l'humanité est abjecte. Elle justifie l'antisémitisme, ou plutôt la haine anti-juifs dans les manifestations pro-palestiniennes et sert d'excuse, de prétexte ou encore à légitimer les attentats terroristes islamistes, comme ce fut déjà le cas à Paris en novembre 2015. Ensuite, il ne faut pas passer sous silence la tragédie que subissent les enfants palestiniens, qui en resteront pour certains marqués à vie. 


Instrumentatilsation des enfants "soldats" par le Hamas

Garçon palestinien blessé suite aux frappes aériennes israéliennes sur la ville de Gaza, le lundi 16 octobre 2023 et attendant de recevoir des soins  aux urgences de l'hôpital al-Shifa. © Abed Khaled / AP/SIPA

On ne s’étonne le fait dans ces conditions que les crimes terroristes du Hamas du 7 octobre 2023 n’aient pas été dénoncés par les Palestiniens de Cisjordanie ni par les habitants de la bande de Gaza. Bien au contraire. Au lieu de se débarrasser de la dictature du Hamas et de redynamiser un processus de paix moribond (et ce en grande partie à cause du gouvernement israélien extrémiste et mortifère), les populations civiles palestiniennes encensent et célèbrent le Hamas, au point (au risque) d'en faire une organisation "messianique" ?  Dommage. Cela eût pu être l'occasion de se libérer des extrémistes et des terroristes, d’un côté de la frontière et de l’autre, mais non. Difficile dès lors de voir surgir une figure charismatique de ces décombres, un nouveau "Nelson Mandela" palestinien qui pourrait faire la paix avec un "Frederik De Klerk"  israélien. 


En 2017, le Hamas a cherché à supprimer le côté profondément antisémite de la Charte de 1988 en affirmant que leur mouvement « ne combat pas les Juifs parce qu'ils sont juifs mais les sionistes parce qu'ils occupent la Palestine. ». Le massacre des populations israéliennes ou en Israël  du 7 octobre 2023 démontre le contraire. 


D’ailleurs, le Hamas a visé en premier lieux les Kibboutz23 plutôt favorables à la paix et les jeunes de la Rave plutôt pacifistes. Cette attaque réaffirme le caractère antisémite du Hamas, à l’instar de la prise d’otages du magasin Hyper Cacher lors des attentats de janvier 2015, à Paris. Il cristallise aussi l’idée que l’antisionisme justifie le massacre de toutes les populations présentes sur le territoire israélien, quelles soient juives ou non, israéliennes ou étrangères au prétexte que leur seule présence en fait des complices d’Israël au yeux du Hamas (c’est la même « logique » que l’on retrouve dans les attentats du 13 novembre 2015), le tout dans le cadre d’une stratégie terroriste.


Manifestation pro palestinienne à Harvard, 8 oct 2023 AFP.  Les universités américaines ont été au coeur des importantes évolutions sociales aux Etats-Unis depuis les années 1960 - Free speech movement, lutte contre les discriminations et pour la reconnaissance des Droits civiques. Dans les années 1970, elles ont été un vecteur de transmission de l'analyse freudo-marxiste de la "French Theory", de la déconstruction et de l'émancipation, portée par la Triade Derrida-Deleuze-Lacan ( cf. François Cusset). A partir des années 1990, suite à la destruction du Mur de Berlin, dans un contexte de crise du prolétariat en Occident (liée aux délocalisations vers l'Asie) et de montée en puissance de l'extrême-droite en Europe et aux Etats-Unis, la lutte des races remplace la lutte des classes - ou plutôt s'y substitue, dans un souci de continuité.  Elle reprend en effet la même praxis et la même dialectique (les années 1990 voit émerger "la pratique puis la culture du remix"). La race devient le paradigme de l'analyse sociale, au risque de donner plus d'échos aux discours racistes voire de développer et même de justifier des théories racistes au pr.étexte de les dénoncer et de les condamner.  C'est à partir de ce moment qu'émergent les théories sur la racisation décrit comme un processus d'assignation identitaire déterminant des rapports de pouvoir. Le problème, c'est que les populations se définissant comme racisées justifient les théories racistes ou de racialistes au lieu de démontrer leur fausseté et leurs mensonges. Parce que d'aucuns existent que "les Juifs" sont ceux qui ont le plus "profité" de l'ascenseur social républicain, moins par leur mérites que grâce à l'entraide, ils sont perçus comme des collabos du "système " mis en place par les dominants, de "l'ordre blanc".  Les autres minorités qui en ont été exclues s'en déclarent être des victimes et ceux qui s'en sont volontairement exclues font figure de "résistants" (cf. certaines chansons de Rap). C'est à partir de ce moment qu'émergent les premières croyances sur "la blanchité des Juifs", propagées dans et par les Universités, en tpute impunités et sans être critiquées.. Les Institutions politiques, culturelles, médiatiques laissent prospérer ce processus voire l'encouragent. Au même moment, les recensements enregistrent une nette progression des actes, insultes et agressions à caractère antisémite. Les institutions politiques, culturelles et médiatiques s'en émeuvent. De même,  le conflit palestino-israélien est analysé à l'aune de cette lecture raciale / racisée. Les Israéliens sont assignés au rôle de Blancs-colonialistes, pro-démocraties et partageant les valeurs de "l'Occident" (laïcité, liberté d'expression, liberté de conscience, féminisme, lutte contre l'homophobie). Les Palestiniens seraient des victimes semblables aux personnes racisées, dominées dans "le monde blanc", occidental - d'où la solidarité des étudiants (souvent "blancs") avec les Palestiniens. Parfois, l'assimilation ( nouveau visage de l'essentialisation ? ) conduit à des délires: "parce que les Juifs sont comme "Les Blancs" colonisateurs et que les "Blancs" sont à l'origine de la traite des Noirs donc les Juifs sont esclavagistes et c'est pourquoi les "Noirs" doivent être solidaires de la lutte des Palestiniens contre Israël." Sic. Ce délire suit la même pseudo "logique" que  dans les process complotistes. Sans jamais tenir compte du contexte et de la réalité historiques. L'Histoire est perçue et conçue comme un tout unique, une base de données prises en valeur absolue - un peu comme sur mes réseaux sociaux. Comme si le temps d'hier correspondait en tout point au contemporain, comme s'il fallait analyser les évènements en fonction d'aujourd'hui sans tenir compte du contexte d'alors. Cette lecture a-historique est contraire à l'analyse marxiste. L'idéologie se transforme en idéologité (quand l'idéologie devient une religion, suit la logique de la croyance). 

Nombreuses sont les néo-féministes à afficher leur antisionisme, à l'instar de Judith Butler qui a même reconnue l'organisation islamiste et terroriste des Frères Musulmans dont s'est inspiré le Hamas comme étant une organisation démocratique, même si celle-ci défend une société patriarcale radicale !  Dans quelle mesure la critique - justifiée - de la colonisation israélienne désormais perçue comme le symbole et l'héritière de toute la colonisation occidentale - ce qui doit être discuté - voire comme la Figure du Père au risque de confondre autoritarisme et autorité, pourquoi et comment l'antisionisme devrait-il conduire à un antijudaïsme voire à l'antisémitisme ? Au nom, de quel fantasme ? Les psychanalystes Bella Grumberger et Jeanine Chasseguet-Smirgelo ont analysé ce phénomène dans L’univers contestationnaire (In Press, Paris, 2004). Il s'agirait selon elles de toujours tuer le "juif symbolique", posture qu'elles associent à "un fantasme parricide". L'antisémitisme serait-il un moyen de s'attaquer aux racines morales du judéo-christianisme dans lequel les néo-féministes voient la source du patriarcat ?Ce fantasme parricide fut au coeur de l'idéologie nazie qui s'évertua à réduire le plus possible les références au judéo-crhistannisme. Après les Juifs, la solution finale aurait-elle visé les Chrétiens ? (Lire de Paul Thibaud "Le contre-catholicisme d'Adolf Hitler" in revue Esprit, mai 2011). Tuer le Juif équivaudrait-il pour elles à tuer le Père en libérant "la mère juive", nouvelle figure d'autorité contemporaine ?  Pas si sûr, vu le peu d'empressement des néo-féministes ne serait-ce qu'à évoquer les viols des femmes juives et des enfants par les terroristes du Hamas le 7 octobre 2023 ni le sort des femmes et des enfants pris en otages (victimes collatérales ?). En revanche, les morts des civils palestiniens suite aux bombardements de Gaza par Tsahal sont mis en avant, à l'instar et à l'écho de la propagande du Hamas. Il n'existe pas de hiérarchie dans les victimes - le souci de hiérarchisation est au coeur des théoriciens du racisme au XVIIIe siècle.  


L’Université, nouveau creuset de l’antisémitisme ? 



La poussée antisémites que l’on observe partout dans le monde aujourd’hui et en particulier dans les universités américaines34, mais pas seulement, s’inscrit dans cette logique. Le 7 octobre 2023, au moment même où le Hamas armé massacre les populations civiles désarmée, Russell Rickford, professeur d’histoire "noire" de la prestigieuse université de Cornell  aux Etats-Unis, déclare, in live, combien il était « exalté » par cette attaque qui, selon lui, « remettait en cause le monopole de la violence 24». La violence des massacres justifierait-elle la « remise en cause le monopole de la violence » ? L’antiracisme de la cause noire justifie-il et excuse-il l’antisémitisme au nom de l’antisionisme, en associant antisionisme et antisémitisme ? au nom d’une « solidarité entre Noirs et Palestiniens » motivée par la lutte contre l’impérialisme et l’oppression coloniale, dont Israël est devenue selon eux la figure ultime ? Pourtant, le Ku Klux Klan étaient et reste un mouvement profondément raciste et antisémite la lutte conjointe pour la défense des Juifs et des Noirs a longtemps paru naturelle à gauche25. Cet "oubli" ressemble à une volonté de taire et de refaire l'histoire à l'aune des préoccupations contemporaines, idéologiques et non objectives. Il pourrait bien s'apparenter à une forme de révisionnisme. 


En fait, ce furent les Black and Africana Studies qui à partir des années 1980 ont commencé à assimiler la minorité juive à la majorité blanche. L’idée d’une « blanchité des Juifs » semble aujourd'hui actée sur les campus américains, voire promue par certains membres du corps professoral ou des intervenants. En 2017, des tracts distribués à l’université de Chicago aux relents antisémites ont même dénoncé carrément un « privilège juif »26. Une fois de plus, il s'agit de se définir soi-même en manifestant la haine, le dégoût, l'hostilité envers l'Autre, l'Ennemi emblématique. La confrontation sert de contradiction quand la croyance se perçoit elle-même comme un savoir. On retrouve la la tautologie complotiste, telle qu'elle se met en scène grâce au réseaux sociaux. 


En novembre 2023, la Maison Blanche a accusé X (ex Twitter) "de faire la promotion abjecte  de la haine antisémite et raciste", très rarement "modérée" au nom et en vertu de la liberté d'expression. Car, si "à l'université" certains professent et proclament "la blanchité des Juifs", "collabos décrétés, complices et agents de l'hégémonie sociale, culturelle et politique "blanche", de leur côté les nationalistes blancs propagent sur les réseaux sociaux la théorie selon laquelle "les Juifs auraient un plan secret pour favoriser l'immigration clandestine dans les pays occidentaux... afin d'y saper la majorité blanche", autrement dit les Juifs seraient responsables "du grand remplacement" (Voir l'article de Sarah Benichou "L'antisémitisme au coeur des mobilisation contre le grand remplacement" in Médiapart du 03/04/2023). Dans les deux cas, il s'agit de substituer de nouveaux rapports sociaux de race aux anciens rapports sociaux de classe, mais en les confondant, en géréralisant les données. "L'élite noire", proche des Blancs, parce qu'elle est jugée minoritaire est considérée comme non représentative de la Communauté, en revanche, les "Juifs riches" même s'ils sont très minoritaires au regard de l'ensemble de la communauté juive, sont à l'inverse perçus comme représentatifs de l'ensemble, en vertu des anciens paradigmes antijudaïques et antisémites - et au prétexte que de toute façon "ils" ont toujours tort.  Une fois de plus, la croyance prime sur les connaissances et l'analyse des données. La foi interdit toute contradiction. 


En fait l'accusation de "blanchitude" des Juifs traduit et révèle la volonté de les percevoir "comme blancs", au prétexte qu'il serait impossible de les identifier en tant que "Juifs". Les Juifs apparaissent ou plutôt disparaissent à l'instar (à l'image) de n'importe quels citoyens non racisés (ce qui signifierait aux Etats-Unis "non discriminés"). Leur intégration (sous-entendu, leur "collaboration au système")  serait perçue désormais comme une forme de soumission ou de complaisance au "pouvoir dominant blanc", quitte à "oublier", ne pas tenir compte de l'antisémitisme dont les Juifs américains sont victimes, de la part des suprémacistes mais pas seulement. 


Une fois de plus, l’antisémitisme se développe à partir du moment où les citoyens américains "juifs" sont considérés comme « assimilés »27, pareils au même. Ce qui est assez paradoxale dans une société qui défend les communautarismes (il est vrai, en "hiérarchisant" socialement les communautés, à l'instar des théoriciens racistes du XVIIIe siècle, la distinction servant aux uns de dominer les autres) et dans laquelle l'antisémitisme est une attaque directe à l'encontre d'une minorité. Le paradoxe est que si les uns reprochent aux Juifs américains d'être devenus des Américains avant d'être des Juifs, de s'être désessentialisés, voire de s'être déjudaïsés, les adversaires doctrinaux d’Israël s’entêtent à critiquer son « particularisme », son « exclusivisme »,  qu'ils associent  au  « séparatisme juif », c'est-à-dire en l'occurence à son refus de se convertir aux autres s religions monothéïstes" et ce bien qu'ils soient minoritaires - en oubliant de rappeler que les populations juives ont été discriminées et ghettoïsées contre leur gré en Occident. Leur entêtement à rester "juifs" expliquerait pourquoi Israël est perçu par ses détracteurs comme "suffisant" -  un qualificatif repris dans la critique des élites - ou encore "donneur de leçons" en l'occurence démocratiques dans une région où dominent les dictatures, régimes monarchiques et autoritaires, comme celui du Hamas. Cela illustrerait aussi l'idéologie selon laquelle Israël serait le dernier avatar des puissances colonisatrices, donc "raciste" par nature (puisque colonisateur)


Le régime démocratique israélien est discrédité via l'accusation d'ethno-démocratie, ou de démocratie ethnique. Il s'agit d'un crime existentiel au regard des institutions américaines et des Universités (plus conciliantes vis-à-vis du Shri Lanka et du nationalisme hindou qui prône l'établisse d'une ethno-démocratie si radicale qu'elle en apparaît raciste). C'est aussi une manière de nourrir l'antisémitisme, en faisant des Juifs américains de vrais-faux citoyens américains, sorte d'agents doubles parce que juifs donc pouvant prétendre à la citoyenneté israélienne. 


En réalité, la Loi de 1952 sur la citoyenneté (et non sur la nationalité) associe le droit du sang avec celui du sol. Cela tient à la création de l'Etat d'Israël à partir de la diaspora juive. Entre 1948 et 1951 près de 700 000 Juifs s’installèrent en Israël, ce qui entraîna un doublement de la population. C'est pourquoi l'octroi de la citoyenne fait la distinction entre les Juifs (nés ou non en Palestine avant 1947) et les "Non-Juifs" (les populations palestinienne musulmanes). Les premiers, en vertu de la Loi sur le retour,  bénéficient d’un droit automatique et inconditionnel  à la citoyenneté. Les seconds l'ont obtenu s'ils ont résidé de manière ininterrompues depuis le 14 mai 1948 ou s'ils sont nés sur le territoire israélien - disposition qui exclut tous les Palestiniens qui sont partis - de gré et souvent de force, après avoir déclenché la guerre - pour se réfugier hors des frontières israéliennes. Cette distinction explique pourquoi Israël est décrit comme un régime ethno-national et ce afin de donner une légitimité immédiate aux immigrés juifs venus de partout dans le monde - parce que juifs, ou plutôt parce que partageant une parenté commune (réelle ou imaginaire), une mémoire historique et des référents culturels similaires, pas forcément religieux (nombreux étaient les Juifs à se définir comme athées). La reconnaissance ethnique des Juifs explique pourquoi, par corrélation,  les "non-juifs" furent eux-mêmes racisés, comme "arabes"  ou se sont eux-mêmes "racisés", par souci de distanciation, et par souci de solidarité envers les Palestiniens réfugiés, alors qu'ils ont acquis leur nationalité par le droit du sol. Mais il est important de rappeler aussi, que si le droit de vote a été accordé dès le départ aux Arabes, leur expression politique fut quant à elle, fortement bridée sous couvert d’impératifs de sécurité (formations politiques ont été interdites, publications suspendues) au point de créer une discrimination institutionnelle certaine ( lire l'article d'Alain Dieckhoff, "Démocratie et ethnicité en Israël" in Sociologie et sociétés, 31(2), PUF 1999). En mars 2022, une loi votée par le Parlement israélien a réinstauré l’interdiction pour les Palestiniens mariés à des Arabes israéliens d’obtenir la nationalité israélienne. Cette loi vise explicitement les mariages entre les arabes israéliens et les habitant.e.s de Gaza ou de la bande de Gaza. 



Dans les années 1930 et 1940, de la Pologne à l'Allemagne, de la Roumanie à la France, l'antisémitisme a connu un regain dévastateur dans les universités. Les intellectuels et les universitaires ont alors été les vecteurs et les promoteurs de l'antisémitisme. Martin Heidegger fut une figure phare de ce mouvement. A noter qu'il ne faut pas confondre l'antisémitisme d'un Heidegger, pro-Nazi, avec celui dont on accuse Voltaire. Le philosophe des Lumières s'est attaqué à la Bible hébraïque et au judaïsme comme il s'est attaqué aux"citadelles de la superstition" chrétienne. Pour lui, le crime capital des Juifs est d'avoir "inventé Dieu" et le monothéïsme. Le véritable péché originel des Juifs n'est pas d'avoir crucifié Jésus (antijudaïsme chrétien) mais de lui avoir donné naissance. L'antijudaïsme de Voltaire se distingue de celui promu par la Chrétienté (même s'il vise la religion). Il n'est pas raciste. En revanche, même si les Lumières proclament la souveraineté de la Raison, de l'Humanité et font la promotion de la Tolérance universelle, leur lutte contre toutes les religions et la superstition a permis le maintien d'un antisémitisme "philosophique" ( Fichte et Hegel étaient antisémites, Kant aussi mais dans une moindre mesure - Nietzsche dont la philosophie fut reprise et travestie par Hitler et le Nazisme fut le moins antisémites des philosophes allemands...). D'une certaine manière, on pourrait même dire que l'antijudaïsme voltairien est le chainon manquant entre l'antijudaïsme chrétien et l'antisémitisme racialiste et raciste. 


L'université américaine fut un creuset dans la lutte pour la défense des Droits civiques et de la liberté d'expression, les combats féministes, la promotion des valeurs dites de gauche et contre la discrimination des homosexuels. L'université américaine fut un symbole et un vecteur de la notion de Progrès, un exemple. Les manifestions pro-Hamas s'inscrivent-elles dans ce mouvement ? Le Hamas est pourtant une organisation terroriste avérée - qui se revendique comme telle (il faudrait se rappeler les multiples attentats suicides contre les civils (déjà), revendiqués par le Hamas entre 1993 et 2005 pour tenter de réduire à néant les accords d'Oslo signé entre Israël et l'Autorité palestinienne). Il est anti-démocratique (dictatoriale et totalitaire) et d'ailleurs, à partit de 2007, il a pris soin d'éliminer - de neutraliser physiquement  - tous ses opposants, y compris (et  en premier lieu) ses "frères palestiniens" du Fatah,  dans la bande de Gaza.  Sa charte constitutif prône le génocide  de tous les Juifs d'Israël et la destruction de l'Etat israélien. Au regard de la réalité, de tous ces actes, comment peut-on  concevoir les "combattants" du Hamas comme des défenseurs de la liberté ?  Les voir comme des héros et des hérauts ? Se sentir " exalté" par les massacres à l'encontre de populations civiles israéliennes désarmées ? 


Nombreux sont les étudiants - et pas seulement américains - à accuser Israël de perpétrer des "massacres" voire un "génocide" à l'encontre des populations civiles palestiniennes pris au siège et au piège dans la bande de Gaza. Ils ne font que reprendre en choeur les propos du dirigeant "autoritaire" islamiste turc Recep Tayyip Erdoğan. On ne relèvera pas l'accusation de "génocide", infondée. Depuis qu'ils ont été attaqués par les Palestiniens en 1948, jamais les Israéliens n'ont cherché à détruire le peuple palestinien, de manière préméditée, intentionnelle, systématique. L'armée israélienne Tsahal n'a fait que répliquer à une attaque qui elle avait été préméditée et intentionnelle, afin de tuer de manière systématique, volontaire et délibérée tous les Israéliens parce qu'Israéliens et surtout parce que Juifs, sans leur laisser la moindre chance. A l'inverse, l'armée israélienne a demandé aux populations palestiniennes de quitter la zone Nord de Gaza et les a prévenues des bombardements. Elle n'a mené aucune action pour détruire de manière préméditée et systématique les populations palestiniennes de Cisjordanie. Il ne s'agit donc en aucun cas de génocide. En revanche, les morts civils incombant à Tashal peuvent être légitimement qualifiés de crimes de guerre. La responsabilité incombe également au Hamas, qui a refusé une guerre "traditionnelle" de bataille, armée contre armée, soldats contre soldats et qui au contraire utilise les populations civiles comme bouclier humain. 


Inverser les rôles et les attributs, accuser les Israéliens et d'une manière plus générale les Juifs de ce dont ils furent victimes pendant la Seconde Guerre Mondiale, en les comparant à des Nazis, à des génocidaires et en présentant à l'inverse les combattants du Hamas comme "des résistants", les bourreaux comme "des martyrs" est une dialectique et une propagande classique. Cet antisémtisme a pour but de délégitimer une fois de plus l'État d'Israël. Celui-ci aurait été fondé avec l'assentiment des Grandes Puissances par "mauvaise conscience", suite au génocide des Juifs par les Allemands. Accuser les Israéliens de commettre un "génocide" est une manière assez immonde de décrédibiliser cette croyance en "faisant la morale". Ce serait oublier aussi - volontairement et délibérément - que les soldats de Tsahal, (l'armée israélienne) ne combattent de gaité de coeur, mais par devoir, pour la défense, la préservation et la survie de leur nation. Ils ne combattent pas par fanatisme. Et s'ils abattent des Palestiniens, ce n'est pas par plaisir, pour tuer du Palestinien, à la différence du Hamas dont les soldats cherchent au contraire " à tuer du Juif", et qui tirent de cette vengeance une certaine jouissance comme en témoignent les vidéos tournées par les criminels eux-mêmes lors des massacres du 07 octobre 2023. 


Comment des étudiants en Histoire peuvent-ils accorder du crédit et considérer comme s'il s'agissait d'informations vraies au prétexte qu'elles leur apparaissent comme crédibles les mensonges complotistes véhiculés par le Hamas et les autres organisations terroristes diffusés sur les réseaux comme X ou Instagram ? Et ce alors qu'ils étaient les premiers à condamner les fake news d'un Donald Trump assénées comme les coup de marteau d'un juge ? Comment expliquer qu'aujourd'hui des étudiants  préfèrent faire des histoires que de l'Histoire ? Croire (par confort et satisfaction) au lieu de chercher comprendre (ce qui nécessite plus d'efforts) ? L'explosion d'un tir de roquette dans l'hôpital chrétien Ahli Arab de Gaza a d'emblée été attribuée par le Hamas à Tsahal, accusée d'avoir commis des centaines de morts.  Mais suite à une enquête des services de renseignements américains et européens, il s'est avéré qu'il s'agissait  d'un tir raté d'une roquette parmi 6500 envoyées par le Hamas contre Israël, entre le 7 et le 17 octobre 2023. Pourtant, malgré la preuve et l'analyse, la responsabilité de Tsahal continue d'être affirmée ou plutôt revendiquée sur les réseaux sociaux, qui propage désormais la thèse d'un mensonge complotiste, forcément vrai puis qu'allant à l'encontre de la version officielle... Comment penser dans un monde où "croire" est "savoir", où le croyance subjective est devenue une vérité objective, une certitude, où il est interdit de douter de la croyance et de la remettre en question ? 


Dès lors, dans quelle mesure la défense compréhensible et la nécessaire protection des uns - en l'occurence des populations civiles palestiniennes, victimes collatérales à la fois de la politique de défense légitime (et non de légitime défense) de l'armée israélienne et de la stratégie du Hamas qui les utilise et les instrumentalise comme bouclier humain  - comment le souci des uns pourrait-il justifier la haine de l'Autre, par seulement des Autres mais de l'Autre, pas la haine envers l'Autre mais de l'Autre - à l'instar d'Hitler instituant la haine du Juif comme représentation de l'Autre ? Pourquoi  l'antisionisme ou la défense des populations civiles de Gaza justifieraient-ils l'antisémitisme, à moins de considérer que chaque Juif d'Ici seraient responsable et coupable par nature, en tant qu'être, des agissements et de la situation de ce qui se passe là-bas...  Il serait bon de rappeler que si nombreux furent les Juifs israéliens à dénoncer la politique du Likoud (parti de Benyamin Netayahou) et de l'extrême droite israélienne, colonisatrice et messianique, il n'y eut aucune manifestation "pro-palestinienne" dénonçant les massacres du Hamas, que ce soit en Cisjordanie ou dans les États musulmans et arabes.  En revanche, en rejetant sur le régime israélien la responsabilité des violences, y compris celles du Hamas, des associations étudiantes ont déclenché une tempête dans plusieurs universités prestigieuses du pays.  


«Israël tue», «Israël, état criminel», «Mort à Israël, mort aux juifs». Depuis le 7 octobre 2023, des tags antisémites se démultiplient sur les murs de la Faculté de Nanterre (dans les Hauts de seine, près de Paris), le symbole des Évènements de 1968. Des croix gammées sont gravées sur les tables et les bureaux - preuve que cet antisémitisme est un nazisme et le signe ici sert à exprimer une volonté génocidaire vis-à-vis des Juifs, "du Juif"). A cela s'ajoute la multiplication des "interventions" d'étudiants pro-palestiniens venant justifier les crimes perpétrés par le Hamas. Au nom de la liberté d'expression, les professeurs et l'administration les laissent faire, sauf que les manifestants interdisent tous débats contradictoires, toutes nuances, toutes analyses objectives et circonspectes, dans une unité de formation et de recherches dont s'est pourtant la mission. La violence des propos - la violence physique -  interdit toute réplique, un peu comme sur les réseaux dits sociaux où seule importe et l'emporte celui qui parle le plus fort, la virulence ayant valeur de force de conviction. La liberté d'expression est invoquée pour interdire, condamner, menacer toute parole Autre, toute parole de l'Autre considéré comme l'Ennemi à abattre. Les massacres du 7 octobre 2023 et les réactions estudiantines à la réplique de l'armée Israélienne ont amplifié cet antisémitisme. Mais il était présent bien avant. Le 29 juin 2023, en marge de la marche blanche pour Nahel, le mémorial de la résistance et de la déportation à Nanterre a été pris pour cible et dégradé: "« On va vous faire une Shoah ! » a-t-il été inscrit à proximité. Dès avril 2022, des inscriptions antisémites déclarant « Hitler t’es le meilleur », et aux autres références aux chambres à gaz avaient été découvertes sur les murs des toilettes du bâtiment F de l'Université Paris-Nanterre. Faits concomitants mais pas anodins, parmi les huit mineurs "interpellés" après avoir chanté des paroles antisémites dans le métro parisien, certains étaient domiciliés en Seine Saint Denis et d'autres à Nanterre.  A chaque fois, une partie de l'opinion publique et  les politiques s'insurgent, condamnent, mais concrètement, au delà  des déclarations d'intentions, quelles suites ont été données ? 


Libération d'Eitan, 12 ans, raflé par le Hamas le 7 octobre 2023, et détenu 51 jours en otage.  "Il a vécu des horreurs" a rapporté Deborah Cohen, sa tante à la presse, "Arrivé à Gaza, tous les civils, tout le monde l'a tapé. On parle d'un enfant de 12 ans ! Chaque fois qu'un enfant a pleuré, ils l'ont menacé avec une arme pour qu'il se taise... " Il s'avérerait que le Hamas aurait drogué des otages avec du Rivotril pour qu'ils semblent "heureux" à leur libération ( AFP / Journal de Québec).

"C’est une perte générale du sens », constate  Yonathan Arfi, le président du CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France), dans un entretien au magazine Marianne du 03/07/2023, « Nous ne voulons pas communautariser le sujet. Ma crainte, c’est que cela s’inscrive dans le discours dominant où le juif est devenu le visage de l’Establishment et une cible perçue comme légitime. Ce qui est inquiétant c’est la manière dont les mouvements pro-palestiniens, antisionistes et antisémites se sont greffés sur le mouvement et ont joué le jeu des émeutes… » poursuit-il en références aux émeutes consécutives à la mort de Nahel Merzou à Nanterre le 27 juin 2023. Mais comment la mort de Nahel, franco-algérien de dix-sept ans, tués par un policier lors d'un contrôle routier, a-t-elle pu susciter autant d'insultes et de crimes antisémites ? Il n'existait aucun lien. En revanche, cette absence de lien montrent bien la montée de l'antisémitisme en France. Elle n'est pas que fanatique. Elle participe d'une construction idéologique visant à refaire des Juifs les boucs-émissaires de tous les maux, mais en les présentant comme les criminels - les complices - et non comme des victimes, alors qu'ils sont bien les victimes de cet antisémitisme. 


Les Universités seraient-elles aujourd’hui le véritable creuset de l’antisémitisme contemporain ? Le négationnisme, nouvelle forme de l'antisémitisme, est apparu et s'est développé dans le cadre universitaire. Dès les années 1950-1960, Paul Rassinier, ancien déporté à Buchenwald, parce qu'il est convaincu que la dénonciation des crimes nazis alimente le risque d’une nouvelle guerre, commence par récuser les récits d’anciens déportés. L'ancien militant d'extrême gauche avant 1940 se rapproche alors de l'extrême droite bien française  et reprend comme un leitmotiv l’un des grands topoï de l’antisémitisme

nazi : ce sont les Juifs qui sont responsables de la guerre. Il propage  la croyance selon laquelle les chambres à gaz ne seraient que des "rumeurs" et il somme  historiens et survivants de prouver l'holocauste. En 1964, il soutient dans Le Drame des Juifs européens que les Juifs auraient inventé la Shoah pour l'argent.Il affirme que l'Allemagne a versé à Israël des indemnités d'un montant calculé sur la base du nombre de Juifs exterminés, nombre gonflé en conséquence alors qu'en réalité, le calcul fut établi sur la base du nombre de survivants s'installant en Israël autrement dit à l'exact inverse de ce que Rassinier prétend. 


L'importance du rôle de Rassinier dans l'histoire du négationnisme tient au fait qu'il a réalisé "le pont entre l'extrême droite et l'ultra gauche", selon la formule de l'historien Pierre Vidal-Naquet ( Les assassins de la mémoire, " Un Eichmann de papier "et autres essais sur le révisionnisme. La Découverte, Paris 1987). Rassinier a marqué Robert Faurisson qui dès les fin des années 1970 commence à remettre en question puis en cause la Shoah à l'Université Lyon II réputée "à gauche" puis dans les années 1980 Henri Roques à Lyon III. Le terme "négationnisme" fut créé en 1987 par l'historien Henry Rousso pour désigner la contestation de la réalité du génocide contre les Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le négationnisme consiste à prétendre, soit qu'il n'y a pas eu d'intention d'exterminer les Juifs, soit que les moyens de réaliser cette extermination, comme les chambres à gaz ou les exécutions de masse, n'ont pas existé. Nier la réalité des faits en les mettant en doute vise à défendre le régime nazis et des régimes collaborationnistes comme celui de Pétain à Vichy et de faire croire à l'existence d'un complot forcément "judéo-maçonnique" destiné à discréditer Hitler et consorts et à faire pression sur les Vainqueurs pour qu'ils autorisent la création de l'Etat d'Israël. Les pro-nazis rejoignent dès lors l'antisionisme, justifiée par leur seule haine envers les Juifs Cet antisémitisme historique et idéologique puise sa légitimité au regard du cadre universitaire où il se développe. 


Le négationnisme est un des visages de l'antisémitisme d'autant plus dangereux qu'il sert à le justifier historiquement. Le Mémorial de la Shoa accomplit un travail considérable pour contrer et endiguer l'expansion de ses thèses promues en particulier sur les réseaux sociaux et sites complotistes, mais présentes aussi dans les collèges et les lycées. Une élève qui a participé à un voyage d'études réservés aux élèves de Terminales à Auschwitz a reconnu que ses parents lui avaient certifié que le camp de concentration et celui d'extermination n'avaient pas existé - que c'était une création postérieure pour justifier la Shoah. En voyant la réalité, elle a dit qu'elle allait témoigner de la vérité. Les thèses négationnistes servent à justifier les rumeurs, en leur donnant une légitimité universitaire avec des pseudos historiens dont le nom sent bien le bon Français. Les difficultés qu'éprouvent certains enseignants à étudier la Shoah en classe - certains préférant même taire le sujet pourtant au programme , pour ne pas "poser de problèmes", pour éviter les propos antisémites qu'ils devront sinon signaler - montrent bien la vivacité du négationisme toujours à l'oeuvre aujourd'hui. Le Mémorial de la Shoah permet de réaliser une prise de conscience, en vue d'établir des états de conscience, seuls capable de conscientiser les jeunes sur ces questions historiques. 

L'antisionisme justifie les manifestions de violences antisémites. Le 8 novembre 2023, Amanda Silberstein, étudiante à Cornell, a témoigné devant la Chambre des représentants des États-Unis, de la façon dont des professeurs et organisations étudiantes alimentaient la haine des Juifs sur le campus depuis le massacre du 7 octobre 2023. Plusieurs fois, elle fut interrompue aux cris de « Libérez la Palestine » et « Liberté d’expression sur les campus universitaires ». Mais la liberté d’expression doit elle servir de prétexte et d’excuse aux actes antisémites ? En France, en 2018,  après l’université de Grenoble-Alpes et la faculté de droit d’Assas à Paris ou encore le campus d’HEC à Jouy-en-Josas, des tags antisémites avaient été découverts à la faculté de médecine de l’université de Créteil28. En 2019, 89% des étudiants français juifs interrogés affirmaient avoir été victimes d'au moins un acte antisémite (injure, agression, blague "potache" sur la Shoah, stéréotype) au cours de leurs études, mais seulement 1% d’entre eux a porté plainte. Parallèlement, 45% des étudiants non-juifs reconnaissaient avoir assisté à au moins un acte antisémite au cours de leurs études29. Une étudiante en médecine décrit ce qu’elle subit à l’Université Paris XIII (Saint Denis): « Quand on vous surnomme le "cancer de la promotion", que vous êtes mise à l'écart, que vous craignez pour votre sécurité, vous n'avez plus d'autre choix que de quitter votre université ». Elle raconte avoir subi un véritable "harcèlement à caractère antisémite" des mois durant. Captures d'écran à l'appui, elle énumère les faits : blagues sur la Shoah, salut hitlérien, propositions de noms pour un week-end d'intégration (comme "Bob-Auschwitz 2019", ou "Bob-rafle 2019"), photomontage d'un étudiant juif brûlant dans des flammes… Face à ces actes antisémites, elle décide de porter plainte, mais le parquet de Bobigny choisit volontairement et délibérément « de classer l'affaire sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée ». A quand le "zéro tolérance" contre l'antisémitisme promis ? 



Tombes vandalisées dans le cimetière juif de Westhoffen le 4 décembre 2019.

Dans la nuit du 9 au 10 juin 2019, le domicile de la mère de la première victime du tueur islamiste Mohamed Merah, à Toulouse, a été l'objet de tags menaçants et antisémites.


En France, les vagues antisémites se nourrissent toujours du « pas de vague ».  De là à permettre et favoriser une certaine banalisation de l'antisémitisme ?  Celle-ci est avérée au regard du dénombrement des actes, agressions et insultes à caractère antisémites, en augmentation constante depuis 2000, suite à la deuxième Intifada palestinienne et dans un contexte de montée en force de l'Islam radical (le nombre d’actes antisémites recensés a augmenté de 74 % entre 2017 et 2018, et de 27 % entre 2018 et 2019). C'est à ce moment là que l'association entre antisionisme et antisémitisme semble en effet se développer, sur le plan idéologique et en particulier à l'Université, de manière plus ou moins larvée.  A cela il faut ajouter tous les "non-dits" publics et l'omerta officielle qui règne dans les établissements scolaires (si les actes antisémites signalés sont répertoriés par le ministère de l’Intérieur, il n’existe aucun comptage spécifique à l’école et l’Observatoire international de la violence à l’école ne prend en considération que les violences verbales, qualifiées de racistes  - et non spécifiquement d'antisémites - et non les bagarres, harcèlements, insultes homophobes mais de nature antisémites, humiliations comme le déshabillage forcé dans les vestiaires...). Dès 2002, l'ouvrage collectif Les Territoires perdus de la République - antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, publié aux Editions Mille et Une Nuitsrassemblant des témoignages d'enseignants et de directeurs d'établissements scolaires avaient été confirmé par le rapport Orbin de 2004 et plus dramatiquement par l'assasinat de Samuel Paty en 2020.  La mise en place depuis 2015 d'un réseau de 140 référents "racisme et antisémitisme" dans les établissements de l'enseignement supérieur et de la recherche n'a eu que peu d'effets (pour ne pas dire "pas d'effets) - il s'agit surtout de com'. Le 28 septembre 2023, un article du Parisien révélait  le harcèlement antisémite subi par un étudiant juif de Science-Po Strasbourg, il y a cinq ans, après une soirée d'intégration (sic) ponctuée de chant nazis.  


Les universités américaines, Harvard et Stanford en tête, ont laissé leurs étudiants soutenir ouvertement le Hamas, même si ceux-ci reprenaient à leur compte les termes de la Charte de 1988. Israël est qualifié d’État « colon », « meurtrier », de « régime d’apartheid » voire de « génocidaire ». Alors qu’Israël répertoriait les victimes civiles désarmées massacrées par le Hamas, le lendemain, 8 octobre 2023, à Harvard, une trentaine d’organisations étudiantes ont publié le un communiqué désignant « le régime israélien pour entièrement responsable de la violence ». Elles ne font en réalité que reprendre la propagande du Hamas. Ce sont ces mêmes justifications que les terroristes des attentats du 13 novembre 2015 à Paris avaient avancé lorsqu'ils commettaient leurs massacres. En fait, la question n'est pas ici celle de la remise en cause ou non de la liberté d'expression, excuse avancée par les administrations universitaires pour justifier les discours de haine. Il faut plutôt se demander comment, dans un cadre universitaire réputé "scientifique", ou tout du moins devant vérifier et confronter les informations, le diktat des réseaux sociaux règne désormais en maître, comment la liberté d'expression - la liberté de parole si chère à un Elon Musk sans laquelle il ne pourrait vendre de la publicité ni les données personnelles des utilisateur du réseau X (ex twitter) - sert à propager des mensonges et des insultes, validée par le droit de celui (ou de ceux) à parler le plus fort, c'est-à-dire en interdisant toute parole Autre (alternative, pas forcément opposée ni contraire) tout débat, toute problématisation, toute contextualisation, toute analyse, toute démonstration ? 


L'audition de Claudine Gay, Présidente de l'université américaine de Harvard, s'est tenue le mercredi 7 décembre devant une commission du Congrès des États-Unis chargée d'enquêter sur les manifestations, actes, injures et agressions antisémites qui se sont déroulés sur son campus depuis le 7 octobre 2023. Certains slogans des manifestants pro-palestiniens exhortaient  à "un génocide contre les Juifs  en Israël et dans le monde". Mais au lieu de condamner les menaces de ses étudiants, Claudine Gay a défendu son "engagement en faveur de la liberté d'expression, même d'opinions répréhensibles, insultantes et haineuses." Ce n'est que "lorsque le discours se transforme en comportement qui viole nos politiques que nous prenons des mesures" a-t-elle ajouté. Autrement dit,  Claudine Gay considère que les lois particulières de Harvard priment sur la Loi et la Justice américaine (dont elle n'a visiblement cure) et elle défend une posture identique à celle d'un Ellon Musk refusant de superviser, d'auto-réguler  et de modérer les propos échangés sur la plateforme et réseau dit social X, même s'ils sont nocifs, agressifs, mensongers, font l'éloge du terrorisme, appellent au meurtre ou au génocide, quitte à se mettre hors la loi (posture de la résistance et renversement victimaire), ce au nom d'une liberté d'expression absolutiste au prétexte de se dire absolue et pour faire la promotion de l'idéologie libertarienne. Claudine Gay applique à Harvard la même doctrine (dogmatisme) que sur les réseaux sociaux et transforme le campus en plateforme. Laisser prospérer la haine et le mensonge, sans contrainte, au nom de la loi du plus fort (de celui qui fait le plus pression, par le nombre, la violence des propos - grande gueule - l'intimidation, comme dans les mafias) est un choix politique. ( Cf, "La présidente de Harvard vivement critiquée après une audition au Confrès sur l'antisémitisme", AFP / Journal de Québec du 7 décembre 2023)


En réalité, ce soutien à « la bande de Gaza » et à son régime politique terroriste a surtout eu pour conséquence de justifier une nouvelle poussée d’antisémitisme aux Etats-unis. A l’université de Stanford, en Californie, un enseignant de premier cycle a demandé aux étudiants « juifs » de lever la main, puis de de prendre leurs affaires et de se tenir dans un coin afin qu’ils puissent « éprouver ce que les Palestiniens ressentent depuis des décennies ». Avant d’asséner que "le Hamas représente le peuple palestinien et ses actes de terrorisme sont 100 % légitimes". En 2021, le Docteur Ron Albucher, psychiatre à Stanford et sa collègue Sheila Levin, spécialiste des troubles du comportement alimentaire avaient déposé une plainte auprès des organismes fédéraux et étatiques de défense des droits civils pour ce qu'ils jugeaient être du « harcèlement antijuif grave et persistant ». « Malheureusement », écrivaient les plaignants dans une lettre ouverte publiée l'été dernier par le Stanford Daily30, « nous avons découvert que le programme censé contribuer à la création d'un environnement inclusif pour tous les membres de la communauté de Stanford perpétuait, en réalité, les mêmes abjectes discriminations qu'il cherchait à éliminer » Les organisateurs du séminaire avaient « dénigré et marginalisé les Juifs en les présentant comme de puissants et privilégiés agresseurs contribuant au racisme systémique ». De leur côté les modérateurs auraient « intentionnellement ignoré des incidents antisémites » survenus sur le campus31. 




Le mercredi 29 octobre s'est tenue une manifestation des étudiants de Sciences Po (?) la plupart masqués pour dénoncés les morts d'enfants palestiniens suite aux bombardements perpétrés par l'armée israélienne sur la bande de Gaza suite à l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023. Cette dénonciation des morts civils, hier irakiens et syriens et aujourd'hui palestiniens - et plus spécifiquement celles des enfants, victimes innocentes dont plus médiatiques (une stratégie de communication qui fait écho à celle du Hamas, qui "libère" des enfants dont il ne faudrait pas oublier qu'ils ont été raflés comme otages lors de l'attaque terroriste du 7 octobre 2023) - avait servi de justification aux terroristes des attentats du 13 novembre 2015, au Bataclan et sur les "terrasses". Il s'agissait d'une thématique récurrente de Daesh décrite comme morale pour légitimer les exécutions d'otages, les crimes de guerres et les actes terroristes commis contre d'autres civils, y compris des jeunes et des enfants. On devrait aussi se rappeler que les terroristes des attentats de 2015 visaient également le mode de vie et les valeurs occidentales « républicaines » (la démocratie, la liberté d'expression, le droit au blasphème, la liberté de penser, l’esprit de curiosité et de tolérance, la liberté) - cf l'article du Monde du 13 novembre 2021, au moment du procès.  Tel est aussi le sens emblématique de l’attaque et du massacre perpétré contre les participants de la Rave Party du 7 octobre 2023. L’attaque de la rave en Israël  fait écho à l’attaque des terrasses et du Bataclan à Paris. Face à cette quarantaine de manifestants pro-palestiniens, une quinzaine de membres de l'UEJF ( Union des Etudiants Juifs de France) ont quant à eux rappelé et dénoncé les prises d'otages d'enfants et de femmes par le Hamas. En quoi ce type de confrontation est-il salutaire pour construire la paix ?  En quoi la force de conviction (la conviction qui utilise la force) doit elle supplanter la capacité d'analyse ? Croire ( être sûr, persuadé de ses croyances) est-il savoir ? S'agit-il d'ailleurs d'idéologie ou d’idéologité (quand l'idéologie devient une forme de religiosité, quand l'idée devient croyance) ? De fanatisme ? Car cette confrontation n'a en aucun cas été un débat, juste une opposition binaire, avec un ton très vindicatif, entre revanche et vengeance de la part des manifestants pro-palestiniens - comme si hausser le ton suffisait à justifier leurs positions. En fait, les manifestants surtout chez les jeunes adoptent de plus en plus une attitude qui rappelle celle des haters sur les réseaux sociaux, et des attaques en lignes. Ce n'est pas l'apanage des manifestants devant Sciences Po Paris. Rappelons que le 12 avril 2021, bien avant les bombardements palestiniens sur Gaza, des tags antisémites avaient couvert le fronton de Sciences Po Paris: ".  Source CLPRESS / Youtube. (à noter que l'administrateur du compte youtube de cette agence de presse semble mettre en avant uniquement les commentaires pro-palestiniens, y compris lorsque d’aucuns utilisent l'argument de l'antiracisme pour justifier leur antisémitisme.  Mauvaise foi, malhonnêteté intellectuelle? En revanche, tous les commentaires dès qu’ils ne chantent pas les louanges du Hamas et des Palestiniens semblent être systématiquement éliminés). 

Toutes les variantes de l'antisémitisme, France 2023.


Un "nouvel antisémitisme" en réalité pas si nouveau: 

plusieurs visages, mêmes traits (variabilité des invariants). 


Ce déferlement de haine antisémite américaine s’inscrit là encore dans un mouvement plus ancien, porté en leurs temps par des « intellectuels » tels que Drumont, dont il n’est qu’un plagiat, une resucée, une redite modernisée à l’air du temps, en vertu de la lutte antisioniste. Mais attaquer, dénigrer, humilier, frapper un étudiant américain au prétexte qu’il est juif donc forcément suspect de collusion avec la politique israélienne n’est-ce pas juste de l’antisémitisme ? 


On est bel et bien en train d’observer un glissement idéologique, pas bêtise. Lutter contre l'antisémitisme ne signifie pas ipso facto applaudir la politique d'encerclement et de colonisation promue par le Likoud et l'extrême droite israélienne ou encore par les fanatiques religieux qu'ils soient orthodoxes ou non (il existe un messianisme chez certains colons pas forcément "religieux" comme les Haredim). Nombreux sont les Israéliens à la dénoncer. Au contraire, lutter contre l'antisémitisme, c'est encourager une solution politique pacifique et durable avec la création de deux Etats israélien et palestinien. En revanche, l'antisionisme est un antisémitisme s'il cautionne la destruction d'Israël et donc, le Hamas l'a démontré le 07 octobre 2023, de tous les Juifs Israéliens, parce que juifs, à la différence des arabes israéliens "libérés" par le Hamas à en croire sa propagande. Ce qui se passe aux Etats-Unis montrent bien l’association entre antisémitisme et antisionisme, comme si être antisioniste imposait de devenir antisémite de nos jours. Et tel avait bien toujours été l’objectif du Mufti de Jérusalem lorsqu’il s’était rendu auprès d’Hitler en 1943. 


Le sionisme prônait la création d’un état juif pour les Juifs mais pas son expansion territoriale. En fait ce sont les attaques antisionistes (voire antisémites) des Palestiniens et des Pays arabes, puis leurs défaites, qui ont entraîné l’expansion du territoire israélien, en 1949 après la première guerre Israélo-arabe, en 1967 après la guerre des Six Jours, en 1973 après la guerre du Kippour. Israël va-t-elle pour autant annexer la bande de Gaza ? Sans doute pas, mais les destructions de la ville de Gaza sont telles que ce territoire risque d'être perdu.  Le Hamas aurait-il perpétré les massacres du 7 octobre 2023 afin de forcer Israël à intervenir, sachant que le rapport de force était défavorable ? Aurait-il cherché à provoquer son propre chaos, son propre martyre en vertu d’une idéologie eschatologique ? Pour le Hamas, l’imminence de la fin des temps et du Jugement dernier est l’un des thèmes coraniques les plus anciens et les plus constants. Cette dimension mystique, propre au Hamas en la circonstance, devrait être prise en compte. Elle expliquerait pourquoi l'Iran et les autres États arabes ne sont pas intervenus militairement dès la contre-attaque israélienne. A moins que le but du Hamas soit plus politicien, en apparaissant comme combattants et martyres, afin de rassembler la population palestinienne sous son drapeau et de renverser l'Autorité Palestinienne en Cisjordanie, et d'y instaurer son régime de terreur ? 


L’attaque de la coalition des pays arabes contre Israël a débuté le 15 mai 1948, c’est-à-dire quelques minutes après la fin du mandat britannique qui instaure de fait et proclame la création officielle de l’État d’Israël suite au vote du 30 novembre 1947 par l’ONU instaurant le partage de la Palestine. Les forces arabes déclenchent la guerre et la déclarent à Israël, mais ne parviennent pas à contrer la défense israélienne. A partir de juillet 1948, ce sont les Israéliens qui passent à l’offensive. Ils prennent très vite le contrôle de la Galilée, le sud de la Samarie, la Judée et le Néguev. Parallèlement, suite à la mise en place de politique ouvertement antisémites comme en Irak, leur vie étant menacée, plus de 600 000 Juifs habitant les pays arabes sont forcés à émigrer. En 1949, Israël signe des accords de cessez-le-feu avec l’Égypte, le Liban, la Transjordanie, et la Syrie (mais pas avec l’Irak).   Suite à la défaite de la coalition arabe, surnommée Al Naqba (la catastrophe), Israël fixe elle-même les frontières ( La ligne verte) que l’ONU n’était pas parvenue à décider  (et qui restèrent inchangée jusqu’en 1967); 720 000 arabes palestiniens s’exodent (cette perte démographique est compensée en Israël par l’arrivée des Juifs chassés par les Pays arabes). 


En France, l'antisionisme a été porté par une partie de l’extrême gauche, avec des figures comme Pierre Guillaume et les éditions de la vieille taupe (maison d’édition accueillante aux débris nostalgiques du Troisième Reich) ou Roger Garaudy qui a attaqué les juifs à la fois comme colonialistes et comme capitalistes. En 1967, Raymond Aron avait accusé le général de Gaulle alors président de la République française d’avoir ouvert la porte à un nouvel antisémitisme après ses propos malveillants sur « les Juifs, peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur ». Dans les années 1970, le nouvel antisémitisme se déploie aussi bien à l’extrême gauche qu’à l’extrême droite, en Europe comme aux Etats-Unis, mais il reste encore marginal. A partir des années 1980, le négationniste devient l’instrument d’un antisémitisme qui ne dit pas son nom. Depuis que  l’antisémitisme est un crime, nombreux sont à faire de l’antisémitisme en prenant soin de ne pas prononcer le mot, en lui substituant d’autre nom comme « antisionisme » ou en associant des concepts antisémites. Ainsi, selon Sylvain Attal32, «l'antisionisme total au sein de la gauche altermondialiste ressemble de plus en plus à celui des négationnistes de la Shoah, qui considèrent cette dernière comme un « mythe fondateur » d’Israël .» et d’ajouter que l’antisionisme n’est qu’un alibi pour justifier la mondialisation de l’antisémitisme. Dans un contexte de concurrence mémorielle, le but est de relativiser la Shoah afin de contester la légitimité de la création de l’Etat israélien. L’abject nourrit tous les discours complotistes. En Iran, Le président Ahmadinejad a joué un rôle majeur dans cette stratégie. Il a organisé des colloques négationnistes et fêté les trente ans de la République avec un discours sur ce thème, en 2009. 


Les antisionistes réinventent le sionisme, le fantasme, de la même manière et selon le même processus que la droite catholique, conservatrice et anti républicaine et complotiste avait fantasmé le judéo-maçonnisme. A nouveau, et comme à chaque fois, il s’agit de considérer sa croyance comme étant la vérité. Le ressenti à valeur de diktat. Convaincre équivaut à convertir. On retrouve la même réthorique que chez les complotistes, associant un « Je sais » même s’ils n’y connaissent rien du tout (et plus encore ils refusent et condamne l’analyse objective au prétexte qu’elle ne correspond pas à leur vérité subjective mais donner à croire comme objective) à un « on ne nous dit pas tout ». 


Lors de la Conférence mondiale contre le racisme qui s’est tenue à Durban, en 2001, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU), des activistes ont expliqué que, depuis la disparition de l’apartheid, « la dernière doctrine raciste dont l’humanité doit se débarrasser est le sionisme ». L’occupation israélienne est alors comparée avec celle des nazis en Europe. Dans un entretien au Journal du Dimanche, du 8 février 2004, Dieudonné accuse les Juifs d’être des « négriers » et Israël d’avoir « financé l’apartheid et ses projets de solution finale ». Le pacifisme est instrumentalisée pour justifier l’antisémitisme le plus radical ». Même si ce sont les Palestiniens et les États arabes qui ont attaqué Israël depuis 1948, parce qu’ils ont perdu, ceux-ci sont considérés comme les victimes des « Grands vainqueurs ». Le fait même que les Israéliens gagnent les guerres les rendent suspects d’une certaine opinion publique complotitiste. Pourtant, ils n’ont fait que se défendre ! Et quel aurait été leur sort s’ils avaient perdu ? L’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 permet de s’en faire une idée. 


Cette déconstruction non objective et négationniste a servi à développer un nouveau discours antisémite dans la mesure où il relativisait les crimes qu’ils pouvaient induire. Le terrorisme intellectuel qui sévit à l’encontre des enseignants de l’éducation nationale en est une forme d’expression. L’assassinat de Samuel Paty une conséquence et sa manifestation criminelle.  


S’agit-il pour autant d’un nouvel antisémitisme ? 


La violence de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 contre des populations civiles israéliennes avaient pour but de réactualiser leur haine des Juifs et leur volonté de les tuer. Leur nouvel antisémitisme reprend et prolonge en réalité celui d’Hitler, au niveau idéologique mais aussi par les crimes qu’il commet33. La faiblesse des réactions - entre condamnation par principe et bienveillance de complaisance - ne peut que favoriser la poussée des actes antisémites. La violence des agressions est à l'écho de la violence des propos. En témoignent ceux du rappeur Freeze Corleone (pseudo en soi révélateur), de son vrai nom Issa Lorenzo Diakhaté (28 ans, né aux Lilas, en Seine-Saint-Denis, d'origine sénégalaise). Dans son album La Menace Fantômesorti en 2020, celui que certains médias appelaient la "figure montante du rap français" scandait: "Killu à vie, fuck un Rothschild, fuck un Rockefeller. Moi j’arrive déterminé comme Adolf dans les années 30." ou encore: "Sur la route du papier, monte un empire comme le jeune Adolf. Déterminé avec de grandes ambitions, négro, comme le jeune Adolf » ; « J’suis à Dakar, t’es dans ton centre à Sion. S/O les Indiens d’Amérique, S/O l’esclavage, RAF [rien à foutre] des...» ; « Chen Zen, j’ai les techniques de propagande de Goebbels »; « Tous les jours RAF de la Shoah ». « Killu à vie, Seigneur de guerre comme le mollah Omar » (le chef des talibans tué en 2013). Complotisme, antisémitisme, poncifs anciens (antijudaïques) et antisionisme, révisionisme et négationisme, racisme (les "Noirs" sont qualifiés de nouveaux Hitler) Freeze Corleone collectionne tous les antisémitismes et incite à la haine de toutes les haines. Ce pourquoi (ce pour quoi) le préfet Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) a saisi en septembre 2020 le parquet au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, qui fait obligation à toute autorité constituée de dénoncer un crime ou un délit, en l’occurrence des incitations à la haine raciale (Cf. Frank Johannès, "Une enquête ouverte après des clips jugés « antisémites » du rappeur Freeze Corleone" in Le Monde, 17/09/2020). 


En 2020, les poursuites concernant ses textes antisémites de Freeze Corleone  ont été abandonnées par le Parquet de Paris, en septembre 2021 car "prescrits".  Au verdict, pas médiatisé, sentiment d'injustice. De laisser aller, laisser faire. Dans Shavkat, sortie en 2023, la "figure du rap français déclame: " J'préfère être accusé d'antisémitisme que de viol ".  Le 07 octobre 2023, le Hamas a commis aussi un très grands nombres de viols cf l'article du Point.

L’enquête pour «provocation à la haine raciale» et «injure à caractère raciste» ouverte en septembre 2020 contre le rappeur français Freeze Corleone a été classée en septembre 2021 par le Parquet de Paris "du fait de l’acquisition de la prescription de l’action publique à l’égard des propos susceptibles de revêtir une qualification pénale» et ce parce que les chansons réunies dans le premier album de Freeze Corleone avaient déjà été diffusées dans les années qui ont précédé sa sortie. (Cf. Amit Juillard, "L'enquête contre le rappeur français Freeze Corleone est classée", in Blick du 01/04/2022).  "Enfin libre. Merci à tous pour le soutien, Dieu vaincra», avait réagi le rappeur sur son compte Twitter (X désormais). Son album fut certifié double disque de platine en mars 2022. En 2023, le rappeur récidive dans un nouveau single Shavkat, dans lequel il déclare "J'préfère être accusé d'antisémitisme que de viol comme Gérald Darmanin". 


S’il est impératif de condamner pénalement et avec une intransigeance de fer les actes antisémites justifiés par un antisionisme, associer antisionisme et antisémitisme - en faire un crime commun - est une erreur politique et idéologique grave, qui traduit une méconnaissance historique et diplomatique. Ce serait cristalliser l’idée que les Juifs formeraient un peuple-race (théorie que défendent les ultras religieux et orthodoxes hébreux), ce qui est en soi raciste, antisémite et réducteur. Ce serait aussi considérer donc que la politique israélienne pourrait justifier aux yeux de l’opinion publique occidentale non juive des crimes antisémites perpétrés sur leur territoire au prétexte que les Français ou les Américains de confession juive serait des complices. Mais les Français de confession juive sont d’abord des français et pas des Israéliens. Comme le rappelle l’historien israélien Shlomo Sand, nombreux ont été les Juifs confrontés à l’antisémitisme à avoir refusé le sionisme conquérant. Ce fut le cas de Marek Edelman, l’un des dirigeants du ghetto de Varsovie, des communistes de l’Affiche rouge, de Madeleine Rebérioux, qui présida la Ligue des Droits de l’Homme, de Pierre-Vidal Naquet, Naomi Klein, Judith Butler, Noam Chomsky… Faudra-il les condamner ? 


L’antisémitisme actuel apparaît comme la somme de tous les antisémitismes, chacun se nourrissant de ses variantes. Il n’est que redite, paraphrase, prolongement, copier-coller, plagiat, à l’image de notre temps. Le fait que les propos antisémites soient si peu effacés par les algorithmes des réseaux sociaux est révélateur. Dans le manga japonais One Piece d’Eiichiro Oda, le plus vendu au monde, les « dragons célestes » ou « nobles mondiaux »  « descendants des rois fondateurs du "gouvernement mondial », sont présentés comme des créatures aussi riches que radines, avides de tous les pouvoirs. Depuis 2020 ur les réseaux sociaux, l’expression « dragons célestes » est instrumentalisée et sert désormais d’alias pour désigner les juifs, tenir des propos antisémites sans tomber sous les coup de la loi et nourrir les discours complotistes. Depuis le 7 octobre 2023, on observe un net accroissement de l’expression « dragon céleste »  sur X ( ex Twitter). Lors de la pandémie de Covid, d’autres expressions comme « le qui » avaient circulé sur les « réseaux sociaux » pour tenir des discours antisémites de manière dissimulée.  


Il n'y a pas de nouvel antisémitisme, comme  s'il existait un avant et un après, un anti-judaïsme et un nouvel antisémitisme. L'un n'est que le prolongement, l'ombre portée de l'autre, le remix, réarrangé et ré-instrumentalisé à l'air du temps. Il n'y a pas un ni des antisémitismes. De droite et de gauche,  à l'extrême droite et à l'extrême gauche. Il n'y a que de l'antisémitisme. C'est toujours la même rengaine et la même dégaine, la même volonté de présenter les victimes comme des bourreaux, hier assassin d'un Christ lui-même juif et aujourd'hui des Palestiniens qui s'identifient eux-mêmes comme sémites. Moins les Juifs sont visibles (plus ils sont intégrés, assimilés, semblables à tous et à tout le monde) et plus on les accuse de mener des complots mondialisés. Plus ils sont visibles - visibilisés - plus on les persécute au prétexte d'être différent. En fait, l'antisémitisme veut faire des Juifs les responsables et les coupables de leur propre état d'être - pointé du doigts par les autres (qui se perçoivent et se conçoivent à l'Identité du Même). Difficile dès lors d'annihiler un l'antisémitisme. On ne peut que le réduire, le circonscrire. 


Les marches contre le racisme et l'antisémitisme permettent de montrer qu'il s'agit d'un combat fondamental dans les sociétés et pour les sociétés démocratiques. Elles n'ont cessé de se démultiplier depuis ces dernières années, preuve qu'elles ne suffisent pas à régler la question de l'antisémitisme. Celle du 12 novembre 2012 marque un tournant. Le jeunes y étaient très peu nombreux, comparativement aux précédentes et les pancartes associant antisémitisme et islamophobie singulièrement absentes. C'est pourquoi, au delà des manifestations symboliques, pleines de bonnes intentions, il est impératif d'agir concrètement, dans les faits et sur les réseaux dits sociaux, désormais principaux vecteurs et moteurs (praxis) de l'antisémitisme, et ce de manière pénale et concrète. L'antisémitisme se propage et s'intensifie lorsqu'on le laisse prospérer : les actes et insultes antisémites sont en croissance continue. Le sentiment d'impunité facilite sa banalisation. C'est pourquoi, il importe d'inverser et de réduire durablement cette tendance, afin que des enfants juifs ne soient plus contraints de devoir quitter des établissements scolaires parce que stigmatisés, le mépris antisémites étant aussi violent que les agressions et les insultes.


De droite ou de gauche, d'extrême droite et d'extrême gauche, parce qu'il interdit à certains de faire corps et sens dans la communauté de tous, parce qu'il refuse l'intégration de certains afin de les forcer à se considérer eux-mêmes comme autres, parce qu'il confond croyance et savoir, l'antisémitisme est surtout et fondamentalement antirépublicain. Agir intellectuellement contre l’antisémitisme, c’est aller bien au-delà du combat contre les antisémites. Depuis 2010, les agressions racistes envers les Asiatiques n'ont cessé de se développer en France et surtout à Paris. Le , Chaolin Zhang, un couturier d'origine chinoise, de 49 ans meurt des suites d'une agression à Aubervilliers. Les poncifs racistes anti-asiatiques reprennent ceux des antisémites sur l'argent et l'intégration. Le 28 novembre 2023, le rapport annuel de l'Observatoire des inégalités a conclu que si une majorité de Français se déclaraient "plus tolérants", en revanche le nombre des violences à caractère sexiste, raciste (donc y compris les violences antisémites, très majoritaires dans cette catégorie) et homophobe n'avaient cessé de progresser. D'un côté les mots - les belles paroles, les bonnes intentions - et de l'autre la réalité des faits. Ainsi, selon le ministère de l'Intérieur, 2400 crimes et délits anti LGBT ont été officiellement été enregistrés en France en 2022 - un chiffre qui a  plus que doublé par rapport à cinq ans. A noter aussi que si le nombre de ces actes sont en hausse, leur intensité aussi est en nette augmentation. Ces violences homophobes sont commises également par ceux qui se disent victimes de racisme et de discriminations. 


Lors de l'attaque terroriste perpétrée par le Hamas, le 07 octobre 2023, l'antisémitisme fut également un anti-féminisme. Les preuves de viols commis par des Palestiniens sur des femmes israéliennes parce que femmes et juives ne cessent de s'accumuler. Ceux que d'aucuns célèbrent et honorent comme des "martyres" auraient-ils été en réalité des violeurs ? Organisations internationales et féministes restent étrangement muettes. Sarah Weiss,  ancienne diplomate chargée depuis le 7 octobre de rédiger les documents officiels sur ces crimes pour le compte de Gilad Erdan, ambassadeur d'Israël auprès des Nation Unis (UN) a "regretté" le silence de  Sima Bahous, la directrice d'ONU Femmes,  de l'UNICEF et du Cedaw (le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes) alors qu'ils avaient publié des déclarations sur les violences sexuelles quand Daech contrôlait une partie de la Syrie et pour dénoncer les viols de guerre en Ukraine. Les viols commis par les terroristes du Hamas ne seraient-ils pas des crimes de guerre ? Pourquoi les instances ne reconnaissent-elles pas comme victimes spécifiques  les "femmes" "juives" Parce que femmes ? Parce que juives ? 


Antisémitisme, antiféminisme. En novembre 2023, afin de révéler les viols et massacres de femmes israéliennes du 7 octobre 2023,  passés sous silence par les Instances internationales et les associations néo-féministes, un collectif de femmes a créé sur son compte Instagram,  un hashtag #MeTooUnlessYouAreAJew (#MeToo sauf si vous êtes juive), et lancé une campagne avec des photos de femmes israéliennes accompagnées de ces mots : « UN Women, UNacceptable, UNforgivable, UNjustified » (« ONU Femmes, inacceptable, impardonnable, injustifié »). Cf Le Point. Lire aussi de Marie-Violette Bernard "Attentats du Hamas: en Israël, la lente et insoutenable enquête sur les violences sexuelles commises le 7 octobre " publié le 29/11 par France Info, ou encore de Noah Sdiri "le témoignage glaçant d'une survivante de l'attaque du 7 octobre, violée et mutilée par les terroristes du Hamas" (l'un des premiers à rendre compte des viols du Hamas), ainsi que  " Crimes sexuels du 7 octobre: une enquête qui s'annonce longue pour la police israélienne'"(AFP/ TV5) article où on peut lire: "Dans l'audition filmée par la police isaélienne d'une survivante, celle-ci raconte avoir vu une femme se faire violer par plusieurs hommes : "Ils la tenaient par les cheveux. Un homme lui a tiré dans la tête alors qu'il la violait". Mais voilà: ""La grande majorité des victimes des viols et autres agressions sexuelles du 7 octobre, dont des mutilations génitales, ont été assassinées et ne pourront jamais témoigner", constate Cochav Elkayam Levy, présidente de la commission parlementaire sur les crimes commis contre les femmes le 7 octobre. Ce n'est que le 5 décembre 2023 que le Président américain Joe Biden a appelé "à condamner sans ambiguïté" les crimes sexuels du Hamas ( Cf. Le journal de Québec).


"Les autorités israéliennes, en présence de journalistes du monde entier ont décrit et montré les atteintes à cette féminité avec des viols en série (jusqu’à 30 fois pour certaines), une femme a été retrouvée écartelée, une autre a été tellement abusée que son pelvis était fracturé, une femme enceinte a été éventrée et son bébé encore relié tué alors qu’elle était vivante, des petites filles ont été violées et vidées de leur sang après mutilation de membres, des femmes ont été abattues en plein viol, leurs bourreaux ont ensuite découpé leur sein pour jouer avec. Et tout cela filmé en direct et posté sur Internet, parfois même en appelant les familles pour qu’elles assistent aux viols et assassinat de leurs enfants."  (Cf. Sarah Barukh, "#Metoo... sauf pour les juives" : le cri d'alarme d'une militante féministe" in L'Express du 22/11.2023.) S'agit-il d'une folie de sang ? Non. Le terroristes faits prisonniers ont avoué avoir reçu des ordres pour torturer femmes et enfants, et les violer vivants puis morts. Ils ont même été formés à cela. L’objectif était "d’atteindre la maternité de la nation, souiller, traumatiser pour empêcher toute fécondité personnelle et symbolique".  Il s'agit d'actes prémédités, volontaires et délibérés. Alors, pourquoi ce silence ? et en particulier au sein du milieu néo-féministe ? Le 31 octobre, sur son compte Instagram, La Fondation des femmes poste un portrait en hommage à Mona Chollet, une écrivaine de référence qui vient juste de publier plusieurs tribunes ouvertement antisionistes... La Fondation maintient ce post même après le tweet de l’écrivaine appelant à ne pas se rendre à la manifestation contre l’antisémitisme... La défense légitime des femmes et des enfants palestiniens implique-t-elle et impose-t-elle de taire les viols du Hamas sur les femmes et les enfants israéliens ? au nom de l'antisionisme ? en vertu du deux poids, deux mesures ? A ce jour, aucun viol perpétré par un ou des soldats israéliens sur une femme ou des enfants palestiniens n'a été enregistré. Tous les terroristes ayant participé directement ou logistiquement à l'attaque, aux massacres, aux rafles et aux viols, responsables et coupables, complices par actions et par omission, acteurs et voyeurs, exécutants/exécuteurs et donneurs d'ordres, soldats et civils, devraient chacun et tous être jugés devant un tribunal pour crimes et atrocités. 



Comme le souligne l'historien Vincent Duclert dans la revue Esprit, la libération de la parole antisémite "est un symptôme du risque de basculement des sociétés dans une culture de la violence, de l’assignation, de la dénonciation. Avec l’antisémitisme, se diffusent d’autres haines, l’homophobie, l’anti­féminisme, le suprémacisme, le racisme, l’islamisme… L’anti­sémitisme est un marqueur de la destruction des sociétés, et l’histoire nous l’enseigne." A travers l'histoire du mot, c'est l'histoire qui fait écho. 


© Sylvain Desmille.



NOTES



1 Le 25 novembre 2023, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a révélé le nombre d'actes antireligieux commis en France depuis le début de l'année 2023. Il s'agit de remontées de terrain issus des renseignements territoriaux. Ils doivent être consolidées. A titre d'exemples, les faits recensés en 2022 furent au final quatre fois plus élevés que les chiffres donnés  en novembre. Ils constituent cependant une orientation, une tendance statistique.  Anisi, en novembre 2023, le ministère de l'Intérieur aurait ainsi eu connaissance de "1 762 faits antisémites", "564 faits antichrétiens" et "131 faits antimusulmans". Le nombre de faits anti-chrétiens est cependant à nettement relativiser car il intègre les vols dans les églises, c'est-à-dire perpétrés dans un cadre religieux mais pas pour des motifs anti-chrétiens. Le nombre des actes antisémites a explosé depuis le 7 octobre 2023. Il est au total trois fois supérieurs à celui des faits enregistrés sur l'année 2022. A l'inverse, le nombre des faits anti-musulmans est en nette baisse (de plus de 30%) par rapport à l'ensemble de l'année 2022.  Au delà du simple recensement des faits énoncés comme une fatalité, il serait intéressant que le ministre précise le nombre de faits antireligieux qui ont donné lieu à des suites judiciaires effectives en France (arrestations, condamnations) et si des motifs religieux les ont motivés.  Lire également  sur le dénombrement des faits, actes et insultes antisémites les articles suivants:Explosion des actes antireligieux : on vous explique pourquoi il faut prendre les chiffres de Gérald Darmanin avec des pincettes" (franceinfo) ; « Actes antisémites : ces chiffres qui montrent leur "explosion" en 2023 » (Express); «  Guerre Israël-Hamas: la communauté juive allemande inquiète face à la montée des actes antisémites « « (RFI); « Actes antisémites : « les Juifs d'Europe vivent dans la peur », déclare la Commission européenne » (Le Point); « « Interdit aux juifs » : dans le monde entier, l’inquiétante montée des actes antisémites » (L’Obs). 


2  Cf. Experiences and perceptions of antisemitism - Second survey on discrimination and hate crime against Jews in the EU. 


3 Cf. « Antisemitic incidents report 2018 », CST, 2018. 


4. Une série documentaire diffusée par ARTE visible en replay sur la plateforme arte.tv en retrace les manifestations, Histoire de l’antisémitisme, de Jonathan Hayoun. Elle est surtout convaincante jusqu’en 1945. 


5. Cf. Alex Bein, Die Judenfrage, Biographie eines Weltproblemd, Stuttgart, 1980. La série d'Arte s'est d'ailleurs beaucoup inspirée des travaux de cet historien et ancien directeur des Archives centrales sionistes.  


6 Cf. Revue. archéologique. 15 avr.-15 sept. 1848, page 303 « : La question du sémiticisme des noms de Sheshank et des autres rois »


7 Cf. « Abbas: Les Ashkénazes ne sont pas des sémites, Hitler les a tués pour leur rôle social », in Times of Israel, 6 sept 2023. 


8 Les Khazars étaient à l’origine une confédération de tribus nomades venues de la steppe eurasienne et à majorité turcophone. Elles se sédentarisent au VIIe siècle, de la région de la basse Volga jusque’aux territoires situés entre le Danube et de Dniepr. A leur apogée, les Khazars contrent le sud de la Russie actuelle, l’Ukraine, la Crimée septentrionale, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan la Géorgie et l’Arménie. Ils s’allient très tôt avec Byzance, contre les Arabes, dès le VIIe siècle et pendant tout le VIIIe siècle. C’est à cette époque que la dynastie régnante et une grande partie de la noblesse se convertit au judaïsme. C’est la raison pour laquelle différents auteurs comme Ernest Renan (antisémite) ont depuis la seconde moitié du XIXe siècle suggéré que les Juifs d’Europe de l’Est  descendraient au moins partiellement de Khazars ayant migré vers l'ouest entre le Xe et le Xiie siècle c’est-à dire-à la fin ou lors de l'effondrement de l'empire des Khazars. Cette mythographie communence alors son petit bonhomme de chemin. En 1940, l’historien français Marc Bloch précise dans l’introduction de L’Étrange Défaite que « juif » désigne « un groupe de croyants, recrutés, jadis, dans tout le monde méditerranéen, turco-khazar et slave ». En 1976, La Treizième tribu d’Arthur Koestler popularise l’idée que les Juifs ashkénazes auraient été à l’origine des Khazar, théorie accréditée comme l’historien israélien Shlomo Sand… Mais réfuté en 2011 par l’historien Moshe Gil, qui, dans  « Did the Khazars Convert to Judaism? », Revue des Études Juives, vol. 170, no. 3-4, juillet-décembre 2011, p. 429-441, en se donnant sur l’analyse des sources primaires, conclut son impossibilité à fonder la conversion des Khazars au judaïsme. Ce que semble corroborer l’absence de découvertes archéologiques, d’après Shaul Stampfer, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem. En réalité, peu importe si les Ashkénazes descendent ou non des Khazars - ce qui est intéressant est de voir comment cet argument est utiliser à des fins politiques et idéologiques. D’une manière générale, il faut se méfier de toute incantation à la « race pure ». Sans doute que le génome des Juifs de la diaspora constitue une mosaïque d’origines multiples (méditerranéennes, gréco-romaines, orientales, slaves) tout comme le génome des Arabes, comme le génomes de toutes les populations sémites ou non-sémites. 


9 Le terme « antisémitisme » apparaît dans le dictionnaire Le Robert en 1886, un record de rapidité.


10 Le terme sionisme apparaît pour la première fois en 1890 sous la plume de Nathan Bimbaum. Il fait référence au « retour  du peuple juif à Sion - synonyme de Jérusalem ». 


11 Cf. de Walter Laqueur, The Changing Face of Anti-Semitism: From Ancient Times to the Present Day, Oxford University Press, 2008


12  Cf Jean-Philippe Schreiber, « Les Juifs, rois de l'époque d'Alphonse Toussenel, et ses avatars : la spéculation vue comme anti-travail au XIXe siècle » in Revue belge de Philologie et d’Histoire, n° 79, 2001. 


13 Cf. Pierre-André Taguieff, « L’invention racialiste du juif », in Raisons politiques, n° 5,  2002/1, Editions Presses de sciences Po. 


14 Sylvain Desmille,(Ré)concilier évolutionnisme et créationnisme ? 


15  Cf.  Jérôme Grondeur - IGEN « Le complotisme dans l’Histoire, l’Histoire face au complotisme », in Les valeurs de la République sur le site de la Canopé. 


16 Cf. L’affaire Dreyfus, site de l’Assemblée nationale. 


17  Le terme Volk revêt plusieurs significations : la nation, le peuple, dans un sens ethnique.


18 Lire à ce propos de George Lachmann Mosse Les racines intellectuelles du Troisième Reich, Seuil, Paris, 2008.


19  Michel Bakounine, Œuvres complètes, éditions Champ libre, 1974, volume 2, L'Italie 1871-1872, page 109. 


20  Dans l’ancien et le nouveau Testament comme dans le Coran, le terme « israélite »  désigne en premier lieu les Hébreux (nom donné par les Egyptiens aux Juifs) descendant des douze fils de Jacob, chacun chef d’une des douze tribus d’Israël, puis, plus spécifiquement, les habitants du royaume d’Israël appelé également « royaume de Samarie (d’où l’expression « Samaritain ») qui se distingue du royaume de Judée (à l’origine de l’étymologie du mot « juif »).


21  Henry Laurens, La question de la Palestine, tome 2 "Une mission sacrée de civilisation (1922-1947)", Fayard, Paris, 2002. 


22  Zvi Elpeleg, The Grand Mufti : Haj Amin al-Hussaini, founder of the Palestinian national movement, Londres, Frank Cass Publishers, 1993.


23 Cf. Bartolomé Simon, « Après les massacres du Hamas, les idéaux perdus des kibboutz », Le Point, 02/11/2023.


24 Cf. Jacques Peut, « Un professeur de l’université américaine de Cornell a-t-il qualifié l’attaque terroriste du Hamas d’«exaltante ? » Libération, 18 octobre 2023. 


25 Cf. Ariane Nicolas, « “Les Juifs sont-ils des Blancs ?” Pourquoi les campus américains se déchirent sur la question antisémite », in philosophie magazine, 03/11/2023. 


26  Cf. « Fliers blaming Jews for social injustice found at Chicago university » in The Times of Israel, 16/03/2017.


27  L’amélioration significative des conditions de vie des Juifs américains explique ce hiatus.Cf. Emma Green « Are Jews White ? » in The Atlantic, 2016. 


28  Cf. Camille Lecuit, « Des tags antisémites ont été découverts à la faculté de médecine de l’université de Créteil » Le Figaro du 25/10/2018. 


29  Cf. Amandine Hibou, « 89% des étudiants juifs de France déclarent avoir subi un acte antisémite » in L’Express du 19/03/2019. 


30  Cf. From The Community | Why we filed a discrimination complaint against Stanford.


31 Cf. David Bernstein, Nicole Levitt et Daniel Newman, « Comment le wokisme nourrit l’antisémitisme », in Le Point, 20/06/2022. 


32 Sylvain Attal, « Aux racines du nouvel antisémitisme », in Revue internationale et stratégiques 2005/2 (n°58). 


33 Yéhuda Bauer, professeur des études sur la Shoah à l’Université hébraïque de Jérusalem, considère qu’il s'agit d'une nouvelle crise d'antisémitisme ancien, resté latent et réapparu du fait du conflit israélo-palestinien.


34  Cf. « États-Unis : hausse « alarmante » des actes antisémites dans les universités et écoles, selon la Maison blanche ». AFP, 30/10/2023. et Ariane Nicolas, « “Les Juifs sont-ils des Blancs ?” Pourquoi les campus américains se déchirent sur la question antisémite », Philosophie magazine, 03/11/2023


35 Cf. Hammer, Mf; Redd, Aj; Wood, Et; Bonner, Mr; Jarjanazi, H; Karafet, T; Santachiara-Benerecetti, S; Oppenheim, A; Jobling, Ma; Jenkins, T; Ostrer, H; Bonne-Tamir, B, « Jewish and Middle Eastern non-Jewish populations share a common pool of Y-chromosome biallelic haplotypes », PNAS, vol. 97, no 12,‎ , et arta D. Costa & Joana B. Pereira et al., sous la direction de Martin B. Richards, « A substantial prehistoric European ancestry amongst Ashkenazi maternal lineages [archive] », in Nature Communications,






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