(RÉ)CONCILIER ÉVOLUTIONNISME ET CRÉATIONNISME ? L’HISTOIRE D’ADAM ET ÈVE CHASSÉS DU PARADIS ÉVOQUERAIT-ELLE LE PASSAGE DU PALÉOLITHIQUE AU NÉOLITHIQUE ? par Sylvain Desmille©




Nota Bene


Ce texte constitue un addendum à un essai que je suis en train d'écrire et dont il fera parti.  Le corpus des notes participent à égale importance que le corps du texte. Bonne lecure. SD


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La question de la réalité d’Adam et d’Ève est au coeur des débats entre scientifiques et évolutionnistes d’une part et les courants plus ou moins radicaux en apparence des créationnistes. Ces derniers sont sont montrés particulièrement virulents depuis les trente dernières années. Leur influence dépassent les frontières des Etats-Unis. Les croyances créationnistes sont très largement majoritaires dans le monde musulman. Dans quelle mesure l’analyse du mythe d’Adam et Eve permettrait-elle de concilier les deux points de vue ? 


Charles Darwin

Caricature de Charles Darwin ou vrai portrait d'Adam ?

Dans L’origine des espèces1, essai publié 1859, Charles Darwin propose une nouvelle théorie selon laquelle les espèces vivantes ne sont pas des catégories fixes. Il avance l’idée qu’elles se diversifient, se spécialisent, s’adaptent avec le temps et en fonction de leur environnement - le milieu naturel, l’écosystème dirait-on aujourd’hui. L’assèchement d’un lac tue les poissons. Une augmentation de la température des océans oblige les espèces des milieux froids soit à migrer (en même temps que ses sources de nourritures) soit à s’adapter (en changeant ses fonctions vitales ou son mode d’alimentation). Une espèce qui n’évolue pas risque de disparaître, et une espèce qui évolue disparaît toujours puisqu’elle n’est plus la même que celle qui n’aurait pas évolué. Chez Darwin, les chiens descendent des loups mais ne sont plus des loups et d’ailleurs chiens et loups constituent deux espèces différentes, l’une a seulement évolué l’autre pas. Mais en plus, il est tout à fait possible aussi que les chiens fassent des chats et inversement ! Sa théorie ouvre de nouvelles perspectives qui dépasse la vision intuitivement essentialiste des espèces animales. En effet, l’évolution résulte du hasard de mutations génétiques sélectionnées ou non selon qu’elles confèrent aux individus qui en sont porteurs un avantage ou un désavantage en termes de survie et de reproduction. Darwin voit dans la « sélection naturelle » (conséquence d’une combinaison de paramètres aléatoires) le principal facteur d’explication. Elle s’oppose à la sélection artificielle, pratiquée par les êtres humains depuis l’invention de l’agriculture - par exemple chaque fois que les éleveurs et les agriculteurs sélectionnaient les meilleurs bêtes pour les faire se reproduire ou qu’ils croisaient deux types de roses différentes pour en créer une troisième. Elle s’oppose aussi et surtout à l’idée d’une intervention surnaturelle, extraterrestre ou divine… 


Aïe, Aïe, Aïe !


Scandale à Westminster !



La colère gonfle les soutanes des prêtres ! Et on voit que le bas blesse… Aussitôt Samuel Wilberforce, évêque de Westminster, écrit une critique - un brûlot -  dans le numéro 108 de Quaterly Review2 afin de rappeler, à qui de droit, que l’origine divine telle que rapportée dans et par la Bible ne saurait être contestée. Par principe. A bon entendeur… salut. Mais le bon vieux temps des anathèmes a changé. Il n’est plus alors possible pour les Eglises de se contenter de brûler les auteurs réputés hérétiques en alimentant les flammes de leur bûcher avec leurs livres. Samuel Wilberforce est persuadé cependant que son article va permettre aux défenseurs de Charles Darwin de retrouver la raison, c’est à dire de rentrer dans l’ordre. Mais voilà au lieu de tuer la rébellion dans l’oeuf, grâce à la presse pour les uns, à cause des médias pour les autres, la polémique s’enfle et accroit l’intérêt de l’opinion publique et de la communauté scientifique pour ce livre très savant.


La mouvance créationniste apparait dès 1860 en opposition à la théorie darwiniste. Elle se développe en réaction aux découvertes préhistoriques, scientifiques, qui ne cessent de l’accréditer. La foi s’oppose à la preuve, la croyance au savoir, le dogme à la science et la polémique aux discours  rationnels, argumentés et raisonnés.  


Les partisans es plus rigoristes du créationnisme croient que le monde fut  créé exactement et littéralement tel que la Genèse le décrit, en l'espace de six jours, il y a environ 6.000 ans3 par un Dieu qui aurait créé chaque espèce végétale ou animale de façon individuelle. Selon eux, es Hommes descendent effectivement tous d’Adam et d’Ève. Les explications scientifiques ne peuvent être vraies puisqu’elles ne sont pas compatibles avec la version biblique, et peu importe si la foi sert à justifier en toute mauvaise foi. D’aucuns, parmi les plus radicaux, au sein du courant dit « évangéliste » soutiendraient même que les dinosaures, les fossiles et les hommes préhistoriques n’auraient jamais réellement existé. Il ne seraient que des artefacts déposés soit par dieu soit par Satan (les avis divergent) pour « troubler » et « éprouver » l’Homme dans le jugement de son histoire… 


Certains créationniste évolutionnistes (sic) cherchent à faire reconnaître une compatibilité entre la parole (ou le propos) biblique et les découvertes scientifiques validant l’évolutionnisme. Mais ils considèrent malgré tout que cette « évolution » reste soumise aux plans et au grands desseins d’un « architecte-créateur » qui contrôlerait tout le processus. La théorie pseudo-scientifique du « Dessein intelligent «  (Intelligent Design), très populaire chez les évangélistes, selon laquelle «  certaines observations de l’Univers et du monde vivant s’expliquent par « une cause intelligente » plutôt que par des processus non dirigés tels que la sélection naturelle »4 s’inscrit dans ce mouvement.  Autrement dit, l’homme apparaît il y a peut-être, 3, 6, 7 millions d’années, mais il reste une création de leur « Dieu ». En fait, au prétexte d’un esprit d’ouverture et de tolérance, leur point de vue ne vise qu’à dogmatiser la science, à la convertir à leur lecture. Leur bienveillance reste une bien-pensance. 


Une grande partie de l’Église catholique préfère à la lecture littérale de la Bible développer une lecture herméneutique du livre de la Genèse considéré comme « symbolique ». Elle reconnaît comme historique uniquement les quatre évangiles du Nouveau Testament qui véhicule la parole christique. Jean-Paul II a reconnu en 1996 (!) que « la théorie de l’évolution étaient plus qu’une hypothèse » tout en rejetant toutes les thèses, théories et idéologies  qui feraient de l’homme « le produit accidentel et dépourvu de sens de l’évolution »5 


Moi Adam, toi Ève




Détourner la science pour mieux la convertir.  


Les querelles idéologiques et politiques, marquées par une radicalisation des mouvements ultra-conservateurs et néo-impérialistes américains ont remis au premier plan l’opposition entre évolutionnistes et créationnistes. 


A partir de 1920, un mouvement créationniste soutenu par le procureur et fondamentaliste chrétien William Jennings Bryan avait milité pour qu’un nouvel amendement de la constitution des États-Unis interdise l’enseignement de la théorie de l’évolution de Darwin. En vain. Toutefois, il parvint à ses fins. En 1925, le Butler Act voté dans le Tennessee interdit aux professeurs de l’enseignement public de nier l’origine de l’Homme telle que décrite dans la Bible. C’était assez malin, et pervers, la loi ne condamnait pas l’enseignement de l’évolution des espèces, mais interdisait d’enseigner l’histoire évolutive des êtres humains - au prétexte que la seule lignée véritable étaient celle qui remontait à Adam et Ève… 15 États sur les 48 des États-Unis reprennent le Butler Act à leur compte. En 1925, le procès dit « du Singe » à Dayton dans le Tennessee cherche à casser la nouvelle loi. Le but de l’ACLU (American Civil Liberties Union) est de motiver un recours devant la Cours Suprême américaine afin qu’elle juge anticonstitutionnel le Butler Act. Au cours de ce procès très médiatisé, l’avocat de la défense Clarence Darrow est allé jusque’à attaquer la Bible elle-même, et demande à William Jennings Bryan de venir témoigner à la barre. La « rationalité » de la Bible est rapidement remise en cause. La logique démonstrative s’oppose au simlple discours.  Au final, suite à un vice de procédure, l’attorney général renonce à un second procès, privant le clan des évolutionnistes de pouvoir faire appel devant la Cour Suprême. Le Butler Act  ne fut abrogé qu’en 1967, lorsqu'il fut déclaré anticonstitutionnel car en opposition au premier amendement de la Constitution des États-Unis, garantissant la liberté religieuse ET la liberté d’expression. 


Conscients des apports et de l’impact de la science, les créationnistes développent plusieurs postures afin la détourner en vue de la convertir à leur avantage. Certains adaptent le sens des Écritures aux découvertes scientifiques ou inversement adaptent les résultats scientifiques à la « lumière » du dogme. D’autres sollicitent les scientifiques pour expliquer les Écritures voire les prouver « scientifiquement ». Leur stratégie intrusive est de mobiliser la science de l’intérieur et de faire en sorte qu’elle redéfinisse sa démarche (en mettant en avant une méthodologie plus « spiritualiste ») ainsi que ses objectifs (au risque de perdre en objectivité), soit en sollicitant la communauté des chercheurs soit en s’auto-proclamant comme scientifiques eux-mêmes mais pour mieux nier les découvertes, les faits et la réalité scientifiques, au nom d’une vérité supérieure. Parce qu’il interpelle la science, ce créationnismes religieux (ou soit disant « philosophique) s’est dès lors auto-qualifié de « scientifique ». Et c’est en « vertu » de cette pseudo-qualification que l’État australien du Queensland a autorisé au début des années 1980 l’enseignement du créationisme dans ses écoles « en tant qu’hypothèse scientifique ». Les fondamentalistes protestants comme John Mackay sont alors invités à donner « des conférences » dans les écoles publiques et les universités.


Enfin, nombreux sont les créationnistes qui nient purement et simplement les faits scientifiques. Leur négationnisme et leur révisionnisme scientifique, leur « déconstruction » religieuse  font écho aux courants et propos négationnistes et révisionnistes qui, à partir de 1987 (date de la création de ces termes) ont cherché à relativiser pour mieux nier la réalité de la Shoah -  l’un et l’autre mouvements participent de la même déviation mentale. 


Les polémiques sont réactivées au tournant des années 2000. En 2005, en Pennsylvanie, des parents d’élèves porte plainte contre un conseil scolaire qui avait obligé d’enseigner la théorie néocréationniste du « dessein intelligent »6 porté par le courant du créationnisme dit scientifique Les débats traversent aussi l’océan atlantique; les nouveaux Pilgrim Fathers  du créationnisme débarquent en Europe, May-flower au fusil mais prêts à tirer à balle réelle. L’enseignement du créationnisme a progressé en Allemagne, aux Pays-Bas, en Russie, en Suède et en Pologne7, autrement dit dans des sociétés aussi bien réputées progressistes (Allemagne, Suède) que conservatrices (Russie, Pologne) et dans des aires religieuses aussi bien catholique (Allemagne, Pologne) que protestante (Allemagne, Suède) et orthodoxe (Russie). Leur point commun est que ses pays associent peu ou prou religion et État, et se distinguent de la laïcité à la française.


En 2004, face à la pression de la communauté scientifique, la ministre de l’éducation et de la recherche italienne, Letizia Moratti, affilée au parti de droite Forza Italia, fut contrainte de retirer son décret interdisant l’enseignement de la théorie de l’évolution au collège ! Sa bienveillance considérait-elle que les adolescents devaient toujours croire que les garçons naissaient dans les choux (bonjour l’odeur), les filles dans les roses (aïe aïe aïe) et que tous les membres de la belle et grande famille de l’Humanité (enfin, les « Blancs ») descendaient tous de Maman Ève et de Papa Adam ? En 2007, 2000 exemplaires d’un ouvrage créationniste, l’Atlas de la Création, 772 pages produites par Haroun Yahya, furent envoyés aux rectorats, bibliothèques, centres d’informations pédagogiques, enseignants de France et de Belgique. Puis ce fut au tour de la Suisse en 2007. En 2017, suite à l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, Mike Pence devient le 48e vice-Président des États-Unis. C’est un créationniste convaincu.  En 2019, selon l’étude de l’Institut Gallup, seule une petite minorité de 22% d’Américains estiment « que les être humains se sont développés sur des millions d'années à partir de formes de vie moins avancées, et que Dieu n'a rien à voir dans ce phénomène ». A l’inverse, 40% des Américains continuent à adhérer à un créationnisme strict, à savoir que « Dieu a créé l'homme dans sa forme présente » ( ils étaient 44% en 1983). 33% ( contre 38% en 1983) estiment, quant à eux, que l'homme a évolué depuis des millions d'années, mais que « Dieu a guidé cette évolution » - affirmation qui correspond à la théorie pseudo-scientifique du « Dessein intelligent ».  Autrement dit 73% des Américains croiraient en une forme de (néo)créationnisme. 




En fait, d’après un sondage réalisé en 2011 par l’institut français IPSOS pour l’agence de presse Reuters sur le créationnisme dans vingt-quatre pays, l’Arabie Saoudite arrive très nettement en tête avec 75% de sa population croyants aux dogmes créationnistes (contre 7% pour la théorie évolutionniste), suivie par la Turquie ( 60% contre 19%), l’Indonésie (57% contre 11%). Les États-Unis n’arrivaient qu’en sixième position ( 40% contre 28% - et on voit la progression des convictions créationnistes en à peine huit ans, quand on compare ces chiffres à ceux de l’étude de l’Institut Gallup de 2019). La France figurait au 23e rang (9% contre 55%) et la Belgique à la dernière place ( ou si on préfère, à la première en fonction de ce que l’on privilégie, avec 8% de créationnistes contre 61% d’évolutionnistes). La part des « sans opinions tranchées » se situait tout de même à 36% en France et à 31% en Belgique. Les résultats en France doivent être cependant au regard de l’enquête menée par Pierre Clément dans les lycée de Lyon et de sa banlieue, publiée en 2017, qui conclut: « Les lycéens musulmans sont significativement plus nombreux que leurs camarades chrétiens à avoir coché une réponse créationniste, radicale ou à la fois créationniste et évolutionniste », preuve qu’il ne suffit pas d’enseigner l’évolutionnisme pour que cette théorie soit reconnue pour autant8.


Néocréationnisme islamiste : un combat contre la laïcité.


Cette majorité très importante des partisans du créationnisme dans le monde musulman étonne. Certes, l’empire abbasside, dès le VIIIe siècle, avait été considéré comme éclairé, et bien plus favorable aux sciences que l’Europe et sa religion chrétienne. Au IXe siècle, le zoologiste Al Jahiz évoquait dans son Livre des Animaux une évolution articulée selon trois mécanismes principaux: la lutte pour l’existence, la transformation d’espèces vivantes, l’influence de l’environnement naturel - un précurseur de Charles Darwin ! Plus fort encore, au XIVe siècle, l’historien yéménite et tunisien Ibn Khaldoun parle d’un « progrès graduel de la Création » et de « continuum des êtres vivants » et selon lui, « le plan humain est atteint à partir du monde des singes (qirada) » ou encore « le premier niveau humain vient après le monde des singes »9. Par la paix et la guerre, le monde arabe a apporté une contribution très significative au développement de la science en Europe. 


Tout change entre le XIe et le XIIIe siècle, suite à l’invasion du moyen puis du proche Orient par les Turcs Seldjoukides. L’Irak actuel, la Perse ( L’iran aujourd’hui), l’Anatolie, le Levant et l’Asie mineure, toutes ces cultures la science avait pu s’épanouir tombent sous leur coupe et leur fer. Commence alors une phase de déclin et de repli. « La science ne disparaît pas complètement. Ce qui va rester, c’est la science qui n’interpelle pas, qui ne fait pas appel à toute conception du monde. C’est la science utile : l’astronome lié à la mosquée et le médecin qui travaille à l’hôpital pour soulager les hommes. Il n’y a plus cette conception de la science pour elle-même, comme interrogation, comme ouverture. C’est un dessèchement intellectuel qui commence au niveau de la science. » rappelle Faouzia Charfi10.


A cette époque la question de la création ne se pose pas, comme ce fut le cas dans les cultures antiques, akkadienne et sumérienne puis babylonienne, ou dans les cosmogonies et les théogonies égyptiennes et grecques. Dans le monde chrétien, la question des origines n’a pas à être discuté depuis que la Bible en a fourni une explication. Dans le monde musulman, elle n’est ni un thème ni  un sujet ni un objet de débat. 


D’ailleurs, le Coran ne consacre pas non plus un chapitre spécifique à la Genèse (à la création du monde) comme dans la Bible11. Le Livre se définit comme « incréé » dans le sens où il n’est pas une production humaine, mais une Parole transmise à un prophète via l’Archange Gabriel. Il ne se présente pas comme un récit chronologique - historique ? - mais plutôt comme un enseignement sous forme d’avertissement. Le thème de la Création est disséminé tout au long du Livre, toutefois le Dieu du Coran y est souvent qualifié de Créateur (al-khaliq).


Tout cela explique pourquoi la théorie de Darwin a suscité peu d’émoi dans le monde musulman, lors de sa publication. Il s’agit alors pour l’essentiel d’une polémique christiano-occidentale, américaine et européenne. A la différence des religions juive et chrétienne, le créationnisme n’avait pas de réels fondements religieux en Islam. 


Il est possible de dater la rupture en 1928, suite à la création du mouvement égyptien sunnite mais panislamiste des Frères musulmans. Celui-ci rejette l’Occident, sa vision universaliste, scientifique (scientiste). Les Frères musulmans condamnent la séparation qui s’est opérée dans le monde occidental, entre la religion chrétienne et la science afin que cette dernière puisse se développer en toute liberté (sans être inquiétée ni condamnée pour hérésie ou satanisme). Or c’est à cette époque que la théorie de l’évolution des espèces est médiatisée et vulgarisée afin d’être compréhensible pour le plus grand nombre. C’est aussi à cette époque que les contradictions et les irrationalités de la Bible sont de plus en plus critiquées. Reprendre les thèses créationnistes est un moyen de contester l’ordre intellectuel et culturel occidental, et la suprématie qu’il entend instaurer au nom d’une vérité que les Frères musulmans considèrent comme étant leur vérité et dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas et ne s’identifient pas. Ils luttent non seulement contre l’emprise laïque occidentale et l’imitation du modèle européen en terre d’Islam. 


Prendre fait et cause pour le créationisme, dépasse la question de l’évolutionnisme pour devenir un combat contre la laïcité. Le mouvement rejoint sur ce thème le courant wahabite. En fait, à travers leur lutte contre les évolutionnistes, les (des) créationnistes cherchent à imposer une version et une vision religieuse de l’histoire du monde. C’est pourquoi l’école - symbole de la laïcité en France - parce qu’elle donne des instruments objectifs et rationnels permettant à chacun de se forger une conscience, parce que l’enseignement de connaissances « vraies » (justes car vérifiées, prouvées et démontrées) parce qu’elle participe à la formation du citoyen, l’institution éducative fut la principale cible et le champ de bataille privilégiés des créationnistes américains, turcs, évangélistes et islamistes.


Dans son article publié en 2012 par la revue Cités, Pierre Lecointre rappelle à juste titre que « le phénomène du créationnisme « scientifique » remet à l’ordre du jour la nécessité d’expliquer à nos concitoyens ce qu’est la science, ses objectifs, sa démarche et ses limites. C’est le terrain du point de rencontre entre l’épistémologie et le politique. La cause en est simple : les créationnismes militants, d’où qu’ils viennent, ont compris que c’est en faisant passer leur propos théologique pour « scientifique » qu’ils pourront entrer dans les écoles publiques. La question du périmètre de scientificité est manipulée, déformée de l’extérieur ; et par eux elle est devenue une question politique de premier ordre, eu égard à ses implications sur les contenus de l’enseignement public. Contrairement à ce qu’ils tentent de faire croire, ce n’est pas le monde des chercheurs qui est en jeu, bien qu’il soit concerné, mais c’est l’école. »12.  Et Pierre Lecointre précise avec toujours beaucoup de clarté qu’aujourd’hui d’une part « la science se trouve mimée ou instrumentalisée par des forces mercantiles, politiques ou religieuses pour servir des objectifs qui n’ont pas de rapport avec l’avancée des connaissances objectives.  » et d’autre part elle « se trouve purement et simplement niée dans ses méthodes et ses résultats sur la base d’arguments d’apparence rationnelle. »




Les créationnistes utilisent, manipulent, détournent la science pour en faire l’instrument de sa propre mise en doute et de sa propre perte. Ils déconstruisent  le débat scientifique en substituant  au concept de réalité leur précepte de la vérité, l’intuition au doute réaliste, le dogme au raisonnement démonstratif et leur principe de certitude au scepticisme propre à toute démarche scientifique. Les créationnistes veulent que leurs croyances soient perçues comme un fait, une réalité pleine et entière au seul prétexte qu’elles existent puisqu’ils les expriment et qu’ils y croient. Et dès lors que leur réalité est reconnue, ils veulent qu’elles soient perçues comme l’expression d’une vérité, qu’elles manifestent un état de droit en tant qu’actes de foi. Il s’agit d’un mode de pensée tautologique, qui considère toutes ces affirmations comme vraies quelle que soit la valeur de vérité de ses composants parce qu’affirmées. De la à ce que la tautologie s’affirme comme totalitaire… 


Le néo-crétationnisme, entre complotisme et totalitarisme. 


Au tournant des années 1980, suite à une poussée des mouvements islamistes, les croyances créationnistes sont médiatisées dans le monde musulman, notamment  via le mouvement Nurculuk13. A cet égard il n’est juste de parler de créationnisme musulman, même si un grand nombre de musulmans croient dans le créationnisme (ou ne sont pas persuadés du contraire). En revanche, il est tout à fait possible de parler de créationnisme islamiste, dans la mesure où ce sont des mouvements, associations, partis islamistes qui font la promotion de ce qu’ils appellent eux-mêmes le néocréationnisme, non qu’il soit en soit nouveau (il ne diffère pas dans ses principes du créationnisme évangéliste américain) mais parce qu’il renvoie plus à une lecture du Coran que de la Bible.  


Considérés alors par les Occidentaux et leurs médias comme « progressistes », les islamistes turcs sont les fers de lance de cette polémique « intellectuelle », souvent en écho à celle entretenues par les églises évangélistes américaines. Suite à la victoire de  l’AKP ( Parti de la justice et du développement) lors des élections turques et de la prise de pouvoir du bienveillant Recep Tayyip Erdogan en 2002, les thèses créationnistes apparaissent dans les manuels scolaires turques (les thèses évolutionnistes ne sont « enseignés » qu’aux étudiants qui se spécialisent dans les sciences de la vie). 


Le prédicateur turc Harun Yahya14, condamné le 16 novembre 2022 par un tribunal d’Istanbul à 8 658 ans d’emprisonnement pour vols de données, privation de liberté et une une série d’agressions sexuelles15, a publié en 2006 un Atlas de la Création, véritable somme pseudo-scientifique qui s’inscrit dans le néocréationnisme musulman16. Ce mouvement cherche à promouvoir un créationnisme en redéfinissant, avec ses propres termes, le débat sur l’origine de la vie, sans chercher à faire référence aux textes sacrés, mais en renversant les propositions scientifiques et en les qualifiant de supercheries.


La posture d’Harun Yahya rappelle celle des gourous des mouvements complotantes et conspirationnistes17 qui s’auto-proclament « scientifiques »  - auto-publication à l’appui - pour mieux critiquer les théories et résultats des vrais scientifiques. L’invective, la violence du propos, l’agression  systématique sur les réseaux sociaux de tous ceux qui contestent et dénoncent ses fausses informations, ses mensonges, ses contre-vérités, l’énonciation de sa « bonne parole » ont valeur de preuve au prétexte que le prédicateur s’affirme de bonne foi. Et de proclamer haut et fort que « la création est un fait, l’évolution une imposture », que « les espèces n’ont pas changé » et que « le matérialisme et le darwinisme sont la réelle source du terrorisme ». Dans un entretien avec Mouloud Achour diffusé le 16 octobre 2014 par Canal +, il déclarait franco: « La fin des temps est pour bientôt. Dans les dix années à venir, toute l’humanité va bientôt voir le retour du messie Jésus et de l’imam Mahdi. » Des propos qui rappellent ceux d’un Jim Jones (Temple du Peuple), d’un Vernon Howell (Branche Davidienne), d’un Marshall Applewhite (la Porte du ciel) ou d’un Joseph Di Mambro (Ordre du Temple solaire) juste avant que leurs sectes respectives ne suicident leur fidèles (à l’inverse, Harun Yahya a besoin de leur soutien financier, grâce, entre autre, à la monétisation de ses vidéos diffusées sur internet par les plate-forme et les réseaux sociaux). 


On retrouve les éléments de cette diatribe exprimée comme s’il s’agissait d’arguments dans son Atlas de la Création. Celui-ci défraya en 2007 la chronique lorsque des centres éducatifs, des écoles, des instituts en reçurent gratuitement des copies. Le ministère français de l’Education nationale dénonça la propagande et le prosélytisme de cet ouvrage aux prétentions encyclopédiques d’Arun Yahya. Son influence ne cessa de s’accroître en particulier en Indonésie et Malaisie. 




Dans les années 2000, la censure du gouvernement turc s’exerce contre les scientifiques. Parce qu’il a pointé de très (très) nombreuses erreurs dans d’Arun Yahya (une véritable insulte pour le prédicateur) et parce qu’il est l’auteur de Pour en finir avec Dieu18 dans lequel il démontre le bien fondé des théories évolutionnistes, en 2008, le site du professeur et éthologiste britannique Richard Dawkins a été bloqué en Turquie par la deuxième Cour criminelle de Paix. En mars 2009, un dossier de la revue mensuelle du conseil de recherche scientifique et technique de Turquie (Tübitak) consacré à Charles Darwin, dans le cadre du bicentenaire de la naissance du scientifique anglais, a été censuré. Un an plus tôt, une loi votée par l’AKP avait  supprimé l’indépendance de Tübitak en rattachant le conseil scientifique au gouvernement, sous l’égide du ministre d’État Mehmet Aydin, un ancien professeur de théologie, également chargé des affaires religieuses en Turquie19. 


Les créationnismes participent d’un programme idéologique et politique totalitaire20 qui consiste à confondre État et religion, la Bible ou le Coran avec la Loi, et à faire de la religion le parti pris unique. Dans leur monde idéalisé, où le dieu un et seul est tout, la croyance se substitue au savoir, les valeurs ( leurs « valeurs) aux faits,  l’émotion à la raison (en témoigne les transes dans les « messes » évangéliques), la certitude à la curiosité, la morale du Diktat à l’esprit de dissertation. Leur autorité s’appuie et se justifie par la violence (ce qu’ils appellent « leur force de conviction ») non seulement  des propos mais aussi par celle avec laquelle il les exprime (la forme ayant valeur de fond, surtout sur les réseaux sociaux).


Se battre contre la théorie de l’évolution reviendrait à lutter contre une vision scientifique du monde qui permet d’expliquer le fonctionnement de la vie en se passant de l’hypothèse divine. Dans ce cas, il s’agirait d’une lutte à mort des créationistes contre ceux qui ne croient pas en leur parole, dans laquelle l’Autre, l’opposant-opposé, « le matérialiste », l’acroyant devraient être totalement et absolument anéantis (dans l’absolu et pas relativement).



Le singe / Adam et Ève, un face-à-face ontologique ?



En 2014, dans son entretien avec Mouloud Achour, Adnan Oktar alias Harun Yahya déclarait: « il y a deux hypothèse: soit l’homme est créé par Dieu soit il est le résultat du hasard; ça n’est donc même pas la peine de discuter pour savoir s’il descend du singe. » Outre la logique pour le moins spécieuse et fort peu rigoureuse (en quoi le fait que l’homme soit le résultat d’un hasard l’empêcherait-il de descendre du singe, par hasard ?), la sentence démontre surtout l’absence de connaissance scientifique du prédicateur. L’idée que l’être humain descendrait du singe est totalement fausse, car si l’homme et le singe ont peut-être partagé un ancêtre commun il y a de 5 à 20 millions d’années, tous les deux ont évolué en des lignées distinctes et divergentes21.  Autrement dit l’homme « descendrait » des Homininés, c’est-à-dire quand il a cessé d’appartenir aux hominidés. Ce sont les détracteurs de Charles Darwin qui ont avancé l’idée que l’homme descendrait du singe, pour le discréditer, surtout à une époque où les thèses racistes dominaient dans le monde des sciences, l’opinion publique et les idéologies politiques. A cela s’ajoutait l’hybris d’homo europeaus, à savoir comment se pourrait-il que l’homme - blanc - pût descendre du singe dans la mesure où les Écritures affirment qu’il fut créer à l’image de son dieu. Dieu serait-il un singe pour l'homme ? Blasphème ! Blasphème ! Blasphème ! En même temps, comme dirait l’autre, c’est logique, non ? 


C’est une recherche qui remonte au déluge… Pour accréditer la croyance créationniste dans le jardin d’Eden ou prouver la véracité de la parole biblique, d’aucuns ont cherché, depuis le moyen-âge, où le paradis terrestres se trouvait pour de vrai. A la manière d’un Heinrich Schliemann déambulant le long de la côte d’Asie mineure son Iliade en main en espérant repérer dans le paysage les points de repères laissés à fleur de texte par Homère, ils ont comparé les versions de la Genèse22 afin de trouver des éléments qui puisse correspondre aux photographies satellites de Google Maps. Selon la tradition juive, l’Eden devait se trouver en Canaan, dans les monts Taurus, en Anatolie. Si on prend en compte la référence au Tigre et à l’Euphrate, il devrait se situer en Irak. Petit problème, le Tigre et l’Euphrate ne se connectent pas à la même source comme précisé dans la Bible et il y a 8000 ou 6000 ans, il apparaît que les deux fleuves ne se rejoignaient pas non plus… En se fondant sur ses analyses géologiques conformes à la description de la Bible, l’archéologue David Rohl estimerait quant à lui que l’Eden se trouverait dans le nord-ouest de l’Iran, près de Tabriz. A l’époque sumérienne23, l’île de Bahreïn (ou l’île de Failaka) portait le nom de Dilmun, une terre d’abondance aux attributs de paradis terrestre, le jardin d’Eden du golfe Persique. Dans l’épopée sumérienne d’Enki et de Ninhursag, Dilum est d’ailleurs désignée comme étant le lieu originel de la création24. A la manière d’une Atlantide mouvante, d’autres placent l’Eden en Éthiopie, à Java, au Shri Lanka, au Yémen, aux Seychelles et même en Floride (il est vrai, réputée pour être le paradis des retraités américains) - preuve que l’Éden est d’abord une affaire de croyances. D’autres enfin disent qu’il est impossible de retrouver le Jardin originel puisqu’il fut détruit comme tout le reste par le Déluge…


Si on analyse l’étymologie, le terme hébreu désignant le jardin d’Éden25 ou plus littéralement « le jardin des délices » (גַּן עֵדֶן, gan ‘eden) dériverait de l’akkadien edinu et du sumérien e-din signifiant la « plaine ». Cette dimension géographique est corroborée par le mot akkadien namu (littéralement « celui qui habite la steppe »). Or, ce mot est une des composantes du substantif Na-Me qui désigne l’homme comme être dans les textes mythologiques. Il existerait donc un rapport étroit entre la plaine comme lieu spécifique, le fait d’habiter ce lieu et la caractérisation de la nature humaine. L’homme serait-il autant un être au monde qu’un lieu au monde ? 


L’Eden n’est pas seulement un jardin mais « un pays » comme stipulé dans la Bible26. C’est un territoire. En fait ses limites sont celles aux frontières desquelles l’Autre ( le non-Eden) se trouve. Le jardin n’est qu’une partie de ce territoire, « un paradis », un jardin des délices. Il renvoie à une organisation spatiale spécialisée, qui évoque et qui correspond à l’essor des premières villes, avec des espaces dédiés, au pouvoir (et à son administration), au culte, aux commerces - exactement comme le Dieu de la Genèse organise le jardin originel en plantant des arbres qui sert de repères donc de découpe à l’espace, avec au centre l’Arbre de Vie (le permis) et ailleurs l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal (l’Interdit). Le dieu créateur est aussi un dieu géomètre. 



Adam, Golem : le potier et le dieu créateur .



Cette nouvelle organisation spatiale apparait à l’évènement du néolithique. Au paléolithique27, le monde restait un espace ouvert, nomade. Les clans dressaient leurs campements in situ ou revenaient périodiquement sur des sites connus (abris sous roche), en fonction des transhumances des troupeaux. La notion de campement (espace social) induit l’idée de permanence et de récurrence (fréquence) mais elle ne la réalise pas. Tout change avec la sédentarisation, puis l’essor de l’habitat urbain. L’espace devient un champ clos. Il se limite aux terres cultivées, juste avant l’espace sauvage, celui de la forêt, de l’Autre. Il se limite là où commence aussi celui des autres groupes humains. Cette co-existence implique une situation de défense (pour maintenir l’intégrité de son territoire) ou de conquête (pour l’agrandir). Le souci (la volonté, le respect) de possession impose celui d’appartenance associé à une culture (dans tous les sens du terme) et à un territoire (comme totalité et comme partage). D’une certaine manière, le néolithique marque le début du patriotisme. Cette organisation horizontale est aussi verticale, avec l’affirmation d’un nouvel espace religieux, celui des dieux, de l’Autre. Il est symbolisé en Mésopotamie par la Ziggourat (qui servit de référence à la Tour de Babel biblique). Ce temple-montagne akkado-babylonien - comme le temple d’Ur - est l’héritier des édifices cultuels construits en terrasses en Basse Mésopotamie aux alentours du Ve millénaire avant Jésus-Christ. Il évoque le tertre originel de la mythologie égyptienne, lieu du premier lever de soleil ou lieu de naissance du premier dieu28. 

 

L’espace de l’Eden biblique évoquerait la nouvelle organisation spatiale néolithique définie d’abord par ses limites. Conjointement, la création d’Adam semble elle faire écho à l’essor de la céramique, précisément là encore au néolithique. Il ne s’agit pas d’une invention liée à la sédentarisation ni au premières productions agricoles. Dès le paléolithique supérieur, Sapiens avait façonné des objets en terre cuite, mais toujours dans un but non utilitaire.   Il s’agissait souvent de statuettes, comme la Vénus de Dolni Vestonice (découverte en Tchéquie actuelle et datée du Gravettien).  Entre 33 000 et 24 000 avant le présent, les hommes et/ou les femmes du paléolithique fabriquaient des statues à leur image comme le dieu de la Bible Adam. Ces objets en terre cuite restent rares. Plus nombreux sont ceux à avoir été mis à jour en Chine29. En revanche, la production de céramique s’accroit très rapidement autour du VIIe millénaire au Proche-Orient - soit à peut près au moment où les créationnistes situent l’épisode du Jardin d’Eden, quand les populations ont dû conserver les récoltes, destinées à la consommations, à l’échange et de réserves pour les prochaines semailles. Il s’agit d’abord de poteries façonnées avec les mains, selon la technique dite « en colombins ». La terre est malaxée par les mains des populations néolithiques (hommes et /ou femmes) avant de donner forme à la figurine ou à l’objet30. 


Si on reprend le texte de la Genèse, il est écrit au chapitre 2 verset 7 que « Elohim forma ha-adam », c’est à dire littéralement, « le terreux, le glaiseux ». Adam se confond à la terre, comme matière. C’est par extension que l’on considéra Adam comme le premier homme, l’humanité31. Autrement dit, le dieu de la Bible façonne Adam comme le scribe façonne la tablette d’argile sur laquelle il va écrire, comme le potier fabrique la jarre, l’urne ou le bol ou comme, plus tard, au XVIe siècle, le rabbin  Yehudah-Leib8 appelé aussi  Loew ben Bezabel, Maharal de Prague, conçut le Golem32. 


Cette création du premier être humain à partir de l’argile n’est pas propre à la Bible. Dans l’épopée mésopotamienne d’Atrahasis33, la déesse Nintu utilise de la glaise pour fabriquer l’humanité. Dans la mythologie égyptienne, le dieu Khnoum façonne lui aussi les premiers êtres humains avec le limon du Nil. Khnoum est en effet « le maître de l’eau fraiche », dieu des cataractes. C’est lui qui contrôlait la crue du Nil, qui permettait d’inonder les terres, de les couvrir du limon nourricier des cultures et donc qui permettaient aux populations de ne pas mourir de faim. Le dieu Khnoum crée séparément mais conjointement  d’une part l’enveloppe corporelle des êtres vivants, et d’autre part leur ka34, leur force vitale. L’un et l’autre sont fabriqués sur son moule de potier.  


L’association égyptienne de l’être humain fabriqué à partir d’argile par le dieu qui garantie sa subsistance en contrôlant les crues du Nil rappelle celle d’Adam le glaiseux avec du dieu de la Genèse qui place le premier homme « dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder » (2-15) c’est-à-dire pour s’en nourrir.  Le jardin d’Eden correspondrait-il à un l’espace néolithique, dans lequel il importe de cultiver la terre et de garder les troupeaux ? Ceux-ci sont d’ailleurs évoqués au verset 19: « Dieu fabriqua avec de la glaise tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir devant l’homme afin de voir comment celui-ci les appellerait, afin que tout être vivant portât le nom que l’homme lui donnerait. Et l'homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs ». La désignation des espèces est donc le fait de l’homme, pas du dieu de la Bible. La Septante en grec est plus intéressante que la traduction très catholique. Il y est en effet écrit « πάντα τὰ θηρία τοῦ ἀγροῦ » qui signifie bien « les bêtes des champs » - autrement dit celles qui ont été domestiquées. Mais utilisé seul, le mot θηρίον (thēríon) signifie «la bête sauvage ». Autrement dit l’expression utilisée dans la Bible semble parler des animaux comme étant des bêtes sauvages domestiquées. Serait-ce là encore une allusion à la révolution néolithique ? 


La belle concorde entre l’homme et la nature qui l’environne disparaît après que l’homme et la femme eurent mangé le fruit défendu. Le Dieu de la Bible maudit Adam, chapitre 3, versets 17-19: « Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l'arbre, du seul dont je t'avais défendu de manger, maudite sera ta terre en tes travaux. Tu t'en nourriras dans les douleurs tous les jours de ta vie ( ἐν λύπαις φάγῃ αὐτὴν πάσας τὰς ἡμέρας τῆς ζωῆς σου·). Elle produira pour toi des épines et de l'ivraie, et tu mangeras l'herbe des champs (ἀκάνθας καὶ τριβόλους ἀνατελεῖ σοι, καὶ φάγῃ τὸν χόρτον τοῦ ἀγροῦ). C'est à la sueur de ton front que tu mangeras ton pain : jusqu'à ce que tu retournes dans la terre d'où tu as été tiré, parce que : Tu es terre, et tu t'en iras dans la terre (ὅτι γῆ εἶ καὶ εἰς γῆν ἀπελεύσῃ). Le terme grec γῆ désigne à la fois la terre comme matière et substance (poussière et argile), comme élément (opposé à l’air, au feu et à l’eau), comme territoire (le monde où vivent les êtres humains) en partie (le pays, la contrée) et totalité (la Terre comme espace commun à tous). Le terme hébreu אדמה (adama) désigne plus uniquement la matière, l’argile, le sol.



Adam et Ève dans le jardin d'Eden par Johann Wenzel Peter



L’Éden, n'est pas un lieu mais un temps, un espace-temps : le mésolithique et ses jardins des délices.


D’une certaine manière, l’Eden tel que décrit dans la Bible correspondrait assez bien au mésolithique, période intermédiaire entre le paléolithique et le néolithique. Elle commence au Moyen-Orient avec le Natoufien (entre 12500 et 9 500 avant Jésus-Christ) et s’achève avec l’adoption de l’agriculture et de l’élevage comme principale source d’alimentation35. C’est une période où les chasseurs-cueilleurs se sédentarisent sans devenir encore des agriculteurs. Les changements climatiques marqués par le réchauffement planétaire  et la fin de l’ère glaciaires entrainent des mutations comportementales au sein des populations. Les clans s’adaptent à ces nouvelles conditions de vie plus facile. L'être humain semble désormais en mesure de jouir au mieux de ce jardin des délices, comme si la nature se développait pour son mieux-être, non plus hostile mais amie. Il est vrai que les populations humaines semblent être celles qui profitent le plus de ce changement climatique, en terme de chasses et de cueillettes. Au point de considérer que la nature se mettait à leur service ?  


L'Éden ne serait pas dès lors un lieu, mais plutôt une époque, un espace-temps, une période intermédiaire pendant laquelle les êtres humains semblent être en accord et faire corps avec une nature non hostile. 


Au Moyen-Orient, les graminées se développent en surface et en productivité. Les populations les récoltent (les cueillent) sans chercher à la cultiver. C’est une époque d’abondance, quantitative et qualitative (la nourriture se diversifie). Un vrai petit paradis sur terre ! Les groupes humains semblent se rapprocher et s’installer dans les milieux côtiers (en attestent la consommations de coquillages et mollusques marins) ou lacustres. Du moins jusqu’à ce que le réchauffement si bénéfique n’entraîne une fonte massive et brutale des glaces, donc une augmentation rapide du niveau des océans, qui contribue aussi à perturber tous les réseaux hydrographiques. La mer submerge les terres et les fleuves débordent et inondent. Un vrai déluge !


C’est au mésolithique qu’apparaissent les premiers « temples » ou lieux de culte collectif. Les cercles de monolithes de Göbekli Tepe36, se dressaient sur une colline entourée au mésolithique par la steppe, voilà 9500 ans. Ces constructions sont sans doute parmi les plus vieilles de l’humanité37. Hautes de 3 à 6 mètres, les stèles calcaires sont couvertes de gravures, en bas et hauts reliefs, représentant des félins, scorpions, canards, aurochs, des gazelles, araignées, vautours, sangliers serpents - les animaux à qui Adam donne un nom comme il est écrit dans la Genèse ? La vocation religieuse, cultuelle ? rituelle ? cérémonielles ? de cette vingtaine d’enceintes38 semble attestée, en partie à cause de l’absence de traces d’habitats (mais seule une petite partie du site a été fouillée depuis 1995). Le fait que le site n’ait  par été détruit mais enterré au néolithique semble reconnaître sa valeur « sacrée » ? En tout cas, il est édifié pendant la phase de transition, de passage, entre le paléolithique et le néolithique, et abandonné quand les rituels ou les cérémonies qui y étaient pratiquées ne faisaient plus sens à l’avènement du néolithique. 


GÖBEKLİ TEPE: LE PREMIER TEMPLE AU MONDE. Source Ministère de la culture turc.

Karahan Tepe, découverte d'une statue vieille de 10000 ans. Source Mi,istère de la culture turc. 

La statue de Karahan Tepe, image d'Adam, représentation du dieu ?  


En octobre 2023, une immense statue anthropomorphe de 2,3 mètres fut découverte à Karahan Tepe, à environ 45 km de Göbekli Tepe, Elle partage beaucoup de similitudes avec la figure en relief mise à jour lors des fouilles de Sayburç en 202139. Il s’agit de deux personnages masculins, l’un tenant son phallus de la main droite et l’autre des deux mains. Toutes deux sont surtout très réalistes. Il est impossible à l’heure actuelle de dire s’il s’agit de représentations humaines, divines, totémiques ou héroïques ni si elles seraient liées à un culte de la fertilité masculine ou non. En ces statues du mésolithiques se démarquent des figures masculines du paléolithique, le plus souvent hybrides et non réalistes. Cette (r)évolution traduit un changement dans la manière dont les populations se perçoivent et donc de se conçoivent. La dimension réaliste tend à imposer l’idée du même. Le principe d’identité semble devenir le vecteur de la reconnaissance individuelle et collective - à la différence de la civilisation paléolithique où les individus se représentaient sans visage ou masqués, comme autre dans la figure de l’Autre40. 


Pour la première fois l’homme se représente à son image et à sa ressemblance. Plusieurs hypothèses expliqueraient ce changement de perspective et de représentation. La prise de conscience de son image pourrait signifier la volonté de l’individu de prendre son destin en main. L’homme cesse d’être immergé dans un milieu, il prend possession de l’espace et il prend le contrôle sur son environnement. Il devient maître des  animaux et des semailles. Transforme la nature à sa nécessité. Dès lors le changement d’Image pourrait marquer le passage de l’état de nature à l’état de culture. Plus il affirme son emprise sur la nature, plus il s’en détache - s’en libère ? Les premiers habitats, les premières villes en témoignent. Il s’agit de nouvelles entités, distinctes de la nature, créée par la seule volonté humaine, sur-naturelles dans la mesure où elles s’élèvent sur la nature. 


Dans ce nouveau paysage mental, la notion de force est importante. Les figures des bovins désormais domestiqués montrent la puissance de l’homme sur l’animal. D’ailleurs l’homme va peu à peu utiliser à son service cette force de travail - de tractage  que représentent le boeuf41 ou le cheval  (le taureau représente plus la force sauvage mais sous contrôle dans les enclos humains  - y compris lors des jeux tauromachiques destinés à magnifier la suprématie humaine, comme représentés sur les fresques minoennes ou mis en scènes dans l’arène). La notion de force revêt aussi une dimension d’autant plus importante que la sédentarisation accentue les confrontations pour la défense ou la conquête des espaces à la fois sur la nature sauvage et sur les autres groupes humains désormais en concurrence. Les mythes héroïques, comme la geste d’Heraklès exalte la force de l’homme qui en apparaît plus qu’humain par rapport à ses semblables. Ce souci - cette fascination - pour la distinction est un trait majeur que l’on retrouve dans les premières épopées. La notion de pouvoir(s) exprime à la fois la volonté de ne plus être sous l’emprise des autres en veillant à les placer sous son emprise. Cette mise en valeur de la force physique peut être un facteur expliquant la valorisation du masculin au néolithique et à l’avènement de la période historique. A Göbekli Tepe, l’absence de toute représentation féminine - bien plus nombreuses que les figures masculine dans les grottes du paléolithique - a étonné les archéologues. Comme si à cette période, un distinguo de genre apparaissait (mais l’ensemble du site n’ayant pas été fouillé, prudence…). Cela semble être aussi le cas dans les autres sites mésolithiques anatoliens datés de la même époque. Ces découvertes remettent en question la thèse du matriarcat primitif selon laquelle ce furent les femmes qui inventèrent l’agriculture et que les premiers cultes dits de « la Grande déesse » célébraient la fécondité féminine42. En fait il semblerait qu’il existât des espaces « cultuels », « rituels » les uns plus dédiés aux hommes et les autres aux femmes43. Les uns dédiés à la fertilité masculine et les autres à la fertilité féminine ? Étaient-ils  solidaires et complémentaires, difficile à dire, mais sans doute oui. En tout cas, la distinction par genre pose la question de l’altérité des uns au regard des autres.




La Bible est plus équivoque pour distinguer le masculin et le féminin. Au chapitre 1 verset 27 de la Genèse il est écrit: « καὶ ἐποίησεν ὁ θεὸς τὸν ἄνθρωπον, κατ εἰκόνα θεοῦ ἐποίησεν αὐτόν, ἄρσεν καὶ θῆλυ ἐποίησεν αὐτούς. (Et Dieu créa l'homme ; il le créa à l'image de Dieu ; il les créa mâle et femelle). » La phrase est complexe à comprendre. Le Dieu de la Bible crée l’homme, puis il est précisé qu’il le créa à son image - comme s’il s’agissait d’une seconde étape (passage de la sculpture abstraite à la figure réaliste ? ) et enfin qu’il les créa mâle et femelle (ἄρσεν καὶ θῆλυ44). Le pluriel est problématique. Cela signifierait-il que le dieu de la Bible crée l’homme puis le crée et se faisant se crée à son image, dieu à la ressemblance de l’homme et l’homme à l’image de dieu, tous deux mâles et femelles. Le premier Adam serait-il à son origine même et femelle ? Et s’il fut crée « mâle et femelle » par Dieu, à l’image de Dieu, cela signifierait-il que Dieu est donc lui aussi « mâle et femelle ? » Le premier Adam serait-il par nature androgyne, ou serait-il dans la nature de l’homme d’être androgyne ? Le premier Adam était-il trans-genre, tout à la fois masculin et féminin, la distinction imposant aussi l’idée qu’il pouvait être tantôt mâle tantôt femelle et tour à tour, double et pas forcément, même et autre au même instant.


Mais voilà tout se complique (et se simplifie) au chapitre 2 de la Genèse versets 21-25, quand le dieu de la Bible s’aperçoit que si Adam « le double »  « son Même » possède en lui le principe « mâle » et « femelle »,lui est seul, à la différence de toutes les autres créatures qui sont en couple (c’est-à-dire dédoublées). D’où la nécessité de faire sortir Ève du flanc d’Adam45 à l’image et à la ressemblance (à l’instar ?) de Dionysos, né de la cuisse de Jupiter et d’Athéna de la tête de Zeus.  Par cette opération, cette « césarienne », le dieu de la Bible personnalise et individualise le principe femelle, le distingue en l’associant au principe masculin d’Adam. 


D’où l’apparition d’un second Adam duquel le dieu de la Bible aurait tiré Eve, après l’avoir endormi. Ève serait donc le double antithétique d’Adam, son double et son altérité (en aucun cas son opposé)46. 


Le texte de la Genèse comporte un autre paradoxe.  Il précise qu’Adam  fut créer « à l’image et à la ressemblance »  du dieu de la Bible  (κατ εἰκόνα ἡμετέραν καὶ καθ ὁμοίωσιν47) dans la mesure où le dieu en question est dit sans visage, et qu’il interdit sa représentation. Comment Adam peut-il être à ce point le Même quand son créateur se définit à ce point comme Autre ? 


L’interdiction de nommer et de représenter le dieu de la Bible est établie par le troisième commandement du Décalogue. C’est à partir de ce moment que le nom même du dieu de la Bible disparaît peu à peu des textes. Au profit d’appellation telles que « l’Eternel » ou « le Seigneur »  ou encore « le Nom ». L’étymologie du tétragramme YHWH  - ou Yahvé -  qui correspond au nom du dieu de la Bible pourrait être associée à la racine sémitique hwy. Celle-ci signifie à la fois « tomber », « désirer » ou encore « souffler ». Ce pourquoi d’aucuns associent le dieu primitif à un oiseau de proie (comme le vautour découvert à Göbekli Tepe) ou à « l’orage »48. En tout cas, il est dit dans l’exode que le dieu de la bible ne se montre pas mais qu’il se manifeste, buisson ardent ou plaies ravageant l’Egypte. 


En fait, la présence de Yahvé se manifeste surtout par sa violence, comme force de destruction, des armées de pharaon ou de Sodome et Gomorrhe. C’est aussi en chassant Adam et Ève et en les accablant de tous les maux que le dieu de la Bible manifeste sa colère après que ils ont osé goûter le fruit de la connaissance: « ἐπικατάρατος ἡ γῆ ἐν τοῖς ἔργοις σου. (Maudite sera ta terre en tes travaux). ἐν λύπαις φάγῃ αὐτὴν πάσας τὰς ἡμέρας τῆς ζωῆς σου· (Tu t'en nourriras dans les douleurs tous les jours de ta vie.)49 ». ἀκάνθας καὶ τριβόλους ἀνατελεῖ σοι, καὶ φάγῃ τὸν χόρτον τοῦ ἀγροῦ. (Elle produira pour toi des épines et de l'ivraie, et tu mangeras l'herbe des champs.) ἐν ἱδρῶτι τοῦ προσώπου σου φάγῃ τὸν ἄρτον σου ἕως τοῦ ἀποστρέψαι σε εἰς τὴν γῆν, ἐξ ἧς ἐλήμφθης· ὅτι γῆ εἶ καὶ εἰς γῆν ἀπελεύσῃ. (C'est à la sueur de ton front que tu mangeras ton pain : jusqu'à ce que tu retournes dans la terre d'où tu as été tiré, parce que : Tu es terre, et tu t'en iras dans la terre.50). 


En fait, la malédiction divine correspond à la fin de l’âge d’or du mésolithique et à l’avènement du néolithique. Ils apparaît qu’à cette période les changements climatiques modifient les milieux naturels. Les populations sédentarisées semblent plus soumises aux variations des récoltes, ce qui les oblige à développer de nouvelles techniques de cultures  (irrigation) mais aussi des technologies plus performatrices comme l’invention du joug pour utiliser la traction animale afin de retourner les sols en profondeur. Les êtres humains apprennent à modifier leur milieu pour mieux le dominer. Mais cette volonté de contrôle va de paire aussi avec un profond sentiment d’impuissances devant les catastrophes naturelles comme les inondations liées à la fonte des glaciers (le déluge) ou encore la sécheresse liée aux variations des courants marins. Et c’est précisément dans ce contexte que se développe le sentiment religieux ou tout du moins des formes de religiosité. En témoignent l’essor des structures rituelles mégalithiques. C’est aussi ce changement qui pourrait expliquer pourquoi les populations du nouvel âge néolithique ont décidé d’enterrer les enceintes mésolithiques de Göbekli Tepe.


GÖBEKLİ TEPE, source Ministère de la Culture turc. 


Dans son article publié en juin 2006 par Der Spiegel et intitulé « Die Suche nach dem Garten Eden. Archäologen auf den Spuren des biblischen Paradieses » Matthias Schulz émettait l’idée que le site de Göbekli Tepe eût pu être une des portes du Paradis mentionné dans le livre de la Genèse. Il s’agit sans doute d’une rêverie. En revanche, le site découvert dans la Turquie actuelle nous permet de proposer une relecture de la Genèse. 


A cet égard, l’opposition féroce et obtuse entre les créationnistes et les évolutionnistes s’avèrerait-elle être en fait une incompréhension ? En créant le monde, le dieu de la bible se crée lui-même, se révèle en tant que créateur. Dès lors, le temps biblique commence par la création du divin. Cela correspond à ce que les découvertes archéologiques ont révélé du mésolithique. Par ailleurs, l’Éden tel que décrit par la Bible apparaît être autant un espace, qu’une situation. La notion d’espace renvoie aux premières sédentarisations, c’est-à-dire à l'idée d’un espace centré ( là où s’établissent des populations ) et d’un espace fermé  (là où les populations ne s’aventurent plus, reviennent à leur lieu d’implantation). D’où l’idée de frontières qui opposent l’idée de jardin à celui d’espace ouvert. Cette enclosure est le point de vue au delà duquel on ne peut plus voir, où l’on ne peut que projeter des perspectives, élaborer des possibilités, spéculer. Cet au-delà du jardin peut signifier la nature sauvage (non domestiquée), se concevoir comme une fantasmagorie, un imaginaire, une métaphore du caché, du dissimulé, de l'inexistant. Espace de l’autre, il peut être celui du non-humain ou celui du divin ou des deux associés. 


L’Éden renvoie aussi à un état de l’être humain comme être au monde L’espace rejoint ici le temps. Le fait que la malédiction d’Adam le contraigne à suer désormais sang et eau pour subvenir à ses besoins vitaux signifie bien le passage d’un temps de l’avant au regard du temps de l’après. L’Eden n’est pas seulement un lieu mais aussi une période. Celle-ci évoque l’âge d’or du mésolithique quand les populations récoltait les fruits de la nature sans avoir à les cultiver, en tout cas quand les chasseurs-cueilleurs ont prospéré et se sont sédentariser sans devenir des agriculteurs. Cette situation change au néolithique. Désormais,  la question du travail et de sa pénibilité, le souci de la production, de la productivité et de la prospérité semble revêtir une dimension de plus en plus importante. 


La genèse rend compte de cette révolution. En fait, elle cristallise un début de l’humanité associée à celle de l’avènement des premières sociétés néolithiques. En ce sens, si on considère que l’histoire de l’humanité commence avec sa sédentarisation, quand le monde cette d’être un espace ouvert pour devenir un monde géométrisé, arpenté, alors oui, l’histoire du nouvel homme néolithique a bien commence il y a 10 000, 8000 ou 6000 ans selon les critères. Il faut donc considérer la Genèse comme un point de repère, à l’image et à la ressemblance de celui de la naissance du Christ dans l’univers occidental, du parinirvâna du Bouddha (fixé à 543 av. J.-C) dans le calendrier bouddhiste, de l’Hégire dans le calendrier islamique (fixé à partir de 622 après J-C), ou encore de la fondation de Rome du temps de l’empire romain (le 21 avril 753 avant J_C) et caetera. 


Dès lors si on considère que la Genèse signifie donc plus un passage entre un avant et un après (mis en abîme par le départ d’Adam et Ève du jardin d’Eden), la création biblique n’est plus en contradiction avec l’évolution des hominidés puis de l’espèce homo sur des millions d’années. La Septante  précise même qu’Adam vécut d’abord hors du Jardin d’Eden51, autrement dit cet Adam pourrait évoquer l’homme du paléolithique, celui d’avant la sédentarisation au mésolithique (quand Adam puis Ève vivaient dans un jardin d’Eden) avant l’avènement du néolithique (quand Adam et Ève furent chassés du jardin d’Eden, contraints à une dure vie de labeur correspondant au changement climatique). 


Fondée sur l’analyse raisonnée, la théorie de l’évolution ne saurait être remise en question surtout par des croyances religieuses, obscurantistes voire complotistes, qui opposent leur vérité à la réalité (sauf que leur vérité n’est pas la vérité car elle n’est pas la réalité), à la manière des idéologies totalitaires (contester leur vérité est perçue comme une menace, une mise en doute du tout). En revanche, analyser les écrits bibliques, en faire une lecture anthropologique et historique, permet de comprendre la nature et le statut de la croyance religieuse, et montrer comment ceux-ci s’inscrivent et accréditent la théorie de l’évolution. Le mythe du jardin d’Eden - sa mythographie - s’inscrit en effet dans l’évolution des sociétés humaines, entre le monde d’avant (celui des chasseurs-cueilleurs du paléolithique) et le monde d’après (celui du néolithique - qui courre jusque’à notre époque présente). L’épisode qui se déroule dans le jardin, avant qu’Adam et Ève n’en soient chassé pourrait correspondre au mésolithique, quand les chasseurs-cueilleurs ont commencé à se sédentariser. La malédiction divine illustre assez bien le sort des nouveaux agriculteurs, qui dominent la nature tout en en craignant les calamités. Le passage du paléolithique au néolithique fut une véritable révolution existentielle. Ce pourquoi, son avènement fut perçu comme un point de départ.Tout ce qui avait préexisté n’avait plus lieu d’être. Ce nouveau monde fut marqué par la création d’un dieu créateur, double antithétique- même et autre - de l’homo neolithicus. Et c’est bien de ce moment si particulier dont parle la Bible, quand l’homme s’est mis à créer un dieu à son reflet, quand il pétrissait les idoles d’argile. Le créationnisme n’est donc qu’un épisode de l’évolution. Une marque fossile et un témoignage de ce qui fut la plus importante des révolutions sociales et sociétales, culturelles et mentales. Et c’est aussi ce traumatisme - ce péché originel - qu’évoque la Bible.


©Sylvain Desmille  




NOTES



1 Charles Darwin, On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, London, John Murray, Albemarle street, 1859. En fait, la théorie darwinienne prolonge un débat d’idées commencé au XVIIIe siècle, avec les Lumières et surtout suite à la découverte de « nouvelles » espèces (du point de vue des occidentaux), en particulier en Océanie. L’uniformitarisme, défendu par John Playfair et Charles Lyell, postulait que les processus qui s’étaient exercés dans le passé lointain t'exerçaient encore de nos jours. Il expliquait la création du relief de la Terre par une succession graduelle de transformations naturelles à l’origine de plusieurs « centres de créations » (la création n’était plus dès lors un acte unique). Jean-Baptiste de Lamarck défendit quant à lui la thèse du transformisme selon laquelle le vivant réagirait de lui-même aux influences du milieu afin de mettre ses fonctions en accord avec celles-ci. L’hérédité serait dès lors une somme d’acquis (et ne serait plus innée).  Le transformisme s’oppose alors au fixisme qui affirmait qu’il n’y avait jamais eu de transformation des espèces végétales et animales ni d’évolution de l’Univers depuis sa création.   


2 Samuel Wilberforce, « [review of] On the origin of species, by means of natural selection; or the preservation of favoured races in the struggle for life. By Charles Darwin. » in  Quarterly Review 108: 225-264, London, 1860


3 L’archevêque anglican James Ussher , primat d’Irlande entre 1625 et 1656, aurait même déterminé à partir de la chronologie biblique le premier jour de la création au 23 octobre 4004 avant Jésus-Christ. 


4 Il s’agit d’une citation du Discovery Institute, un des promoteurs du dessein intelligent. Lire aussi de Dominique Lecourt, L'Amérique entre la Bible et Darwin : Suivi de Intelligent design : science, morale et politique, PUF 1992 et 2007 ( dans la collection « Quadrige »). 


5 « En conséquence, les théories de l'évolution qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent l'esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ou comme un simple épiphénomène de cette matière, sont incompatibles avec la vérité de l'homme. Elles sont d'ailleurs incapables de fonder la dignité de la personne », Jean-Paul II, Les origines de la vie, allocution du 22 octobre 1996 à l'Académie pontificale des sciences. 


 6 Le tribunal fédéral de Harrisburg dans l’arrêt du 20 décembre 2005 rendu par le Juge John Jones a estimé que l’enseignement du « dessein intelligent » était inconstitutionnel car fondé sur des convictions religieuses et non sur des preuves scientifiques. 


7 Catherine Vincent, « Le créationnisme étend son influence en Europe », Le Monde du 18-11-2008.


8 Pierre Clément, « Conceptions créationnistes de lycéens musulmans français » in Carrefours de l’éducation, n° 44, pp.51-72,  Armand Colin, décembre 2017. Lire aussi La tentation radicale. Enquête auprès des Lycéens,  sous la direction d’Olivier Galland et Anne Muxe, PUF, Paris, 2018. « Les résultats bruts de l’enquête montrent que les lycéens musulmans sont nettement plus portés que les autres à adhérer à des idées absolutistes en matière religieuse. Ils justifient aussi plus souvent la violence religieuse. Ces attitudes ne sont associées ni aux caractéristiques socio-économiques des familles dans lesquelles vivent ces jeunes, ni à leurs performances scolaires, ni à leur optimisme ou pessimisme en matière d’accès à l’emploi. », page 81.


9 Abou Zeïd Abdelrahman ibn Mohammed ibn Khaldoun al-Hadrami, Kitab al-ibar, (Le Livre des exemples), « Bibliothèque de la Pléiade » Gallimard, Paris, 2002. Jean Mohsen Fahmy, dans Ibn Khaldoun. L'honneur et la disgrâce, Ottawa, L'Interligne, 2003, rapporte cette annecdote; Un jour, à Tunis, un étudiant lui pose cette longue question :« Vous avez écrit que, dans l'univers de la Création, le règne minéral, le règne végétal, et le règne animal sont admirablement liés… Vous avez ensuite, je vous cite, ajouté qu'au sommet de cette création le règne animal se développe alors, ses espèces augmentent et, dans le progrès graduel de la Création, il se termine par l'Homme — doué de pensée et de réflexion. Le plan humain est atteint à partir du monde des singes… où se rencontrent sagacité et perception, mais qui n'est pas encore arrivé au stade de la réflexion et de la pensée. À ce point de vue, le premier niveau humain vient après le monde des singes : notre observation s'arrête là… Vous dites donc, maître, que l'Homme est un singe ? Que le Tout-Puissant a créé l'Homme et le singe à partir du même moule ? Vous avez donc affirmé que le singe est au voisinage de l'Homme. Dieu aurait donc fait du singe… un parent de l'Homme ? » Eh oui. 


10  Faouzia Charfi, L’islam et la Science. En finir avec les compromis. Editions Odile Jacob, Paris, 2021. 


11 « Dans le Coran, le récit de la Genèse correspond au récit de l'irruption du mal dans la Création. Le mauvais fils d'Adam représente en particulier le mal issu du plus profond de l'âme humaine. » Ida Zilio-Grandi (Université de Venise), « La figure de Caïn dans le Coran » in Revue de l’histoire des religions, tome 216, pp 31-85, PUF, 1999.


12 Pierre Lecointre, « La laïcité des sciences et de l'école face aux créationnismes », pp 69-84, Cités 2012/4. 


13 Nurculuk ou Nurcu Cemaati (simplifié en Nurcu) est un mouvement islamique turc fondé au début du XXe siècle mais popularisé à partir des années 1970 et surtout dans les années 1980 et 1990 par Fetullah Gülen, imam turc résident aux Etats-Unis. Celui-ci construit et développe tout un réseau d’établissements scolaires, infiltre les médias puis dans les années 1980 l’armée turque, pourtant encore garante de la laïcité, fait alliance avec le parti islamiste AKP de Recep Tayyip Erdogan, prospère quand celui-ci prend le pouvoir en Turquie, du moins jusque’à la tentative de coup d’État de 2016. Une vague de répression est alors conduite contre le Mouvement Gülen, placé sur les listes des organisations terroristes par la Turquie, le Pakistan, le Conseil de coopération du Golf et l’Organisation de la coopération islamique.


14 Né à Ankara en 1956, de son vrai nom Adnan Oktar, Harun Yahya est un prédicateur du créationnisme en Turquie. Il s’est déclaré anti-bouddhiste, anti-sioniste et anti-franc-maçon, mais pas « antisémite » car il considère que l’antisémitisme puise son origine dans le paganisme et le darwinisme (pendant la Première Guerre mondiale, des officiers autrichiens avaient détourné la théorie sur l’évolution des espèces et la sélection naturelle pour justifier leur « supériorité » « raciale »). Cependant, en 1990, Oktar Harun créa et dirigea Bilim Araştırma Vakfıune ( BAV) ou « Fondation de recherche « scientifique ». Elle publia en 1996 un livre Soykırım Yalanı (L'imposture de l’Holocauste) qui affirmait que « ce qui est présenté comme Holocauste est la mort de certains Juifs à cause de la peste typhoïde pendant la guerre et la famine à la fin de la guerre provoquée par la défaite des Allemands. »  Sous-entendu, c’est la libération des territoires nazis par les Alliés qui aurait été responsable du nombre des morts dans les camps de concentration et d’extermination… BAV a entamé une procédure judiciaire « en diffamation » contre ceux qui l’accusaient d’avoir fait la promotion de thèses négationnistes… avant de retirer sa plainte lorsque fut découvert que l’auteur de ce livre négationniste n’était autre qu’Adnan Oktar… »


15 Déjà en 2009 le Wall Street Journal avait révélé qu’Adan Oktar alias Harun Yahya avait été arrêté pour possession de drogue. Celui-ci avait alors répliqué qu’il s’agissait d’une manoeuvre liée à la « dictature du darwinisme »… Sic. 


16  Le Comité sur la Culture, la science et l'éducation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a écrit dans son rapport du 8 juin 2007 (sous l’égide du député socialiste français Guy Lengagne) que « Aucun des arguments dans ce livre se base sur une évidence scientifique et que le livre apparait plus comme un traité primitif de théologie que comme une réfutation de la théorie de l'évolution.


17  David Median, dans son article « Harun Yahya: dégénéré de la création » paru dans le n°56 de l’hebdomadaire Franc Tireur, du 7 décembre 2022, compile un ensemble de propos complotistes attribués à Harun Yahya: « Il existe un complot judéo-maçonnique. » « Les attentats du 11 septembre ont été organisés du début à la fin par la CIA qui a manipulé les Arabes déviants, communistes, darwinistes et matérialistes. ». 


18  Richard Dawkins, The God Delusion, Houghton Mifflin Company, New York 2006, (Pour en finir avec Dieu dans la traduction française, Robert Laffont, Paris 2008) , 


19 Cf. Guillaume Perrier, « Des créationnistes turcs envoient Darwin au pilon », in Le Monde, 13 mars 2009. 


20  Le totalitarisme est un système dans lequel l’État ( structure, nation, pouvoirs et situations), au nom d'une idéologie (ou d’une religion), exerce une mainmise sur la totalité des activités individuelles. Quand un parti - une idéologie, une religion - se confond à l’état, quand les membres de ce parti se substituent aux agents de l’État, alors il s’agit d’un État totalitaire. Le système totalitaire impose sa vérité considérée comme absolue à partir du moment où il condamne tout ce qui peut la relativiser, la remettre en cause, la contester, s’y opposer. La Loi est Sa voix, et il refuse tout dialogue. Le Livre impose de détruire tous les livres qui ne sont pas son double, son dédoublement. Le système totalitaire favorise et ne tolère que le copier-coller, le plagiat de lui-même. L’autre, l’analyse, la réflexion personnelle sont pour lui à exterminer. 


21 On se reportera aux ouvrages de Pascal Picq, Le singe est-il le frère de l'homme ?, Paris, Éditions le Pommier, « Les petites pommes du savoir », 2002. Au commencement était l'homme : de Toumaï à Cro-Magnon, illustrations d'Olivier-Marc Nadel, Paris, Odile Jacob, 2003. Nouvelle histoire de l'homme, Paris, Perrin, 2005. Et le fantastique, L'articulation temporo-mandibulaire des hominidés : biomécanique, allométrie, anatomie comparée et évolution, Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, « Cahiers de paléoanthropologie », 1990. 


22  « Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin, et de là il se divisait en quatre bras. Le nom du premier est Pishon : il entoure tout le pays de Havila où se trouve l’or. […] Le nom du deuxième fleuve est Guihon : il entoure tout le pays de Cush. Le nom du troisième est le Tigre : il coule à l’est de l’Assyrie. Le quatrième fleuve, c’est l’Euphrate. » Genèse 2.10-14.


23  Dilmun est attestée dans des tablettes d'Uruk datées de la fin du Ive millénaire avant Jésus-Christ. 


24 Samuel Noah Kramer Mythologie sumérienne: A Study of Spiritual and Literary Achievement in the Third Millennium B.C.: Revised Edition. Philadelphie, Pennsylvanie: University of Pennsylvania Press 1961.


25  L’association du « Paradis » à l’Éden est plus tardive. Elle apparaît à la période post-exilique xx, c’est-à-dire après la chute de l’empire babylonien, en 539 avant Jésus-Christ et l’avènement de l’Empire perse. L’édit de Cyrus autorise les populations « de la tribu de Juda » à retourner chez elles. Le retour à Jérusalem correspond à une période de renouveau spirituel. C’est à ce moment que le scribe Esdras, grand réorganisateur du culte monothéiste, fonda la « Grande Assemblée » (futur Sanhédrin). C’est également lui qui fit traduire la Thora en araméen parce que les populations revenues de Babylone ne parlaient plus hébreu. Et c’est au moment de cette traduction qu’apparaît, en particulier dans le Talmud, l’association de l’Éden au Paradis, du perse « paridaizam » et du babylonien « pardesu », sans doute en référence aux jardins qui ceinturaient le palais achéménide de Pasargades, en Perse, construit au milieu du VIe siècle avant Jésus Christ. par Cyrus le Grand (d’une certaine manière le roi perse régnait sur ses jardins, comme Dieu sur l’Eden, en son centre et sur la totalité).   


26 Genèse, II-8: « Le seigneur Dieu planta un jardin en Eden » Autrement dit le jardin est une composante d’un ensemble plus vaste, « le pays d’Éden ». 


27  Cf. Marcel Otte, «  La gestion de l’espace au paléolithique », Research Gate / Université de Liège, janvier 2011. Jean-Laurent Monnier, « L'organisation spatiale de l'habitat au Paléolithique inférieur et moyen d'après les premiers résultats de la fouille de trois sites armoricains. » , Bulletin de la Société préhistorique française T. 87, No. 10/12, Spécial bilan de l'année de l'archéologie (1990).


28  Le tertre primitif est un élément clé des mythes rapportant la création dans la religion égyptienne. Il est associé à Noun, l’océan primitif qui existait avant que le monde ne fut créé. Les mastabas et les pyramides en seraient une évocation. 


29  En Asie, les chasseur-cueilleurs fabriquent les premiers ustensiles destinés surtout à la cuisson des aliments, comme ceux découverts dans la grotte de Xianren en Chine (datés de -20 000 ans) ou dès la période Jômon au Japon (de -13 000 à - 4000ans),  bien avant l’apparition de l’agriculture.


30  L’usage du tour est attesté à Suse et à Uruk vers 3500-3000 avant Jésus-Christ. 


31  En langue ougarite, ou chamito-sémitique (comme le cananéen), l’humanité se dit « adm », mais cette racine correspond à l’âge du bronze récent - XVe-XIIe siècle avant-Jésus-Christ.


32  Contrairement à Adam, le Golem, lui aussi fait d’argile, reste un être inachevé et inaccompli, car fabriqué par la main de l’homme, qui ne peut être l’égal du dieu de la Bible. Son nom, גולם,  signifie en hébreu « embryon », « informe ».


33  Le récit composé de 1200 vers raconte comment Atrahasis (de l’akkadien ḫaṭṭu ḫasīsu, « sceptre de l'ingéniosité ») aurait survécu au déluge et obtenu des dieux l’immortalité. Dans la version sumérienne de la Genèse d’Eridu,, il correspond à Ziusudra (qui signifie littéralement « Jours à la vie prolongée), dernier des rois ante-diluviens de Sumer. On estime que le mythe inspira l’histoire biblique de Noé.


34  Le ka est une notion complexe, propre à l’Egypte ancienne, qui exprime la vitalité d’un être et sa faculté à accomplir tous les actes de la vie. C’est une sorte de parxis. Au pluriel, Kaou désigne les aliments qui permettent de rester en vie. Selon les époque (et le regard occidental), le Ka peut être perçu comme une sorte d’esprit (Daimon en grec), de double co-substantiel à l’enveloppe charnelle humaine, qu’il ne faut pas confondre avec le Ba que l’on traduit maladroitement par « âme » en occident, mais que les Egyptiens conçoivent plus comme « une énergie » permettant aux êtres humains d’établir le contact avec le monde des dieux, de percevoir l’inviolé ( de le voir et / ou de le sentir). . 


35  Il existe un grand décalage temporel entre les différentes aires civilisationnelles, qui s’explique en partie par une évolution des conditions climatiques différenciées. C’est la Chine et l’Inde qui sont les premières à commencer la transition mésolithique, vers 17 000 ans avant Jésus-Christ, puis au Japon, puis Moyen Orient, puis en Europe (entre 9 700 et 5 000 avant Jésus-christ). 


36  Le site se trouve en Turquie anatolienne, à environ 15 km au nord-est de la ville de Sanlıurfa,


37  Elles mesurent entre 10 et 30 m de diamètre et furent composées de plusieurs murs et banquettes concentriques en pierre, rythmés par des piliers en T, avec au centre de chaque cercle une paire de piliers plus hauts que les autres.


38  Une prospection géomagnétique a montré qu’au moins vingt enceintes de ce type avaient été édifiées. Seules sept ont été repérées en fouille. Quatre ont été entièrement dégagées.


39  Eylem Ozdogan, « The Sayburç reliefs: a narrative scene from the Neolithic » in Antiquity, Cambridge University Press, dec 2022.  


40  Découverte par des mineurs russes en 1890 et conservée aujourd’hui au musée régional de Sverdlovsk, à Iekaterinbourg, vieille de 12 500 ans « l’idole » en bois de Shigir est à ce jour la plus ancienne représentation anthropomorphique.Elle aurait été sculptée dans un tronc de Mélèze à la fin du dernier âge glaciaire. Ses motifs en chevrons rappelle les stèles de Göbekli Tepe, plus réalistes. 


41  L’invention du joug puis de l’araire tractée date de -3500- / -2500 avant Jésus-Christ. 


42  Lire sur ces questions d’Alain Testart, La Déesse et le grain. Trois essais sur les religions néolithiques, Editions Errance, 2010, livre dans lequel le directeur de recherche au CNRS fait le point sur le culte de la Grande Déesse à l’aune des découvertes des sites mésolithiques anatonliens. 


43  En témoignent la « Dame aux fauves » découverte en 1960 et la « Dame » découverte en 2016, toutes deux à Çatal Höyük en Anatolie. 


44  ἄρσην, ársên en grec ancien signifie «  mâle » mais aussi « dur » et « fort « . θῆλυς thêlus, le « féminin » mais aussi « fertile » ( dans le sens de nourrissent) et « faible » ( dans le sens de fragile). 


45  Saint Jérôme traduit l’expression hébraïque  אַחַת מִצַּלְעֹתָיו, (τῶν πλευρῶν αὐτοῦ en grec ancien) par « côte » afin de signifier la subordination de la femme à l’homme, mais le mot hébreu « ṣelaʿ » est plusieur fois utilisé dans les textes bibliques dans le sens  de « côté » ou de « flanc ». Eve serait donc » sortie »  « extraite » du flanc d’Adam, et si on veut aller plus loin Eve aurait été enfanté d’une certaine manière par Adam.


46  Les rabbins ont très tôt repéré cette contradiction sans jamais parvenir à la résoudre de manière convaincante c’est à dire sans remettre en question la nature de l’homme comme sexe et genre. D’aucuns avancent qu’il pourrait manquer des versets, perdus dans les limbes? En ce fondant sur Esaïe 34-14, ils y ont vu la preuve de l’existence d’une « autre première femme », Lilith, née non à partir de la poussière « pure », mais des sédiments et de la saleté. Mais cette légende n’a aucun fondement biblique. Lire à ce propos de Siegmund Hurwitz, Lilith the First Eve : Historical and Psychological Aspects of the Dark Feminine, Daimon, 2007


47  Le terme εἰκόνα ( icône en français ), induit l’idée de ressemblance en tant que similitude (et non en vraisemblance). Il désigne le reflet dans le miroir? Sauf qu’en Grèce ancienne, ce reflet n’est pas clair comme aujourd’hui. Les miroirs de bronze renvoient, une image brouillée, un double obscur, comme si l’image était encapuchonnée à l’image et à la ressemblance des morts dans les Enfers homériques. L’icône renvoie une image claire  - réaliste - lorsqu’il s’agit d’un portrait réalisé par un artiste. Dans le mythe de Narcisse, le jeune homme meurt de faim parce qu’il est fasciné par l’image qu’il découvre à la surface de l’onde, sauf qu’il ne s’y reconnaît pas - Narcisse n’a jamais été victime de son narcissisme. Il est persuadé qu’il est face à un autre, et c’est parce qu’il s’agit de l’Autre que Narcisse en tombe amoureux. Contrairement à l’image renvoyée par les miroirs, le reflet de Narcisse est bien trop clair. Il ne s’y reconnaît pas. Le terme « ὁμοίωσιν » dérive du grec ancien ὅμιος (hómios) signifiant « semblable »,  mais juste en terme de représentation. Le texte de la Genèse affirme  l’idée « qu’Adam est  « de même nature » que le dieu créateur, qu’il est identique, en tout point similaire. Non pas autre mais « Même ». Son égale.(en valeur et en force) Et ce de manière et de nature immuable.C’est tout cela qu’induit l’utilisation du mot ὅμιος.


48  Cette association à l'orage est peut-être héritée de son rival divin Baal. Yahweh s'exprime  en effet souvent au travers des éclairs. Ce pour quoi certains considère qu’il fut peut-être un dieu de la montagne - et c’est sur une montage que Moïse reçoit les dix commandement. Cf. Glenn S. Holland, Gods in the Desert : Religions of the Ancient Near East, Rowman & Littlefield, 2009. Le dieu égyptien Amon était lui aussi à l’origine un dieu local du souffle et de vent, donc du courant qui sévissait sur le Nil dans l’a région thébaine.


49  Genèse, 3-17


50  Genèse, 3-19. Adam revient à la terre car il a été modelé dans l’argile. 


51  L’homme fut, selon la tradition biblique, créé le 6e jour, avec les animaux de la terre et les plantes. A cet égard, la création suit le processus de l’évolution des espèces. Il est dit en effet que les poissons et les animaux marins furent créés le 5e  jour, avant les animaux terrestres. Puis, dans Genèse 2-8, il est écrit: «  Καὶ ἐφύτευσεν κύριος ὁ θεὸς παράδεισον ἐν Εδεμ κατὰ ἀνατολὰς καὶ ἔθετο ἐκεῖ τὸν ἄνθρωπον, ὃν ἔπλασεν.  (Or, Dieu avait créé un paradis dans Éden, à l'orient ; et il y plaça l'homme qu’il avait formé). »  Donc, l’homme n’est pas créé dans le Jardin d’Eden, mais placé après la création de ce dernier. Ce qui implique l’idée de changement de situation, de passage, d’un état un - la nature ouverte,  paléolithique - à un état autre - le jardin fermé, celui de la sédentarisation.




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