ANALYSE DES RÉSULTATS DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES FRANÇAISES DU 19 JUIN 2022 par Sylvain Desmille©

 




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Comme je l’avais annoncé en premier dans mon article publié le lendemain du scrutin du 24 avril 2022, les élections législatives ont bien été le troisième tour des Présidentielles françaises. Il s’agit d’un changement des plus importants. Jusqu’à présent, il était acquis - il allait de soi - que les législatives n’étaient qu’une « formalité » visant à donner au président élu une majorité (sous-entendue « absolue » forcément) à l’Assemblée nationale. Pendant le premier mandat d’Emmanuel Macron, celle-ci avait été considérée comme une simple chambre d’enregistrement des volontés de l’exécutif - au risque de fragiliser la division des pouvoirs, condition première d’un bon fonctionnement démocratique. Cette mainmise présidentielle avait permis de restaurer l’autorité (et la nécessité) du Sénat dont l’existence avait été contestée. Nombreux dans l’opposition avaient été les partis d’opposition à dénoncer le peu de crédit voire une certaine discourtoisie démocratique du parti absolutiste vis-à-vis d’eux. Cette protestation est somme toute classique sous la Ve République, surtout dans un schéma de clivages idéologiques gauche-droite. En revanche, que toutes les formations l’accréditent étaient plutôt inédit, assez symbolique et surtout très symptomatique d’une crise de la parole démocratique. Sous Macron I, sa République avait plutôt été en marche arrière. Et c’est sans doute ce qui explique les défaites elles aussi très symboliques et symptomatiques des députés de l’ancienne macronnie comme Richard Ferrand, ex-Président de l’Assemblée nationale ou Christophe Castaner, président du groupe LREM,  mais aussi de Florian Bachelier (questeur) et de Laurent Saint-Martin (rapporteur général du budget). Le fait que Patrick Mignola, président du group MoDem pendant l’ancienne législature ait été battu est aussi un signe pour les alliés d’Ensemble !


Désormais, la majorité relative pour le parti présidentiel et la composition de la nouvelle Assemblée, autour de trois grands pôles très antagonistes et radicaux, restaurent la possibilité de discuter la loi avant de la formuler, de la fonder sur la négociation et la recherche d’un consensus (ou d’un compromis) approprié, non seulement entre les partis au sein de l’Assemblée nationale mais aussi entre l’exécutif et le législatif. Ce retour de la discussion démocratique ne peut être que positive, à la condition qu’aucun groupe ne la refuse par « principe » - et telle est la principale fragilité de cette nouvelle Assemblée. Le risque de blocage par certains  au nom d’un statu quo impossible à réaliser ou encore les stratégies politiciennes d’obstruction peuvent entraîner un immobilisme ou tout du moins un délai-retard qui ne permettra pas de répondre aux exigences et aux impératifs de la situation - et donc qui sera préjudiciable à tous. Au risque de transformer la Ve République en un remake de la IVe République du XXIe siècle ? 


« Crise de la parole » et « manquement à la parole donnée ».


Or, la composition de la nouvelle Assemblée nationale témoigne de la volonté d’un grand nombre de Français de se faire entendre, y compris en haussant le ton et ce, précisément, parce qu’ils ont eu l’impression de n’avoir pas été entendus sous le précédent quinquennat. En fait l’Assemblée nationale actuelle s’inscrit à l’écho direct de la crise dite « des Gilets jaunes » de 2018-2019 que le gouvernement et le Président Macron ont cru avoir juguler mais sans jamais l’avoir réglé ni en réalité ni vraiment. 


Pour le pouvoir, le « grand débat » n’avait été qu’une prestation rhétorique au final sans effet. « Parole, Parole, parole » comme dans la chanson de Dalida. Pour les « Gilets jaunes », il s’agissait au contraire d’un grand déballage qui aurait dû entraîner des réformes en profondeur et des lois qui n’ont pourtant pas été débattues ni votées par l’Assemblée nationale. Autre signe révélateur, les cahiers de doléances ont tous été pieusement archivés mais pas vraiment analysés. Pourtant, l’histoire a montré leur importance - mais il est vrai que le niveau de culture générale basique a considérablement chuté, y compris à l’ENA et visiblement dès la promotion Senghor de 2002-2004 (ce n'est pas parce que l'on se place sous l'égide d'un des plus grand poète, intellectuel et homme politique du XXe siècle qu'on le devient soi-même dans les faits). 


Les cahiers de doléances remontent au XVIe siècle. Rédigés à l’occasion de la convocation des Etats généraux, ils étaient destinés à recueillir « voeux, demandes et protestations » adressés alors au roi. Les cahiers de doléances sont le détonateur du processus qui a conduit à la révolution française de 1789:  dans les paroisses, à l’époque, les récriminations souvent très personnelles, individuelles et égoïstes étaient synthétisées par un notable du Tiers Etats, puis envoyées au niveau provincial pour être à nouveau synthétiser en vertu du principe de « bien commun » collectif. Lors des États généraux de 1614, c’est sur leur base que le roi « écoute les plaintes de ses sujets afin de pourvoir à leurs griefs » comme le stipule la première séance du 27 octobre 1614 - il est intéressant de noter que la composition de l’assemblée élue sous la minorité de Louis XIII ressemble étrangement à celle du 19 juin 2022... Lors de la crise des Gilets Jaunes, les cahiers de doléances ont été instrumentalisés à la manière des débats dans une commission nommée… pour mieux enterrer un problème. Leur analyse aurait pourtant permis de saisir le malaise des territoires péri et extra-urbains, qui ont voté pour Marine Le Pen puis élu des candidats RN en 2022. En fait le gouvernement a préféré communiquer au lieu d’agir, à moins qu’il ne confonde parole et action (si la crise sanitaire peut servir de prétexte, elle n’est en rien une excuse). 


En l’occurrence, les problèmes ont germé, souterrainement, puis se sont ramifiés en rhizomes (dirait Deleuze) pour ressurgir lors de la campagne présidentielle de 2022. L’excès de communication a été utilisé pour faire taire la parole, mais celle-ci a continué à se chuchoter et à se faire entendre hors des instances gouvernementales qui considéraient l’affaire close au prétexte qu’elles ne voulaient écouter les protestations émises? Les instances ont préféré se focaliser sur polémiques, quitte à les créer avec la complicité des médias et des réseaux sociaux, pour faire diversion et faire "oublier" les débats sur les sujets de fonds. A cet égard la thématique dite « du pouvoir d’achat » privilégiée par la rassemblement national n’est que la retranscription des témoignages inscrits dans les cahiers de doléances (mais non analysés a priori par un cabinet américain à la McKinsey). Il s’agit d’une faute stratégique et politique majeure dont le résultat des élections législatives de juin 2022 est la conséquence explicite.



De même, la défaite de la Ministre de la transition écologique Amélie de Montchalin s’explique-t-elle sans doute par sa trop grande présence dans les médias pour parler de tout sauf des mesures qu’elle entend prendre pour réaliser de manière concrète cette transition écologique et plus encore de manière symbolique et politique pour protester contre la non prise en compte des mesures établies lors de la Convention citoyenne pour le climat constituée en octobre 2019 (dans le sillage de du mouvement des Gilets jaunes) - comme l’interdiction de la publicité des produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre, l’interdiction des écrans numériques publicitaires dans l’espace public, la mise en place d’un choix de repas végétarien quotidien dans la restauration collective publique, le moratoire sur l’Accord économique et commercial global dit CETA, l’entrée de la notion d’écocide dans le Code pénal, l’obligation pour les producteurs de produits manufacturés de fournir des pièces détachés sur une durée de 15 ans, ou encore la mise en place de bonus pour les véhicules peu polluants... 


A cela s’ajoute le fait qu’Amélie de Montchalin a voté contre l’interdiction du glyphosate, pesticide pourtant classé substance cancérogène probable par le Centre International de Recherche sur le Cancer et dont les conséquences de son utilisation ont été condamnées   - y compris financièrement - par la justice américaine (condamnation confirmée en appel par la Cour Suprême). D’où le sentiment persistant que le gouvernement a privilégié les intérêts particuliers voire les « amis » à l’intérêt général pourtant évident, ou pire que les lobbies étaient transcendants, supérieurs aux institutions politiques représentatives ou encore que le « vrai » pouvoir se situait ailleurs qu’à l’Assemblée nationale, chambre à voter des décisions prises hors de ses rangs, alors qu’au même moment on invitait le Président invitait les Français à participer à la réflexion politique (tendance oblige), à les faire s’exprimer mais sans que cela soit suivi d’effet, au besoin en les faisant taire (Parole, Parole, Parole).


Le fait que l’ancien ministre de la Santé Olivier Véran ait été réélu en Isère alors que l’actuelle ministre Brigitte Bourguignon a été battue dans le Pas-de-Calais par  une candidate du Rassemblement national est assez symbolique de la gestion de la crise épidémique et sanitaire de la Covid 19 - gérée certes mais pas forcément bien gérée pour autant comme en témoignent le nombre considérable de décès dont un grand nombre auraient pu être évités si les mesures de distanciation physique et de port du masque avaient été respectée et fait respecté - cette dissociation entre égoïsme et solidarité, intérêts personnels et souci de de l’autre témoignent des lignes de fractures politiques (au sens noble du terme) voire existentielles (peu importe les origines et classes sociales, les appartenances idéologiques ou les groupes générationnels  - comme aurait pu le dire un Jean-Paul Sartre, les salauds sont des salauds et se retrouvent dans tous les milieux, sont de tous d'âge, de toutes les couleurs de peau, de toutes les religions - sauf celle peut-être qui s'attache à l'humanité). En voulant à jouer sur tous les tableaux, quitte à avantager certains en mettant en danger la vie des autres, le gouvernement s’est disqualifié et n’est pas sorti vainqueur de cette « guerre » sanitaire. La crise sanitaire fut en fait l'échec du "en même temps" et du "à la fois".  A cela s'ajoute les promesses non tenues concernant l’hôpital public: malgré les effets d’annonces, en 2021 5700 lits d’hôpitaux ont été supprimés en France et ce malgré la Covid-19 et en vingt ans le chiffre s’élève à 80 000 malgré le vieillissement de la population française. Difficile dans ces conditions de penser que l’on pourrait croire en un programme quand ce qui a été annoncé en terme de communication n’a pas été rendu effectif dans la réalité.  


Enfin la défaite très symbolique de Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’Éducation nationale dès le premier tour des élections législatives témoigne aussi de la crise à l’école et de l’école de la République. Il suffirait d’analyser les grilles de corrections au baccalauréat pour le « contrôle continu »  et celles qui viennent d’être édictées pour le Grand Oral ou encore de constater le niveau réel des enseignants recrutés pour voir l’étendu des dégâts quasi irréversibles désormais comme le réchauffement climatique. Difficile de former des élèves lorsque soi-même on a été (bien) formé.e. La chute de niveau en France révélée par les instances européennes et mondiales est bien réelle. Selon la fondation IFRAP, l'analyse des classements PISA montre que le niveau scolaire des élèves de quinze ans en mathématiques baisse considérablement sur le long terme (en particuliers en terme de démonstration - les élèves français appliquent des recettes, des formules sans les comprendre intrinsèquement et ne savent comment réagir quand elles ne fonctionnent pas car ils ne comprennent pas pourquoi - mais bon, les nouveaux programmes leur demandent juste d'appliquer, comme on le demande à des algorithmes ? de se soumettre ?).  Si on ne relève pas le niveau (cognitivement), il aura diminué de 40% d’ici 2050 par rapport à celui de 2000 (qui lui-même était en chute depuis les années 1990).  Refuser de considérer cette réalité au prétexte que selon la doxa classique "parler de baisse de niveau est une idée de vieux, voire de réactionnaires" (Cf les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet,) c'est faire un peu du Macron


Cette baisse n’est pas dû aux enfants (le processus naturel du développement intellectuel humain n'a guère évolué depuis Sapiens Sapiens). Il reste en partie lié à des facteurs sociaux, ou plutôt à des environnements sociaux, mais de moins en moins. En revanche, elle s'explique par les conditions et les modes d’enseignements et une volonté délibérée de saborder structurellement le système, dans la forme et dans le fond, en brouillant tous les repères.  Les taux de réussite au baccalauréat - désormais plus un diplôme de fin d’études qu'un premier grade universitaire - ont augmenté de manière proportionnelle par rapport à la réduction drastique des coûts dans l'éducation (telle est le but de la réforme dite du contrôle continue: réduire les coûts que représentent le bac en ne payant plus les corrections des enseignants, les épreuves étant réalisées sur leurs heures de cours...). On prononcent des belles paroles paroles paroles, de beaux discours qui font plaisir (diktat de l'émotion et du contentement oblige), mais au final, c'est juste pour résoudre (repousser)  un problème de gestion du personnel de plus en plus difficile et d’argent. Afin de faire plaisir aux parents (certains tantôt complices tantôt hypocrites), les réformes (depuis le quinquennat de François Hollande) accordent le bac au plus grand nombre - quitte à les laisser se saborder par la suite. 


A cela s'ajoute le problème de Parcours Sup qui, au nom du démocratisme anti élitiste, interdit aux meilleurs élèves d'accéder aux filières qu'ils souhaitaient au profit de candidats objectivement moins bons (et ce malgré un système d'évaluation brouillé) mais issus de milieux défavorisés.  Les Grands Oraux l'ont montré: des élèves étaient algorithmement pris dans des écoles préparatoires prestigieuses alors qu'ils n'avaient pas le niveau au moment de passer leur grand oral, sur des sujets qu'ils avaient pourtant eux-mêmes choisis (sinon...). Leur dossier scolaire semblait surévalué ? falsifié ? par les instances scolaires qui exigent que les enseignements mettent "de bonnes notes" parfois en les intimidant, ou par les professeur.e.s qui ne veulent pas être mal noté.e.s au regard de l'administration, ou pour donner une chance à des élèves  parfois bons à leurs yeux, parfois juste méritoires, subjectivement au regard du niveau de leur établissement, mais pas excellents en terme de critères objectifs - comme dans l'ancien bac. Or ce dossier qui avait servi à déterminer la sélection ne correspondait pas à la réalité - parole, parole, parole. Le problème c'est que ces élèves ont d'autant plus de possibilité d'échouer (donc d'être dégoûtés) et qu'ils prennent la place d'élèves qui, eux, auraient pu réussir (mais qui optent pour d'autres filières, à leur corps défendant, parce qu'ils ont été dégoûtés de ne pas avoir été sélectionnés). Or le but - la vocation, l'honnêteté - de l'Ecole de la République n'est pas de jouer les uns contre les autres mais de permettre à tous de devenir meilleurs et les meilleurs, aux uns sans priver les autres. Son éthique ne devrait pas  cultiver l'esprit de revanche mais de favoriser celui de la concorde. Le quinquennat de Macron I n'a pas changé la donne mais renforcer les inégalités en prétendant les réduire. Parole, parole, parole. On se demande parfois s'il ne faudrait pas instaurer un crime contre les humanités... 


La défaite des ministres de Macron témoigne en ce sens d’une condamnation de sa politique gouvernementale en matière de services publics, régaliens (la police) et plus encore ceux qui avaient été des marqueurs du progrès social de l’Etat Providence comme la Santé et l’Éducation. La désertification médicale, numérique, postale etc explique l’élection des députés de la NUPES et du RN. Il s’agit non plus d’un vote de protestation mais de survie et la volonté de les faire entrer à l’Assemblée nationale explique cette volonté de changement réel,  immédiat et effectif. En fait nombreux sont les électeurs à ne plus vouloir entendre qu’on les a « compris » sans que rien ne change concrètement. Ce n’est pas non plus une question de décentralisation - on rejette sur les autres une responsabilité qui vous incombe (c’est très français) mais au contraire une recentralisation dans laquelle "les territoires" péri et extra-urbains reviendraient au centre des enjeux et préoccupations. Car ce qui leur arrive en ce moment est perçu comme une mise en garde pour ceux qui ne sont pas encore concernés (mais ce ne va pas durer). Telle avait été la promesse du président Macron au début de la pandémie de la Covid-19, parole, parole, parole là encore non tenue au regard des réformes à venir. Dire n’est pas faire. Les résultats des législatives montrent qu’on est plus dans l’ère de la « pensée magique » et de la poudre de perlimpinpin.


L’absence de campagne (ou très tardive) de la majorité présidentielle, à la fois lors des élections présidentielles et législatives, est en soi assez symptomatique d’une certaine crise de la parole et plus encore d’une crise de la confiance envers la parole politique (et ici de l’absence de parole). Les polémiques ont souvent été plus mises en avant que les programmes. Ce fut le cas suite aux « incidents au stade de France » (contrairement à ce que le ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin avait certifié l’UEFA a quant à elle apporté la preuve qu’il avait existé 2600 faux-billets pour la finale de la Ligue des champions et non 30 000 à 40 000 comme il avait été dit pour justifier les débordements). L’affaire Damien Abad, accusé de viol a jeté aussi un voile sombre d’abord parce qu’il est encore ministre des Solidarités ensuite parce que la défense classique qui consiste à mettre en avant le droit réel à la présomption d’innocence a pu être également perçu comme un déni de culpabilité - or ce n’est pas parce que quelqu’un est présumé innocent qu’il n’est pas coupable. D’ordinaire, les ministres préfèrent se mettre en disponibilité jusqu’à ce que les accusations soient réfutées ou confirmées par la Justice. Mais là, non. D’où le sentiment d’impunité, d’arrogance, et aussi une suspicion accrue qui a cristallisé la sensation de malaise général, à un moment précis qui plus est où la publication chiffres annuels de l’insécurité et de la délinquance montraient une nette hausse des atteintes aux personnes, des escroqueries, des violences sexuelles et du trafic de stupéfiants en 2021 (la perception d’une justice dissociative ou dissociée, injuste s’inscrit dans la remise en cause de   la justice globale, sociale, économique, judiciaire, culturelle).


Et c’est bien ce que traduisent les taux d’abstentions records enregistrés lors de ces élections. De plus, il s’avère que plus les programmes étaient confus, ou trop généraux moins ils n’ont suscité d’adhésion. Ce fut en particulier le cas pour Ensemble !, pour Les Républicains (LR) et le Parti Socialistes (PS). En revanche, peu importe la nature des propositions, parfois démagogiques,  plus celles-ci étaient clairement énoncées plus les partis ont reçu des suffrages - ce qui tendrait à montrer un retour de l’importance des programmes dans le choix de votes des électeurs non idéologisés. En fait, ce que ces derniers ont sanctionné, c’est plus la continuité ou de renouveler un mandat en blanc pour la majorité présidentielle. Car c'est ce qu'elle demandait: l'absence de débats lors des élections présidentielles et législatives, le refus d'établir un bilan du quinquennat n'avaient d'autre but que d'inscrire les nouvelles mandatures dans la continuité des précédentes, voire une certaine constance. Mais les Français ne le voulaient pas, d'autant plus qu'à aucun clairement ni Emmanuel Macron ni la première Ministre Elisabeth Borne n'ont dit clairement ce qu'ils comptaient faire.   


Cette crise de la parole et le manquement à la parole donnée révèlent un problème non seulement politique mais aussi éthique, qui se traduit par une profonde crise de confiance. Le pouvoir majoritaire a peut-être estimé que les « combinaziones » et autres stratégies uniquement politiciennes suffiraient à lui assurer les clés du pouvoir  à nouveau pour cinq ans. 




La radicalisation, nouvelle expression du pluralisme ?  


La crise de la parole politique est aussi une crise du commentaire  (et de l’analyse) journalistique. On se rappelle les propos d’un Jean-Michel Apathie d’un Alain Duhamel certifiant qu’Emmanuel Macron avait été élu par une très grande majorité de Français. C’était nié le fait que de très nombreux électeurs n’avaient pas voté pour Emmanuel Macron mais contre Marine Le Pen, non pas pour un parti ni droite ni gauche ou en même temps de droite et de gauche, mais contre l’extrême droite. Et c’est bien cette situation que traduisent les résultats de l’élection législative. La majorité de Macron a toujours été relative et jamais absolue - y compris pendant le premier mandat et même s’il avait une majorité absolue de députés (en témoigne le mouvement des Gilets jaunes) car déjà il avait été élu plus contre Le Pen et pas uniquement pour lui. A cet égard, il a toujours existé une « fragilité démocratique » dans les résultats des élections de 2017.


Au cours des cinq années qui ont suivies, les fissures se sont transformées en factures avec la radicalisation des positions. En se déterminant d’abord ni de droite ni de gauche, puis à la fois de droite et de gauche, La République En Marche (LREM) avait cherché à éliminer (incorporer) les partis sociaux démocrates de gauche (d’abord le PS puis à terme Europe Ecologie Les Verts (EELV) comme de droite (LR) dans un grand parti qui aurait été celui d’une sociale démocratie absolue dont l’identité se serait fondée contre les deux autres groupes réputés totalitaires mais minoritaires à l’extrême droite et à l’extrême gauche - les oppositions idéologiques radicales entre l’extrême droite et l’extrême gauche auraient interdit toute union entre les deux et donc lui auraient assuré la suprématie présidentielle et parlementaire.


Sa stratégie politicienne plus que politique a échoué en 2022. Il aurait dû se rappeler la leçon de Jacques Chirac. Elu en 2002 contre Jean Marie Le Pen avec les voix de tous les autres partis de gauche, au lieu de choisir un premier Ministre socialiste comme nombreux l’incitaient ou tout du moins de former un gouvernement d’Union représentatif du vote du second tour de l’élection présidentiel, il a préféré nommé un premier ministre de droite parce qu’il était très important selon lui de maintenir une opposition de gauche démocratique pour permettre une alternative, car sinon en cas d’échec d’un gouvernement d’Union, participatif, la seule opposition qui resterait serait le Front national donc l’extrême droite. En fait Chirac a préféré laisser la possibilité à la gauche de le remplacer plutôt que d’accroitre la représentation du Front national.


Emmanuel Macron a fait l’inverse, ce qui a conduit l’élection de 89 député.e.s Rassemblement National (RN) en juin 2022, en grande partie élu.e.s face à des candidats LR (surtout dans le centre), ce qui démontrerait à la fois une radicalisation de l’électorat de droite et une normalisation de l’extrême droite accréditée par la constitution d’un groupe parlementaire - le premier d’opposition selon la définition institutionnelle. Par ailleurs, le fait que le barrage républicain n’ait pas fonctionné, surtout en cas de duel RN versus Ensemble, les électeurs de gauche préférant s’abstenir que de voter pour un candidat de la majorité présidentielle, semble indiqué qu’on soit passé de la dédiabolisation du RN (par lui-même, en lui-même) à une forme de normalisation (du point de vue des autres électeurs). Le parti d’extrême droite du père s’est transformé en parti de la droite extrême avec la fille, grâce au mouvement d’Eric Zemmour positionné à l’extrême droite de la droite extrême. En réalité, il impose te préciser que le parti de la droite extrême reste un parti d’extrême droite. 


Photo de groupe des députés RN élu.e.s à l'Assemblée nationale en 2022

Pendant la campagne législative d’entre-deux-tours, Emmanuel Macron a tenu à décrire l’alliance NUPES comme une formation d’extrême gauche car dominée par Les Insoumis. Ce faisant, on avait l’impression d’entendre un remake des propos de Valérie Giscard d’Estaing critiquant pendant la campagne présidentielle de 1981 le Programme commun et l’alliance socialo-communiste qui permit l’élection de François Mitterrand… A croire que si la NUPES remportait les législatives, les chars russes allaient défiler sur les Champs Elysées dès le lendemain. Il y avait quelque chose d’assez pathétique à force d’être affligeant, méprisable à force d‘être pitoyable à tenir un discours somme toute daté et surtout déconnecté de la réalité et de la psychologie de groupe de l’opinion publique désormais. Là encore, une étude plus rigoureuse de l’Histoire aurait dû permettre d’éviter cette mise en scène aux allures de mascarades, l’esprit de la Comedia dell’Arte en moins.


Photo de groupe des députés La France Insoumise élu.e.s en juin 2022 (sauf Jean-Luc Mélanchon). A noter que seuls le RN et les Insoumis ont posé pour la photo de groupe destinée à la presse. 


En fait cette alliance a permis aux partis de gauche dont l’existence même était menacée suite aux résultats de la présidentielle non seulement de résister mais en plus de pouvoir constituer des groupes parlementaires. Cette union des gauches proposée par Jean-Luc Mélanchon et intelligemment acceptée par les dirigeants des autres partis fut leur force. Elle remet la gauche sur la scène politique française. En revanche, si on peut bien parler d’union des gauches, avancer l’idée d’une union de la gauche est plus délicat. Le fait que les partis de la coalition aient refusé toute constitution d’un groupe NUPES - sous l’autorité de La France Insoumise - montre bien qu’il s’agit d’une union tactique dont la persistance dépendra en grande partie des lois et programme promus par le pouvoir présidentiel (d’où son intérêt à proposer une sorte de « gouvernement d’Union nationale » afin de mieux fracturer la NUPES en prétendant en intégrer les partis). Leur refus est un gage du pluralisme qui dément les accusations de radicalisme ou d’intégrisme (car le PS, EELV et le PC peuvent sortir  de la NUPES s’ils l’estiment).   


En réaffirmant son opposition à Macron, LR a aussi réussi à conserver un certain nombre de circonspections. A condition de garder ses distances de la force d’attraction macroniste pour de ne pas se faire aspirer par la spirale, elle peut espérer s’imposer à nouveau avec plus d’autorité sur la scène politique. Le quinquennat peut être celui d’un rééquilibrage du PS et DE LR qui se fera au détriment soit des courants plus radicaux soit du parti présidentiel. 


Quoi qu’il en soit, l’Assemblée nationale élue en juin 2022 est une représentation assez fidèle du visage politique de la France, avec en ombre portée l’abstention dont les taux record semblent s’inscrire dans la durée. Toutefois, à la différence du réchauffement planétaire, la marge d’action pour changer la donne - ou non - est encore possible. A suivre, donc. 


© Sylvain Desmille



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