UNE ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE À TROIS TOURS ? Analyses et réflexions concernant le premier tour de l'élection présidentielle en Française du 10 et du 24 avril 2022 par Sylvain Desmille©.

 



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Si chaque élection s’inscrit dans un contexte particulier (comme ce fut le cas de la pandémie de la covid-19 lors des élections municipales françaises de 2020 ou les conséquences de la guerre en Ukraine en 2022) et si elle reste conditionnée à la personnalité et au charisme des candidats (ou non), surtout pour les élections présidentielles, leur analyse comparative permet de mieux comprendre l’état réel d’une société, identifier ses fractures, ses rapports de forces et ses divisions, ses rêves et ses désillusions, ses états d’âmes et ses volontés d’être et ce de manière objective et non plus subjective, non plus à travers le prisme individuel voire individualiste (le bulletin de vote: moi, moi, mon choix), ni partisan (discours de bonne foi et de mauvaise fois), mais collectivement. Cette analyse des chiffres ( pas des programmes) permet aussi d’anticiper les réussites ou les échecs des futures politiques et de leur appréciation selon que le parti au pouvoir la prenne structurellement en considération et non épisodiquement, comme un fait simplement conjoncturel. Dans le cas plus spécifique et particulier de cette élection présidentielle, au regard et à la confrontation de celle de 2017, elle remet en avant les enjeux des élections législatives de juin 2022. Celles-ci peuvent être moins perçues comme un nouveau sacre de la majorité présidentielle - sa suite logique ? - mais plutôt comme un repositionnement démocratique qui tiendrait compte des résultats du premier tour de la présidentielle. Et si les élections législatives cristallisaient les  véritables enjeux de l’élection présidentielle de 2022  ?La cohabitation pourrait-elle devenir une nouvelle variante du « en même temps » macroniste ?  



Les résultats définitifs sont désormais officialisés. Lors de ce premier tour de l’élection présidentielle française, le Président de la République française sortant, Emmanuel Macron de La République en Marche (LREM) arrive en tête avec 27,84% des suffrages exprimés, devant Marine Le Pen, du Rassemblement National (RN) qui obtint 23,15% des suffrages exprimés et Jean-Luc Mélanchon de La France Insoumise (LFI), 21,95% des suffrages exprimés. Une fois encore, un parti de Gauche rate de très peu l’accès au second tour des élections présidentielles. 


A noter que les trois premiers, qui se démarquent nettement des autres, loin derrière eux, n’ont pas été choisi par leur parti respectif après une primaire interne. Faudrait-il en tirer les conséquences pour les élections à venir ? Le vote des militants - le vote militant - est-il à ce point marginal par rapport aux votes des Français. Ce désaccord explique-t-il le hiatus, le désaveu voire la défiance des opinions publiques vis-à-vis des partis politiques (en témoignent la baisse du nombre et le vieillissement  des militants encartés) et même de la politique ? du politique ? Au lieu de renforcer la légitimité des candidat-e-s présenté-e-s, comme c’est le but aux Etats-Unis, les primaires  présidentielles ne les fragilisent-elles pas en ravivant les divisions intestines, et pire, en en faisant des oppositions internes, au risque de les saborder de l’intérieur (dans quelle mesure l’échec de Yannick Jadot, d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) n’est-il pas le fait de Sandrine Rousseau face à laquelle il s’était retrouvé lors des primaires écologistes ? Dans quelle mesure les partisans de Sandrine Jadot n’ont-ils pas voté dès le premier tour pour Jean-Luc Mélanchon avec l’intention de faire battre Yannick Jadot, au risque de mettre en péril financièrement leur propre formation politique ? Cet échec des candidats désignés par des primaires peut également montrer une opposition structurelle entre un vote dit participatif (dans la lignée des Nouveau Mouvements Sociaux - NMS) et un vote électoral classique, entre la logique des réseaux, à l’instar d’internet, et celle de la démocratie.  


En quatrième position, Éric Zemmour, du parti (?) Reconquête, nouvelle figure de l’extrême droite recueille 7,07% des suffrages exprimés. En revanche, tous ceux qui ont dû passer par une primaire sont impitoyablement battus, en deçà des 5% des suffrages exprimés, pourtant indispensables pour se faire rembourser les frais de campagne. C’est le cas de Valérie Pécresse, 4,78%, candidate de l’ancienne droite dite gouvernementale qui avait remporté les élections régionales en 2021 ou encore Yannick Jadot, 4,63% des suffrages exprimés, dont le parti Europe Écologie Les Verts (pour l’occasion souvent associé au Parti Socialiste) avait pourtant remporté un grand nombre de grandes métropoles et villes (Lyon, Marseille, Bordeaux, Besançon, Poitiers, Tours, Annecy) lors des élections municipales de 2020. C’est également le cas pour Jean Lasalle qui réalise un score de 3,13% des suffrages exprimés en incarnant le candidat du vote blanc soit bien plus que pour le Parti Communiste français (PCF) dont le candidat Fabien Roussel n’obtient que 2,28% des suffrages exprimés ou Anne Hidalgo, élue par le Parti Socialiste (PS) mais qui ne remporte que 1,75% des suffrages exprimés (2,18% à Paris, ville dont elle reste la mairesse après sa réélection en 2020…) derrière Nicolas Dupont-Aignan (2,06% des suffrages exprimés) mais devant Philippe Poutou du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) et Nathalie Arthaud de Lutte ouvrière (LO) qui recueillent respectivement 0,77 et 0,56 des suffrages exprimés. 




VAE VICTIS, « Malheur aux vaincus ». 


Lille, dimanche 10 avril 2022, suite à l’annonce des résultats du premier tour des élections présidentielles, un groupe de personnes « plutôt jeunes », selon le journal Ouest France, (ah, la presse française…) fonce sur la permanence su PCF et tentent de forcer la porte derrière laquelle une demi douzaine de militant-e-s communistes se sont rassemblé-e-s. Aux cris de « traitres », ils les accusent d’avoir empêché Jean-Luc Mélenchon d’accéder au second tour de la présidentielle en ayant osé présenter un autre candidat de Gauche face à celui de La France Insoumise. A Nantes, c’est la permanence d’Europe Ecologie les Verts qui est caillassée. 


Même si ces manifestations de dépits et de colères, ces provocations de militants débordés par leurs émotions contre toute raison sont restées très marginales, voire anecdotiques, si elles n’ont jamais été explicitement provoquées par des déclarations publiques provenant des états-majors de Jean-Luc Mélanchon dont la presse ne dit pas s’il les a condamnées ou non ( cf « Le poil de fesse » d’Adrien Quatennens), il reste toutefois curieux et peut-être symptomatiques que des militants de La France Insoumise cherchent à « soumettre » tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Quoiqu’il en soit, ce que ceux-ci qualifient de « représailles », par la violence et au nom de la force, est contraire au respect envers l’expression démocratique. 


On ne comprend pas non plus très bien ce qui motive le mouvement des occupations ou de blocages des facultés comme l’IPE de Paris ou encore la Sorbonne, en pleine période de partiels (sauf à vouloir imposer le fait de passer les examens « en distanciel » pour pouvoir tricher et ne pas avoir à rendre compte du niveau réel des étudiants - phénomène qui tend à devenir récurrent depuis le confinement, comme si à chaque nouvelle cession de partiels il fallait trouver un prétexte pour ne plus les passer en présentiel - stratégie assez hypocrite et malhonnête qui consiste à se prévaloir d’un motif politique pour des questions de confort égoïste voire de triche, et dans ces conditions quel crédit les entreprises peuvent elle accorder aux diplômes des années 2020-2022 ?). Ce blocage des universités ressemble à un déni de démocratie puis qu’il s’agit de dénoncer et de ne pas reconnaître les votes majoritaires au prétexte qu’ils ne correspondent pas aux souhaits des étudiants. 


Ce comportement, cette colère - P.F. -  traduit un comportement  assez immature politiquement et révèle aussi le risque d’une crise de légitimité après les élections (si Emmanuel Macron est élu juste pour contrer Marine Le Pen et non par adhésion, pour voir appliquer son pouvoir, il est normal de se demander quelle est sa part réelle de légitimité démocratique, dans quelle mesure il aurait été élu par une majorité de citoyens, ou non). En fait, au lieu de bloquer les universités en appelant à ne voter ni pour Maine Le Pen ni pour Emmanuel Macron, les étudiants seraient plus inspirés d’occuper leur temps et leur énergie à préparer ce qui peut et doit apparaître comme le troisième tour des élections, à savoir les prochaines législatives, qui pourraient rendre compte de la réalité politique du pays et constituer le cas échéant un contre-pouvoir quelque soit le candidat ou la candidate élus à la présidence française. 


Ces velléités de censure, comportement attaché jadis au Parti communiste et désormais à son encontre, pourraient à cet égard expliquer pourquoi certains électeurs de gauche - au sens large - ont préféré voter pour d’autres candidats que Jean-Luc Mélanchon, non par stratégie électoraliste, mais tout simplement selon leur conscience (et parfois par habitude aussi) ou parce qu’il ne se reconnaissaient pas dans une idéologie et un programme porté par un personnage, dont ils connaissait le visage au revers de la médaille médiatique. A court terme, vu la proximité des élections législatives, que la gauche divise la gauche est-elle une bonne stratégie ? 


Le lendemain, lundi 11 avril, Ségolène Royal, ancienne candidate socialiste de l’élection présidentielle de 2007 et soutien d’Emmanuel Macron en 2017, fustige publiquement tous les candidats de la gauche qui ont réalisés des scores inférieurs à 5%, et qui ont refusé de faire l’union sous la bannière et la tutelle de La France Insoumise: « Honte à eux, à leur égo. “Des nains” aurait dit François Mitterrand » ajoute-t-elle non avec mépris et arrogance pour conclure.


Le candidat de la France insoumise aurait-il pu gagner pour autant ? Si on se limite aux considérations purement arithmétiques, une liste unique aurait sans nulle doute propulsé Jean-Luc Mélanchon au second tour de l’élection présidentielle, et l’aurait placé même en première position, loin devant Emmanuel Macron (si on ajoute aux 21,95% des suffrages exprimés en faveur de Jean-Luc Mélanchon les 8,66% que représentent l’addition de ceux d’EELV, du PCF et du PS voire en plus  les 1,33% de NPA et de LO, le candidat de LFI aurait obtenu 30,61% voire 31,94% - et on comprend le débordement irraisonné de tous leur sens, de certains militants hargneux, violents, insultants et vindicatifs). De plus, vu le rejet qu’inspire Emmanuel Macron en même temps aux électeurs de gauche qu’à ceux d’extrême droite (jadis issus de la Gauche pour une partie d’entre eux), l’élection de Jean-Luc Mélanchon à la Présidence de la République était tout à fait envisageable. A cet égard, Emmanuel Macron avait stratégiquement, idéologiquement et cyniquement tout intérêt à se retrouver face à Marine Le Pen plutôt qu’à Jean-Luc Mélanchon grâce aux votes des électeurs duquel il compte bien se faire réélire - sauf si d’aucuns refusent de se soumettre aux consignes de vote de LFI pour faire barrage à l’extrême droite, soit en s’abstenant d’aller voter, soit en votant blanc ou nul, soit en donnant leur votre à Marine Lepen. 


En réalité, la politique est plus complexe et paradoxale que l’arithmétique euclidienne, et il est par ailleurs assez présomptueux voire méprisant de considérer les électeurs comme de simples unités de votation, aux ordres. Quand une Ségolène Royal dénonce revanchardement les petits scores d’EELV, du PCF et du PS, elle ne prend pas en considération que ceux-ci s’expliquent en partie (certes en partie seulement) par le vote utile dès le premier tour d’un certain nombre d’électeurs en faveur de LFI (et en premier lieu, au sein d’EELV, des militants de la ligne Sandrine Rousseau, par stratégie électoraliste, au risque de saborder leur parti, involontairement et délibérément alors que le but était d'en prendre la tête).  Ceux-ci auraient de toute façon voté pour Jean-Luc Mélanchon en cas de liste commune. A contrario, on peut estimer qu’une autre partie, sans doute minoritaire, n’auraient pas voté, quoi qu’il en coûte, pour le candidat de la France Insoumise, pour des questions de mémoire politique (une carrière longue ne se cristallise pas sans casse), de programme idéologique voire d’autoritarisme supposé ou non. La candidate socialiste Anne Hidalgo a dénoncé le 14 mars 2022 l’étrange fascination et amitiés, naguère assumée et souvent proclamées de Jean-Luc Mélanchon envers des figures révolutionnaires qui furent aussi des dictateurs, comme le cubain Fidel Castro, les vénézuéliens Hugo Chavez et Maduro, le syrien Bachar al-Assad, ou encore le post-néo-soviétique Vladimir Poutine. 


De plus, ce refus de l’union de la gauche n’est pas le fait que des autres candidats des gauches. A défaut de programme commun, les responsabilités sont en l’occurence partagées. Il ne faut pas oublier qu’en janvier 2022 Jean-Luc Mélanchon avait refusé de participer à la Primaire populaire, référendum militant destiné à déterminer quel pourrait être le meilleur candidat d’union de la gauche, consultation participative dans laquelle  malgré son refus réitéré de voir son nom figuré, il était arrivé en troisième position, derrière Christiane Taubira, ex Garde des Sceaux de François Hollande et proche d’Emmanuel Macron en ce temps là, suivie par  l’écologiste Yves Jadot. Au final, suite au retrait de Christiane Taubira (et qui sait, sur ses conseils?), les gentils organisateurs de la Primaire populaire avaient fini par adouber le candidat de La France Insoumise, vassalement, en lieu et place de Yannick Jadot, au nom d’un certain réalisme politique (Realpolitik ?).  


Dans son grand meeting immersif et olfactif du 16 janvier 2022 à Nantes, le candidat LFI avait opposé l’unité populaire à l’union de la gauche, « Je ne suis pas leur copain [aux autres candidats de gauche], que cela soit dit une bonne fois pour toutes » avait-il lancé. Il estimait qu’un programme commun était irréalisable vu les disparités programmatiques au sein des partis de Gauche, en particulier sur la question des retraites. Toutefois, lors de ce même meeting, il avait lissé la porte à tous les ralliements, mais après le second tour, pas avant, et sous son autorité, sous son obédience. Difficile dans ces conditions de regretter le maintien des listes PS,PCF et EELV et de critiquer, sinon hypocritiquement et assez malhonnêtement,  les conséquences électorales quand on en est la cause. On ne peut reprocher la candidature de Fabien Roussel ni en faire un bouc émissaire au prétexte que le vote des électeurs communistes, discipliné et très à gauche se serait « naturellement » reporté sur Jean-Luc Mélanchon et aurait permis sa qualification au second tour de la présidentielle. Pour qu’il y ait union, il faut instaurer (ou restaurer) le dialogue, et pas forcément être d’accord avec l’autre uniquement lorsqu’il est d’accord avec vous. Le fait même de l’existence d’une candidature communiste lors de ces élections présidentielles, alors que ce n’avait pas été le cas les deux fois précédentes, démontre l’échec de Jean-Luc Mélenchon à vouloir nouer des alliances, avec le PCF, le PS, voire son égo-centrisme. Ses regrets ne sont que ses remords. En revanche, la double leçon à tirer est qu'il est impératif en premier lieu, que la Gauche présente des listes uniques lors des élections législatives si elle veut faire entrer un grand nombre de députés et restaurer le pouvoir parlementaire et législatif en France, et ensuite qu'il ne peut y avoir une alternance de gauche sans l'établissement préalable d'un programme commun, qui aurait non seulement le mérite d'unir les partis et sensibilités de gauche mais en plus d'offrir un projet et un programme politique clair et structuré - ce qui n'a pas toujours été le cas dans ces élections si on considère les résultats...



Une élection présidentielle à trois tours ? 


En revanche, le très bon score de La France Insoumise et plus encore sa dynamique électorale ascensionnelle, le fait même qu’elle ait réalisé le vote utile dès le premier tour la propulse à la première place et en position dominante pour les élections législatives de juin 2022. Elle peut être un acteur majeur pour réaliser une certaine union de la gauche, afin, comme l’a souligné Jean-Luc Mélanchon, de permettre l’élection du plus grand nombre de députés de gauche, véritable contre-pouvoir, en faire une force alternative et qui sait d’alternance possible. Car tel est bien l’enjeu: faire des élections législatives l’équivalent d’un troisième/quatrième tour de l’élection présidentielle. 


La Gauche, et LFI en particulier, sont en bien meilleure position que la droite, laminée après l’échec vertigineux de Valérie Pécresse et qui ne dispose plus d’un noyau dur autour duquel pourrait graviter des électrons. Les Républicains vont-ils devenir un satellite de La République En Marche, via Edouard Philippe ? Nicolas Sarkozy ?- au risque d’assigner cette dernière à se revendiquer comme une formation essentiellement de droite, au détriment de la gauche bourgeoise qui gravitait dès sa formation dans ses rangs ? Mais la gauche bourgeoise existe-t-elle encore vraiment ? comme tendrait à le montrer le score minuscule du Parti Socialiste. Quant aux macronistes venus de la gauche bourgeoise peuvent-ils encore se dire de gauche à partir du moment où, suite à la disparition du PS, la Gauche s’incarne désormais dans La France Insoumise, c’est-à-dire à la gauche de la Gauche, de la gauche radicale à l’extrême gauche. Les ministres et secrétaires d’État comme Jean-Yves Le Drian, Olivier Véran, Olivier Dussopt, Gabriel Attal, Marlène Schiappa, Roxana Maracineanu, Florence Parly  appartiennent-ils à la gauche bourgeoise ou plutôt à la bourgeoisie de gauche, c’est-à-dire d’abord et en premier lieu à la bourgeoisie ?  


D’une certaine manière, les élections législatives pourraient clarifier le paysage politique désormais autour de trois pôles : une droite extrême, toujours tiraillée entre une tendance néo-fasciste, ultra Pétainiste-Maréchaliste (incarnée par Eric Zemmour) et une droite ultra nationaliste (les néo-Lepenistes); un centre social-démocrate macroniste, économiquement et socialement de droite mais sociétalement de gauche, et dont les maîtres mots sont « autonomie » et « émancipation » toujours perçus sous un angle individuel mais sans approche collective; une gauche de gauche, c’est-à-dire une gauche qui se serait débarrassée des bourgeois de gauche qui l’avaient trahie le 21 mars 1983 au moment du grand tournant de la rigueur et du libéralisme (quand le parti socialiste a privilégié le sociétal au social). 


Peut-on cependant vraiment parler de tripartisme ? Certes, les dernières élections ont bien sanctionné la défaite sous forme d’humiliation du PS et de LR, et il va sans doute être difficile pour ces deux partis autour desquels s’étaient structurés la vie politique française jusqu’en 2017 de garder leur nombre de députés actuels (pour cela, il faudrait qu’ils fassent campagne pour le troisième tour de l’élection présidentielle, sauf qu’ils sont plutôt occupés à chercher à réduire le déficit financier lié au fait que leurs frais de campagne ne seront pas remboursés). Toutefois, ces deux partis disposent encore d’un bon ancrage territorial, avec un grand nombres d’élus locaux comme l’attestent les résultats lors des élections municipales et régionales - ce dont ne dispose pas LREM. 



D’ailleurs, lorsqu’on analyse les cartes référençant le nombre de communes où chaque candidat est arrivé en tête au premier tour, il apparait d’une part que Marine Le Pen arrive très nettement en tête avec 20 041 communes devant Emmanuel Macron - 11 846 communes - et très loin devant Jean-Luc Mélanchon - avec seulement 2793 - et d’autre part que le maillage territoriale est très disparate. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la presse a préféré publier les cartes des résultats non par commune mais par département - en fonction du nombre de voix. Or celles-ci tendent à favoriser le poids quantitatif du votre urbain et donc renforce la présence du candidat de LREM (c'est à double tranchant question mobilisation pour le second tour). Il devient très visiblement majoritaire sur l’ensemble de la France, en contradiction avec ce qu’indiquent les résultats en fonction des communes dont le poids électorale des plus petites mais plus nombreuses pèse beaucoup  - beaucoup - moins que celui des grandes villes mais qui rendent mieux compte et sont plus représentatives des zones d’influences réelles des partis politiques. 







Jean-Luc Mélanchon apparaît comme le candidat des grandes métropoles (il est arrivé en tête dans une majorité de villes de plus de 50 000  et 100 000 habitants), et il est majoritaire essentiellement en région parisienne (Nord et Est de l’Ile de France), Midi-Pyrénées, Languedoc Roussillon et dans les territoires d’outre-mer. Toutefois, il a régressé par rapport à 2017. Il perd environ 600 communes, même s’il progresse en terme de voix. Il a donc impérativement besoin de fédérer les élus socialistes et communistes ancrés sur l’ensemble du territoire. 



Emmanuel Macron est bien implanté dans la France de l’Ouest - Bretagne, Pays de Loire, Poitou Charente - dans l’Ouest de l’Ile de France - c’est-à-dire dans des territoires où dominent encore les élus LR, ce qui pourrait  justifier et motiver son besoin d’avaler LR au sein de LREM. Le fait que l’électorat qui avait voté François Fillon en 2017 - très majoritaire précisément dans les territoire de l’ouest -  ait trahi LR et choisi de se tourner vers Emmanuel Macron dès le premier tour témoigne d’un processus d’acculturation politique déjà en marche (et que va accélérer Nicolas Sarkozy ?) - mais il réduit aussi d’autant le report des voix de droite en faveur du candidat LREM. Ce dernier est aussi bien présent au Nord du Languedoc-Roussillon et sur la frange orientale de la région Rhône-Alpes.  



En fait, celle qui s’est le plus implantée en France est Marine Le Pen, même si le nombre de communes remportées par le RN lors de ces élections doit être nuancé au regard du grand nombre de communes perdues aussi. Toutefois, on peut parler d’enracinement lorsqu’on compare la carte des scores de l’extrême droite à la présidentielle de 2017 avec celle de 2022. Ils dépassent les 50% dans tout le Nord, l’Est et le Sud de la France - Picardie et Nord-Pas-De-Calais, Champagne Ardenne, Lorraine,  Provence-Alpes-Côte d’Azur - et tout autour de l’estuaire de la Gironde. Très présente dans ce que l’on appelle les « périphéries » au sens géographique, sociologique, et désormais géopolitique - Marine Le Pen fait cependant de très faible score dans les grandes métropoles. 




Cet enracinement du RN traduit bien ce que l’on a appelé « la lepénisation des esprits ». Le vote en faveur de l’extrême droite certes s’explique par les conditions économiques des électeurs. Un tiers des électeurs disposant d’un revenu inférieur à 1250 euros a voté pour Marine Lepen tandis que  35% des électeurs ayant un revenu supérieur à 3000 euros ont voté pour Emmanuel Macron - candidat plébiscité sinon par les riches du moins par les villes riches. Toutefois, il convient aussi de nuancer.  Par exemple, la région parisienne où se trouvent les communes au plus haut revenu médian (valeur d’un revenu situé à mi-hauteur sur l’échelle des revenus), les électeurs ont voté en 2022 majoritairement pour Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélanchon. Mais l’Ouest de la France, dont les habitants des communes ont un revenu médian nettement moins élevé, a voté majoritairement pour Emmanuel Macron. A l’inverse, les habitants de La Côte d’Azur qui eux disposent d’un revenu médian élevé ont quant à eux voté pour Marine Le Pen. En fait, les conditions de vie et la faiblesse réelle des revenus n’explique plus uniquement le vote dit « contestataire » en faveur de Marine Le Pen.  Il s’agit de moins en moins d’un vote protestataire et de plus en plus d’un vote d’adhésion, moins d’une posture que d’une position idéologique qui s’inscrit dans les thématiques d’extrême droite mais qui les dépasse aussi. Le fait que Marine Le Pen ait remporté 23,15% des voix en préférant mettre en avant la question du pouvoir d’achat et non la thématique de l’immigration dont s’est emparé Eric Zemmour pour finalement obtenir 7% des suffrages exprimés - très loin du résultat dont il rêvait - est révélateur de cette évolution en marche, de l’extrême droite vers la droite extrême, et d’une dédiabolisation du RN vers une nouvelle Lepénisation des esprits.  




Le vote en fonction des classes d’âge est aussi intéressant. Pendant tout son mandat le Président Macron a cherché à draguer les jeunes (dans tous les sens du terme), parfois de manière honteusement démagogique (cf. l’épisode avec McFly et Carlito à l’Elysée et le gage donné à Macron), au risque, lors de la crise sanitaire, à mettre en danger la vie d’autrui pour complaire à leur souci de confort égoïste. Or, il s’avère que ce sont majoritairement les plus de 65 ans qui ont voté pour lui - peut-être de manière égoïste, parce que sa réforme des retraites d’Emmanuel Macron vise à maintenir leurs revenus. De là à dire que Macron, c’est le vote vieux ? Pas forcément, car si les jeunes - entre 18 et 24 ans - ont très majoritairement voté pour Jean-Luc Mélanchon, 24,3% d’entre eux ont accordé leur suffrage à Emmanuel Macron. Avec 30% des voix, Marine Le Pen arrive en tête chez les 25-49 ans. Les 50-64 ans ont autant voté pour Emmanuel Macron (28%) que pour Marine Le Pen (27%) - ce qui est intéressant car il s’agit de la classe d’âge qui a connu la montée en puissance du Front national incarné par Jean-Marie Le Pen puis la transformation de ce parti après la passation de pouvoir du père à sa fille, donc, le fait que 27% de cette classe d’âge, celle qui a connu et vécu le FN - vote pour Marine Le Pen témoigne bien de l’évolution du RN, de sa dédiabolisation et de la Lepénisation des esprits. (peut-être que la campagne très mitterrandienne, très «la force tranquille » de Marine Le Pen a joué en sa faveur).


A noter aussi le peu d’influence des réseaux sociaux, contrairement à ce qu’ils voudraient faire croire, et des chaînes d’infos en continu sur le vote du premier tour de la présidentielle française. Si les militants d’Eric Zemmour se sont montrés les plus actifs sur Twitter, donnant l’impression d’une forte mobilisation, celui-ci a cependant échoué avec ses 7%. La bulle virtuelle n’est qu’une bulle qui éclate dès qu’elle rencontre l’épingle de la réalité. En fait ces réseaux ne sont que des outils de propagande, fondé sur un comportement égo-centré et un conditionnement narcissique et sur une approche auto-réalisatrice qui se persuade que ses rêves sont la réalité - mais un retweet n’est pas un vote, même pas l’indice d’une tendance. Ils fonctionnent comme une tautologie aux velléités totalitaires - comme un chien qui commence par se mordre la queue et qui finit par s’avaler complètement. Il serait bon de tirer les leçons en commençant à analyser la nuisance que représentent les réseaux sociaux. 


Un tripartisme, une bipolarité. 


Si les résultats du premier tour des élections présidentielles tendent à affirmer l’émergence de trois grands partis, il faut cependant attendre ceux des prochaines élections, et en premier lieu des législatives, pour le confirmer et voir dans quelle mesure cette tendance se cristallise sur le moyen et long terme. Il convient également d’attendre pour savoir si ce tri-partisme va engendrer une tripolarité de la vie politique française. Pour l’heure, il rend compte d’une bipolarité encore plus marquée. 


La Droite extrême et la Gauche rassembleraient collectivement les exclus du Système (éducatif, culturel, économique), les moins-disant, les laisser pour solde de tout compte, les déclassés ou en voie de déclassement de la classe moyenne (ces élections révèlent une crise majeure de la classe moyenne), le néo-prolétariat des bonnets rouges et des gilets jaunes, qui ne se reconnaissaient plus dans les partis traditionnels parce que ceux-ci correspondaient à une France qui n’existe plus. Cette autre France - celle de ceux qu’on considère comme étant celles des autres, ce pourquoi peut-être ils expriment autant de haine envers les autres, les immigrés, les étrangers, les élites c’est-à-dire leur double « antithétique » haï  - se définit en opposition et dans un esprit de revanche vis-à-vis de la société dite macroniste, souvent perçue comme élitiste à cause d'un complexe d'infériorité, des partis LREM, LR et PS qui se définissent eux-mêmes comme appartenant à la social-démocratie.


A cet égard, ce serait une erreur grossière de considérer que la social-démocratie serait morte en France à cause de la disparition - définitive ? - du PS et- de LR - programmée ? Le tripartisme social-démocrate LREM, LR, PS est juste en recomposition, ses tendances droitières et socialistes se confondant dans LREM, majoritaire et en passe de devenir totalitaire, après leur aspiration. L'expression phare d'Emmanuel Macron en 2017 était "en même temps", en 2022 c'est désormais "à la fois". Le prochain parti macroniste (?) se veut à la fois de droite et de gauche, sans chercher à trop se gauchiser pour ne pas perdre l'électorat issus des rangs de LR. D'où, lors de cette campagne de second tour,  les appels du pied d'Emmanuel Macron aux voix des électeurs qui ont voté pour Yannick Jadot - ses 4,63% représentant à ses yeux le vote d'EELV sans les voix des partisans de Sandrine Rousseau  qui ont voté pour Jean-Luc Mélanchon). Il s'agit d'un numéro d'équilibriste - une expression suffit-elle à fonder un programme politique ? à cristalliser une idéologie ? Il repose qui plus est sur la seule personnalité d'Emmanuel Macron, figure qui provoque des comportements passionnels, et très discutée (ce n'est pas un désavantage en politique). C'est d'ailleurs aussi une leçon que l'on devrait tirer de ces élections: ceux qui arrivent en tête incarnent leur parti au point que l'on peut se demander ce qu'il adviendra de lui quand ils se mettront en retrait de la vie politique (on imagine les guéguerre intestines pour prendre le pouvoir).


Cette social-démocratie regrouperait individuellement (égoïstement, nacissiquement ?) les néo-bourgeois, de droite et de gauche, ceux qui, même s’ils se disent de gauche, aspirent sincèrement à être de gauche, restent avant tout et malgré tout des bourgeois (dans la lignée des étudiants de 1968 ?, petits et grands ? rebelles et complices ?) - avec un esprit de classe (cet esprit de classe), une culture et un comportement existentiel, une manière de se considérer et de se positionner chacun envers les autres et face aux autres (jusqu’à se dire porte-parole des plus pauvres mais pour leur faire la leçon), attitude qui reste celle de la bourgeoisie, alors que l’esprit de classe des ouvriers a sinon disparu du moins été désagrégé, contraint à la jachère, à l’errance ou à la déshérence. A cet égard, le succès d’audience des adaptations télévisées des oeuvres de Zola  (Germinal) ou et celui, cinématographique, des Illusions perdues de Balzac, plusieurs fois césarisé, rappelle combien l’ordre social, mental et politique du XIXe siècle reste d’actualité - comme si le XXIe siècle allait être un remake du XIXe siècle ? 


On le voit, les élections législatives pourraient cristalliser de nouvelles approches politiques, sociales, culturelles et civilisationnelles bien plus importantes que d’accorder une simple majorité de députés au gouvernement. C’est d’autant plus nécessaire qu’il convient d’enrayer la crise de la représentativité exprimée par les taux d’abstention records aux dernières élections. Si le parlement ne représente plus la société, si les électeurs ne se retrouvent plus en lui, ne s’y identifient plus, comment peut-il y avoir adhésion politique ni respect du vote majoritaire dès lors que les Assemblées ne sont plus considérées comme représentatives ? Comment respecter des lois votées par une assemblée qui n’est pas perçue comme légitime, non pas parce qu’elle n’aurait pas été élue dans les règles de l’art, démocratiquement, mais parce qu’elle apparaîtrait comme une simple chambre d’enregistrement, purement politique, uniquement idéologique, déconnectée de la réalité ? 


Les vrais chiffres du premiers tour de l’élection présidentielle de 2022: Macron, 20,21% ; Le Pen, 17,41%; Mélanchon, 16,07%


Quelle est-elle ? Les résultats officiels sont établis à partir suffrages exprimés, non sur la base des électeurs inscrits. Si on prend en compte l’abstention ainsi que les votes nulles et blancs les chiffres témoignent d’une réalité somme toute très différente. Au lieu d’approcher les 28%, soit plus d’un quart des votes, Emmanuel Macron atteint tout juste les 20% soit un cinquième des électeurs. Ce n’est pas la même chose. Surtout, avec un taux de 25,14%, l’abstention apparaît comme « le premier parti de France ». Comme si face à lui, Emmanuel Macron avait comme véritable un mur de silence. Le poids et la force politique de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélanchon se retrouvent aussi très singulièrement réduits: au lieu des 23,15% des votes - presque un Français sur quatre - le Rassemblement national ne regroupe plus que 17% des électeurs - 1,7 Français sur 10 - soit à peu près la même force que LFI, 16,07% des électeurs - 1,6 Français sur 10. Le score d’Eric Zemmour tombe à 5,16%, celui de Valérie Pécresse à 3,51%, Yannick Jadot à 3,36%, Fabien Roussel à 3,36%, Anne Hidalgo à 1,28%. Si on tenait compte juste du vote blanc, sans les bulletins dits nuls, celui-ci remporterait plus de suffrages que Philippe Poutou et Nathalie Artaud ! Si on considère que le vote en faveur de Jean Lassalle (2,32% des inscrits) est une manière d’exprimer le vote blanc, alors la somme des deux le placerait en sixième position ! devant Yannick Jadot et au coude à coude avec Valérie Pécresse. 


Ces chiffres donnent une représentation plus juste et plus véritable de la réalité électorale française. Ils contrebalancent la force de frappe et la représentation politiques effectives de chacun des candidats et de leurs partis politiques et permettent de mieux comprendre ce qu’on a appelé « le désintérêt » des Français pour la politique ou encore « la crise » du politique en France. Sont-ils structurels ou conjoncturels ? Tiennent-ils à la nature des programmes, de la campagne ou à la personnalité des candidats incapables d’incarner leur partis respectif ni de clarifier leur vision, positions et propositions indispensables pour que  s’opèrent l’identification sans laquelle la représentativité électorale ne peut être opératoire. La focalisation egocentrée, entretenue par les réseaux sociaux de manière illusoire - métaversée - et les chaînes d’informations en continu (qui privilégient le buzz, le clash, la polémique pour attirer et susciter l’attention) n’impose-t-elle pas de changer de point focal, en privilégiant la question du fond aux simples postures de forme, la complexité de la raison à la simplification des émotions ?  plus de passion et moins d’effusion ?  afin de donner aux électeurs des perspectives claires, savoir quels sont les problèmes, comment on peut les résoudre, pour quels enjeux et quelle société à moyen et long terme ? En fait, la campagne présidentielle est encore à faire. Pour le deuxième tour et plus encore pour les législatives. Mais bon, il s’agit sans doute d’un voeux pieux. 


Si, le 24 avril 2022, Marine Le Pen peut gagner, elle ne doit pas gagner, car si son analyse des conséquences économiques à venir, en matière de précarité, d’appauvrissement et de pouvoir d’achat, dimension sociale au coeur de toute sa campagne présidentielle (cette thématique rappelle aussi celle promue par Mussolini lors de son accession au pouvoir en 1922 - on pourrait se demander dans quelle mesure Eric Zemmour est plus proche d’un Pétain fasciné par le modèle hitlérien, à la différence du populisme de Marine Le Pen qui s’inscrirait plus idéologiquement dans le courant fasciste des années 1920), si son constat n’est pas faux voire juste, les moyens qu’elle entend mettre en place pour pallier à cette situation  les accroitront au lieu de les réduire, et ce à la fois structurellement (dans un contexte de surendettement lié à la gouvernance d’Emmanuel Macron au cours des cinq dernières années) mais aussi de manière conjoncturelle (comme ce qui s’est passé après l’élection de François Mitterrand en 1981). La crise économique et sociale qu’elle prédit s’auto-réalisera encore plus rapidement à cause d’elle. Les tensions et divisions sociales qui en résulteront constitueront une menace démocratique majeure. De plus, si Marine Le Pen affiche une certaine « force tranquille », il est apparu très vite qu’il suffit de chasser le naturel pour qu’il revienne au galop. La haine de l’autre et des autres, envers les étrangers et les élites, le mépris revanchard, la manipulation du peuple via le peuple (définition possible du populisme) et que traduit sa volonté de gouverner en dehors des institutions représentatives, par référendum, la censure (cf. la polémique concernant le boycott par le RN du magazine télévisé Quotidien), l’autoritarisme de pouvoir et de gouvernement, restent systémique au sein de cette droite extrême qui gardent toujours en elle les fondamentaux de l’extrême droite. 


Si Emmanuel Macron doit gagner les élections présidentielles, il ne le pourra sans les voix de ses opposants - LR (enfin, ceux qui ne voteront pas RN), PS, EELV - LFI. Mais il s’agira dès lors d’un vote de « raison », le couteau sous la gorge, et non d’adhésion, qui menace la représentativité démocratique en cas de réélection. D’autant que le programme d’Emmanuel Macron est de moins en moins clair, en permanente évolution au jour le jour de l’entre-deux-tours des élections présidentielles. Le tri-partisme, la bipolarité, le contexte électoral vont faire des prochaines législatives le troisième tour de l’élection présidentielle. 


Ce peut être l’occasion pour certains partis soit de continuer à exister soit de disparaître (explosion de LR, avec d’un côté des militants qui rejoignent Eric Zemmour et/ou Marine Le Pen et de l’autre ceux qui  se fondent et confondent dans le prochain nouveau parti macroniste; idem pour EELV, avec d’un côté un Emmanuel Macron qui souhaiterait bien instrumentaliser Yannick Jadot jusqu’à faire de celui-ci le nouveau Nicolas Hulot et de l’autre le courant Sandrine Rousseau qui a plus intérêt à rejoindre Jean)Luc Mélanchon depuis la faillite financière du parti écologiste, et d’autant plus qu’il est sur le départ…). Ce peut être l’occasion pour la Gauche de se ré-unir en vue d’un prochain programme commun. Ce peut être aussi un moyen de contrer les résultats de l’élection présidentielle, de restaurer un dialogue et un consensus démocratique grâce à une opposition décisionnelle en cas de majorité relative. C’est surtout l’occasion de restaurer de nouvelles relations d’égalité entre un exécutif qui doit rester fort, la guerre en Ukraine l’a démontré - et le pouvoir législatif, à la légitimité accrue grâce à sa représentativité. 


© Sylvain Desmille. 



ADDENDA


ANALYSE DES CHIFFRES DU SECOND TOUR

DES ÉLECTIONS PRESIDENTIELLES



Dimanche 24 avril 2022, selon les résultats définitifs, Emmanuel Macron a été ré-élu président de République française avec 58,54% des suffrages exprimés contre 41,46% pour Marine Le Pen. L’abstention a atteint un taux record avec 28,01% (2,57 points de plus qu’en 2017), deuxième score le plus haut sous la Ve République après celui de l’élection de 1969 qui opposait deux candidats de droite… donc avec des enjeux bien différents ? 





Une victoire écrasante mais minoritaire ? 


La victoire écrasante et sans appel d’Emmanuel Macron doit être cependant analysée et donc relativisée. 


D’abord, si on tient compte non pas des seuls suffrages exprimés mais également des 2,2 millions de bulletins blancs ou nul (en nette hausse) et des 13,6 millions d’abstentionnistes, Emmanuel Macron a été élu avec 38,5% des suffrages en fonction des inscrits contre 43,6% en 2017 (si on applique la même logique).


Elections Présidentielles de 2022 en fonction des inscrits


Elections Présidentielles de 2017 en fonction des inscrits


Emmanuel Macron, l'un des Présidents les moins bien élus de la Ve République ? 



Cette remise en perspective est particulièrement à prendre en compte dans la mesure où, pour cette élection en particulier, l’abstention et le vote blanc ou nul témoignent moins d’une désaffectation sous forme de désaffection et s’inscrivent plus dans une logique contestataire. L’abstention progresse très significativement et majoritairement dans les territoires qui votent à gauche et surtout pour la gauche de gauche. Idem pour le vote blanc et nul. 












A la différence de la métropole, où les électeurs se sont soit abstenus, ont soit voté blanc ou nul, ou ont voté pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen (48% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ont refusé de faire un choix entre les deux candidats et 52% ont voté Emmanuel Macron), il semblerait que dans ces territoires et départements d’Outre-Mer, les électeurs de Jean-Luc Mélanchon aient voté au second tour pour Marine Le Pen, surtout en Guadeloupe (69,60%), à la Martinique (60,87%) et en Guyane (60,71%). Ce transfert des voix de la gauche de gauche vers Marine Le Pen doit être interprété comme une opposition à Emmanuel Macron, un vote contre son bilan et son programme.


A noter que si les18-34 ans se sont majoritairement abstenus, le profil des autres abstentionnistes a évolué par rapport aux élections régionales. Désormais toutes les catégories professionnelles sont concernées, pas uniquement les professions intermédiaires et les ouvriers mais également les cadres et les professions intellectuelles dites supérieures car plus diplômées, et ce à part égale. De plus, les inscrits se sont abstenus dans toutes les formations politiques, de gauche comme de droite. Certes on peut invoquer la perte de sens civique, le traditionnel désintérêt, voire une certaine lassitude ou encore une carence de représentativité. En fait, l’étude d’Ipsos / Sopra Steria montre surtout un changement comportemental. L’abstentionnisme est moins un vote contestataire qu’un vote de déni démocratique. Les personnes qui refusent de voter ne se sentent plus ni concernées ni responsables des résultats, donc du programme ou des lois et mesures prises par la nouvelle majorité. Comme le vote blanc n’est pas reconnu, leur non participation les libère de la responsabilité de respecter le vote majoritaire - le principe même de la majorité démocratique - de respecter les lois qui ne leur conviennent pas ou qui menacent leur confort et leurs intérêts et auxquelles, donc, ils refusent de souscrire. 


Cette tendance doit être d’autant plus prise en compte que selon l’enquête réalisée à la sortie des urnes par l’institut BVA,  56% des électeurs qui ont voté pour Emmanuel Macron au second tour affirment l’avoir fait avant tout pour faire barrage à Marine Le Pen et non pour le programme ni la personnalité d’Emmanuel Macron. Ce chiffre correspond exactement à l’étude d’Ipsos selon laquelle 56% des votants disent ne pas vouloir que le parti d’Emmanuel Macron dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale (le taux est même de 63% selon l’étude BVA). L’anti-lepenisme - le front républicain -   ne réduit en rien l’anti-macronisme. Et si on prend en compte ces sondages, seulement 25,75% des électeurs se sont réellement exprimés en faveur d’Emmanuel Macron - et beaucoup moins encore au regard de l’abstention et des votes blancs et nuls (on est dans une fourchette entre 15 et 20%). 


En fait, il apparaît que la victoire d’Emmanuel Macron, très largement majoritaire, est en réalité très largement minoritaire. On peut même parler d’une victoire par abandon que par KO, d’une victoire par défaut. Elle pose la question de sa légitimité et de sa représentativité, et met en danger la conception même de la démocratie. 


C’est encore plus le cas quand on analyse les autres questions posées par l’institut BVA à propos des motivations des électeurs: seuls 13% des électeurs affirment se reconnaître en Emmanuel Macron contre 29% en Marine Le Pen, seul 33% disent avoir voté pour ses propositions politiques (contre 51% pour Marine Le Pen), et au sein de ces 33%  ce sont les questions européennes (37%) et internationales (36%) qui dominent très très largement sur les enjeux et le programme relatif à la politique intérieure. Seul 29% des électeurs ayant voté Emmanuel Macron l’ont fait en pensant qu’il pourrait défendre le pouvoir d’achat (ceux qui ont bénéficié des mesures économiques liée à la crise de la Covid-19) puis les chiffres s’écroulent sur tout ce qui concerne l’identité et les valeurs de la France (19%), la santé (19%), les retraites (14%) et le chômage (11%). On retrouve là le clivage gauche de la gauche (sur tout ce qui a trait aux questions sociales) et extrême droite/droite extrême (sur les questions de société, de nture idéologique identitaires). Sur ces deux dimensions Emmanuel Macron ne convainc pas et ne réunit pas (au contraire). En fait, le principal point où Emmanuel Macron remporte une adhésion réelle concerne sa stature présidentielle (50% contre 11% pour Marine Le Pen). Il est vraie que son opposante a une nouvelle fois montré ses limites et carence lors du débat de l’entre-deux tours, au point que l’on peut se demander si son objectif est vraiment de prendre le pouvoir ou plutôt de propager son idéologie (et c’est ainsi qu’il faut comprendre pourquoi lors de son discours post résultats elle parle « de victoire éclatante » alors qu’elle a perdu). 






Une lepénisation en marche ? 


En effet si Marine Le Pen a perdu sans appel (ni rappel ?) les élections présidentielles de 2022, elle consolide et accroit son socle électorale. L’écart aux élections présidentielles où le Front national s’est retrouvé au second tour n’a cessé de se resserrer entre 2002 (17,79% des suffrages exprimés)  et 2022 (41,20%). 




Entre 2017 et 2022, Marine Le Pen améliore son score dans la très grande majorité des communes de France. Elle accélère même de plus de 10 points dans 11 670 villes et villages. Elle dépasse les 60% des suffrages exprimés dans plus de 6500 communes.  En Bretagne si deux électeurs bretons sur trois ont voté en faveur d'Emmanuel Macron (un résultat supérieur à la moyenne nationale), Marine Le Pen progresse de près de neuf points par rapport à 2017 sur ce territoire. Même si elle a perdu 2000 communes entre le premier et le second tour, elle reste très majoritaire en nombre de communes ayant voté pour elle le 24 avril 2022, avec 18100 sur les 35000 communes françaises.











La progression dans les communes rurales, périurbaines et dans les villes éloignées des grandes métropoles est constante et durable. Elle traduit une rupture (et non plus une fracture) entre la France des villes (80% des électeurs du Grand Paris ont voté pour Emmanuel Macron, 70% en moyenne dans les grandes métropoles) et la France des campagnes, quantitativement plus faible, ce qui peu expliquer aussi l’impression de déclassement, le sentiment de ne pas être écouté ni pris en compte ni reconnu, d’être rejeté). On retrouve la même dialectique entre la France métropolitaine et la France des outre-mers ( Dom-Tom), y compris la Corse qui a voté majoritairement pour Marine Le Pen, contre Emmanuel Macron.   


Par ailleurs, il serait faux de considérer que les grandes métropoles françaises sont acquises à Emmanuel Macron. Lors du premier tour, Jean-Luc Mélanchon a réalisé ses meilleurs scores dans les villes et non dans les campagnes. 


En fait si cette élection présidentielle a montré le refus - le rejet  - de Maine Le Pen par une majorité de Français de droite comme de gauche, elle cristallise aussi une lepenisation grandissante et durable d’une partie de l’électorat et des territoires. Ce hiatus, ce fossé, cette nouvelle tectonique des plaques électorales est un enjeu majeur pour les années à venir.


Les élections législatives vont-elle permettre un rééquilibrage ? A voir en juin. 


Sylvain Desmille©




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