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Distribution de nourriture à Rafah tout au sud de la bande de Gaza.KEYSTONE/AP PHOTO/HATEM ALI |
Le but de cet article n’est pas de savoir si un génocide des Palestiniens a lieu en ce moment à Gaza. Selon le Comité spécial des Nations unies, Amnesty International et les organisations humanitaires, Israël est effectivement en train de commettre un génocide depuis mars 2024 ( rapport de Francesca Albanese pour l’ONU ) dans la mesure où les méthodes de guerre employées par Tsahal relèvent de la définition officielle de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ( massacres à grande échelle, utilisation de la famine comme acte de guerre, refus de laisser entrer de l’aide humanitaire aux civils, destructions systématiques des infrastructures civiles, les déplacements forcés de populations, les attaques contre les personnels soignants, violences sexuelles contre les femmes et les hommes, les entraves aux naissances, …). Le 26 janvier 2024, la Cour Internationale de Justice a reconnu « un risque de génocide ». Le 1er septembre 2025, l'Association internationale des chercheurs du génocide ( IAGCS ), le principal organe sur le sujet qui regroupe ses plus grands spécialistes, a adopté à 86% des voix une résolution affirmant que les actions d’Israël à Gaza ont rempli tous les critères juridiques permettant de déterminer un génocide. IAGCS souligne en particulier que la riposte d’Israël après les massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas n’a pas seulement visé le groupe islamiste terroriste mais tout Gaza ( mais la population palestinienne a soutenu le Hamas, de son propre grès ou contrainte ). Or, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 définit le génocide comme des actes commis « dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Le ministère israélien des Affaires étrangères a qualifié toutes ces déclarations de honteuses et « entièrement fondées sur la campagne de mensonges du Hamas ».
Le but de cet article est de montrer qu’il existe des parallèles non pas avec le génocide juif mais avec le génocide arménien. En fait, nous sommes à un point de bascule. Comprendre ce qui s'est passé en Turquie en 1915 nous alerte sur ce qui peut se passer aujourd'hui en Palestine. Comprendre et entendre l'Histoire est le meilleur moyen d'éviter qu'elle ne se reproduise.
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Le journal de Quebec du 22/09/2025 |
Vendredi 23 août 2025, l’ONU a officiellement déclaré l’état de famine dans une partie de la bande de Gaza ( gouvernorats de Deir al-Balah au centre et Khan Younès au sud ). 500 000 personnes se trouveraient au niveau le plus élevé de détresse alimentaire. Aux morts par famine il faut ajouter tous ceux qui furent tués lors des distributions de nourritures, à cause du mécanisme de distribution de nourriture meurtrier mis en place par Israël et les États-Unis de Donald Trump. Depuis plus de six mois, l’IPC ( le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire ), organisme indépendant basé à Rome et utilisé par les agences onusiennes, avait mis en garde contre le risque puis alerté sur la montée en puissance de la famine dans l’enclave palestinienne.
Cette famine "aurait pu être évitée" sans "l'obstruction systématique d'Israël", a accusé le responsable de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, Tom Fletcher. Affamer des populations civiles de toutes classes d’âge de manière volontaire et délibérée est un crime de guerre comme l’a rappelé Volker Türk le chef des droits humains de l’ONU. En représailles aux massacres du 7 octobre 2023 perpétrés par le Hamas vis-à-vis des populations israéliennes, les bombardements ont détruit 98% des terres agricoles de la bande de Gaza. Elles assuraient jusqu’alors l’autosuffisance des Palestiniens. La destruction des surface agricoles n’était dans un premier temps qu’une conséquence de la guerre. La famine, orchestrée, qu’elle a entraînée est devenue une arme de contrôle et de chantage, de pression pour provoquer l'exil voire à terme de destruction massive des populations palestiniennes.
Comme à chaque fois, le responsable de cette politique Benyamin Nétanyahou a qualifié le rapport des Nations unies de « mensonge éhonté ». Il applique la même stratégie de communication fondée sur la désinformation appliquée par les complotistes sur les réseaux sociaux d’une manière générale et par Donald Trump en particulier. Chacun cherche à imposer « sa vérité » - sa croyance, sa subjectivité - de manière autoritariste, par l’intimidation et la violence. Mais les faits, la réalité sont là. Comme le souligne Jean-Guy Vataux, en charge de la coordination des actions de Médecins sans frontières (MSF) dans l’enclave palestinienne et en Cisjordanie : « Depuis six mois, entre les mois de mars et de mai, il n’y a eu aucune nourriture qui a pénétré dans la bande de Gaza. Puis, pendant trois mois, il y a eu uniquement, d'après les calculs du Guardian, 50% de la ration nécessaire à la survie des deux millions d'habitants qui ont pu pénétrer dans la bande de Gaza. »
GAZA 2025 / VARSOVIE 1940-1943
En réponse à Anne Bernas, une journaliste de RFI, Jean-Guy Vataux rappelle avec précision et intelligence que « les comparaisons entre ce qui se passe à Gaza aujourd'hui et ce qui s'est passé pendant la Seconde Guerre mondiale, et notamment la Shoah, n'aide pas, à mon avis, à éclaircir la situation. Les situations sont extrêmement différentes. Et en ce qui concerne les camps de concentration, pendant la Seconde Guerre mondiale, il s'agissait de camps de la mort, de camps de travail, et il n'y a aujourd'hui ni l'un ni l'autre à Gaza. En revanche, la situation de Gaza et notamment la privation de nourriture organisée par la puissance occupante, cela ressemble effectivement aux situations des ghettos pendant la Seconde Guerre mondiale, dont celui de Varsovie. À Gaza, il s'agit d'une politique qui consiste à affamer à plus ou moins petit feu une population bloquée dans un endroit donné. »
Affamer une population est une manière de la contrôler, de l’empêcher de se révolter et de la soumettre, c’est aussi un moyen pour la contraire à se déplacer ou la forcer à s’exiler. A Gaza comme dans les ghettos juifs de la Seconde guerre mondiale, les populations civiles sont prises en otages et instrumentalisées. Il existe toutefois une différence majeure. Il n’y avait pas a priori de forces armées dans les ghettos juifs. L’insurrection du Ghetto de Varsovie est le fait d’une force de résistance - l’Organisation juive de combat - constituée sur place, en réaction à la grande déportation de 1942. Elle se manifeste pour la première fois en janvier 1943, mais le soulèvement à lieu trois mois plus tard en avril 1943. On ne peut la comparer au Hamas qui administre, contrôle et terrorise la Bande de Gaza depuis 2007. Les nazis contrôlaient la gestion des ghettos, parfois en demandant aux conseils juifs et à leur « police » d’appliquer leurs ordres. Les ghettos juifs étaient des espaces transitoires en attentant la mise en place des camps d’extermination. La déportation des Juifs de Varsovie vers le camp de mise à mort de Treblinka, opération dénommée cyniquement par les nazis « le repeuplement vers l’Est » comment à l’été 1942. Ce n’est pas le cas à Gaza. En fait ceux qui veulent établir une comparaison entre ce qui se passe à Gaza aujourd’hui et ce qui s’est passé en Pologne et dans les États baltes pendant la Seconde guerre mondiale, afin de mettre en avant des raccourcis du type « Juifs = nazis » sont dans l’idéologie, la croyance et non dans la réalité objective historique.
Dire que les Israéliens ( donc sionistes ??!!) se comporteraient comme des nazis est souvent une tactique dialectique hypocrite pour déconstruire l’antisémitisme historique voire le justifier: comme les sionistes sont des juifs, s’ils se comportent comme des nazis, alors être antisémite serait une manière d’être anti-nazi ( sic !!!! )… C’est radicalement « oublier » que le nazisme fut fondamentalement antisémite. Comme le disait déjà dans les années 1970 le philosophe Vladimir Jankélévitch [1903-1985], « l’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission – et même le droit, et même le devoir – d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort ».
Comme le souligne très justement Sylvain Cypel, le fait d’accuser l’autre d’être un nazi vise à « le disqualifier et, plus encore, d’imposer l’idée non seulement qu’il n’y a jamais « rien à négocier » avec lui mais surtout que toute opération armée, quels que soient sa dimension et ses effets sur les civils est légitime » et ce en totale illégalité avec le droit de guerre édicté lors de la quatrième convention de Genève Entretenir la comparaison, c’est refuser toute solution.
Cela ne signifie pas que les Israéliens n’ont pas commis et ne commettent pas de crimes contre l’humanité à Gaza, ni que les descendants des victimes d’hier ne peuvent devenir des bourreaux. Toutefois, à ce jour, officiellement, il n’existe pas une « essentialisation des Palestiniens » ni des « Israéliens de confession musulmane » ( 20% de la population ), à la différence des Juifs sous le régime Hitlérien et par le Hamas ( qui a toujours soutenu la destruction de l’Etat d’Israel et des Juifs comme en atteste les massacres du 7 octobre ).
Il convient cependant de noter une montée en puissance des discriminations à l’égard des citoyens israéliens musulmans, citoyens de seconde zone. En atteste aussi l’expression « Arabes israéliens » pour qualifier les populations bédouines, utilisée par l’extrême droite ultra-religieuse ( en réalité, les analyses génétiques démontrent que ces « arabes » partagent 50% de leur gènes avec les « Cananéens », peuple sémite et on retrouve la même proportion chez « les Juifs »). Les provocations incessantes du ministre d’extrême-droite, israélien de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir ne visent pas simplement à changer le statu-quo religieux. En allant prier sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem, lui et ses partisans cherchent à affirmer l’idée que les Musulmans n’ont plus leur place en Israël. Alors que l’extrême droite en Europe fantasme sur la possibilité d’un « grand remplacement » ( c’st-à-dire refuse a priori toute possibilité d’intégration ), l’extrême-droite israélienne elle défend le grand remplacement des populations Palestiniennes et musulmanes au nom de l’idéologie religieuse du « Grand Israël » qui rappelle celle de « l’espace vitale ». En réalité, les « grands remplacements de populations » ont dans l’histoire toujours été le fait des colonisateurs : les Occidentaux remplacent les populations autochtones amérindiennes asservies et décimées par les esclaves venus d’Afrique, et les religions monothéistes (chrétienne et musulmane ) celles des peuples autochtones.
La question du sort des populations civiles est déterminante. Déjà, lors de son arrivée au pouvoir, Donald Trump la formulait en évoquant son « grand et beau projet » de transformer Gaza en une sorte de « Riviera moyen-orientale pour touristes fortunés ». Mais quid des populations palestiniennes ? Seront-elles utilisées comme main d’oeuvre servile ? Devront-elles être déplacées ( mais où ? car aucun pays frontalier n’est prêt à les accepter - on entend d’ailleurs leur silence alors que la famine sévit ) au risque de déplacer « le problème palestinien » dans l’espace et dans le temps ?
Pour l’heure, on est plus dans une logique de siège. Le but est d’affamer pour affaiblir et forcer la reddition, en espérant un soulèvement des populations ? C’est rarement le cas, au contraire.
La famine des populations palestiniennes sert le Hamas. Elle lui permet de justifier voire de légitimer sa lutte vis-à-vis de l’Etat hébreu. Celle-ci, antisémite par essence, est injustifiable. En montrant des images d’otages israéliens amaigris, à bout de souffle, le Hamas cherche aussi à rendre l’État hébreux responsable de leur situation, alors que c’est le Hamas qui en est le seul coupable. Le contrôle de la nourriture par le Hamas est aussi un moyen pour lui d’exercer une pression sur les populations civiles palestiniennes, contraintes de s’y soumettre si elles veulent recevoir un peu de nourriture. Certains jeunes palestiniens s’engagent au sein du Hamas pour ne pas mourir de faim ( sur les images, les combattants ne semblent pas souffrir de la famine à la différence des civils, vieillards, femmes et enfants ). Là encore, l’Histoire nous donne ses leçons : lors des sièges, les populations civiles sont toujours les premières victimes des famines: lors du siège d’Alésia par les troupes romaines de César, les combattants gaulois de Vercingétorix ont sortir les femmes, les enfants et les vieillards. Mais César refuse de les nourrir ou de les laisser passer, ils meurent de faim entre les deux camps.
La solution pour régler la famine au sein de la bande de Gaza passe aussi par l’éradication définitive du Hamas. Soutenir de quelque manière que ce soit l’organisation terroriste accroit les risques de morts par famine des populations civiles palestiniennes. Disons le clairement: ceux qui soutiennent le Hamas seront responsables des morts de faim palestiniens au même titre que ceux qui affament en empêchant la livraison de vivres.
La question est de savoir si Benyamin Nétanyahou et son gouvernement ont intérêt à éradiquer le Hamas comme ils le disent. La légitimité de l’intervention israélienne dépend du maintien au pouvoir du Hamas. Difficile de justifier la famine des populations quand il n’y a plus d’ennemi. Permettre la livraison de vivres à condition que les populations palestiniennes désavouent le Hamas forcerait également Benyamin Nétanyahou à arrêter les combats. Mais dans ce cas là, si Israël n’est plus en guerre, le Premier ministre et chef du gouvernement devra rendre des comptes au peuple israélien… De plus si l’éradication du Hamas est militaire, elle est aussi politique. Il faut remplacer l’organisation terroriste par une autorité démocratique ( en lui donnant les moyens de conduire une nouvelle politique ). Or, Benyamin Nétanyahou et son gouvernement font tout pour empêcher la formation - et même l’apparition - d’une telle autorité, qui implique la reconnaissance d’une solution « à deux états » Parallèlement et de manière synchronisée, concertée,, en Cisjordanie occupée, les colons israéliens mènent aujourd’hui l’une des campagnes d’intimidation et d’accaparement de terres les plus violentes depuis 1967. Selon l’ONG israélienne Peace Now, le nombre d’avant-postes illégaux et d’agressions commises par des colons a fortement augmenté au cours des derniers mois. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies a recensé 750 attaques contre des Palestiniens et leurs biens entre janvier et juin, soit une moyenne de 130 agressions par mois, le niveau le plus élevé depuis le début du suivi statistique. Ce n’est pas tout, le 20 août 2025, le projet clé E1 de construction de logements en Cisjordanie occupée a été approuvé par Israël. Le but de ce nouveau quartier est de couper le territoire palestinien en deux, en vue d’empêcher la création d'un éventuel État palestinien voire d’annexer la Cisjordanie comme le souhaitent les théoriciens d’extrême droite et ultra religieux « du Grand Israël » comme l’assassin d’Itzhak Rabin ( cf L’Humanité, Le Nouvel Obs, Courrier International ).
Si le but - l’intention et l’ambition - de Benyamin Nétanyahou et de son gouvernement est de coloniser et d’annexer les territoires palestiniens, de supprimer toute possibilité d’Etat palestinien exactement comme le Hamas voulait annihiler Israël, que va-t-il advenir des Palestiniens ? La question se pose d’autant plus que les extrémistes religieux qui participent au gouvernement de Benyamin Nétanyahou tendent à promouvoir l’idée di citoyenneté religieuse, autrement dit seuls seraient considérés comme de « vrais israéliens » ceux qui seraient israélites. Les citoyens israéliens musulmans seraient exclus, mais aussi les israéliens laïcs ( désormais « mauvais Juifs »comme en 1933 les nazis qualifiaient leurs citoyens de confession israélite de « mauvais allemands » ? ).
Si tel était le cas, il s’agirait d’une véritable révolution, car le nouvel État d’Israël créé en 1948 se considérait comme laïc et comme le rappelle Jacques Benilouche : « Les sionistes historiques, et Ben Gourion en particulier, n’ont jamais milité pour la création d’un Etat destiné à la religion juive, mais plutôt pour regrouper l’ensemble du peuple juif soumis à des lois civiles et non religieuses ». D’ailleurs, à ce jour, les membres de la Cour suprême israélienne sont des laïcs - ce pourquoi, ils sont souvent attaqués par les intégristes religieux souvent d’origine russe. On passerait alors d’un État des Juifs à un État juif qui exclurait de facto toutes les minorités et tous ceux considérés comme non-orthodoxes ( comme les homosexuels ).
C’est à l’aune de cette radicalisation qu’il faut entendre la polémique en Israël suite au refus catégorique des Haredim - les Juifs ultra-orthodoxes - de renoncer à leur privilège d’exemption de conscription, et ce à l’encontre d’une décision de la Cour suprême en juin 2024. Ceux qui crient à la guerre refusent de participer aux combats à Gaza, de mettre leur vie en danger et de se salir les mains. Leur croyance - leur idéologie - ne veut pas être confrontée à la réalité. Les intégristes ultra-religieux au sein du gouvernement de Benyamin Nétanyahou soutiennent le refus de combattre des Haredim. En 2025, seuls 3000 des 60 000 hommes ultra-orthodoxes éligibles devraient être incorporés ( et encore, les rares qui le seront ne se retrouveront pas sur la ligne de front ). Les Haredim constituent actuellement environ 14% de la population israélienne, mais il s’agit du groupe à la natalité la plus active et en 2061 les projections statistiques estiment qu’il représentera 30% de la population israélienne.
La colonisation des territoires palestiniens au nom du Grand Israël, la stratégie de la famine à Gaza, le refus de trouver et même de formuler une solution politique à deux Etats, les attaques de Benyamin Nétanyahou à l’encontre de tous les pays se déclarant prêt à reconnaitre l’État palestinien, tout cela change le regard sur les opérations à Gaza, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qui y sont perpétrés. En fait, la mise en place de ce processus, de ce programme rappelle un autre génocide, celui des Arméniens par les turcs en 1915.
GAZA 2025 / ANATOLIE 1915
Entre le printemps 1915 et l’automne 1916, sur les 1,5 millions voire 2 millions d’Arméniens qui vivaient dans l’Empire ottoman, entre 664 000 et 1,2 millions de personnes sont mortes lors du génocide perpétré par les Turcs.
Les Arméniens étaient l’un des nombreux groupes ethniques vivant dans l’Empire ottoman. A partir de 1885 à l’écoute et à l’image de ce qui se passe dans l’Empire austro-hongrois, certains décident de fonder des organisations politiques comme le Parti Arménagan ( en 1885 ), le Parti social-démocrate Hentchak ( en 1886 ) et le Tachnagtsoutioun ( en 1890 ). Ces partis revendiquent une plus grande autonomie régionale. Ils dénoncent l’inégalité de leurs droits - car chrétiens - face aux autres citoyens ottomans musulmans.
Le pouvoir central turc voit d’un mauvais oeil cette volonté d’émancipation politique et territoriale. Les guerres qui ont conduit à l’indépendance de la Grèce ( 1830 ) puis de la Roumanie ( 1859 ), de la Bulgarie et de la Serbie ( 1878 ) ont été ressenties comme un profonde défaite par le pouvoir ottoman. Les pertes territoriales restaient toutefois concentrées sur la partie européenne. En revanche, les velléités d’autonomie arméniennes constituent une menace et un risque d’implosion de l’empire oriental.
La prise du pouvoir par « les Jeunes turcs «, fondamentalement nationalistes et panturquistes, traduit cette inquiétude d’un nouveau démembrement. Les « Jeunes Turcs » prônent l’assimilation forcée de toutes les minorités. Selon eux, l’état multi-national, multi-ethnique et pluriculturel qui avait prévalu sous le sultanat doit disparaître au nom et au profit d’un nouvel Etat-Nation, laïque et libéral plus moderne ( et plus « français » ). D’une certaine manière, les Jeunes Turcs sont autant de leur temps que les révolutionnaires arméniens - et d’ailleurs, les uns se sont alliés aux autres pour renverser le Sultan en 1908.
Tous les soulèvements des Arméniens sont réprimés dans le sang. En 1909, les massacres d’Adana en Cilicie font entre 20 000 et 30 000 victimes arméniennes. La propagande nationaliste turque décrit les Arméniens comme « les plus riches et les plus prospères » et les accusent de former une sorte « de « cinquième colonne « séparatiste et contrôlée par les puissances démocratiques européennes…
Le 23 janvier 1913, le coup d’état des « Jeunes Turcs » du mouvement politique CUP ( Comité Union et Progrès ) réduit toute possibilité d’opposition. Le gouvernement nationaliste choisit de soutenir la Triple Alliance ( L’Allemagne et l’Autriche Hongrie ) contre la Triple Entente ( Grande Bretagne, France et Russie ) qui avait soutenu les Grecs au moment de la guerre d’Indépendance. Tous ceux qui revendiquent une autonomie ou qui soutiennent un pays de l’Entente sont considérés comme des ennemis d’État.
Dès février 1915, le Comité central du CUP met au point un plan visant à éliminer « la menace arménienne ». Cette planification est fondamentale car elle témoigne d’une volonté délibérer de massacrer un peuple - de le génocider.
Dans un premier temps, à partir de février 1915, tous les soldats et gendarmes arméniens enrôlés dans l’armée ottomane sont désarmés et relégués par petits groupes dans des travaux de voirie. Ils sont ensuite exécutés en partie par les Kurdes appelés en renfort.
Dans un deuxième temps, le 24 avril 1915 à partir de 20 heures, tous les intellectuels et notables arméniens sont raflés à Constantinople. Ils sont déportés puis assassinés. Le même processus est appliqué à l’ensemble du pays.
Dans un troisième temps, à partir de mai 1915, sans plus de soldats ni élites pour les défendre, les populations civiles arméniennes sont déportées en masse dans des vingt-cinq camps de rétention au coeur des régions désertiques de l’actuelle Syrie, de l’Irak et de l’Arabie saoudite. Une grande partie de ces convois venaient des six plus grandes provinces arméniennes d'Anatolie orientale : Trabzon, Erzurum, Bitlis, Van, Diyarbakir, Mamuret ül Aziz, et le district de Maras. Le but est de les déloger pour occuper et « turciser » leurs territoires. afin de réduire toute velléité de révolte, les Turcs, aidés des populations locales, exécutent dans un premier temps les hommes puis massacrent les femmes et les enfants, témoins de toutes ces mises à mort. Lors des marches forcées dans le désert, les convois de personnes âgées et d'enfants subissaient des attaques arbitraires venant d'officiers locaux, de groupes nomades, de bandes criminelles et de civils. Nombreux furent les Arméniens à mourrir de soif et de faim.
Le CUP, parti unique, qualifie les Arméniens « d’ennemis de l’intérieur » « pro-russes » ( pendant la Première guerre mondiale la Russie était du côté de la triple Entent, aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne ) et de « tumeurs internes », une manière de légitimer les massacres de masse au nom « d’idéaux supérieurs ».
Suite au déplacement forcé des populations puis à leur mise à mort, la Turquie « récupère » les territoires anatoliens où résidaient les Arméniens et surtout elle les turquise ( les populations anatoliennes furent le principal soutien d’Erdogan, de son idéologie islamiste intégriste et nationaliste - ni intégrante ni intégrationniste ). Dès la proclamation de la République de Turquie en 1923, Mustapha Kemal Atatürk poursuit l’oeuvre des Jeunes-Turcs, interdit toutes les langues minoritaires, déporte les populations non turques ( en particulier les Kurdes ) et les remplace par des immigrés turcophones originaires des Balkans, oblige toutes les membres des minorités à changer leur nom de famille pour un nom turc.La turquisation passe aussi par une réécriture de l'histoire. Les Kémalistes s'efforcèrent de faire remonter l'origine turque de l'Anatolie à plusieurs millénaires. On enseigne que les Hittites, les Sumériens et les Mésopotamiens étaient des Turcs !!! au prétexte qu’ils vivaient en Anatolie. La vérité officielle se substitue à la réalité. Ce processus a perduré jusqu’au début du IIIe millénaire, surtout sous le règne d’Erdogan: en 2005, le ministère turc de l’environnement a décidé de supprimer toute référence à l’Arménie et au Kurdistan présent dans le niom savant d’espèces animalière locale. Ainsi l’adjectif « anatolicus » se substitue aux adjectifs « kurdistanicus » ou « amenius » considérés comme « subversifs »…
L’histoire du génocide arménien est un révélateur. Elle témoigne que nous nous trouvons à un point de bascule concernant la question palestinienne. Dès le 15 octobre 2023, Danny Ayalon, ancien vice-ministre des Affaires étrangères et proche du Premier ministre Benjamin Netanyahou, a exhorté les habitants de Gaza à « évacuer leurs maisons et à se relocaliser dans le désert du Sinaï. Ce qui n’est pas sans rappeler le génocide arménien. Le 7 juillet 2025, le ministre israélien de la Défense, Israel Katz a exposé lors d’un briefing aux médias israéliens ses mesures concrètes pour déloger la majorité de la population de Gaza. Il a ordonné la planification d’une « ville humanitaire » destinée à accueillir des Palestiniens et à créer un camp d’internement sur les ruines de Rafah, marquant selon des observateurs une escalade du discours politique israélien au-delà de simples incitations à des crimes de guerre, vers une planification opérationnelle systématique de déplacements forcés de population.
Quid dès lors de l’avenir ? Peut-être faut-il déjà être clair et honnête avec soi-même.
Parce qu’il s’agit d’une organisation terroriste, fondamentalement et idéologiquement totalitaire et génocidaire, antisémite et antisioniste, le Hamas doit être détruit car il ne peut y avoir de paix tant qu’ils resteront au pouvoir. Ils ne sont pas un interlocuteur politique. Leur vérité n’est pas la réalité ( d’une manière générale, depuis les réseaux sociaux et Trump la vérité n’est plus la réalité), leur croyance n’est ni la vérité ni la réalité. Les interventions israéliennes au Liban et en Iran afin de couper les liens militaires tactiques et stratégiques avec ceux qui soutiennent le Hamas sont justifiés du point de vue Israélien. Le silence des États arabes et périphériques témoignent de leur volonté d’en finir avec le Hamas ? avec « la question palestinienne » ? auquel cas, la disparition de la Palestine serait aussi une volonté des États arabes ?
On ne peut soutenir le Hamas, ni directement ( explicitement ) ni indirectement ( implicitement ) par exemple en relativisant les massacres du 7 octobre 2023 ( « c’est la faute d’Israël » , « ils l’avaient bien cherché » ) ou en prenant prétexte de soutenir les populations palestiniennes. Il faut soutenir et aider les populations palestiniennes de toutes les manières et le plus vite possible, pas le Hamas.
La neutralisation du Hamas impose de mettre en place une nouvelle force de police et de défense en Palestine, garante de l’état de droit et de la sécurité. Elle ne doit pas être perçue comme un suppôt d’Israël. Il peut s’agir d’une force onusienne, transitoire, afin de laisser à la nouvelle entité de défense et de protection palestinienne de se constituer et d’être formée ( grâce à un pays tiers, européen ? ). Aucun membres ou ancien combattant du Hamas ne doit y participer à quelque niveau ni de quelque manière que ce soit. Benyamin Nétanyahou refuse le déploiement d’une telle force. Au sein de Gaza, les forces israéliennes cherchent à promouvoir « des seigneurs de la guerre » et autres chefs de gang afin d’entretenir la corruption, la violence, les inégalités et le chaos.
En occident, il importe de ne plus entretenir la confusion entre antisémitisme et antisionisme, confusion promue par le Hamas et Benyamin Nétanyahou ainsi que par Donald Trump et ses sbires car c’est accroitre voire légitimer l’antisémitisme. En témoignent la montée en puissance des actes antisémites en France - voitures de vacanciers de confession juive vandalisés à Châtel en Haute Savoie, profanation d’une plaque en hommage aux Justes à Villeurbanne, profanation du « mur des Justes » au Mémorial de la Shoah à Paris, profanation à Épinay-sur-Seine de l’olivier rendant hommage à Ilan Halimi torturés à mort parce que Juif par le « Gang des Barbares », croix gammée et insultes taguée sur des maison à Villeneuve-la-Guyard dans l’Yonne… Aux Pays-Bas, des touristes israéliens ont été violemment agressés suite à un appel à les traquer diffusé sur les réseaux sociaux. C’est là se comporter comme des nazis. Aucune manifestation pro-palestinienne ne saurait justifier ni tolérer l’antisémitisme. Entretenir l'idée que tous les Juifs ( car juifs " par essence" ) ne condamnent pas l'action du gouvernement Nétanyahou vis-à-vis des populations de Gaza est un mensonge et une malhonnêteté intellectuelle totale. En Israël, la mobilisation contre la guerre et pour la libération des otages ne cesse de s'accroitre. En France, plusieurs personnalités juives, dont Delphine Horvilleur et Anne Sinclair, ont pris la parole pour dénoncer la situation humanitaire à Gaza. Le silence et le manque de soutien de la gauche française vis-à-vis de ces manifestations sont révélateurs et préoccupants.
Instrumentaliser l'antisémitisme est toujours dangereux. Les attaques d'un Benyamin Nétanyahou ou de l'ambassadeur américain en France s'inquiétant tous deux "de la montée inquiétante de l'antisémitisme en France" visent à faire pression pour que ni la France ni l'Australie ne reconnaissent l'Etat palestinien comme elles l'ont annoncé. Sous entendre que les autorités françaises raviveraient l'antisémitisme parce qu'elles vont reconnaître l'État palestinien est inique, indigne, abject, méprisable car mensonger. ( La réponse du Ministère de l'Intérieur qui révèle une diminution de 27% par rapport à 2024 des actes antisémites en France entre janvier et juin 2025 n'est pas à la hauteur du débat. On en dénombre tout de même 646 officiels ! Surtout les actes antisémites s'en prennent également aux Justes, ceux qui ont aidés les Juifs pendant la Seconde guerre mondiale et qui sont perçus à l'aune "d'aujourd'hui" comme " des collabos" - ce nouveau révisionnisme, de nature idéologique, rappelle les actions de la Cancel culture, mais en pire car il s'agit désormais d'un détournement et d'une falsification de l'Histoire.
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Paris et sa banlieue taguées en 2023 |
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31 août 2025: mémorial de la Shoah à Lyon dégradé avec une inscription "Free Gaza"
Benyamin Nétanyahou se comporte à l'image et à l'instar du Hamas et surtout il fait le jeu du Hamas, au risque et au point de légitimer son action, de faire de l'antisémitisme un moyen pour combattre l'antisionisme. L'instrumentalisation de l'antisémitisme fait de l'antisémitisme un instrument qui ne peut que contribuer à l'accroissement des actes antisémites, à leur banalisation voire à un profond détournement de la perception de l'antisémitisme. "L'incident Vueling sur un vol Valence-Paris" ou "l'affaire des boites de repas casher" destinés à des passagers juifs d'un vol de la compagnie Iberia et tagués "Free Palestine" ont été justifiés par certains comme " des actes de résistance en solidarité avec le peuple palestinien". Ils sont en réalité discriminatoires et antisémites. Dans les deux cas, les victimes ont été ciblées non pas parce qu'elles étaient israéliennes, non pas parce qu'elles étaient pro-Benyamin Nétanyahou ou pro-partis nationalistes et ultrareligieux, mais uniquement parce qu'elles étaient juives. Les initiales FR ( Free Palestine" sont l'équivalent de l'étoile jaune que les Français de confession israélite étaient contraints de porter sous l'Occupation. Le sigle de soutien est un signe de diffamation.
Il importe que la position des citoyens israéliens soit clarifiée par un vote démocratique « pour ou contre » la politique de Benyamin Nétanyahou et de de sa coalition. Tant que le Hamas et Benyamin Nétanyahou seront au pouvoir, il est difficile de concevoir un projet de paix. Les nationalistes et ultra-religieux israéliens préfèrent avoir à faire à des mouvements religieux intégristes et nationalistes. L’obscurantisme se renforcent de l’obscurantisme. Leur vérité se substitue à la réalité et la terreur qu’ils exercent sur tous à la sécurité de tous. Les intégristes et autres orthodoxes partagent en fait la même idéologie totalitaire, parlent le même langage. Ils se haïssent mais ils se comprennent - ils se respectent même. Pour tous, la haine de l’Autre est le principal gage de leur reconnaissance, de leur identité ( et on comprend mieux le mépris des Haredim à l’égard des soldats israéliens chargés d’appliquer leurs ordres et basses-oeuvres, ou encore le mépris du Hamas vis-vis du peuple palestinien réduit à n’être qu’un bouclier-humain pour les Glorieux soldats qui se terrent dans les tunnels et qui mangent bien ). Seuls leur dieu ( leur révolution ) changent, mais le processus qu’ils développent reste le même. D’une certaine manière, ce vote des citoyens israéliens pour ou contre Nétanyahou, pour ou contre l’extrémisme religieux est un choix de civilisation. Veulent-ils qu’Israël reste un État démocratique ? un État laïque ? Si une majorité des votants se déclarent en faveur de la politique d’expansion et de colonisation, en faveur de la famine des populations de Gaza, alors on pourra dire qu’Israël est un État génocidaire. Mais, en partie pour des raisons personnelles ou pour ne pas avoir à rendre des comptes devant les tribunaux nationaux et la Cour Pénale Internationale ( CPI ), Benyamin Nétanyahou refuse que se tiennent des élections anticipées ( elles sont prévues en octobre 2026 ). C’est ce qui explique aussi l’impression de fuite en avant et de marche forcée.
C’est pourquoi, il importe de soutenir toutes les reconnaissances de l’État palestinien, premier pas d’une solution à deux États ( conformément à la déclaration de l’ONU lors de la création de l’État d’Israël ). La reconnaissance donne des garanties légales et un recours international. Elle permet aussi de tout mettre en oeuvre pour maintenir les populations sur place ( la famine facilite les déplacements en masse ) et réduire ? empêcher ? les velléités de colonisation. Si les Palestiniens quittent Gaza - si des autorités extérieures, israéliennes et / ou américaines, les « convainquent » ( par la force, la famine, les destructions totales et systématiques ou en les « indemnisant » avec des « jetons numériques », les bitcoins et autres tokens comme la nouvelle monnaie de singe non-nationale ) de partir « volontairement » c’est-à-dire « obligatoirement », si les Palestiniens désertent, alors ils ne reviendront jamais et aucun Etat palestinien ne sera jamais plus créé. Tel est d’ailleurs le but et l’ambition du « plan américain pour l’après guerre à Gaza » révélé le 31 août 2025 par le Washington Post. Élaboré par certains des Israéliens à l’origine de la Fondation humanitaire de Gaza (GHF) nspirés par le projet trumpiste de construction d’une « Riviera » sur les décombres de Gaza, ce plan prévoit de déplacer toute la population du territoire palestinien, placé sous administration américaine pendant dix ans pour le transformer en un centre technologique ( usines de voitures électriques et touristiques ( les huit nouvelles villes « intelligentes » créées seraient gérée par l’IA… ). Ce plan rappelle la politique de turquisation de l‘Anatolie après le génocide des Arméniens.
C’est pourquoi la reconnaissance d’un État palestinien est vitale et capitale, pour son intégrité territoriale, le sort de ses habitants. Elle permet aussi de faire entendre le gouvernement palestinien via sa reconnaissance officielle. Israël a tout fait pour réduire au silence une nouvelle élite politique palestinienne, en opposition au Hamas. La décision de l’administration Trump de refuser les visas aux représentants palestiniens invités à l’ONU par l’ONU, souligne la volonté des Etats-Unis de faire taire et de réduire au silence - de nier l’existence - de toute représentation et parole palestinienne ( surtout si elle s’émancipe du Hamas . Or Benyamin Netanyahou a depuis 2009 veillé à diviser les populations palestiniennes, en renforçant le Hamas (à partir de 2018, le gouvernement israélien a autorisé l’entrée régulière de fonds en provenance du Quatar - fonds qui ont servi à construire des tunnels, à armer le Hamas pour commettre les massacres du 7 octobre ) et en affaiblissant l’Autorité palestinienne contrôlée par le Fatah en Cisjordanie. Il importe d’identifier une nouvelle élite et de la promouvoir. La Palestine attend son Nelson Mandela, comme Israël attend son nouveau de Klerk.
© Sylvain Desmille
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