AUSCHWITZ 2025 par Sylvain Desmille©

 

La rampe juive, arrivée des convois à Auschwitz


LIEN DU LIVRE AUSCHWITZ de Sylvain Desmille 

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LIEN DU LIVRE AUSCHWITZ de Sylvain Desmille 

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Textes "Auschwitz" de Sylvain Desmille© au format PDF



Ces photographies ont été réalisées lors d’un des Voyages de la mémoire organisé par le Mémorial de la Shoah avec le concours de la Région Ile-de-France. Ceste visite scolaire du camp d’Auschwitz - Bikenau s’est tenue le 17 décembre 2024, avec un départ depuis Paris à cinq heures du matin et un retour vers 23 heures. Le rythme est très intense et  très soutenu, dans la forme ( au pas de course ) comme dans le fond ( les guides polonais expliquent d’une manière très minutieuse et précise le contexte, la réalité et les enjeux que représentaient les camps ). Il ne s’agit pas en effet  d’une simple visite mais bien d’un voyage d’étude. Après avoir participé à une journée de formation au siège du Mémorial de la Shoah à Paris, chaque groupe a défini librement une thématique spécifique, et c’est en fonction de celle-ci que les guides polonais.es. et accompagnateurs du Mémorial de la Shoah  déterminent le parcours - en consacrant plus de temps à tel espace où a tel lieu point afin de répondre aux questions des élèves au regard de leur problématique.  Le résultat des travaux des groupes scolaires est mis en scène dans un panneau explicatif autonome. Il est d’abord présenté au Conseil régional d’Ile de France - pour mon cas. Puis une exposition itinérante présente  l’ensemble des participations. Il s’agit donc d’un véritable engagement pédagogique - du moins ce devrait l’être. 


La matinée est consacrée à la visite  Auschwitz  2 (  ensemble B sur le plan ), c’est-à dire au camp de Birkenau, construit par les prisonniers soviétiques et ouvert par les nazis le 8 octobre 1941. Il fut le principal centre de mise à mort immédiate des Juifs européens. La visite d’Auschwitz 1 ( ensemble A sur le plan ) a lieu l’après-midi. Ouvert en février 1940 par les nazis dans une ancienne caserne construite par les Autrichiens puis occupée par les Polonais, le camp de concentration et d’extermination  se compose d’une série de baraquements en pierre. Certains accueillent aujourd’hui des espaces museaux thématiques donnant à voir documents et témoignages pour mieux donner à comprendre la réalité de ce que fut Auschwitz.


Les groupes scolaires se composent de quinze à dix-huit élèves ayant choisi de participer à ce projet. Ils sont encadrés par deux enseignants ou référents pédagogiques dont un professeur d’histoire. Ceux-ci doivent aussi suivre une formation spécifique, leur permettant de prendre connaissance des derniers résultats de la Recherche historique et historiographique. L’implication des profs c’est-à-dire leur intelligence est vraiment nécessaire. La préparation des élèves détermine leur attention et la qualité de leur écoute lors de la visite d’Auschwitz-Birkenau. Plus on sait, plus on ressent. Mieux on sait, mieux ont ressent.  


Les groupes scolaires sont constitués en général d’élèves de classes terminales - programme scolaire oblige. J’ai accompagné pour ma part un groupe d’élèves de Première. Tout au long de l’année scolaire 2023-2024, le mémorial de la Shoah a accueilli 4 622 groupes scolaires du CM1 à la Terminale et plus de 8 000 professeurs on participé à au moins une de ses formations. Ces chiffres sont en augmentations et répondent d’une manière positive à la hausse exponentielle et très inquiétante des actes et agressions antisémites depuis le 7 octobre 2023. Faire l’effort de comprendre a toujours été un moyen de combattre l’obscurantisme et la barbarie. 


Les textes qui accompagnent ces photographies sont très personnels et ils n’engagent que moi. Il s’agit plus de réflexions surgies sur le vif de la visite, griffonnées, à la va vite, parce qu’il fallait bien accélérer le pas, en faisant attention à ne pas se tordre les pieds.  Elles se développent moins en écho qu’en assonances  comme deux polarité la résistance. 


Sylvain Desmille 

Auschwitz © Sylvain Desmille



Préambule

27 janvier 1945 - 27 janvier 2025


Je suis né un 27 janvier. C’est étrange de fêter son anniversaire le même jour que le monde entier  ( le monde entier ?  ) commémore la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste. Quand j’étais jeune, personne n’établissait l’association, mais bon, personne n’ont plus n’évoquait la Shoah. Mon grand-père avait survécu au camp de concentration mais il n’en parlait jamais. Ce n’est qu’au tournant des années 1980 que la génération de l’après baby-boom a commencé à entendre parler publiquement de l’holocauste, comme on le disait à l’époque. 


La diffusion en 1979 de la série américaine Holocaust  marque un tournant. Et même si Elie Wiesel s’est montré assez critique vis-à-vis du recours à la fiction pour parler de la Shoah, trop mélodramatique, même si Simone Weil a récusé la vision trop aseptisée des camps, le succès public du feuilleton a contribué à casser la loi du silence autour de la Shoah. Un Américain sur deux a suivi l’histoire de la famille Weiss. En Allemagne, Holocaust fut suivi par un tiers des Allemands. Comme au moment des grands procès des années 1960, la série ravive les questionnements. C’est après sa diffusion que le gouvernement de RFA (République Fédérale d’Allemagne ) décide de rallonger le délai de prescription pour les criminels nazis. La sortie en 1985 du film Shoah réalisé par Claude Lanzmann marque aussi un tournant.  La date de la libération du camp d’Auschwitz devient symbolique pour tous et pour moi plus personnellement. 


Ce n’est que le 1er novembre 2005 qu’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies institue le 27 janvier, date anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz par les Soviétiques, « journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste ». L’Union Européenne l’avait instaurée dès 2012. 


Lors de sa diffusion en France en 1979, Holocauste avait permis à la génération de l’Après-Guerre de découvrir la réalité et l’horreur des camps de concentration et d’extermination nazis. Des professeurs avaient même créé des « clubs de discussions » pour accompagner la prise de conscience de leurs élèves. L’holocauste devient une thématique spécifique du programme d’Histoire.


C’est sans doute aussi la raison pour laquelle la prise de conscience mémorielle a suscité a contrario provocations et dénis. L’année suivant la diffusion d’Holocauste, le négationniste français Robert Faurisson publie Mémoire en défense ( contre ceux qui m’accusent de falsifier l’Histoire: la question des chambres à gaz ). Fait symptomatique, encore plus aujourd’hui, il place en guise de préface un texte de Noam Chomsky consacré à « la liberté d’expression ». Il s’agit d’une tactique classique et banale de l’extrême-droite, à savoir non seulement revendiquer la liberté d’expression pour (auto)justifier des thèses visant à nier la réalité des faits, mais aussi se faire passer pour « des victimes » alors que leur but est de discréditer les victimes  réelles de la Shoah.  Ce négationnisme a pour intention de substituer « sa vérité » à la réalité historique, de la censurer, de la faire taire - de la nier. 


Il est regrettable que Noam Chomsky, né juif, collabore avec un Faurisson  ( lire à ce sujet le texte de l’historien Pierre Vidal-Naquet publié en 1981 par la revue Esprit, en appendice de Les Juifs, la mémoire et le présent ). Preuve qu’il ne s’agit pas d’une « erreur »  Noam Chomsky récidive en 2010 en signant avec Soral, Dieudonné et Bruno Gollnish une pétition française réclamant l’abrogation de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 ( contre le négationnisme ) et exigeant la libération de Vincent Reynouard condamné pour apologie de crimes de guerre et contestation de crimes contre l’humanité. Ce n’est pas un hasard si Robert Faurisson l’a mis en avant. Noam Chomsky est en effet le cousin du réalisateur américain de la série Holocaust, Marvin Joseph Chomsky…



Chomsky… Tous les moyens sont bons pour créer de la polémique, c’est-à-dire monologuer, discréditer, chercher à abattre l’Autre, ne serait-ce que symboliquement. En 2016, l’Assemblée nationale française a refusé d’honorer le philosophe et linguiste Noam  Chomsky, au nom des valeurs de la République. Le journaliste Edwin Plenel s’en est indigné et offusqué. Comme le rappelle Frédéric Haziza, les antisémites ont toujours cherché à mettre en avant « leur bon juif » afin de laisser croire ( ou de donner à croire ) qu’ils ne sont pas (vraiment ? réellement ? tout à fait ) antisémites. Dix ans plus tard, l’Assemblée nationale ferait-elle montre de la même honnêteté intellectuelle ?


En France, la loi Gayssot  du 13 juillet 1990 qui réprime tout acte raciste, antisémite et xénophobe a permis de lutter juridiquement contre le négationnisme. Toutefois, lors des débats au Sénat, le droite, majoritaire, s’y était opposée « au nom de la liberté d’expression ».  En 1994, en Allemagne, la négation de la Shoah a été ajoutée à la loi de 1985 qui interdisait de nier ou de minimiser l’importance du génocide. Condamné à un an de prison pour incitation à la haine raciale et négation de la Shoah, l’ancien officier nazi Otto Ernst Remer  porte plainte auprès de la Convention européenne des droits de l’homme pour non respect de la liberté d’expression, mais il fut débouté en 1995.  


Il existe cependant d’autres forme de négationnisme, comme les discours avançant qu’il faut arrêter de parler des camps nazis pour cesser de « traumatiser » les jeunes générations allemandes en les faisant culpabiliser. Cette censure au nom d’un ressenti décrété n’a pas lieu d’être.  Et c’est « oublier »  que ce fut la génération née après 1945 qui a demandé des comptes à leurs parents au moment des procès de 1958 en République Fédérale d’Allemagne, puis du criminel de guerre Eichmann en 1961 à Jérusalem et des anciens SS membres du personnel de Sobibor, en 1965. 


Aujourd’hui, en marchant dans Auschwitz, je me rends compte effectivement qu’on ne peut pas ne pas faire référence au nazisme, tout simplement parce que se retrouver à Auschwitz c’est comprendre combien notre temps présent s’y retrouve. Auschwitz c’est le miroir le long du chemin de notre contemporain. Quand je marche dans Auschwitz je ne suis pas seulement au passé, je marche dans notre monde. Je suis à Washington, ce 20 janvier 2025, une semaine avant les commémoration de la libération d’Auschwitz. Lorsque je croise le regard des prisonniers pris en photo par les Nazis, leur visage est également, fraternellement, celui de mes contemporains. Et je suis l’un d’eux.  Mais je retrouve aussi de nos contemporains dans les dessins représentants les Kapos ou dans les photos des SS. Quand je marche dans Auschwitz, c’est un futur toujours possible que je perçois.


Auschwitz © Sylvain Desmille

Auschwitz © Sylvain Desmille


Auschwitz © Sylvain Desmille


Auschwitz © Sylvain Desmille




ARRIVÉE


Auschwitz commence en dehors d’Auschwitz. 


Temporellement:  le camp s’inscrit dans un processus qui débute avec la victoire du parti nazi, le NSDAP aux élections législatives de novembre 1932, quand l’idéologie accède au pouvoir, il en est une conséquence et un aboutissement. 


Géographiquement: à l’origine, les convois ferroviaires s’arrêtaient à proximité du camp. Aujourd’hui, seules deux stèles rappellent que la  première rampe se trouvait ici. Les survivants descendaient des wagons, apeurés, exténués, désorientés dans tous les sens du terme, sans repère  ni comprendre vraiment ce qui était en train de se passer.  Où était Auschwitz dans leur tête, à ce moment ?  Qu’en était-il d’Auschwitz ?  Savaient-ils seulement qu’ils se trouvaient à Auschwitz ? Arrivés « à bon port »  comme disaient les Allemands pour signifier leur destination finale. Hypocrisie allemande: les camions affublés du sigle éponyme de la Croix Rouge rassurent les civils  mais ils ne sont que des leurres. Leur vérité n’est pas la réalité. Les Allemands assurent  que les camions sont réservés aux personnes les plus fragiles, âgées ou malades, à tous ceux et  toutes celles qui ont des difficultés à marcher. Ginette Kolinka, née Cherkasky, dix-neuf ans en 1944, convainc son père  de monter avec son petit frère dans un des camions dont le moteur ronronne déjà. Par compassion, pour leur bien.  Un peu rassurée, elle  regarde le camion brinquebaler puis se recroqueviller sur lui-même comme un point de ponctuation de plus en plus lointain. Elle ne sait pas qu’il conduit son père et son plus jeune frère dans une chambre à gaz. 


Le jour de son arrivée, Simone Veil, née Jacob, croise un  des prisonniers chargés de récolter les valises  que les  Juifs  sont contraints d’abandonner dès la descente du train. Celui-ci conseille à la toute jeune fille de mentir sur son âge et de dire qu’elle a dix-huit ans. Ce jour là, tous ceux et celles qui avaient moins de dix-huit ans étaient conduits à la chambre à gaz. 


C’est comme ça. Certains jours, la sélection pour la chambre à gaz est terrible et draconienne  D’autres, parce que les massacres ont pris du retard, parce que la mortalité des prisonniers soudain plus importante a libéré de la place dans le camp, ou parce qu’une entreprise allemande a soudain un besoin pressant de main d’oeuvre servile à exploiter jusqu’à la mort, la sélection est moins intransigeante - des adultes ou des jeunes de 16-17 ans peuvent échapper à la mort programmée.  La situation peut aussi varier un même jour, entre le matin et l’après-midi selon le rythme d’arrivée des convois,


Aujourd’hui un silence glacé règne à remplacement de la rampe. Entre 1940 et 1945, les aboiement des chiens d’attaque mordaient l’air et la poussière. Les ordres claquaient aussi sec que leurs coups de cannes sur les mollets et le dos des déportés - et parfois, un des officiers s’autorisait un tabasse en règle, totalement gratuit, pour l’exemple, afin d’inculquer la terreur chair et âme parmi tous, condition sine qua non de l’emprise et du conditionnement exercés par les nazis et de la soumission qu’ils exigeaient. La terreur à Auschwitz étaient bien plus terrible encore que celle que les Juifs avaient connu et dû supporter dans les territoires conquis et occupés, amis du Reich et antisémites, bien plus terrible que celle éprouvée lors du long voyage en train entre les camps de transit et Auschwitz - deux jours et demi  depuis Drancy, enfermés dans le noir , le froid ou la chaleur extrême, la faim et la soif, l’attente et l’angoisse, en sachant et sans savoir. Ce conditionnement était nécessaire pour réduire toute velléité de réaction et de révolte. Ce qui attendait les déportés allait être encore bien pire. 


Auschwitz © Sylvain Desmille


LES AUSCHWITZ


Auschwitz est  le plus grand complexe concentrationnaire et d’extermination du Troisième Reich. Il se composait de trois camps majeurs. 


Auschwitz 1 dit « le camp souche » a ouvert le 20 mai 1940. Les nazis y emprisonnèrent en premier lieux les opposants et résistants polonais, les soldats soviétiques puis des Juifs et résistants de toutes les nationalités. On estime que 70 000 personnes y périrent. 


Auschwitz 2 - Birkenau fut ouvert le 8 octobre 1941. Il  s’étend sur 170 hectares. Il se subdivisait en trois ensembles: l’unité où étaient emprisonnées les femmes se trouvait en avant des baraquements pour les hommes ( les nazis ont toujours été soucieux de marquer la différence des sexes ).  La troisième sous-partie dite Mexico était en construction au moment de la libération du camp. Les familles Tziganes étaient rassemblées dans une partie spécifique ( ils  vivaient en famille, en conservant leurs habits traditionnels ). Le Kanada désignait la section des entrepôts où tous les biens des Juifs étaient triés, désinfectés puis expédiés en Allemagne. Toutes les photographies emmenées par les déportés étaient détruites. Le Kanada se trouvait entre la partie « concentrationnaire » et celle dévolue à l’extermination. 


Les nazis ont construits à Birkenau quatre unités souterraines de mise à mort - chambres à gaz et crématoires. Dans un premier temps, deux anciennes fermes, la Maison Rouge et la Maison Blanche,  avaient été transformées en lieu d’exécution de masse et chambre à gaz ( Bunker I et Bunker II ). Birkenau le plus grand centre de mise à mort des Juifs - plus d’un million y moururent, essentiellement dans les chambres à gaz.


Auschwitz 3 - Monowitz a ouvert le 31 mai 1942. Il s’agissait d’un camp de travail pour le groupe industriel allemand IG Farben ( BASF, Bayer, Agfa ). En plus de ces trois camps, on dénombre 44 camps annexes appelés aussi camps satellites, camps extérieurs ( Ausseblager ) ou sous-camps ( Nebenlager ). Il s’agissait de camps de travail, pour les industries d’armements et pour fournir une main d’oeuvre servile aux société allemandes comme Krup ou Siemens. La plupart de ces camps étaient distants de moins de 10 kilomètres du camp souche dont ils dépendaient administrativement. 


Auschwitz © Sylvain Desmille


INDUSTRIES


Le choix d’Auschwitz par la compagnie allemande IG Farben pour y développer de nouvelles usines dès 1941 a été un facteur déterminant dans l’essor du complexe concentrationnaire. Le chef de la SS Himmler exprime sa volonté d’en faire un centre et un instrument du développement colonial allemand. Il entend créer un camp de travail de 100 à 150 000 esclaves, grâce à l’apport des prisonniers de guerre soviétiques. Il doit revoir ses objectifs à la baisse à cause de leur très fort taux de mortalité. D’où la décision de transformer Birkenau en camp de concentration ( élimination lente, par le travail forcé )  puis de mise à mort immédiate des Juifs. 


La chaine de mise à mort mise au point par les Allemands rappelle  la chaîne de montage des modes de production tayloriens fondé sur la division des tâches, étape par étape. En fait, les nazis applique à la destruction de masse les mêmes règles qui prévalent à la production de masse. Ils n’ont de cesse d’accroître la performance de leur modèle et sa rentabilité. Les SS établissent même un cahier des charges afin que l’exécution et l’élimination de milliers de cadavres se déroulent sans interruption, à bon marché, en économisant le combustible.


La société Topf und Söhne prend soin de perfectionner les chambres à gaz  d’Auschwitz pour gagner en efficacité et performance. Elle installe des systèmes de ventilation dans les crématoires II et III et un système d’aspiration d’air pour le crématoire V.  L’ingénieur Prüfer, qui avait finalisé le système estimait que son savoir faire n’était pas suffisamment reconnu. Il obtient gain de cause et obtient des SS une augmentation de salaire. La culture d’entreprise associée au culte de l’employé du mois.


Un mode de production n’a pas d’idéologie. Le modèle taylorien et fordiste mis aux point par l’industrie capitaliste américaine fut également appliqué en URSS ou aujourd’hui en Chine. Le concept de la chaîne de montage fondé sur le principe de la division des tâches et un processus de réalisation cadencé - chronométré - afin de réduire les coûts et d’accroître la productivité  a été utilisé à Auschwitz, aussi bien pour produire ( dans les unités de production des firmes capitalistes allemandes ) que pour détruire les déportés juifs. de manière rationnelle, systématique, ordonnée et cadencée. 


Auschwitz © Sylvain Desmille

Un camp de la mort n’est pas une ville ni même un quartier périphérique. Il s’agit d’une unité de destruction massive exactement comme on parle d’une unité de production de masse. Les camps d’extermination nazis sont des usines à tuer, « à la chaine ». La mise à mort y est industrielle et industrialisée. Le commandant du camp d’Auschwitz et criminel de guerre Rudolf Höss a tenu une comptabilité du nombre de déporté.e.s tué.es  quotidiennement afin de vérifier si les objectifs définis par Berlin sont bien tenus. Il multiplie les initiatives pour accroitre les capacités de mises à mort tout en réduisant les coûts de l’extermination. C’est lui qui, par souci d’efficacité, décide de faire la sélection sur le quai de débarquement. A cet égard, on peut parler d’un véritable esprit d’entreprise de la mise à mort, du moins du côté des Allemands.  Le rôle des  kapos  ( choisis parmi les détenus de droit commun ) évoque la fonction des contremaîtres dans les usines, les déportés sont contraints au travail forcé. Ils ne sont pas des ouvriers ( ils ne  sont pas rémunérés ) mais des esclaves ( ce que d’aucuns entrepreneurs contemporains pourraient considérer comme l’apothéose du modèle de production capitaliste ). 


Le rôle des entreprises capitalistes allemandes fut déterminant. Dès sa première visite d’inspection, le chef de la SS Himmler ordonne de construire une usine de caoutchouc synthétique pour la firme allemande IG Farben.  Face à la pénurie de matériaux pour construire Birkenau, Höss demande et obtient le soutien financier d’IG Farben qui lui fournit du gravier. La politique économique concentrationnaire était à leur service.


Les déportés à qui les nazis accordaient un droit temporaire de survivre servaient de main d’oeuvre servile et corvéable à merci, exploitée jusqu’à la mort. Les nazis les sélectionnaient en fonction des besoins, à la manière d’une variable d’ajustement.


Quand  le marché économique se contractait, à cause du manque de ravitaillement, afin de restaurer leurs marges et de faire baisser les coûts (le minimum pour maintenir les déportés en vie ), il était facile  pour les entreprises d’éliminer physiquement une partie de leurs forces de travail, à la manière d’un « vaste plan social » mais sans devoir verser des indemnités - la chambre à gaz en guise de lettre de licenciement.  


A l’inverse, quand la mortalité avaient été trop importante, à cause des épidémies ou de la malnutrition, du froid, ou parce qu’un ordre avait été donné d’éliminer tels ou tels Sonderkommandos ( renouvelés périodiquement, pour complaire à la paranoïa allemande de l’élimination de témoins ), ou encore parce qu’une entreprise avait besoin d’accroître sa production, les nouveaux arrivants avaient un peu plus de chance d’échapper à la mort immédiate. Le terme « sélection » était d’ailleurs utilisé pour choisir ceux et celles qui échapperaient à la chambre à gaz et non pour désigner ceux qui y étaient condamnés, car Auschwitz était avant tout un centre de mise à mort - y survivre y était une exception ( et dans l’esprit des nazis, celle-ci ne pouvait être que temporaire, puis que le programme de la solution finale visait à l’anéantissement total des Juifs ).


Auschwitz © Sylvain Desmille


C’est grâce à cette chance, à ce sursis, que Simone Veil, Marceline Loridan-Ivens et Ginette Kolinka ont pu survivre, dans et après Auschwitz.Dans les autres centres de mise à mort la possibilité d’être sélectionné était bien plus faible. A Treblinka, seuls ceux que les nazis choisissaient pour faire partie des SonderKommandos échappaient à la mort pendant une très courte période ( ils ont tous été tués ) et ils représentaient entre 1 et 3% d’un convoi. 


En fait, si le complexe d’Auschwitz fut le plus grand centre de mise à mort ( à cause de sa capacité de destruction massive ), c’est aussi là que la sélection fut pratiquée en masse, ce qui en fait une exception par rapport à Sobibor et Treblinka, Chelmno ou Belzec. A partir de 1942, pour les nazis, les Juifs n’étaient pas destinés aux camps de concentration. Leur volonté allemande de détruire les ghettos ( qui sont un système concentrationnaire)  conduit forcément les Juifs vers des camps d’extermination.  La multiplication des camps annexes ( unités de production ), les capacités de gazage de Birkenau nécessitaient d’autant plus de main d’oeuvre que cette chaine de destruction générait une économie et une industrie en soi.  Il fallait trier les affaire des déportés gazés, tondre tous les cheveux des morts pour les transformer en couvertures, cordes… L’unité de destruction devient une unité de production.


Contrairement à l’inscription en fer forgé proclamée à l’entrée du camp d’Auschwitz 1 ( et à celle du camp de Dachau aussi ), le travail ne rendait  pas libre - d’aucune manière et en aucune façon. Mais il permettait de gagner du temps dans la course à la mort, assez pour espérer voir les troupes alliées battre les Allemands et venir vous libérer.


D’une certaine manière, dans le mode de production totalitaire, l’esclave se substitue à l’ouvrier. L’ordre totalitaire entend soumettre les autres - des autres - au profit unique de certains, d’un petit nombre, d’élus. Il légitime cette exploitation absolue des ressources et des êtres par la hiérarchisation des races ( comme le modèle colonial ). Cette substitution de l’ouvrier par l’esclave apparaît aussi comme une apothéose absolue du modèle capitaliste.


Peu avant les célébrations du 80e anniversaire de la libération d’Auschwitz, Elon Musk, toujours soucieux de tirer la couverture médiatique à lui, faire parler de lui pour qu’on n’entende pas les derniers rescapés des camps de la mort, a multiplié les provocations très symboliques, à l’image du salut hitlérien qu’il fait par deux fois le jour de l’investiture de Donald Trump à la présidence américaine. Désireux d’apporter son soutien au parti de l’extrême-droite allemande AfD ( Alternative pour l’Allemagne ), le patron du réseau social X  s’est également entretenu avec Alice Weidel dans un exercice de pure propagande, sorte de monologue à deux plutôt que vrai débat ( il n’y avait aucune contradiction - une mise en scène qui correspond bien à la définition de « la liberté d’expression » selon Elon Musk ). A cette occasion, Elon Musk a tenu à rappeler que selon lui « Hitler se considérait comme socialiste ». Et la Guide Suprême de l’Afd, Alice Weidel, d’asséner comme en écho  que « Sous le IIIReich, les nationaux-socialistes, comme le dit leur nom, étaient socialistes ». Telle est la nouvelle doxa de l’Afd, à savoir donner à croire que le parti ne serait pas d’extrême droite au prétexte qu’il  est ultra libéral et conservateur et non « socialiste » comme celui d’Hitler.


Le NSDAP ( Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, le Parti national-socialiste des travailleurs allemands ) a été fondé en 1920, au même temps que la République de Weimar. Il ne s’est jamais positionné « à gauche », mais s’est toujours placé du côté de l’extrême droite révolutionnaire. Il n’a jamais été d’obédience marxiste et s’il intègre les mots « travailleurs » et « socialistes » pour se démarquer des démocrates bourgeois associés au marché capitaliste alors en crise (hyperinflation, chômage de masse et des masses ). Le terme socialiste est mis en avant pour signifier que le parti nazi s’adresse en priorité à la classe ouvrière, aux petites gens et qu’il entend les protéger socialement. Il s’agit aussi d’un  souci de propagande. L’adjectif «  socialiste » revêt en effet à l’époque une dimension populaire et méliorative ( positive et gratifiante ). A l’époque, le terme « socialiste » correspond plus à ce que nous entendons aujourd’hui par « populiste ». Le parti national-socialiste est un national populiste. Le nom de son parti prend bien soin de spécifier « travailleurs allemands ». On est très loin de l’Internationale socialiste.


L’économie nazie est très intimement liée à l’idéologie nazie. D’un côté, elle ne remet jamais en question la question de la propriété privée ( ce en quoi elle n’est en rien « socialiste » ) mais de l’autre elle spolie tous ceux que le régime nazie ne reconnaît pas ou veulent mettre à l’écart, hors de la société, c’est-à-dire principalement les Juifs. Le parti entend aussi intervenir pour déterminer les axes et les enjeux de l’économie ( encadrement, planification ) a contrario des théories libérales (pour Hitler, l’opération du Saint Esprit et de la main invisible ne sauraient exister ).   


D’un côté, Hitler exprime sa volonté d’un Reich capable de vivre en autarcie, de manière autonome, sans dépendre des autres, en « économie fermée et autosuffisante )  ce pourquoi il  met  en place des barrières douanières protectionisme. De l’autre, il fonde la croissance économique sur sa politique  d’expansion territoriale, grâce aux conquêtes ( espace vital ) et au pillage  des ressources et des richesses des pays vaincus ( prédation ). Il est contre l’idée d’une mondialisation économique (espaces ouverts ) mais est favorable à la conquête du monde par l’Allemagne ( l’espace mode se confond à l’espace allemand en bonne logique totalitaire ).


Concrètement, d’un côté le régime nazi est intervenu pour soutenir massivement les entreprises privées allemandes ( le système libéral les aurait laissé mourir au nom de l’autorégulation et de la « loi de la jungle » ). De l’autre, il revendique un darwinisme social fondé sur la sélection des plus forts et l’élimination des  plus faibles. Il considère les « improductifs » comme de simples dépenses inutiles, et entend réduire coûts et dépenses par leur élimination ( eidétisme social). Il détermine l’importance de la vie humaine à l’aune du profit qu’il est possible d’en tirer. Et telle est la logique que les nazis appliquent dans les camps. Les travailleurs sont réduits au rend d’esclaves. Leur force de travail est surexploitée et ils sont éliminés  dès qu’ils ne sont plus rentables. Les nazis ne les perçoivent jamais comme des « ouvriers », c’est-à-dire comme une classe sociale pouvant, via leur consommation, accroître la production et l’enrichissement ( fordisme ).


Les entreprises allemandes ont profité de ce système esclavagiste. Et à cet égard, on peut dire que les nazis ont été à leur manière des promoteurs d’un l’hypercapitalisme libéré des fardeaux jugées inutiles à leur yeux de la « sensibilité humaniste ». La société  ( état de vie collective ) fait corps avec la société ( l’entreprise ) exactement comme dans un régime totalitaire l’organisation du Parti unique fait corps avec celle de l’État. C’est cette conception naturaliste que défend  un Elon Musk ou un Javier Milei.


L’économie nazie est avant tout une économie de guerre, dirigée par et pour la guerre, au service de la guerre que la guerre nourrit, renforce ou affaiblie selon les victoires et les défaites. Elle est très  dépendante du contexte. Les  prisonniers, les déportés et travailleurs du STO servent de variables ajustables selon les besoins et les nécessités du moment. 


La croyance selon laquelle le régime nazi avait défendu des postures économiques « socialistes » s’est développée dans les années 1980, au moment du retour en force de la doctrine néo et ultra libérale ( thatchérisme , reaginisme ). Les ultra libéraux et libertariens considéraient les nazis comme socialistes par ce que le régime exerçait un contrôle et une régulation de l’économie, au profit des masses « contre la bourgeoisie ». Il était plus facile et péjoratif de laisser courir l’idée que toute politique de régulation était nazie plutôt que de rappeler qu’elle fut le ferment de l’État Providence  et du progrès social dans les régimes démocratiques après 1945 ( amélioration de la vie des travailleurs via la redistribution, classe moyenne, sécurité sociale ). Ce révisionnisme historique se développe au moment même où se propagent les théories négationnistes. 


Aujourd’hui, Elon Musk soutient publiquement les partis d’extrême-droite ( en Italie, Allemagne, Angleterre, Argentine ) dans la mesure où ils reprennent et défendent ses conceptions ultra-libérales ( dérégulation économique absolue, exploitation totale des forces de travail ) associées à un ultra-conservatisme voire à une politique réactionnaire ( contrôle social, culturel et mental  absolue ). Telle est le fondement du libertarisme.


Auschwitz © Sylvain Desmille

Album d'Auschwitz


CONDITIONNEMENT / SÉLECTION


La rampe juive se situait en dehors du camp. C’est à l’initiative de Serge Klarsfeld que la Fondation pour la Mémoire de la Shoah a réhabilité la Judenrampe. Elle a oeuvré avec le Musée d’Auschwitz afin que les visites guidées commencent par ce lieu, à la fois point d’arrivée des décorations des Juifs d’Europe et point de départ avant l’entrée dans le camp de Birkenau.  Encore aujourd’hui, on peut voir dans les jardins des petites maisons construites après 1945 les traces des rails. Ce quai fut opérationnel jusqu’en mars 1944, date de l’entrée en service de la « Nouvelle rampe » destinée à accueillir les convois venus de Hongrie directement à l’intérieur du camp. 


Souvent les gens demandent aux guides du Musée d’Auschwitz comment et pourquoi les déportés ne se sont pas révoltés dès leur descente du train. Car même s’ils n’étaient pas armés, ils étaient bien plus nombreux que les gardes qui les encadraient. Mais c’est appréhender l’histoire hors contexte, d’un point de vue contemporain, non en historien mais en commentateur, expert ou non, donnant son « avis » ou exprimant son « ressenti ». Cette appréhension de l’histoire est une forme de révisionnisme.


Il faut rappeler que les déportés arrivaient après deux à trois jours de voyage depuis la France, enfermés dans des wagons, sans nourriture ni eau. Ils ne savaient pas où ils allaient, où ils se trouvaient. Cela faisait plusieurs années que les populations israélites étaient conditionnées à vivre dans la peur. En France, les lois vichystes du Maréchal Pétain sur le statut des Juifs les ont privés dès octobre 1940 de leurs droits voire de leur nationalité.  Les pressions et les répressions étaient constantes, sur tous les plans. L’exposition organisée par les nazis sur « Le Juif et la France » les présente comme l’Autre, l’Ennemi, les Corrupteurs de l’identité française et de la jeunesse ( les Juifs sont accusés de promouvoir l’inversion sexuelle). Elle justifie leur stigmatisation, leur discrimination et leur ségrégation - apartheid - puis leurs rafles et leur internement dans des camps dits de transit. Le 20 août 1941, 4232 hommes juifs furent arrêtés dans le XIe arrondissement de Paris puis  parqués dans le camp de Drancy qui venait d’ouvrir. La rafle dit du Vél d’Hiv du 16 juillet 1942 fut la plus grande arrestation de masse des populations juives de Paris ( hommes, femmes et enfants ). Mais les rafles étaient constantes, partout en France ( rafle des enfants de la Maison d’Izieu du 6 avril 1944 ). La peur, les spéculations, les mauvais traitements, la peur que les nazis s’en prennent non seulement à soi mais aussi aux autres membres de la famille, l’incompréhension ( ordres en allemand ), les pertes de repères, la violence expliquent la docilité de populations conditionnées par le terrorisme légal à leur égard.


Certains convois arrivaient de nuit, et la rampe était alors éclairée par des projecteurs qui amplifiaient la sensation d’aveuglement et le sentiment de peur ( ombres, disparition de l’espace autour du quai ). Les Allemands imposaient un rythme très rapide pour ne laisser aucun temps à la réflexion ou à la possibilité de rébellion. Les hommes étaient séparés des femmes - un moyen de pression supplémentaire, par chantage. Les Allemands brouillaient les signaux: les aboiement des chiens, la violence des ordres et des coups de cannes servaient à amplifier le sentiment de peur, mais la présence de camions avec le sigle de la Croix Rouge ( fictifs ), de moyens de transports « pour les plus faibles », la présence de Kommandos et le fait qu’on assuraient que les déportés allaient récupérer leurs biens que les Allemands leur imposaient de laisser sur le quai, cette sollicitude ( hypocrite ) et cet espoir ( feint ) tout cela avait de quoi rassurer les plus optimistes ou les plus naïfs - ceux qui ne pouvaient imaginer le sort inhumain qui les attendait.  


On retrouve le même souci de mise en scène dans tous les camps de la mort. A Treblinka, le chemin de 100 mètres de long qui conduisait aux chambres à gaz avaient été surnommé par les nazis « chemin du ciel »   (  Himmelstrasse ). La tactique nazie ( le principe existentiel des nazis ) consiste à mentir délibérément, à laisser croire et ne pas dire la vérité.  Les Kommandos présents sur le quai de débarquement avaient ordre de ne rien  révéler du sort qui attendait les déportés  - et si certains s’y risquaient cédaient pour en «  sauver » certains  et non pour annoncer la mort imminente et atroce du plus grand nombre. « Dis que tu as dix-huit ans » murmure un membre des Kommandos à Simone Veil pour qu’elle échappe à la chambre à gaz.


La situation se répèterait-elle aujourd’hui ? Le génocide perpétré par les Khmers rouges au Cambodge  entre 1975 et 1979  ( certains camps n’étaient même pas clôturés ),  le génocide des Tutsis par les Hutus du 7 avril au 17 juillet 1994 au Rwanda,  le massacre de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine en 1995, le système concentrationnaire mis en place depuis 2014 par les autorités chinoises à l’encontre des Ouïghours, leur asservissement dans les usines et la politique d’assimilation forcée démontrent que l’horreur peut toujours recommencer.


Peut-être que le transfert des déportés du XXIe siècle correspondrait plus à l’atmosphère d’un aéroport. On retrouverait le même conditionnement par étapes: enregistrement des bagages ( pour faciliter leur récupération et le tri au futur Kanada ),  contrôle de sécurité en file indienne, en suivant des circonvolutions labyrinthiques. Dans certains cas, les employés vous aboieraient dessus afin de maintenir une certaine pression ( convois low coast ), dans d’autres, une petite musique très lounge et une voix très agréable et apaisante, générée par l’Intelligence Artificielle, modernité oblige, vous inviterait à suivre le mouvement jusqu’au chambres d’exterminations. Par souci écologique, celles-ci ne seraient pas remplis de gaz tueur mais tout simplement vidées de leur oxygène pour une asphyxie « plus naturelle et plus soucieuse de l’environnement ». 


Janvier 2025. La télévision et les services de propagande de l’administration Trump diffusent partout dans le monde les images des premiers immigrés illégaux reconduits dans leur pays natal par avion. Tous sont enchaînés, mains et pieds - y compris les femmes, les jeunes filles et bientôt les enfants ? Le président américain Trump annonce vouloir transformer la base militaire de Guantanamo à Cuba en camp de concentration ? de transit ? où seront emprisonnés 30 000 immigrés clandestins, tous qualifiés de criminels, non parce qu’ils ont commis un crime ou un délit mais parce qu’ils sont entrés illégalement aux États-Unis. Exactement comme Hitler considérait tous les Juifs comme des sous-êtres-humains ( et des non-êtres-humains ). Le jour de son investiture, Donald Trump a ratifié un décret supprimant le droit du sol - et ce à l’encontre de la Constitution américaine. A quand la déportation des immigrés entrés légalement et des enfants nés aux États-Unis de parents d’origine étrangère ?


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Album d'Auschwitz


Album d'Auschwitz

Condamnée à vivre. Condamné à mourir. Condamné à vivre. Condamnée à mourir. Condamnés à vivre. Condamnées à mourir. Coup du destin. Coup du sort. Chance ou hasard. Tout ce joue d’un signe de tête. D’un claquement de doigt. Pouce vers la gauche ou pouce vers la droite. Coup de canne.  Trop vieux. Trop jeune. Elle aurait pu être sélectionnée, mais les mères n’abandonnent pas leurs enfants, elles les accompagnent et les rassurent jusque dans la chambre à gaz. 


Ces photographies sont tirées de l’Album de Lili Jacob.  Il porte le nom de la déportée survivante qui le découvrit dans la chambre d’un SS après l’évacuation du camp de Dora-Mittelbau. Il est aussi appelé Album d’Auschwitz. Les 193 photographies qui le constituent ont été prises par les SS Ernst Hofmann ou Bernhard Walter en mai-juin 1944. Elles illustrent le processus qui conduisait au massacre de masse à Auschwitz-Birkenau, de la descente des déportées du train sur la rampe jusqu’au seuil des chambre à gaz. Il s’agit d’un ouvrage réalisé par les nazis pour le haut commandement de Berlin, à des fins de propagande interne, pour montrer comment les Allemands faisaient bien leur travail. Les situations sont magnifiées ( on voit peu de chiens, l’encadrement semble invisible ). Il s’agit d’images photographiques donc il manque le son, les cris, les odeurs des corps incinérés. Il importe de confronter ces images aux récits et témoignages des déportés survivants d’Auschwitz.


Il est possible de consulter l’ensemble de l’album sur le site de Yad Vashem. 



ESSENTIALISATION / DÉSHUMANISATION


Les nazis n’ont eu de cesse de déshumaniser les déportés sélectionnés pour travailler dans les camps. Dans un premier temps, au prétexte de les « désinfecter », ils rasent les prisonniers et leur  ordonne de porter un uniforme afin de leur faire perdre toute individualité, toute spécificité. Comme à l’armée. Un parmi la masse.  Le tatouage du matricule correspondant à la nouvelle (non-)identité des déportés visait à supprimer toute personnalité, toutes références à leur histoire, à leur famille, à leur passé. Le numéro se substitue au patronyme, comme le parti se substitue à l’Etat dans un régime totalitaire. Le matricule est plus d’ailleurs une marque, un référencement de suivi - comme les codes barres actuels.  D’ailleurs, dès 1934, Dehomag, la filiale allemande d’IBM a fournit au régime nazi des  machine mécanographiques de poinçonnage pour réalisées des cartes perforées qui servirent à établir le recensement et le décompte des populations juives  dans les ghettos et les camps de concentration.


L’étoile jaune, le matricule sont une manière pour les nazis de stigmatiser des groupes de population  ( de les identifier ) et de réduire chaque déporté à son «  état de juif » ( pour les anéantir, les gazer ).  Les nazis les réduisent à  une notion de «  race » dont ils ont définis les critères en valeur absolue et de manière autoritaire et absolutiste, dans une mise en scène pseudo-scientifique mais non en fonction de leurs croyances et de leur idéologie. Ils présentent comme objectif  - comme vrai - ce qui n’est que subjectivité, supputations, contre-sens, diffamation, délires et mensonges.  Totalitarisme et tautologie, credo et mauvaise foi vont toujours de paire. Les nazis disent que c’est vrai - qu’ils ont raison - en toute « bonne foi »  parce que telle est pour eux leur vérité (perception et considération ) - même si celle-ci ne correspond en rien à la réalité, ni aux faits en soi. On retrouve la même démarche, la même petite dialectique sentencieuse, prétentieuse mais toujours infondées chez les complotistes des réseaux sociaux.  


Les autorités françaises de Vichy ont choisi dès le 22 juillet 1940 de réviser la naturalisation de tous  ceux qui avaient acquis la nationalité française depuis 1927. Le décret-Loi du 3 octobre 1940 définit « le statut des Juifs » en France (Pétain et son gouvernement  utilisent la même terminologie que les « nazis » et substitue au terme « Israélites » de la IIIe République celui de « Juifs » ). Fondée sur sur des critères « biologiques », elle définit comme juifs des individus qui n’ont pas conscience d’être juifs, et qui ne pratiquent pas la religion. Mais pour les nazis et les pétainistes, on reste juif par essence, et par naissance, comme s’il s’agissait d’un état en soi se transmettant de génération en génération. Cette croyance tend à légitimer un « droit du sang ». Cette loi, expression de la «  Révolution nationale » voulue par Pétain et consorts, distingue les « bons français » ( les vrais Français ) des Autres. Elle autorise la mise en place d’une politique raciale et raciste, antisémite qui  aboutit à l’extermination de milliers de Français   à Auschwitz. 


L’exposition nazie intitulée « Le Juif et la France » ( et non « Les Juifs et la France ) illustre cette volonté d’essentialiser les de réduire chacun non comme un être en propre mais comme un élément confus et interchangeable d’une totalité définie du point des uns (  ceux qui proclament leur diktat  ) contre les autres - l’Autre  ( les victimes désignées de manière unilatérale - tous ceux qui ne ressemblent pas aux Uns et auxquels ceux-ci refusent de s’identifier sinon a contrario, par principe et défiance ).


Les Français de confession juive - « israélite » disait-on à l’époque - , les Allemands de confession juive, les Autrichiens de confession juive,  les Italiens de confession juive, les Néerlandais de confession juive, les Tchèques et les Slovaques, les Grecs et les Hongrois de confession juives, étaient considérés  par les nazis uniquement comme « Juifs » - un race, des objets, en aucun cas comme des êtres humains en soi. Les déporté.e.s qui ont survécu furent celles et ceux qui ont cherché malgré tout à entretenir et à conserver leur part d’humanité, alors que la nature même du camp - le processus et la vie concentrationnaires - visait à les en déposséder. 


Les camps ont permit à certains déportés de prendre conscience d’une identité juive trans et/ ou  supranationale. Mais la volonté d’essentialiser - de faire des Juifs « de l’autre » et de considérer cette altérité comme la cause et la conséquence de leur extermination reste une caractéristique de l’idéologie nazie. C’est pourquoi il me paraît important de rappeler l’identité - l’humanité - de chaque déporté. Leur visage manque singulièrement à l’intérieur de Birkenau. Au Mémorial de la Shoah à Paris, grâce au travail exceptionnel de Serge Klarsfeld, une exposition permanente présente les photographies des 4920 enfants juifs déportés de France. On aimerait voir dans les camps le visage de tous ceux qui furent déportés à Auschwitz. On aimerait lire leur nom inscrit partout dans le camp chacun sur un pavé de la mémoire (  Stolpersteine )  comme on les voit dans certaines villes.  


Aujourd’hui, chaque fois que j’entends un homme ou une femme politique traitant avec dédain et mépris, hargne et haine, les uns puis les autres «  de woke » ou de « wokiste », je ne puis m’empêcher d’établir une correspondance avec les nazis qualifiant les uns et les autres de « juifs ».  Ce qu’un Elon Musk  appelle « la guerre culturelle anti-wokiste » semble faire écho à « la guerre raciale » promue et encouragée par les nazis. De même que le concept raciste de « juif » avait été défini par Hitler et consort, de même le « wokisme » est un néologisme créé de toute pièce et sur mesure  ( à leurs mesures ) par les détracteurs de toute pensée inclusive et positive. D’une certaine manière, les woke ne se sont jamais considérés comme wokistes !  Ce sont les anti-wokes qui  ont modelé le wokisme, à leur image et à leur ressemblance ( ou plutôt à leur contre-image et à leur dissemblance ).  Il s’agit d’un mot-valise, général et généraliste, dans lequel il leur est possible d’y déverser la haine et tout ce en quoi ils refusent de croire - tout ce qu’ils considèrent comme n’étant pas eux. Comme il ne signifie rien de clair ( puisqu’il exprime un ressenti ), le concept est modulable à l’envie, à la convenance et selon les besoins du moment. 


De même que le gouvernement de Pétain avait exclu toutes les fonctionnaires dits « juifs » de son administration, de même le Président américain Donal Trump  a décidé de fermer tous les bureaux de la diversité, baissant dès lors des milliers de fonctionnaires, non parce qu’ils étaient » wokes » mais parce qu’ils oeuvraient dans des agences devant faciliter l’inclusion. Le fait d’y travailler les rendait suspects de facto - comme au temps de l’hystérie Maccarthyste. D’un côté, les Trumpistes reprochent aux immigrés de ne pas vouloir s’intégrer, et de l’autre il ferme toutes les agences favorisant l’inclusion, au nom de sa guerre anti-wokiste.


Dans les camps, les nazis avaient établi un système d’identification des prisonniers permettant de connaître d’un coup d’oeil la cause de leur incarcération. Triangle noirs pour les « asociaux » (prostituées, handicapées et malades mentaux ), marron pour les Tsiganes, roses pour les homosexuels, rouges pour les prisonniers politiques, verts pour les criminels de droit commun ( c’étaient parmi eux qu’étaient recrutés les Kapos, violets pour les Témoins de Jéhovah et l’étoile jaune pour tous les Juifs. 


Dans les années 1980, dit-on, un point rouge sur les dossiers médicaux signalait que le patient était atteint du SIDA. 


A quand un carré ou un rond de couleur pour signaler les féministes ? les homosexuels ?  les démocrates ?  les cosmopolites ( universalistes ) ? les pro-européens ? les mauvais-chrétiens ( ceux qui ne sont pas intégristes ni fondamentalistes ) ? ceux qui luttent contre l’antisémitisme ? les mauvais-Français ( tous ceux qui ne sont pas antiwokes ou qui sont favorables à l’inclusion et à l’intégration, à l’apaisement ) ? A quand un signe permettant d’identifier tous ceux qui ne pensent pas comme tout le monde ? pour qui le moi est la somme des états de conscience ?


Auschwitz © Sylvain Desmille


Auschwitz © Sylvain Desmille


LE CAMP DES FEMMES DE BIRKENAU.


Le camp des femmes est ouvert à  Birkenau aux mois d’août-septembre 1942. Le manque d’eau donc d’hygiène favorise d’emblée la propagation du typhus. Les SS décident alors d’exterminer toutes les malades.  Dans la nuit du 5 octobre 1942, 90 femmes juives réputés « instruites » sont massacrées à coup de hache et de matraque dans le camp de Budy - un sous-camp dépendant de Auschwitz. Une kapo avait prévenu les SS qu’une révolte se tramait.  La SS Maria Mandl, réputée pour sa violence dans le camp de Ravensbrück, est chargée de réorganiser les camps des femmes d’Auschwitz-Birkenau. Sadique, cherchant toujours à humilier, elle est surnommée très vite « la bête féroce ». C’est elle qui crée l’orchestre de femmes d'Auschwitz. 


Le camp des femmes se dédouble entre juillet et décembre 1943 ( il occupe une partie de l’ancien camp des hommes après la création d’un nouveau secteur qui leur est réservé ). La séparation entre femmes et hommes est beaucoup plus marquée. 


Des femmes ont développé un véritable esprit de soutien et de résistance. Les plus faibles sont affectées à des postes de travail moins dur. Katya Singer a modifié sur les listes les matricules de femmes condamnées à la chambre à gaz, les remplaçant par ceux de femmes déjà mortes. Le stratagème n’a jamais été découvert par les nazis. Conduite à la chambre à gaz, la danseuse Francesca Mann refuse de se déshabiller s’empare de l’arme d’un SS, en tue un, tire sur un second qui reste infirme. Ce sont des actes rares, mais à Auschwitz  il importe que l’exception ne confirme jamais ce que les nazis imposent comme la règle. 


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Auschwitz © Sylvain Desmille


« Quand vous venez à Auschwitz, souvenez-vous que vous êtes sur un site où un million de personnes ont été tuées. Respectez leur mémoire. Il y a de meilleurs endroits pour apprendre à marcher en équilibre sur des rails que sur le site qui symbolise la déportation de centaines de milliers de personnes vers leur mort. »


Mémorial d’Auschwitz.



Il ne fait pas être dupe. Certains se rendent dans les camps de concentration non pour honorer la mémoire des victimes mais pour marcher dans les pas de leurs bourreaux. Je me rappelle à Dachau cette femme voilée qui a applaudi en sortant de la seule chambre à gaz du temps, et qui mangeait son pain au chocolat à l’entrée du « chalet «  où  les nazis avaient installé les fours crématoires. Je me souviens de ce couple assez âgé à Buchenwald. Le mari avait tapoté avec son poing sur un des fours crématoires en disant en allemand mais à voix haute « Deutsche Qualität » ( Qualité allemande ). Un peu plus tard, nous les avons recroissés. Il parlaient entre eux néerlandais mais en public ils parlaient allemand pour faire croire qu’ils étaient allemands ?  


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Album d'Auschwitz

Album d'Auschwitz 

Album d'Auschwitz



EXTERMINATION


Les deux premiers lieux d’exécution ont été installés dans des bâtiments existants. Le Bunker 1 ou Maison rouge entre en service au printemps 1942. D’après Hoess, 800 déporté.e.s pouvaient y être gazé en une fois. Les nazis entreposaient les cheveux, les dents en or et tous les bijoux dans une grange située à côté de la chambre à gaz.  Deux baraques de déshabillage furent adjointes. Les corps étaient enterrés par les SonderKommandos. Au début, les nazis les assassinaient en leur injectant du phénol ( « une piqûre de fortifiants » disaient-ils ) d’abord chaque soir. Puis, ils décidèrent de les conserver en vie plus longtemps - ils ne les éliminaient tous d’un coup après une « opération spéciale ». Ce fut le cas après la visite d’Himmler en juillet 1942 au cours de laquelle il ordonne d’incinérer les cadavres. Les corps furent brûler sur des bûchers à l’emplacement des fosses. Tous les Sonderkommandos furent ensuite assassinés. Aucun ayant travaillé au Bunker 1 n’a survécu. La Maison rouge resta en activité jusqu’à l’été 1943. Il fut démantelé. Une maison a été construite dessus après la guerre.

Le Bunker 2 ou « Maison blanche » se trouve lui aussi en bordure du camp de Birkenau. Il entre en fonction à partir de la fin juin 1942. Plus grand que le bunker 1, les quatre chambres à gaz construites en parallèle avaient la capacité de tuer de 1000 à 1200 personnes en une fois. Une porte située à l’arrière permettait d’accélérer l’aération des chambres saturées de gaz, donc d’accélérer le transfert des corps et d’accroître les rendements de l’extermination. Les chambres à gaz étaient nettoyées après chaque massacre, afin de « rassurer » les victimes suivantes. Les nazis tenaient à ce qu’elles ne se doutent de rien jusqu’à leur dernier moment. Le Bunker 2 cesse d’être utilisé au printemps ou à l’hiver 1943, quand les nouveaux Krématoires  (  K II, K III et  KIV ) entrent  en activité. Il n’est pas détruit et est remis en service de mai à septembre 1944 au moment de l’arrivée des Juifs hongrois. Toutes les ressources du camp de Birkenau sont mises au service de l’extermination. 

Auschwitz © Sylvain Desmille

Auschwitz © Sylvain Desmille




Crématoire II ( K II) fonctionne de mars 1943 à novembre 1944. Il comportait un vestiaire de deux cent quatre-vingt mètres carrés et une chambre à gaz dans lesquelles 3000 déporté.e.s pouvaient entrer à la fois. Cinq fours à 3 moufles permettaient d’incinérer les cadavres.  La capacité annoncée par l’entreprise Topf étaient de 1440 cadavres par jour, mais en réalité, 1000 corps pouvaient être incinérés.

Le Crématoire III ( K III ) fonctionne de juin 1943 à novembre 1944. Il est identique au K II auquel il faisait face. Tous les deux étaient souterrains. Tous les deux furent détruits en novembre-décembre 1944.

Le crématoire IV  ( K IV ) fonctionne de mars 1943 au 7 octobre 1944. La date est sûre. Il fut en effet démoli après la révolte des Sonderkommandos. Contrairement au K II et au KIII toutes l’aire de mise à mort se situait au niveau du sol. Les trois chambres à gaz avaient la capacité d’assassiner de 1800 à 2200 déporté.e.s.

Le crématoire V ( K V ) fonctionne d’avril 1943 à janvier 1945. Il est dynamité la veille de la libération du camp de Birkenau par les troupes soviétique. 

Auschwitz © Sylvain Desmille

Auschwitz © Sylvain Desmille

Auschwitz © Sylvain Desmille

Auschwitz © Sylvain Desmille


ZYKLON B

L’extermination par le gaz fut expérimentée dès 1939 en premier lieu sur les malades mentaux et les handicapés physique - considérés comme « indignes de vivre » parce que compromettant « la pureté » de la race allemande. L’une des caractéristiques du régime nazi est d’exclure tous ceux qui qui ne correspondent pas à leur idée du Même. Toute forme de différence, d’altérité est perçue comme une menace à la totalité. A cet égard, on peut repérer un régime totalitaire à sa volonté de bannir toute politique d’inclusion. 

 Six installations de gazage furent mises en place dans le cadre de ce « Programme d’euthanasie ». Le gaz utilisé était le monoxyde de carbone. 

Dans un deuxième temps, les nazis utilisèrent des camions hermétiquement clos pour gazer leurs victimes en utilisant les gaz d’échappement des véhicules. Pour les SS, toujours soucieux de leurs intérêts financiers, les camions de gazages permettaient de tuer un grand nombre de personnes avec un coûts bien moindre que lors des massacres par balles. 

Le programme d’extermination de masse par gazage dans un lieu fixe est privilégié en 1942 dans le cadre de ma Solution finale. Les premières chambres à gaz produit par des moteurs diesel sont installées dans les camps de Belzec, Sobibor et Treblinka. 

C’est à Auschwitz que le gazage par Zyklon B fut mis en place. il s’agissait d’un insecticide et antiparasite à base d’acide cyanhydrique ( cyanure )  destiné à la fumigation depuis la Première Guerre Mondiale. Afin de déterminer le dosage, les nazis l’expérimentèrent à Auschwitz I sur 600 prisonniers soviétiques et 250 malades. Le Zyklon B était fabriqué par les firmes allemandes  Degussa  et IG Farben ( regroupement de BASF, Bayer et Agfa ). Cette dernière avait des usines à Auschwitz III. Une usine du groupe Ugine basée en France à Villiers-Saint-Sépulcre dans l’Oise aurait augmenté par 37 sa production de Zyklon B entre 1940 et 1944, soit pour compenser l’envoi des cristaux depuis l’Allemagne soit pour fournir directement les camps d’extermination. Son implication fait encore débat. En 2021, l’Arizona a annoncé vouloir relancer les exécutions par Zyklon B. La dernière avait eu lieu aux Etats-Unis en 1999.


Auschwitz © Sylvain Desmille

Auschwitz © Sylvain Desmille


LE LAC DES CENDRES

C’est dans cet étang que les cendres des crématoriums d’Auschwitz-Birkenau étaient déversées. Il est appelé aujourd’hui « le lac des cendres ». C’est un lieu de recueillement.  

On estime à 1,3 millions le nombre de personnes qui ont été déportées à Auschwitz. 1,1 millions d’entre elles y ont été assassinées, dont 960 000 Juifs, 74 000 Polonais non juifs, 21 000 Tziganes, 15 000 prisonniers de guerre soviétiques, et de 10 000 à 15 000 personnes d’autres nationalités. 

Celles et ceux qui n’avaient pas été sélectionné.e.s par les nazis pour le travail forcé ou en tant que cobaye pour les expérimentations «  médicales » n’étaient pas tatoué.e.s autrement dit tous n’étaient pas référencés. Le commandant du camp Rudolf Höss tenait toutefois un recensement du nombre de victimes gazées chaque jour à Birkenau. 

Le but des Allemands visait à l’anéantissement des Juifs, à en faire du néant, comme s’ils n’avaient jamais existé. C’est pourquoi, il est si important de rappeler les visages et les noms de tous ceux qui ont été assassinés.  Une salle du musée d’Auschwitz s’y attache, plus de manière symbolique, comme une évocation, c’est un premier pas. La tâche reste immense.

Auschwitz © Sylvain Desmille

Auschwitz © Sylvain Desmille

Auschwitz © Sylvain Desmille
Auschwitz © Sylvain Desmille


KANADA

Le Kanada désigne la section du camp de Birkenau situées à proximité des chambres à gaz  où se trouvaient la trentaine d’entrepôts destinés à réceptionner, trier, récupérer et conserver tous les biens des Juifs volés par les Nazis. Dès leur descente des trains, les déportés devaient abandonnés tous leurs bagages, possessions et effets personnels sur le quai de déchargement. Afin de les  « rassurer », les nazis demandent aux Juifs d’inscrire leur nom sur leur valise en leur laissant croire qu’ils pourront les récupérer. C’est un mensonge. Les Allemands considèrent que tous les biens des Juifs leur appartiennent. La spoliation va de paire avec leur extermination. 

Les marchandises sont triées puis conditionnées par les Kanada Kommandos. La plus grande partie est expédiée en Allemagne soit pour y être revendue soit pour être donnée aux familles allemandes nécessiteuses. Une autre est réutilisée dans le camp. Par exemple, quand les uniformes manquaient on donnait aux prisonniers les vêtements de ceux et celles qui ont été gazé.e.s. Yvette Lévy a décrit comment s’effectuait cette distribution. Les robes et sous-vêtements - haillons hétéroclites - étaient triés par catégorie et non par taille. Ils étaient donnés sans prendre en considération celles qui devaient les porter. Dès qu’une déportée mourrait, les nazis les récupéraient pour les donner aux nouvelles. « Quant aux chaussures, se souvient-elle, elles étaient dépareillées. Elles nous étaient jetées comme à des chiens quelquefois deux chaussures du même pied. J’ai, pour ma part, reçu des claquettes en semelle de bois. ». Comme les chantiers de travaux forcés  se trouvaient souvent à plus d’une heure de marche du camp, les chaussures étaient un bien vital et convoités par les autres déporté.e.s pour se préserver du froid, de la boue et de la neige.


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Simone Veil rappelle que chaque gamelle était pour trois voire cinq personnes. Les Allemands interdisaient d’utiliser  les cuillères. Les femmes devaient laper la soupe comme des animaux et la boire à tour de rôle. Dans certains cas, certaines s’appropriaient la part des autres, plus timides, soumises ou plus faibles. Toutes celles qui ne luttaient pas, qui se laissaient dominer ou trop altruistes étaient destinées à mourir plus vite que les autres.  Les nazis encourageaient cette sélection « par l’instinct de survie » et la loi du plus fort ( celle-ci est également un élément clé de l’idéologie libertarienne).  Il leur importait de déshumaniser les déportés, en les humiliant et en les terrorisant en permanence. 


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Auschwitz © Sylvain Desmille

Auschwitz © Sylvain Desmille


« ARBEIT MACHT FREI »


C’est Rudolf Höss,  tout juste nommé commandant du nouveau camps d’Auschwitz, qui fait apposer en mai-juin 1940 sur le portail du premier camp  la devise « Arbeit macht Frei » (Le Travail rend Libre). Le slogan se trouve également à l’entrée des camps de concentration de Dachau ( le premier à avoir ouvert en mars 1933 à côté de Munich  ) et de Sachsenhausen ( à une trentaine de kilomètres de Berlin ). Höss avait commencé à Dachau sa carrière dans le système concentrationnaire nazi. 

Le lien entre « travail » et « liberté » apparait pour la première fois chez Søren Kierkegaard dans Ou bien…Ou bien ( 1943 ). « Le devoir de travailler pour vivre exprime l’humain en sa généralité et en autre sens aussi le général, parce qu’il exprime alors la liberté. Car l’homme se libère par le travail même qui le rend maître de la nature et lui montre qu’il la domine » écrit-il. Mais c’est à partir de 1922 qu’elle est popularisée par la Antisemitischer Deutscher Schulverein, une organisation nationaliste « ethnique » ( raciste ) et antisémite de Vienne qui, alors que la crise économique sévit, défend l’idée de donner du travail en priorité aux Allemands, au nom de la préférence nationale (nationaliste ). La citation est reprise par la République de Weimar en 1928 pour vanter la politique gouvernementale de travaux publics destinés à réduire le chômage de masse. La NSDAP, le parti hitlérien, reprend le slogan à son compte  dans les années 1930. 

Ce furent les Soviétiques qui les premiers en 1920 ont proclamé «  Par le travail, la liberté » au fronton du goulag des îles  Solovski.  L’article 12 de la Constitution soviétique de 1936 précise : « Le travail en URSS est, pour chaque citoyen apte au travail, un devoir et une question d’honneur selon le principe : qui ne travaille pas ne mange pas ». Le travail est la dette de l’individu vis-à-vis de la société. L’expression « Arbeit macht Frei » figurait à l’entrée des usines de la firme allemande IG Farben. Theodor Eicke en était un ancien employé en charge dans les années 1920 de casser les grèves organisées par les communistes. Nommé commandant SS de Dachau, il ordonna d’inscrire le slogan sur la porte d’entrée du camp de concentration.

La citation exprime le cynisme des nazis. Dans les camps, le travail forcé était un instrument d’exploitation, d’humiliation et de soumission non de « rééducation » ( expression utilisée également dans les goulags soviétiques, les camps de la Révolution culturelle chinoise et aujourd’hui au Tibet et chez les Ouïghours ). Le travail était aussi un instrument d’assassinat de masse, utilisé à cette fin. Epuiser les prisonniers et les déportés, les harceler était un moyen de les contrôler.

En mars 2019, le patron du groupe allemand Volkswagen a dû présenter ses excuses après avoir utilisé devant des centaines des cadres de l’entreprise le slogan nazi «Arbeit macht Frei» pour commenter la mauvaise rentabilité de sa firme automobile. Historiquement celle-ci était directement lié au IIIe Reich. Hitler avait émis le souhait que chaque famille allemande puisse acquérir une voiture. La Volkswagen - la voiture du peuple - a été mise au point de satisfaire sa demande.

Auschwitz © Sylvain Desmille

AUSCHWITZ 1

La citation exprime le cynisme des nazis. Dans les camps, le travail forcé était un instrument d’exploitation, d’humiliation et de soumission non de « rééducation » ( expression utilisée également dans les goulags soviétiques, les camps de la Révolution culturelle chinoise et aujourd’hui au Tibet et chez les Ouïghours ). Le travail était aussi un instrument d’assassinat de masse, utilisé à cette fin. Epuiser les prisonniers et les déportés, les harceler était un moyen de les contrôler.

En mars 2019, le patron du groupe allemand Volkswagen a dû présenter ses excuses après avoir utilisé devant des centaines des cadres de l’entreprise le slogan nazi «Arbeit macht Frei» pour commenter la mauvaise rentabilité de sa firme automobile. Historiquement celle-ci était directement lié au IIIe Reich. Hitler avait émis le souhait que chaque famille allemande puisse acquérir une voiture. La Volkswagen - la voiture du peuple - a été mise au point de satisfaire sa demande.

Auschwitz © Sylvain Desmille

RÈGLEMENT


Le code disciplinaire et pénale des camps de concentration nazis ( Lagerordnung ) servait à instaurer un régime de terreur. La première version du règlement fut rédigée par Hilmar Wäckerle, alors commandant du camp de Dachau, mais ce fut la seconde, celle de son successeur, le SS Theodor Eicke qui servit de modèle pour tous les camps allemands à partir d’octobre 1933. Les pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif étaient désormais concentrés entre les mains du seul commandant du camp. Son jugement, unilatéral, et sans appel  était exécuté sur le champ et sans autre forme de procès - d’ailleurs la défense de l’accusé n’était jamais consignée car jamais entendue. Les camps - le camp - apparaissent comme des zones de hors droit, en dehors du système légal, comme s’il s’agissait d’une sorte d’État dans l’État.  

Theodor Eicke était réputé pour son extrême violence. En mars 1933, il avait même été interné pour évaluation dans une clinique psychiatrique de l’Université de Wurtzbourg. Himmler l’avait libéré pour le placer à la tête de Dachau. Le règlement Eicke légitime et banalise les châtiments corporels, l’usage de la torture et les exécutions sommaires au nom « du maintien de la discipline et de l’ordre ». La terreur - le terrorisme - devait être constante et totale. 

Trois jours de prison étaient infligés à « quiconque après le réveil ne quittait pas immédiatement le dortoir ou ne laissait pas le lit et la caserne en ordre » ( article 1). 

Cinq jours de prison et plusieurs semaines de travail forcé étaient infligés à « quiconque n’était pas présent lors d'un appel de recensement ou d'un appel de répartition du travail sans motif ou autorisation du chef de poste. » ( article 3 ).

Huit jours de prisons étaient infligés à «  quiconque dépose une plainte non fondée » et à tous ceux qui « écrivent plus de deux lettres ou cartes postales par mois ». ( article 4). 

Quatorze jours de prison et vingt-cinq coups de fouet étaient infligés à «  quiconque, dans des lettres, exprime des remarques désobligeantes sur les dirigeants nationaux-socialistes, sur l'État et le gouvernement, sur les autorités et les institutions. » ( article 8 ).

Le règlement Eicke comportait 19 articles.Il donne un semblant de légalité. Dans la réalité, les exécutions sommaires, tabassage, coups de fouets et de cannes, privations étaient la règle. Les kapos, souvent recrutés parmi  les prisonniers de droit commun, étaient chargés, contre un allègement de leurs conditions de vie, d’encadrer les déportés, de veiller à faire appliquer les ordres et de faire maintenir l’ordre. Sorte de contremaîtres, véritables relais des nazis, rouages de la terreur et de la maltraitance, ils furent à cet égard leurs complices dans l’extermination des juifs.

Tous les kapos ne furent pas des bourreaux, même s’il s’agit d’exceptions. Plus un kapo était haï et craint par les autres prisonniers, plus il avait la faveur des SS? Ceux-ci  tenait à instaurer une sorte de hiérarchie par la haine, de manière à éviter toute collusion.  Les kapos  se comportaient comme des « petits chefs » dans les entreprises. C’étaient eux qui donnaient la soupe. Si un kapo appréciait un prisonnier, il plongeait sa louche au fond de la marmite, là où se trouvaient les rares pommes de terre. Dans le cas inverse, le déporté ne recevait qu’un bouillon très clair. Ses jours étaient alors comptés. 

Auschwitz © Sylvain Desmille

Auschwitz © Sylvain Desmille

EXPÉRIENCES MÉDICALES

Les médecins nazis ont pratiqué de nombreuses expériences sur les prisonniers et les déportés, utilisés comme s’il s’agissait de cobayes humains. Dans les camps de concentration de Dachau puis Buchenwald, Sachsenhaussen ou Ravensbrück, ses expériences servaient à déterminer l'altitude maximale à laquelle les équipages des avions endommagés pouvaient se parachuter ou à tester l’efficacité de traitements contre les maladies contagieuses ou encore à mettre au point des antidotes contre les effets des armes chimiques. Ces expériences qui se déroulaient en l’absence de tout protocole scientifique et sans jamais tenir compte des codes déontologiques étaient le  plus souvent commandées par l’Armée allemande, au nom de « l’effort de guerre ».

A Auschwitz, ces expériences visaient à confirmer les théories racistes. Carl Clauberg a mené des expériences de stérilisation par injections intra-utérines et de stérilisation de masse (hommes et femmes) par rayon X. Son intention était d'empêcher la perpétuation des Juifs et donc de réaliser à terme leur anéantissement, sans avoir à les gazer, afin de les utiliser comme main d’oeuvre servile. Il se félicite en 1943 d’avoir mis au point une méthode  permettant de stériliser mille femmes par jour. Il conduit aussi plusieurs expériences sur l’utilisation de la mescaline pour obtenir des aveux ( sérum de vérité ) et d’électro-chocs pour « soigner » les aliénés. 

Josef Mengele a mené de nombreuses expériences sur les enfants, en particulier les Tziganes. Il créa un terrain de jeux pour les enfants qui devaient l’appeler « l’oncle Mengele ». Tous étaient tués dès qu’ils lui avaient servi de cobayes. Fasciné par les difformités anatomiques,  s’intéressant en particulier à tous ceux qui ne correspondaient pas à la norme, il mit aussi en place des programmes d’études portant sur les jumeaux ( théorie de l’hérédité ), les nains, les transexuels… Il chercha à changer le couleur des yeux en y injectant des produits chimiques. Il entendait ainsi démontrer la supériorité de la race aryenne. Il envoyait les résultats de ses recherches à Berlin.


POUR CONCLURE


Le 27 janvier 2025, les derniers survivants d’Auschwitz prirent la parole lors de la commémoration du 80e anniversaire de la libération du camp par les troupes soviétiques. Leurs témoignages, clairs, raisonnés, ont permis à des générations de prendre conscience de ce que fut la réalité d’Auschwitz-Birkenau. Ils ont permis de rejeter les fausses croyances que les négationnistes ont cherché à plusieurs reprises de répandre, à des fins idéologiques, par la désinformation et une malhonnêteté intellectuelle radicale. Le mémorial - musée d’Auschwitz Birkenau prouve qu’Auschwitz a existé et que la solution finale - le programme d’extermination des Juifs par les nazis - fut une réalité.

Sans doute,  suite à la disparition des derniers déporté.e.s, révisionnistes et négationnistes vont-ils tenter à nouveau d’imposer leurs croyances et mensonges. L’essor des mouvements complotistes à l’oeuvre sur les réseaux sociaux et comme portés par eux, la promotion des fake-news et de la désinformation, les mensonges énoncés comme des « nouvelles vérités », la mauvaise foi des temps contemporains sont autant de menaces comme la réalité et l’intégrité des faits historiques. 

C’est pourquoi la conservation et la transmission des témoignages des déporté.e.s restent capitales. Les recherches historiques et historiographies accomplies depuis ces dernières années, les documentaires réalisés constituent un rempart pour barrer et contrer les vagues de mensonges. Mais les murs restent des édifices fragiles. 

Comment faire en sorte qu’Auschwitz reste un lieu de mémoire et plus uniquement un musée quand les derniers témoins auront disparu ? Peut-être en faisant d’Auschwitz une grille de lecture et un révélateur des états de consciences contemporains ?  En appréhendant Auschwitz comme un site historique - une commémoration - mais aussi en faisant d’Auschwitz une manière de voir, de lire notre monde.

La loi empirique de Godwin énonçait en 1990 que « plus une discussion en ligne - sur internet - se prolongeait, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler était grande  ( s’approchait de un ) ». La difficulté sur les réseaux sociaux de développer une réflexion longue et argumentée, de démontrer ses dires explique cette valorisation du raccourci - du slogan, de la formule, ainsi que le faisaient les nazis d’ailleurs - et le dérèglement de tous les sens via la radicalisation. L’anonymat - les pseudonymes - favorise aussi l’invective, l’insulte, le mensonge. L’autre qui ne pense pas comme soi est perçu comme l’Autre, object de tous les ressentiments et sujet de haine - comme les nazis vis-à-vis des Juifs. 

En fait si selon la Loi de Godwin la référence au nazisme s’impose, c’est bien parce que cette période continue de marquer les esprits et parfois les consciences. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ? C’est de moins en moins sûr quand on assiste à la progression des extrêmes droites nationales populistes dans des pays qui depuis 1945 s’étaient affirmés comme des garants de la démocratie, quand on voit les complotistes et les intégristes chercher par tous les moyens à imposer leurs croyances subjectives comme La vérité ( plutôt leur vérité ) alors qu’elles ne sont que mensonges au regard de la réalité objective, quand on entend la promotion de la désinformation jusque dans les conférences de presse du Pouvoir, de la haine à l’encontre de tous ceux qui ne sont pas à Son Image et à Sa Ressemblance (  qui diffèrent du moi-mol-moi ),  quand l’exclusion de l’Autre fait loi, et quand le collectif (l’un à l’accord des autres) se voit remplacé par le communautarisme (un regroupent identitaire). 

Le double sens, la désinformation, l’hypocrisie telle qu’on les voit être promus sur et par les réseaux sociaux rappellent l’attitude des nazis dans les camps de concentration et d’extermination. S’agit-il d’une correspondance ou d’une assonance. Y en irait-il des réseaux sociaux comme des camps de la mort ?

Dès son arrivée au pouvoir en 1933, Hiller chercha à remplacer les élites démocratiques qui avait oeuvré pendant la République de Weimar pour les remplacer par les nouvelles élites nazies - dans un climat revanchard. Hitler n’avait cessé de dénoncer la corruption de cette intelligentsia, de cet « establishment » ( « établissement » disait en son temps Jean-Marie Le Pen ). Pas besoin de formation ni de  compétences : le seul fait d’être un nazi, de soutenir « le Führer », le « Duce », d’être un de ses proches et de ses « amis » suffisait vous promouvoir dans les nouvelles hiérarchies. C’est au nom de ce principe que l’élite démocratique fut emprisonnée dans les camps de concentration, à des fins de « rééducation » ( c’est-à-dire pour « être converties » ) et que des sadiques ayant fait leur classe au sein du NSDAP furent nommés commandants de Dachau ou d’Auschwitz. 

Ce qui se passe depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2025 fait curieusement écho.  Car  Trump ne cherche pas uniquement à remplacer les élites du parti démocrate ( voire du Parti républicain ) par ses amis et ses partisans - au nom de la Loi du plus fort, de la Victoire - bientôt accusées et condamnées ? Il vise à remplacer l’élite comme vecteur et garant de la démocratie ( lire à ce propos l’article publié par Science po  « Trump 2/0: l’arrivée au pouvoir d’une élite « anti-élite « ). 

Symbolique de « ce changement de paradigme » est la Commission pour l’efficacité gouvernementale ( Doge pour « Department of Government Efficiency » ,  Doge ) confiée à Elon Musk afin de réduire drastiquement les effectifs et les coûts  de l’administration américaine. Une manière d’en finir avec l’État Providence - bête noire de tous les libertariens. Cette commission mise en place par un décret de Donald Trump est dépourvue de tout statut fédéral et donc en dehors de toute possibilité contrôle par le Congrès. Elon Musk n’est ni un employé fédéral ni un fonctionnaire gouvernemental et donc il ne rend des comptes qu’au président américain. En revanche, la commission intervient et saisit des données fédérales, potentiellement sensibles qui se retrouvent en possession d’acteurs du « privé ». Musk applique en effet la même gestion managériale que celle mise en place au moment de son rachat de Twitter: E-mails appelant les fonctionnaires à la démission, budgets d'administrations coupés du jour au lendemain. Selon une enquête de Wired, l’équipe chargée de cet apurement aux allures d’épuration est composée de jeunes disciples de Musk ( entre 19 et 25 ans ), ingénieurs ou même simples stagiaires passés par une de ses entreprises. Cette volonté de remplacer une élite démocratique ( car démocrate ? ) issue de la sphère publique  par une autre ( revancharde ) issue de l'entreprise privée rappelle la volonté d’Hitler de substituer aux organes et au personnel de l’État  les organismes et les membres du parti nazi ( définition de l’Etat totalitaire ). Les Dodge Kids de Musk comme la presse américaine les a surnommés sont l’antithèse du Brain Trust de l’époque rooseveltienne ( 1932 -1945 ). L’un d’entre eux, Marko Elez, 25 ans, a été contraint de démissionner du service de la Commission chargé de « contrôler » le système de paiements du Trésor américain. Il avait posté de nombreux messages racistes sur les réseaux sociaux. Comment a réagi Musk ? Il a demandé dans un sondage sur le réseau X qu’il contrôle s’il devait réembaucher son employé - pouce levé ou baissé comme le peuple qui décidait de la vie ou de la mort d’un gladiateur dans la Rome antique. Le réseau X en lieu et place de la Loi de tous - et peut-être à terme le projet de remplacer la Loi voire la Constitution américaines par les opinions et règlements des réseaux sociaux  ? ( comme les SS l’avaient fait dans les camps de concentration ? ). 

Nombreux sont les historiens à établir des parallèles avec la situation des années 1920-1930. Le slogan « Make America Great Again - MAGA » rappelle la rhétorique de Mussolini et d’Hitler qui dénonçaient l’humiliation « ressentie »  par leur peuple après la Première Guerre Mondiale et qui lui faisaient croire à un retour à la grandeur grâce à eux.  La situation c’est-à-dire le contexte qui en dérive font écho à ce qui se passait voilà un siècle. L’hyperpolarisation des Assemblées avec un centre démocratique pris en tenaille par une extrême droite et une extrême gauche de plus en plus polarisées rappelle la situation avant l’arrivée au pouvoir des partis fascistes et nazis. Le deep state  dénoncé par Trump-Musk ( existence  d’une organisation secrète, souterraine - en l’occurence les wokistes - agissant pour promouvoir ses idées ) rappelle les thèses complotistes de l’extrême droite des années 1920-1930 contre « les Juifs et les Francs-Maçons ». 


Le PDG de SpaceX, Elon Musk, lors du défilé inaugural à l'intérieur de la Capital One Arena, à Washington, DC, le 20 janvier 2025. ©AFP - ANGELA WEISS via Radio France.

Ce 20 janvier 2025, lors du gala organisé par Donald Trump pour remercier ses disciples et adeptes, Elon Musk est chargé de chauffer la salle avant l’entrée en scène du 47e président des Etats-Unis. Mais Musk est homme a vouloir ravir la vedette. Par deux fois, pour saluer la foule, il lève le bras à la manière d’un salut fasciste ou nazi. Non pas une fois, mais deux fois. alors non, il ne s’agit pas d’un geste « maladroit » et encore moins « humoristique »  ( sic ). Non, il s’agit bien d’un geste, intentionnel, délibéré et réfléchi, en sachant très bien toutes les réactions qu'il allait provoquer. Par deux fois. Et ce après avoir fait la tournée des popotes d’extrême droite en Europe.  Au final, Musk a bien volé la vedette à Trump sur les réseaux sociaux. Mais c’est son absence de gène qui est la plus révélatrice, comme si Musk pouvait tout se permettre sans qu’on son geste ait la moindre conséquence. Ce sentiment d’impunité est une caractéristique des modes de fonctionnements fascistes et de la manière dont les Nazis agissaient à l’intérieur des camps. Ils y édictaient leurs propres lois exactement à la manière des patrons des réseaux sociaux qui, grâce aux algorithmes, décident de ceux et de ce qu’ils veulent mettre en avant, selon leur bon vouloir, et de ceux qu’ils éliminent, excluent, veulent réduire à néant. Ainsi, pour complaire à Musk-Trump, Mark  Zuckerberg, patron de Meta, a décidé de changer  la politique de modération de Facebook, Instagram et Threads, sans plus aucune censure pour les propos antisémites, racistes, homophobes ni la désinformation ni les manifestations de haine ou les appels à la violence. Comme dans les années 1920-1930, les croyances de ceux qui hurlent le plus fort, afin de faire de leur mensonge La vérité, s’imposent à l’encontre de la réalité, contre la réalité. 

Le « salut nazi » de Musk a eu lieu une semaine exactement avant les commémorations de la libération du camp d’Auschwitz. Comment ne pas y voir un signe ? 

En 2024, le candidat Trump invoque à tout bout de champ « la liberté d’expression » pour se justifier d’insulter, de rabaisser ses adversaires. La liberté d’expression est aussi un formidable instrument pour légitimer la désinformation et  les mensonges ( si on est libre de les dire c’est donc qu’il est possible de croire qu’ils sont vrais ). En janvier 2025, Elon Musk, qui avait décidé de supprimer toute forme de modération sur son réseau social X au nom de « la liberté d’expression » ordonne à tous ses disciples   de boycotter  l’encyclopédie collaborative Wikipédia au prétexte qu’elle serait un vecteur du « wokisme ». Il veut bien de la liberté d’expression quand elle facilite ses intérêts et facilite la propagande de son idéologie, mais en revanche il l’a condamne et la censure à partir du moment où elle démontre les mensonges du Grand Patron. La partialité d’un Musk ne supporte par l’impartialité de Wikipedia. Et pourquoi ce déferlement de haine et l’appel à la censure financière ?  Tout simplement parce que l’encyclopédie a écrit qu’Elon Musk a « tendu à deux reprises son bras vers le haut en direction de la foule. Un geste comparé par certains à un salut nazi ou fasciste ». L’encyclopédie rappelle également les origines « afrikaner » d’un Elon Musk né en Afrique du Sud et qui a vécu toute sa jeunesse sous un régime d’apartheid - une réalité que le patron de Telsa chercherait à « faire oublier » ? Pourtant cette référence bibliographique permet de mieux comprendre la décision de Donald Trump de ne plus fournir aucune aide ni assistance à Afrique du Sud afin de dénoncer une loi sur l’expropriation votée par le parlement sud-africain et qui selon Trump ( Musk ) « permettra de saisir les propriétés agricoles de la minorité ethnique des Afrikaners » qui détiennent la majorité des terres (oublie de préciser Trump. Il s’agit d’une ingérence absolue des Etats-Unis dans la politique intérieure d’un État libre et autonome - comme s’il appartenait à Trump de décider ce que toutes les autres nations devait faire et devait agir. Il est intéressant aussi de noter que le président américain justifie sa décision en reprenant à son compte une démarche qu’il dénonce chez lui comme wokiste ( la défense des minorités et de la diversité ). En fait, Trump ( Musk ) est wokiste quand cela sert ses intérêts. 

A quand les prochains autodafés des livres réputés associés au wokisme ou à la culture LGBTQIA+ ?  A quand la reprise en main des programmes de l’éducation nationale et la promotion des thèses créationnistes dans les écoles ? A quand les algorithmes nouveaux Kapos informatiques des Maîtres, Führer, et aux Guides des Réseaux Sociaux, nouveaux camps de demain  ? 

Mise au pas. Mise à la botte. 

Auschwitz n’est pas derrière nous. 

©Sylvain Desmille


Auschwitz © Sylvain Desmille









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