IMPRESSIONS D'ASIE, Satori en Thaïlande, photographies et textes de Sylvain Desmille©

 

© Sylvain Desmille
 
 
 
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Voici presque une vingtaine d’années que je ne suis pas retourné en Asie, soit à peu près l’âge que j’avais lorsque je m’y suis rendu la première fois.  J’étais alors parti sur un coup de tête, après avoir écouté avec attention les récits que Bernard Faucon nous avait fait au retour de ses voyages au grand là-bas. Je l’en remercie, car sans lui, sans doute, je n’aurai jamais eu l’idée de m’y rendre, dans tous les sens du terme, je veux dire non seulement d’entreprendre ce voyage, mais aussi de m’y soumettre comme Vercingétorix aux pieds de César, et plus encore d’y vomir toutes mes entrailles. L’Asie fut une renaissance, un apaisement, une sorte de reconnaissance. Pourtant, cet extrême orient n’avait pas jamais été pour moi ni une option ni une opportunité. Mon appétence- ma culture hellénistique - me portrait plutôt vers les rives méditerranéennes, l’Egypte, la Grèce, l’Italie, la Turquie, l’Iran. De  plus, au seuil des années 1990, les chemins de Katmandou et autres routes de la soie si populaires vingt ans plus tôt auprès des Hippies étaient devenus des voies sans issues - guerre d’Afghanistan et recomposition du monde post soviétique oblige. D’ailleurs, il n’était pas nécessaire d’aller si loin pour être baba cool. Il suffisait de se rendre dans une rave pour partir en rêve, quitte à partir en couilles, à califourchon sur les vestiges encore debout du Mur de Berlin.

Dès mon arrivée à Bangkok, je me suis d’ailleurs très vite démarqué des routards, toujours désireux de se retrouver entre eux, entre Occidentaux, par peur de la solitude peut-être, mais tout en se vantant de leur indépendance, ou encore par conformisme… Et peu importe le pays à dire vrai, du moment que la vie y soit très bon marché - du point de vue occidental du moins - , tant qu’on peut voyager de guest house en bungalow,  l’entresol pour  entre-soi, à se refiler toujours les mêmes bons plans, autrement dit à tout planifier. Leur Asie « typique » était en fait toujours perçue et appréhendée à travers le prisme des valeurs occidentales. Leur désir d’orient perpétuait une sorte de fantasme néo-post-colonial perceptible dans leur attitude: leur bienveillance de convenance était une forme de condescendance, leur curiosité restait unilatérale. Ils ne cherchaient pas à voir le pays à travers les yeux d’un Asiatique, mais toujours en fonction d’eux, par rapport à eux. De ce qu’ils pouvaient en tirer - y ressentir, en éprouver - et de leurs propres intérêts. Certes, ils observaient le plus souvent les coutumes, les protocoles mais sans les intégrer vraiment, en application et non en implication. En fait, ils avaient plus le souci de l’ailleurs que celui de l’Autre, des autres. Mêmes leurs marques de respect, parfois sincères, apparaissaient comme factices. C’était assez drôle de voir la tête de mes interlocuteurs quand je leurs disais que l’un des principaux clichés racistes qui circulaient en Occident affirmait que tous les Asiatiques étaient des hypocrites, qu’ils souriaient toujours, acquiesçaient à tout mais qu’il était impossible de leur faire confiance. Certains souriaient, d’autres dodelinaient de la tête, visiblement navrés: « Décidément, ces Occidentaux ne comprennent rien à rien », semblaient-ils dire, « mais bon, quand on est persuadé d’être le nombril du monde, difficile de prendre en considérations les autres en les regardant droit dans leurs yeux…».  


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En fait, nous ne partagions ni la même  démarche ni la même approche, ou d’une manière plus prosaïque, les trips des occidentaux n’étaient pas mon truc. Pas de tous les occidentaux, bien sûr. Mais d’une manière générale, c’était comme si nous avancions dans deux mondes parallèles.  Je comprenais tout à fait ce qu’ils venaient chercher, et à la manière des Asiatiques, il était important de répondre à leurs demandes en proposant une offre adéquate et monnayable. Cependant, je ne m’identifiais pas à leur coolitude de circonstance, à leur narcissisme de connivences ni à leur égocentrisme compassionnel. D’ailleurs, au cours des dix années qui ont suivi, j’ai toujours pris soin de conserver la plus grande distance possible vis-à-vis des Occidentaux qui circulaient en Asie. Je ne me reconnaissais ni dans leurs aspirations/inspirations ni dans leurs besoins d’exotisme. Je n’ai jamais fait de Trekking, mais j’ai vécu au plus près des peuples des campagnes. Je n’ai pas visité les «marchés flottants » mais j’ai vécu un temps sur les klongs. J’ai fréquenté les temples mais sans chercher à jouer au moine. Avec mes amis thaïlandais, je suis sorti en discothèque, souvent - la Bubble discothèque alors en vogue à Chiang Maï -, mais je n’étais pas un habitué des bars et autres officines du tourisme sexuel.

En réalité, j’aimais cette sensation d’altérité. Les Occidentaux confondent différence et altérité, pas les Asiatiques. La différence fonde la relation sur un rapport d’identité et d’individualité, en fonction de soi, de son quant-à-soi, de manière égo-centrée et égo-normée, de plus en plus narcissique aujourd’hui, comme il se doit. Son confort d’esprit se fonde sur un conformisme. En revanche, dans cette perspective, l’autre peut être perçu et conçu comme une suspicion, une mise en doute, un risque, une menace. Dans la relation d’altérité, c’est l’autre qui prime. Cela nécessite plus d’efforts et moins de confort car il faut changer ses références et les mettre en perspective, démultiplier les angles et les points de vues, déconstruire toutes ses postures, jusqu’à s’apercevoir qu’il s’agit en réalité le plus souvent d’impostures.  Cela implique curiosité et honnêteté, recherches et travail. C’est autant une oeuvre de la raison que de sensations. Car il ne s’agit pas de devenir l’autre, mais d’être à l’autre, d’y advenir: on voit puis on se voit, on conçoit puis on se perçoit à travers le regard de l’autre. Cela ne signifie pas que l’on ne reste pas soi-même, au contraire. La culture de l’altérité explique comment les Asiatiques des multiples diasporas se sont si bien « intégrés » en occident sans ressentir la moindre menace pour leurs identités « d’origine ». La culture de la différence explique le malaise et l’essor des idéologies identitaires, racistes et essentialistes, en Occident. 

 

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En Asie, un Occidental aura beau faire et dire, respecter scrupuleusement les coutumes et même apprendre les différentes langues et dialectes (cela facilite au moins la communication), jamais - jamais - il ne sera considéré par les Asiatiques comme autre chose qu’un Occidental, quand bien même les pays asiatiques se seraient occidentalisés, économiquement et culturellement. Il est totalement illusoire d’y prétendre. En revanche, ni les Thaïlandais, ni les Cambodgiens, ni les Vietnamiens ne m’ont considéré comme un « occidental » c’est-à-dire comme un de ces touristes ou expatriés originaires d’Occident. Ils me l’ont dit.C’est une marque de grande confiance. D’habitude, ils se contentent de vendre aux étrangers ce que ces derniers sont venus chercher en Asie (du sexe, du bien-être pas cher, de la spiritualité, du typique ou de la nostalgie…).   A leurs yeux, je n’étais pas des leurs (je restais un farang, un  étranger) et en même temps je n’étais plus des miens.

Quand j’évoque l’Asie, il s’agit surtout de l’Asie du Sud-Est où j’ai le plus oeuvré, et en premier lieu de la Thaïlande, surtout dans la partie orientale, le long du fleuve Mekong - en I’San, avec comme point de chute la ville de Nakhon Phanom  - et dans une moindre mesure le Cambodge et le Vietnam. Mais bon, en même temps, la Thaïlande est une bonne porte d’entrée pour qui veut se rendre en Asie. En tout cas, elle en fut une pour moi. Du moins en mon temps. Car j’imagine que l’Asie de ces photographies n’a plus trop rien à voir avec celle d’aujourd’hui, à l’image du Bangkok que je perçois à travers les séries thaïlandaises dites BL (Boys Love) disponibles en quasi direct via Youtube et les chaines comme GMMTV. Destinées surtout à un public adolescent, elles mériteraient d’être données en exemple de ce que peut être une société véritablement tolérante, respectueuse et inclusive (un grand bon en avant par rapport à la France) - même si elles prennent un soin maniaque de ne jamais aborder les questions politiques et de violences sociales, en grande partie à cause des clivages de classes, renforcés par l’essor économique et l’enrichissement. Mais bon, c’est un peu comme si on se retrouvait dans les Etats-Unis des années 1950-1960, en plein boom démographique et consumériste, mais où l’avènement d’une nouvelle classe moyenne n’était pas forcément synonyme de progrès démocratiques. Mais peut-être ces séries télévisées témoignent-elles plus d’un désir de réalité que de l’exacte vérité ? Je ne serai le dire. En tout cas, la série suédoise 30 degrés en février disponible sur Arte  - regard occidental sur la Thaïlande  qui offre aussi un contre-champ - contrebalance de manière très fine, très juste et très sombre l’image édulcorée de ce que les guides touristiques vantent. Peut-être que la réalité se situe à mi chemin, dans l’entre-deux, à équidistance de Bangkok et de Chiang Maï.


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 Les photographies qui suivent ne proposent que des impressions d’Asie. Elle ne sont ni un sujet ni un objet. Ne prétendent en présenter ni un contour ni un détour. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai décidé de les donner à voir tel quel, en dehors de circuit touristique et sans les présenter à la manière d’un carnet de voyage. Elles sont leurs propres chemins.  A leur propre errance. Et d’écho en écho, à leur propre voie. Nombreuses sont d’ailleurs celles à dévoiler des états, des situations. Le temps aidant, elles  m’évoquent aujourd’hui le Satori du bouddhisme  Chan, Son et Zen  - pourtant très éloigné du bouddhisme hīnayāna pratiqué en Thaïlande, appelé aussi bouddhisme du Petit Véhicule. Plus proche de la doctrine originaire du Bouddha, il vise à la libération universelle de tous les êtres, alors que le bouddhisme mahāyāna, privilégie, comme but de la pratique, la libération individuelle - ce pourquoi il fut plus en odeur de sainteté auprès des Occidentaux dans les années 1970.

Daisetz Teitaro. Suzuki définit le Satori comme « une saisie intuitive de la nature des choses, de façon non dualiste ». La raison et l’émotion, la compréhension analytique et intuitive se complètent sans s’opposer, se submergent les unes les autres, de manière consciente (sans le médium de substances) et directe. Dans le satori, l’éveil est un état de conscience, la prise de conscience un lâcher prise (il n’y a plus de limites dès qu’on accepte ses limites), même si la culture, l’apprentissage, la maîtrise de soi, l’éducation jouent un rôle déterminant. D’ailleurs, en japonais, la signification littérale de satori est « compréhension ». Celle-ci désigne plus le chemin vers la compréhension que la solution. En effet, le satori n’est jamais définitif (il se distingue du Nirvana dans le bouddhisme). Il s’agit d’un état ponctuel, éphémère, transitoire mais qui reste, qui perdure, qui ne cesse jamais.  C’est le rocher mis à bas qui rappelle le tremblement de la montagne. D’une certaine manière, dans le monde antique, il correspond à la notion d’épiphanie (du grec ancien ἐπιφάνεια, epiphaneia, « manifestation, apparition soudaine »), qui, en philosophie désigne « la compréhension soudaine de l'essence ou de la signification de quelque chose », quand une information ou une expérience, souvent insignifiante en elle-même, illumine de façon fondamentale l’ensemble. Cela définit bien la photographie, quand l’image cesse de faire image. Quand il s’agit moins de dire - de montrer - que de donner à voir, de faire du silence.

Sylvain Desmille©

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Nota Bene: désolé si je dois mettre des copyright partout mais sinon toutes les photos se retrouvent sur pinterest and co et ce sans autorisation.

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