MON LOUVRE GAY photographies et textes de Sylvain Desmille © / MY GAY LOUVRE Photographes & Texts by Sylvain Desmille ©

 

© Sylvain Desmille


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Le Louvre est d’abord un labyrinthe, un serpent de mer qui s’enroule et qui se déroule comme un parchemin aux plis serrés à chaque recoins. On y tourne en rond comme un soleil de feux d’artifice. Comme le chien qui courre après sa queue. Comme un galop de chevaux de manège. Le bleu du ciel comme un ciel de lit à tous les étages. Ce fut un palais - pas un château de conte de fées ni de princesses, plutôt de guet-apens et de complots, de chausse-trappes tantôt piège à loup tantôt oubliettes. C’est depuis la révolution française un musée, aujourd’hui l’un des plus beaux au monde, il faut le reconnaître, mais c’est surtout et encore un musée si grand qu’on a encore la liberté de ne pas avoir à suivre un parcours obligatoire - c’est devenu de plus en plus rare qu’il faut le noter - où on peut filer droit au but pour voir juste une oeuvre ou au contraire aller en s’y laissant aller, guider juste à l’instinct. Où il est possible d’y découvrir toujours un de ces trucs comme un claquement de doigts la formule magie et tout à trac un eurêka,. Où on peut se laisser surprendre et apprendre c’est-à -dire grandir et pas seulement en se dressant sur la ponte des pieds.


Le Louvre est l’un des lieux où j’ai eu la chance de grandir, de visites scolaires en promenades familiales, puis assez vite, très vite, seul. En solitaire. J’y passais souvent les après midi dominicaux. Un peu comme on rend visite à une grand-mère. Autant par habitude que par nécessité. Je prenais plaisir à m’y perdre - cette frayeur là - comme si je jouais à cache-cache avec moi-même, au risque d’y perdre pied - quand on trébuche de la pierre du gué - comme si les cailloux semés par le Petit Poucet s’effaçaient pas à pas. Les murs épais du Louvre m’offraient un écrin protecteur, une armure et une carapace. C’est l’un des rares lieux où je me sentais d’autant plus en sécurité que les regards se dirigeaient sur les statues et les tableaux et non sur les visiteurs. Je pouvais circuler parmi la foule sans jamais avoir à y paraître, m’y dissoudre. A l’époque, très rares et malvenus étaient ceux qui commentaient les oeuvres à voix haute, qui hurlaient leurs avis et leur opinions. Question de pudeur, d’éducation, honte de scander chaque arrêt par une banalité, ou de faire erreur. Les conversations devant les tableaux ressemblaient à des murmures de confessionnaux, brouhahas ouatés et pelucheux. Je m’y enroulais comme on relève son écharpe sur le bout de son nez.


Dans une séquence de Pédale, une autofiction documentaire que j’ai écrite et réalisée et qui a été diffusée pour la première fois en 2019,  j’ai brièvement raconté comment le Musée du Louvre est devenu  mon premier - et seul - manuel d’éducation sexuel. J’y ai appris à comprendre et diversifier mes désirs, à y mettre le doigt dessus du coin de l’oeil- comme l’aiguille de la boussole filant droit vers le nord magnétique. Les oeuvres d’art ont contribué à faire mon apprentissage culturel certes - la culture a bon dos ici - mais surtout sexuel.  Au fil de mes années d’adolescence puis d’étudiant, j’ai fini par dessiner dans le labyrinthe muséal une sorte de parcours gay, comme un fil rouge sur le fil du rasoir, une carte sans croc indiquant le trésor enfoui mais dont chaque indication, chaque repère seraient un des joyaux. Ce livre de photographies explore ce parcours personnel, à la subjectivité non dénuée d’objectif. C’est aussi une manière de lui rendre hommage et de témoigner de ma reconnaissance pour tout ce que m’a apporté « mon Louvre gay », comme soutien dans le silence, un socle où m’accrocher dans mes tempêtes hormonales. Ce peut-être aussi l’occasion de voir des oeuvres d’art autrement, en le regardant autrement, et d’en découvrir. qui sait ? C’est aussi le souci de partager le plaisir de les avoir photographiées. 


Sylvain Desmille.  



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Les musées seraient-ils des espaces genrés ? Non en soi, mais comme une mise en perspective de notre propre regard ? Regards masculins. hétéros et/ou homosexuels. Regards féminins. Hétéros et/ou homosexuels. Neutres. Trans-genres et/ou transsexuels. A l’image du devin qui lit l’avenir dans les entrailles de la bête, lil serait loisible d’appréhender les oeuvres d’art selon des considérations sexuelles ou plutôt esthétiques, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire de « ressenti » physique, d’échauffements des sens, sans rien de cérébral. La fête du slip dans le slip.  Je me rends compte aujourd’hui comment mon parcours gay a imposé de traquer chaque élément de représentation, chaque morceau de corps qui permettaient de le nourrir, de (dé)complexer aussi.  Un peu comme on reluque les autres à la piscine, quand on mate à la plage,  le regard au ras des vagues mais sans avoir ses yeux dans sa poche. Au gré des visites, ma recherche, ma (qué)quêt(t)e, a développé un regard de plus en plus focalisé, dans le fond comme dans la forme. Plus qu’une vision d’ensemble, je m’attachais aux détails, aux close-up. Et c’est à travers eux que je découvrais et parcourais ensuite l’ensemble de l’oeuvre, en en faisant dialoguer chacune des parties. a chaque nouvelle visite, il suffisait de commencer mon périple par un détail différent de celui de la fois précédente pour que le dialogue qui s’en suivait missent en évidence des développements originaux et de nouvelles perspectives. L’oeuvre se donnait à voir à la fois comme identique et polysémantique. Unique et polymorphe. Un peu comme si chaque relecture d’un livre en donnait précisément une relecture, une représentation et une interprétation - une identification - différente, tantôt plus précise tantôt plus confuse. Je pense que seuls les musées permettent cette appréhension de l’oeuvre et de susciter ces états de conscience qui déboulent dans votre corps comme une pluie de météorite (comprendre, qu’on vient de comprendre quelque chose, tout à coup, soudain, provoque une giclée d’adrénaline et d’endorphine). Car si au début, on peut s’astreindre à aborder ainsi une seule oeuvre, très vite, on peut appliquer la démarche à l’ensemble des oeuvres en les faisant dialoguer ensemble et chaque partie avec les autres. La démultiplication offre des possibilités infinies (car subjectives). Le musée du Louvre est un des lieux où il est possible d’appréhender de manière concrète, cohérente et incohérente, libre et librement, la notion d'infini. 





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Ce sont des oeuvres que la plupart des gens ne voient pas, non qu’elles soient cachées, mais parce qu’ils passent devant sans y prêter la moindre attention. Il faut dire qu’elles se situent plus dans un lieu de passage qu’en bonne et pleine exposition. Qui s’arrête trop longtemps risque de transformer le couloir en goulet d’étranglement. 


Les premières fois, je passais en général à trois reprises - jamais quatre, au risque sinon qu’un gardien ne découvre mon manège, et d’ailleurs, la seule fois où j’ai tenté le coup, je me suis fait griller en beauté (sourire narquois et sourcil relevé du préposé qui soudain relève son menton). Il m’a fallu ensuite vingt bonnes minutes (de pure honte et vrai enfer) pour que mon rouge au front et aux oreilles condescende à retomber dans mes chaussettes même si mes pas précipités ne parvenaient pas à échapper aux charbons ardents qui les faisaient danser. Ou la la. Au moins l’expérience m’avait servit de leçon. Car tout le but du jeu était de  regarder sans jamais se faire voir, de caresser l’oeuvre des yeux sans donner l’impression d’avoir l’air d’y toucher. Si vous restiez trop longtemps, il existait toujours le risque qu’un attroupement se forme autour de vous. En effet, il y a tellement de tableaux, que la plupart des visiteurs ne savent pas quoi regarder, alors, dès que vous contemplez une oeuvre plus de trente secondes, ils affluent comme des mouches sur un steak en se disant que ce doit être important, non ?  Par la suite, je prenais un malin plaisir à les duper - et à m’en moquer - en m’arrêtant pour regarder un lustre, une poignée de fenêtre. Il suffisait d’attendre. Ça marchait à tout les coups, comme le vers au bout de l’hameçon happé par la truite. On est cruel quand on a dix-sept ans… Mais bon, quand il fallait reluquer une statue de garçon nu, devinez qui faisait moins le malin… 

 

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© Sylvain Desmille

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Regarder sans être vu. Du coin de l’oeil. Et même si cela était possible, avec les yeux dans le dos. Ne rien laisser paraître. Transparaître. 


Juste croiser le regard des portraits. Instaurer ce serment. Chuuuut.  Maintenir ce dialogue. Le temps que la flammèche brûle. Puis tout ramasser en boule. Puis revenir, et continuer la conversation. Dans ce silence. Malgré la meute d’épingles qui badaude et circulent. Parler, pour parler. De tout et de rien. Et de ces petits riens, les copeaux de la gomme qui efface. Etre à cette sollicitude. A cette éducation. A cette connivence des rires. A cette complaisance aussi, des sentiments, parfois. Basta cosi. Et revenir. Et encore revenir.  Poursuivre la conversation.  Comme un écho, la lame de fond De lieux communs en confidences. Se laisser aller. Allez ! Draguer ou se laisser draguer. Se laisser faire, pour une fois. La première fois. 


Très vite, les portraits se sont révélés être des individus à part entière. Comme vous et moi.Vivants ?  Je ne me rendais plus au Louvre pour voir un Poussin ou un Titien, un Cranach, mais pour m’entretenir avec Dürer lui-même,( en plus j’avais à peu près le même âge que lui du moins tel qu’il s’était représenté dans son auto-portrait, ce qui rapproche même si parfois je ne comprenais pas tout à cause de son accent allemand, comme une patine un peu trop épaisse sur la monnaie de bronze). Je ne m’adressais ni à son fantôme ni à mon fantasme. C’était juste comme ça.  


J’espère que ces photographies rendront compte de cet état. Car le but n’est pas de faire la photographie d’un portrait que de faire en sorte que la photographie fasse advenir ce rien d’être qui résiste à l’image. Ne pas mettre en abîme le faire image mais retourner l’abîme comme la peau écorchée du lapin. 

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© Sylvain Desmille

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Je m’aperçois que je ne suis pas ici mes parcours gays du Louvre. Je commençais en général au rez-de-jardin par les départements des antiquités romaines et grecques, puis, un escalier plus haut, je traversais les enfilades de salles consacrées à la peinture française du XIXe siècle, avant de dévaler la Grande galerie comme il se doit, corridors, escaliers, escaliers, je bifurque vers la  sculpture française du XVIe-XVIIIe siècle, et hop, on grimpe pour voir la peinture française du XVIIe siècle et puis on sort en reluquant les statues des Esclaves de Michel-Ange au passage (ça ne fait jamais de mal)… 


Non, c’est plutôt comme si le livre imposait son propre cheminement, d’échos en éclats, et sollicitait des assonances de rapprochements - à la manière d’un labyrinthe de miroirs déformants, l’attraction des fêtes foraines. Comme si en plus d’être le plus grand musée du monde, le Louvre devenait aussi un musée imaginaire, sa propre imagination. 



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Les départements des antiquités grecques et romaines ont souvent été un des points de départ de mon parcours gay au Louvre. Cela tient à ce que l’Antiquité était souvent associée à une espèce d’âge d’or de l’homosexualité, avant la survenue des temps obscurs du Christianisme, comme un voile noir d’interdits et de frustrations recouvrant le monde pour l’y étouffer. L’Antiquité était souvent vantée comme une période de libertés sexuelles, sans discrimination en tout cas imposée par la morale religieuse. En réalité, mes études d’historiens puis d’anthropologies m’ont démontré que cette vision de l’Antiquité était plutôt une interprétation et une reconstruction idéologique, en partie produite à la Renaissance. On se plaisait à concevoir l’Antiquité telle qu’on eût aimé la voir au regard de sa propre actualité. Il s’agissait plutôt d’une actualisation. D’un remake et d’un remix. C’était  aussi une manière de justifier la pédophilie de certains. 


La Grèce ancienne encourageait en effet les rapports sexuels entre adultes et enfants (ou plutôt entre un individu sexués et non reconnu comme sexuel), de l’éraste et de l’éromène, de celui qui aime - l’actif - et de celui qui est aimé - le passif. Tout était très codifié.  L’apparition de la barbe chez le plus jeune marquait le point de rupture et d’inversion. L'éromène devenait l’éraste. La dimension éducative de la paideïa servait de prétexte pour élever la relation des amants. Cette confusion entre pédophilie et homosexualité a été entretenu à dessein. A l’inverse, des travaux affirmaient que l’homosexualité (les rapports sexuels entre deux pubères, et deux adultes ou plus ) était condamnée, ou tout du moins très mal vue (les comédies grecques et les orateurs attiques s’en moquent) - une manière de valoriser la pédophile et peut-être aussi de convaincre les plus jeunes d’avoir des relations sexuelles exemplaires avec des adultes… En fait tout est plus complexe. Les céramiques grecques montrent souvent des scènes d’orgie et de partouze entre jeunes hommes (pendant leur éphèbie, leur service militaire ?)  et il existait le fameux bataillons sacré de Thèbes où seuls combattaient des couples homos. Les mondes romains et surtout gaulois étaient encore plus favorables aux relations homosexuelles. C’est pourquoi l’Antiquité reste toujours pour moi sinon un modèle du moins une référence, par forcément de tolérance. C’est pourquoi aussi depuis le XVIe siècle, ces deux départements du Louvre ont accumulé les oeuvre de références homo-érotiques. Expression aussi d’époques, depuis la Renaissance  et le Néo-classicisme qui les mettaient en scène comme prétextes détournés et repères.


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J’ai quinze ans, seize ans, dix-sept ans. J’ai faim. Mais c’est peut-être plus qu’une de ces fringales adolescentes. J’ai grand faim. De connaissances et de reconnaissances. De savoir. De me savoir. Le Louvre comble un peu le trou qui me chahute le ventre. Mais comme la pierre de Sisyphe qui roule et qui déboule comme la salive dans la trachée. Rolling Stone ! Je suis à la fois l’aigle qui dévore le foie de Prométhée et le Titan qui se laisse becqueter, en croyant se faire bécoter. Enchaîné et déchaîné. Ma voracité est sans limite. C’est une faim de Géant, d’ogre, de bête de Gévaudan. Comme un serpent de Flûte enchantée, j’ingurgite chaque corps, chaque partie de corps, statue de Kouros,, tête d’éphèbe ou buste de philosophe. Tout est bon. Mes yeux plus gros que mon ventre. Et même si parfois je déglutis difficilement, vu le morceau, je finis toujours par avaler.  


J’essaie de me rappeler cette lourdeur de n’être qu’à son désir, cette légèreté de n’exister qu’en fonction de son désirs, de se réduire en permanence à cet tout et à ce néant. J’essaie de me rappeler cette frustration, cette complaisance, cette oscillation, ce basculement comme la vague qui revient et qui rebrousse, le mouvement de balancier de la pendule en bout de chemin. De n’être que ça. De n’être qu’à ça. Cette boule d’ego qui se prend pour le centre du monde - de son monde - comme la bille métallique du flippers balancé à tout-va. (Et si le rocher de Sisyphe n’était en réalité que cette boule d’ego qui s’écroule sur elle-même, ce trou noir qui s’échappe ?)


Je regarde tous les corps - j’en aspire la substantifique image, comme la moelle du milkshake à la paille. Sans considération d’âge, d’origine, de couleur. A l’inverse des réseaux sociaux, des « chats » sur les sites de rencontre comme Caramail à l'époque, ou chacun choisit l’autre en fonction d’un type, d’un genre, d’une race prédéfinis et autres critères de classification, au risque de ne considérer les autres qu’en tant qu’objet et non sujet de désirs/plaisir, le Musée du Louvre ouvre mon regard à tous - parce que les oeuvres d’art sont toutes belles ou plutôt parce que chaque corps y fait oeuvre - un peu comme dans les premières raves des années 1990 dans lesquelles tout le monde était le bienvenu (rien à voir avec celles des teuffeurs d’aujourd’hui qui excluent plus qu’elles n’invitent). Et maintenant, peut-être est-ce précisément ce qui m’a toujours attiré dans ce musée, non pas d’y être comme chez soi,  mais d’y être toujours bienvenu. Le bienvenu. Car le Louvre fut pour moi un de ces lieux magiques d’apprentissage zénithal où la peur et la honte ont finit par se réduire comme l’ombre au bout des pieds, ma peau de chagrin roulée serrée-serrée. Plus comme un tapis de sol qu’un tapis de prière. Car les corps des musées n’étaient pas non plus des voeux excusés. J’éprouvais autant d’émotions à contempler les Kouroi au corps parfait, que celui du vieillard qui sort de la baignoire comme un beau diable de sa boite. Surtout, j’essayais de transformer mes face-à-face en tête-à-tête, tantôt avec les gamins de mon âge (pas grand chose à en dire, sinon pas mal d’arrogance et des fous rires de tête-bêches)  tantôt avec Sénèque (je me dis qu’il devait sourire de mon arrogance dès que je lui tournais le dos, mais bon, c’est grâce à nos rencontres que j’ai été en mesure d’entrer plus facilement dans l’intimité de son oeuvre). 


A cet égard, le Louvre comme musée idéal m’apprit à me montrer circonspect envers les idéaux et les stéréotypes esthétiques. L’accumulation et la diversité des oeuvres d’art m’ont enseigné à me méfier voire à me défier du faire-image, c’est-à-dire des oeuvres qui i servent plus à représenter l’artiste quand il conviendrait que celui-ci s’efface jusqu’à disparaître dans l’oeuvre. Ce n’est pas une question de style, mais plutôt de réduire la représentation juste à un style, à faire du sujet juste un object, alors que l’oeuvre d’art transforme son objet en sujet. C’est un manque de simplicité (le refus de passer au second plan). C’est un défaut de connivence. A chacune de mes visites au Louvre, j’en suis sorti en connivence. Ma faim apaisée. 


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C’est toujours un peu spoliant de se dire qu’on ne va visiter un musée qu’une seule fois. Pour ma part, j’ai eu la chance en habitant « Paris » de pouvoir me rendre au Louvre autant de fois que je le voulais - d’autant plus que, jusqu’à une à une date récente, il était gratuit tous les premiers dimanches de l’année (c’est vraiment dommage voire discriminatoire d’avoir ôté la possibilité aux plus humbles de ne plus pouvoir aller au musée faute de pouvoir s’en payer un billet d’entrée). D’abord, il est très difficile d’avoir la possibilité physique de pouvoir voir (analyser, s’émouvoir, admirer, entendre) toutes les oeuvres en une seule fois. Ce doit être d’ailleurs  assez frustrant d’avoir de se retrouver dans une des cohortes de touristes qui labourent le parquet au mieux comme un troupeau de fourmis et en général comme une colonie de cafards, au pas de course et bousculant tous les autres au passage, un peu comme on zappe sur une compil de best of. Ensuite, il est important de pouvoir regarder une statue à différentes heures du jour, et plus encore en fonction des saisons. Enfin, si certaines oeuvre se livrent dès le premier coup d’oeil, plus nombreuses sont celles qui entretiennent leur mystère. D’où la nécessité d’y revenir sans cesse, jusqu’à ce que s’instaure une certaine intimité propice aux confidences. 


Je me souviens d’avoir photographié au moins une vingtaine de fois le buste d’un jeune gaulois, à des heures et saisons différentes, sans jamais avoir été satisfait. Un peu comme s’il refusait de se laisser dragué, de se donner à voir, par pudeur ou par mépris (son visage  confondait les deux expressions). C’était devenu une sorte de défi. Et puis un jour, allez savoir pourquoi, j’ai senti au moment du déclic qu’il s’était passé « quelque chose ». Quoi ? Difficile à exprimer. Un truc. Par sécurité, et prudence, j’ai rembobiné la pellicule avant même de la finir.   Sitôt revenu, je l’ai développée. Et effectivement, sur le cliché, c’était un peu comme si le « jeune gaulois » qui avait servi de modèle  était apparu à la surface de la pierre, en palimpseste et en surimpression. En témoignait la présence de poche et de cernes sous ses yeux. Jeux d’ombres en guise d’apocalypse sans doute. En tout cas lle jeune homme s’était enfin laissé aller Peu de temps après, le buste disparut… pour réapparaître, restauré, propret et à une autre place. Mais toute la magie en avait été ôtée. Le jeune gaulois était mort pour de bon.


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Des bites, de la bite, des culs, du cul. Mais on pourrait aussi dire, des chattes, de la chatte. Des seins  En revanche difficile de dire « du sein » comme si le singulier revêtait une dimension sacrée: sein de la Sainte Vierge allaitant l’enfant Jésus qui l’a déflorée;  sein tabou des jouissances provoquées par les titillements et les succions du nouveau-né - jusqu’à ce qu’il morde.  Et si les musées n’étaient en réalité qu’une sorte de peep-show, anachronique et inversé, dans lequel ce sont les spectateurs - habillés -qui se trémoussent devant les statues impassibles, par le contraire d’une pornographie, mais son inverse: sexe masculin toujours en repos,  nudité diaphane - sans la moindre goutte de sueur sinon quand la pluie ruisselle dessus. 


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Mais les musées étaient surtout pour l’adolescent que j’étais l’occasion de voir des corps nus, des mecs à polis. Les statues étaient des corps prêt à l’emploi: à la curiosité, aux désirs, aux réactions, aux frustrations, à la honte, aux conjonctures aussi. au vice (quel doux mot, que je préfère au singulier peut-être parce qu’il sonne plus comme une terre promise qu’à l’image d’un panier de serpents). Toutefois, si elles m’ont profondément marqué, elles n’ont jamais conditionné ma sexualité. A force d’en avoir contemplé au Louvre, les mecs réputés être des beautés canoniques m’ont toujours plutôt laissé de marbre. Je reconnaissais leurs attraits sans entrer dans leur champ d’attraction, et c’était même plutôt l’inverse qui opérait. Mon indifférence aiguisait leur curiosité à mon égard. Les autres mecs qui bavaient sur les bellâtres et mecs alphas ne comprenaient pas pourquoi ces derniers s’intéressaient à mon insignifiance. Ils ne représentaient en réalité que des beautés flash, des lumières intenses mais de très courtes durées. Le Louvre m’avait appris à me méfier de ces beaux idéaux et idéologique. Leurs postures n’étaient des poses en mode pause. A la différence des statues de marbres, ils n’étaient pas des corps d’éternité.


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Il y a souvent une part d’humanité dans les oeuvres. Cela tient à la fois à leur sujet et à la représentation qu’elles donnent des êtres -  des corps - humains. C’est pourquoi, leur usure, leur érosion « naturelle », tout ce qui rappelle la finitude,  amplifient nos émotions.  L’analogie a valeur de catharsis. Les fissures des peintures sont nos rides et nos ridules. Les couleurs sabotées des tableaux de Poussin évoquent la croûte de la blessure au genoux du garçonnet en train de l’enlever en la faisant sauter du bout de l’ongle. Les scintillations du marbre des statues sont des frissons. Des courants d’air. Les nez cassés, les joues râpées sont nos propres blessures et nous rappellent notre propre érosion.. Elles assignent une temporalité, une urgence, à ces statues dont la pierre devait assurer la pérennité. Au Louvre, aucun mot, aucun silence, aucun murmures n’est gravé dans le marbre. 


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Affleurement du regard 

Effleurement du regard

Comme le souffle sur la peau

La fumée de la bougie

Comme un murmure 

Qui grappille et qui égratigne

La peau morte du serpent

Est mon chemin de crête


Plus la ligne de vie se creuse

Plus elle s’efface de la main


Regard cannibale

Mes deux yeux plongent 

Comme les doigts de Saint Thomas 

Dans les plaies du Christ

La curée

Comme le rapace arrachant 

Le foie de Prométhée 

Le bourdonnement des mouches 

dans ma bouche atteste le goût du sang.


Nous sommes tous des dieux lorsque nous contemplons des divinités. 



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Yeux blanc-bleu des statues, vidé comme le coquillage abandonné sur la grève, leur regard est empli du bruit de la mer chauffée à blanc.


Regarde moi. Et les yeux dans les yeux. Fixe moi. Oeil pour oeil. A ce point fixe, l’idée fixe du spectateur face au tableau. Contemple moi, mais pas comme si je n’existais pas, chaque fois que le Louvre se referme. Comme si tu voyais à travers moi, le judas, le fantôme d’une ligne d’horizon. Ne détourne pas ton regard, ne baisse pas les yeux, s’il te plaît. S’il te plaît.  


Chaque fois que je croise ton regard, je deviens la Méduse qui te transforme en statue de pierre.


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Les jardins des Tuileries ont longtemps été connus comme un lieu de drague majeur de Paris. On venait y prendre l’air à l’entre-jambes et s’y dégourdir le paquet. D’un seul coup d’oeil, en un clin d’oeil, les rencontres se consommaient sur place. En grognements mais sans blabla. Les bosquets servaient d’écran à des parties d’agenouillements et de cambrures impudiques. Mais cette partie du « Grand Louvre » étaient plutôt réservés aux gays aguerris. Qui savaient se sortir les doigts du cul pour les y enfoncer dans celui de leurs coreligionnaire. A cet égard, selon la légende, les statues du jardin ont eu maintes occasions de rincer l’oeil. Et même si elles en ont vu des vertes et des pas mûrs, peut importe le fruit du Paradis car il tombe toujours par terre comme la pomme pourrie de Newton. 


© Sylvain Desmille


Pour ma part, c’est plutôt le musée du Louvre qui a toujours été un lieu de drague. C’était d’autant facile de repérer les mecs comme moi que généralement nous suivions le même parcours gay. A force, c’était devenu une sorte de rituel. D’abord, on se croisait, on se recousait dans une autre salle, pas vraiment étonné mais surpris tout de même. Sourire. Un rien gêné. Sourire de connivence, de confidences, deux salles plus loin. Il y avait un réel plaisir à poursuivre ce genre de conversations, à faire connaissance du coin de l’oeil et en se partageant le plaisir des yeux. La décharge homo-érotique que dégageaient les oeuvres finissaient pas nous lier comme la fond de veau dans la sauce. Parfois nos timidités réciproques nous repoussaient l’un de l’autre comme deux aimants aux polarité un peu trop identique. Parfois, la danse des paons se transformait en pas de deux. Je ne sais pas s’il s’agissait d’une véritable attirance ou plutôt d’une sorte de quiproquo. La bonne fréquentation du Louvre pouvait nous donner l’impression de partager des centres d’intérêt voire une culture commune. En réalité c’était plutôt pour mater les corps mis à notre disposition -  comme les gogo-boys sur le podium du Queen - que nous nous retrouvions. Nous étions en train de confondre appétence et appétit. Frustration et satisfaction. Notre bonne conscience n’était pas à bon entendeur, salut. 



© Sylvain Desmille



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C’est un combat de corps à corps. De corps sans corps. Comme une métempsycose et une apocalypse. Comme une pulsion, le beat de la musique, chaque fois qu’il convient de traverser le gué en prenant soin de ne pas se mouiller les pieds. Comme s’il s’agissait de monter au feu, aux créneaux, le moule à charlotte renversé. De battre et le fer et le feu tant qu’ils sont encore chauds. C’est l’horizon en crue qui déborde. C’est l’abysse après l’abime et c’est l’écho dans l’écho. 


Comment toucher des yeux ? 



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Apollon est une pute.

Le Christ  en croix de Goya est une pute. 

L’éphèbe de Bénévent est une pute. 

L’éphèbe Narcissus est une pute. 

L’Arès Borghèse est une pute.

Antinous est une pute et Hadrien, lui aussi, c’est une pute.

Le Narcisse de Poussin est une pute. Une belle pute.

Le Saint Sébastien du Pérugin est une pute. L’air de pas y toucher, mais une pute quand même. Et celui de Corot aussi, c’est une pute. 

Les esclaves de Michel-Ange ? des putes, tous les deux ! 


Des putes, tous des putes, qui s’offrent - mais sont-ce des putes dans ces conditions ? - qui se laissent caresser du doigt comme on vérifie la poussière, qui se laissent mater. Comme si la pierre dans laquelle ils ont été sculptés les protégeait de toute usure. Comme s’’ils se nourrissaient de tous les de tous les désirs  qu’ils suscitaient, qu’ils provoquaient, pour ensuite en recueillir le minerais, le fondre, le clarifier, le purifier  et y forger l’armure qui les protège de toute lassitude. Et de mes jalousies.



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Le Louvre gay n’est pas forcément celui des artistes gays qu’on y retrouve. Bien sûr, il existe des recoupements et des concomitances.. Comment ne pas voir toute l’oeuvre du peintre David comme une célébration du corps homo-érotique (peut-être parce qu’il se concevait lui-même comme une sorte de Michel-Ange néo-classique). Le Sommeil d’Endymion peint par Gorodet m’apparaît même un peu trop gay à mon goût. Toute cette langueur, cet abandon, cette lascivité quasi féminine ( au regard des stéréotypes  de l’époque), ce corps qui n’est qu’un corps d’homme jeune aux allures de jeune homme, ni adolescent ni mature, d’un entre deux comme la rai des fesses, la pose même qui n’est que posture réunit un peu tous les clichés. 


En fait, c’est surtout Le radeau de la Méduse de Géricault qui m’a le plus marqué - mais comme on dit marquer au fer rouge - frappé mais comme lorsqu’on se fait tabasser en règle par des homophobes, les lèvres et les pommettes en sang et les hématomes qui passent par toutes les couleur de l’arc-en-ciel pendant quinze jours. Bien sûr l’adolescent que j’étais encore était fasciné par la dialectique titillante d’Éros et Thanatos, que l’immense tableau semblait mettre en scène… Et sans doute pas.  La faim en avait eu raison. Les personnages qui y figuraient en était passé outre. Le corps du jeune homme étendu en bas du tableau - à porter de bouche (j’aurais voulu le couvrir de baiser) s’offrait aux spectateurs comme l’Isaac de la Bible et le Boeuf écorché de Rembrandt. Une sensualité brute - brutale - suppurait de l’oeuvre comme le goudron de la toile. C’était fascinant et même pas effrayant. Un pur désir impur. 



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© Sylvain Desmille


Au fil des années, les visages des statues sont mis à ressembler de plus en plus à des souvenirs d’amis perdus de vu, un peu comme lorsqu’on retourne en boîtes après plusieurs années, ce ,e sont pas, ce ne sont plus et ce sont toujours les mêmes corps, les mêmes déhanchements, les mêmes moues et les mêmes mimiques, les mêmes postures et les mêmes stéréotypes, un peu comme si rien ne changeait vraiment, sinon soi, au milieu de tous ces gens-statues. Il en va ainsi du Louvre. Certes, je m’y rends moins souvent. Peut-être parce qu’il y a de plus en plus de monde.La rançon du succès, et peut être aussi l’essor du tourisme proportionnel à la croissance démographique mondiale.  Parfois, il m’arrive de rebrousser chemin. Trop de monde pour mon monde. Trop des bruits du monde aussi. Trop des bris du monde. DeLes cris percent dans le brouhahas du coquillage et déchirent les tympans. Question d’éducation. Ou plutôt de savoir vivre. Les visiteurs zappent d’oeuvre en oeuvre en ne leur même pas les doigts d’une mains comme poignée de secondes. Difficile de pouvoir regarder les oeuvres. Trop d’oeuvres et trop de monde, normal qu’il faut que ça aille vite, si on veut « tout » voir, c’est-à-dire assez pour son argent. Faut rentabiliser.


Alors, forcément, j’ai l’impression de marcher à contre-courant. Et souvent on me bouscule parce que je passe trop de temps devant un tableau - il faut qu’ils se prennent en photo, en selfie. Les commentaires ressemblent de plus en plus à des tweets. - lapidaire et avec un  nombre minimum de mots (j’aime pas. J’aime bien. Nul. D’la merde). c’est un peu comme si les Musée eux-même devaient se plier aux diktats des réseaux sociaux. Qu’il avait renoncer à lutter - à offrir d’autres propositions - pour ne pas « faire has been », rester de leur temps en proposant une offre (et non plus des oeuvres) dépassées  au regard de l’environnement. C’est drôle. Alors, je déambule dans le musée en y croisant mes fantômes. Moi contemplant pour la première et pour la quarante-troisième fois le buste du jeune gaulois. Moi, fleurtant dans la grande galerie. Da Vinci. Caravage. Bellini. Chaque fois que je m’attarde, c’est un peu comme si je m’efface. Moi sans moi. Mais il suffit de reprendre la marche pour arrêter l’écoulement du sablier. 


A la revoyure ! 



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J’achève ce parcours gay dans le Louvre par un chemin de traverse. Mon enfer. Le monde des gays et celui des lesbiennes représentent un peu deux univers parallèles, aux combats solidaires certes mais aux polarité différentes. Je m’aperçois d’ailleurs que  la plupart des oeuvres du Louvre exposent des représentation masculine, car elles ont été créées dans un monde dominé par les hommes (il ne faut pas trop le dire, sinon on va accuser le musée de faire la promotion du patriarcat voire des masculinistes, et peut-être le censurer ou même en condamner l’entrée). Les représentations féminines sont présentes en nombre mais elles mettent souvent en évidence une image très digne des femmes, sévère, voire austère tels que veulent les percevoir et les conçoivent les hommes - trop digne peut-être pour être parfaitement honnête. Ce sont soit des mères - des épouses respectables donc respectées - soit des putes. Aussi faut-il prendre les photos qui suivent, plus comme un hommage et un clin d’oeil. Une sollicitude aussi. Pour partager un terrain de bonne entente, entre les hommes qui aiment les hommes et les femmes qui aiment les femmes, au delà de toute misogynie et de toute misandrie. 


© Sylvain Desmille


© Sylvain Desmille


© Sylvain Desmille


© Sylvain Desmille


© Sylvain Desmille 












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