POMPEI IN SITU Photographies de Sylvain Desmille

POMPEI IN SITU, photographies de Sylvain Desmille






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Le 24 octobre de l’an 79 après Jésus-Christ d’après le calendrier occidental actuel, pendant les calendes de novembre de l’année 832 depuis la fondation de Rome selon le calendrier julien, le Vésuve, volcan dominant la baie de Naples, entre en éruption. Une immense colonne de fumées grasses et sombres s’élance vers le ciel, déploie son panache puis abat ses rameaux et balaie les villes d’Oplontis, de Stabia et d’Herculanum. 


Les nuées ardentes s’effondrent sur Pompéi. Les rouleaux toxiques cavalent dans les artères en se poussant des côtes les uns contre les autres. Se chamaillent. Escaladent les fontaines, et se pendent aux branches des arbres. Se ruent et éructent. Chicanent et ricanent. Les flux incandescents montent très vite jusqu’au genoux des habitants, incapables de fuir, à contre-pieds et à contre-courant. La gorge sèche, Marcus Secondus puise une mesure de vin nouveau dans une des dolia - énormes amphores encastrées dans le comptoir de sa taverne - en avale une gorgée puis s’effondre. Stupéfiée par la peur qui l’a saisie et qui l’entraîne par la taille, la belle Julia balance ses mains au dessus du brasero en écoutant la meutes des scories fumantes aboyer sur la toiture recroquevillée. Lucius Caecilius Jucundus laisse échapper une pièce d’or tout juste frappée pour célébrer la quinzième salutation impériale de Titus. Il hésite à la ramasser. Se penche. Trébuche. Les cendres couvrent d’un linceul gris-blancs sa figure. 


Les moulages des cadavres emprisonnés dans les coulées de l’éruption n’ont guère de visage. Les cendres brûlantes les ont rongés à l’os puis encapuchonnés à l’image des âmes errant dans les Enfers d’Homère. Seul les fresques découvertes lors des fouilles en ont conservé la trace et le souvenir. On peut les découvrir in situ dans les divers lieux d’excavations ou, pour les plus belles, au premier étage du Musée archéologique de Naples. 


Rares sont parmi toutes ces figures celles qui présentent un visage heureux. Une inquiétude, une tension, une frayeur rôdent dans leurs yeux et leurs traits. Les plus sereines semblent s’être abstraites du monde et le regardent de loin, comme détachées, absentes. Et c’est un peu un comme si au moment de l’éruption les visages des peintures avaient été saisis eux-aussi par l’effroi. A moins que les artistes n’aient pressenti et anticipé la catastrophe ce qui serait très “romain” en soi. Quand ceux-ci écrivaient une lettre ne s’adressaient-ils pas à leurs destinataires en prenant acte du temps passer à sa transmission ? Pour rester en correspondance. Ainsi, le père se sachant mourant écrit-il à son fils soldat aux confins de l’Empire en prenant en considération qu’au moment où celui-ci lira la lettre en question le cadavre du père aura été incinéré depuis bien longtemps. 


J’ai essayé dans ce travail photographique de retrouver cette dimension de l’entre-temps chère aux Romains. Mais à l’envers. Il ne s’agit pas de me projeter en avant,  comme le père écrivant à son fils au plus lointain. Ces photographies ont été réalisées en 2015 comme si je me promenais dans la cité à son propre temps, alors qu’elle vient d’être détruite par l’éruption et juste avant que les boues, les scories et les cendres ne l’engouffrent pour de bon. C’est un bout des mondes et un entre-temps spécial, un interstice et une fissure où la vie et la morts se conjuguent plus qu’elles ne se déclinent, comme deux liquides de densité différente précipités l’un dans l’autre et déjà se détachant l’un de l’autre comme des acteurs regagnant leurs coulisses. Pompéi n’est plus tout à fait vivante mais elle n’est pas encore morte - ce qui correspond un peu à son statut actuel de ville morte hanté par les touristes, de vestiges intacts mais qu’il faut impérativement restaurer au risque sinon de voir les ruines tomber en ruines et s’effondrer.  


Touriste parmi les touristes (toutes ces photographies ont été réalisées à la queu-leu-leu du flux incessant des visiteurs), je me promène dans les rues et les maisons de Pompéi, Stabia, Omplontis, Herculanum à la manière d’un photographe de la police scientifique, collectant des informations. A la manière d’un Eugène Atget qui photographia le Vieux-Paris de manière sérielle et documentaire, juste avant les Grands Travaux haussmanniens. A la manière  d’un faiseur de cartes-postales envoyées d’un univers parallèle qui serait tout à la fois l’antre et l’autre monde, à l’invisibilité visible et  dans lequel Marcus Secondus boit une seconde mesure de vin nouveau, comme tous les petits matins, Julia réchauffe ses doigts au brasero depuis qu’elle est enceinte et Lucius Caecilius Jucundus ramasse sa satanée pièce d’or qui lui a échappée encore une fois des mains. 


© Sylvain Desmille. 








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