COVID-19 : DÉ-CON-FINEMENT, ET l'APRÈS ? par Sylvain Desmille

COVID-19 : DÉ-CON-FINEMENT, ET l'APRÈS ?  par Sylvain Desmille



POUR CEUX QUI PRÔNENT 
UN DÉCONFINEMENT RAPIDE

La pandémie n'est toujours pas finie et pourtant il faut déjà rappeler qu'elle est sa réalité.
 L'occasion de réfléchir sur l'Avant et l'Après.


FRANCE

PARIS AVANT
(HALL DE RUNGIS)



PARIS PENDANT
(HALL DE RUNGIS)

Cercueils des victimes du Covid-19 uniquement décédées dans les hôpitaux de Paris, hors EHPAD et morts à la maison


 
PARIS APRÈS ?

Le filière viande se félicite de la ré-ouverture des cantines et des restaurants.



ITALIA

BERGAMO 

video

Dans l'église de Bergame, cercueils en attente d'incinération


Convoi militaire transportant les cercueils des victimes du covid-19 de Bergamo



UNITED STATE OF AMERICA


NEW YORK / LONG ISLAND







Fosse commune de Long Island pour enterrée les victimes du Covid-19 dont les corps n'ont pas été réclamés ou par ce qu'il s'agissait de sans abris. Une seconde tranchée a dû être ouverte. Fin avril, le Covid-19 avait fait plus de victimes aux États-Unis que de soldats américains pendant la guerre du Vietnam (Coronavirus aux Etats-Unis) (New York a sous-estimé de plusieurs milliers de morts le bilan du Covid-19)


 
 BRASIL

Manaus









La situation dans la forêt amazonienne est devenue dramatique. Le Covid-19 s'est propagé dans les territoires déforestés. Il s'attaque en particulier aux populations indiennes, comme au temps de la Conquête. Le gouvernement autoritaire de Bolsonaro ne fait rien pour endiguer la pandémie (qualifiée de "petite grippe"), au risque de provoquer un génocide sanitaire (Le Brésil entre autoritarisme et politique de déni - RFI). Seuls les préfets des différents États ont pris l'initiative d'instaurer le confinement des populations, tandis que le gouvernement fédéral fait la sourde oreille : cf Le maire de Manaus demande de l'aide



VIDEO EURONEWS




C'est une sale impression. 
Parfois je me dis que ceux qui prônent le déconfinement rapide, la réouverture des écoles et des restaurants, des lieux de spectacle et des lieux de culte, au nom du retour à la normale (à leur normalité) sont les mêmes qui voilà quarante ans se seraient rassurés en se disant que le sida ne les concernait pas puisque l'épidémie ne tuait après tout que les pédés.  
Et d'ailleurs, les mêmes ne s'étaient sentis ni responsables ni impliqués par les déportations nazies dans les années 1930 puis pendant la Deuxième Guerre Mondiale parce qu'ils n'étaient pas juifs, après tout. 
Et face à la pandémie du Covid-19, nombreux sont ceux qui se rassurent aujourd'hui en se disant qu'ils ne font pas partie des groupes à risques, après tout, pourquoi se soucier des autres dans ces conditions, pourquoi devraient-ils être brimés, spoliés privés de sorties et de vacances, de voir leurs amis, leurs plans cul(s), leurs réseaux,  côte à côte, tous au plus près les uns des autres comme leur reflet dans le miroir ?  Et de nous faire en plus la leçon (ou plutôt la morale, soit disant pour garder le morale), et de confondre par bêtise distanciation physique et distanciation sociale, et plus encore d'invoquer la liberté individuelle pour satisfaire leurs besoins égoïstes, ego-centrés et narcissiques.  Après tout, seul importe ce qui les touche (au propre comme au figuré), ce qui les concerne, ce qui les regarde, eux, et rien qu'eux. Quant au reste (les autres)... Après tout...


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 CLIP VIDÉO À VOIR MORDICUS
 

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Rappelons que si les traitements peuvent réduire le taux de mortalité,  seule l'immunité collective (soit 70% de la population ayant développé des anti-corps protecteurs et immunisants) et la vaccination générale peuvent réduire le taux de morbidité et neutraliser la pandémie.  Ce n'est qu'une question de temps, ce n'est que cela: juste une question de temps, une (é)preuve du temps, une volonté du temps et du temps pris comme un exercice de la volonté. De durée et d'époque. Dans l'air du temps et à l'air du temps. 


Après, accélérer ou non le déconfinement  n'est qu'un choix politique et une responsabilité collective:

soit, au nom de l'avant (de l'économie, du conservatisme c'est-à-dire de la volonté de ne rien voir changer) on laisse les gens mourir, au nom du principe naturel selon lequel seuls les plus forts doivent survivre et après advienne que pourra (dimension naturaliste que l'on retrouve dans la théorie darwiniste de la Loi de la jungle reprise par Adam Smith, théoricien du libéralisme économique, pour définir la nature réelle des rapports sociaux fondés uniquement sur la satisfaction individuelle et égoïste de ses intérêts particuliers,  le bonheur de tous n'étant perçu que comme la somme des besoins et des désirs satisfaits de chacun  - lire à ce propos l'article de Gilles Alfonsi),

soit, au nom de l'après (c'est-à-dire en prenant en acte de tout ce que la pandémie a mis en évidence des forces et des faiblesses de nos société, pour changer l'état des choses du monde au mieux), on décide de mettre tout en œuvre pour sauver des vies (dimension plus culturelle car refusant de jouer le jeu du diktat naturel, éthique qui entend fonder l'individualité sur des principes d'équité et de solidarité - le bien commun / un nouveau Welfare State - respectueuse autant de soi que des autres).


La société de l'Avant est celle de l'Avoir. Elle est individualiste, égoïste, narcissique. Le moi-moi-moi est la seule valeur de référence, le seul horizon et la seule perspective possible (moi du visage, moi du selfie, moi qui regarde le selfie sur mon smartphone-miroir). Elle est immature: on se considère "jeune" jusqu'à 25, puis 30, puis 35 ans et même  la quarantaine
passée, il faut paraître "jeune", refuser la maturité;  puis, à partir de 55-60ans on devient des jeunes (pré)retraités, des vieux jeunes jusqu'à plus de 70 ans, puis des jeunes vieux... Il est d'ailleurs intéressant que la grande majorité des créations Netflix mettent en scène des comportements adolescents, et en situation des adolescents qui sont en réalité des jeunes adultes... L'irrévérence y est un gage d'authenticité. L'esprit festif (la peur de la solitude et de l'ennui), la norme. C'est aussi un conformisme qui soute-tend une mise en conformité de la société. C'est aussi une mise en abîme, au propre comme au figuré, l'adolescence renvoie à une époque de la vie auto-centrée sur elle-même, sur son nombril et ses boutons d'acnée, sur ses expériences. C'est un monde cyclique qui se  reproduit à chaque nouvelle classe d'âge, qui reproduit les mêmes comportements à chaque nouvelle génération. C'est un monde fermé, comme dans le mythe de Sisyphe (la version contemporaine en serait les différentes saisons de la série Skins), dont on s'échappe précisément lorsqu'on cesse d'être adolescent (au pire vers 20-22 ans).

Immature, la société de l'Avant est aussi infantilisante: on s'adresse aux autres (à tous ce qui n'est pas moi) comme s'il s'agissait de gamins, au nom du "pédagogisme". C'est aussi une manière de les dominer (cf. la tendance de la publicité actuelle, peu importe le produit d'ailleurs: la communication prime sur l'objet à vendre). Le comportement adolescent fantasmé par ceux qui ne sont plus des ados y définit les normes et les rapports entre les individus (on ne parle d'ailleurs plus de rapports sociaux). Les nouvelles  sociabilités privilégient  l'exhibitionnisme (cf, toutes les émissions de téléréalité) mais cet exhibitionnisme n'est pas absolu (ce qui pourrait être une forme de liberté), au contraire, il est censuré par le bon goût et le politiquement correct (cf "la charte de bonne conduite" de YouTube ou Facebook, sites qui pourtant se nourrissent de l'exhibitionnisme contemporain et qui prétexte de la sensibilité de l'autre pour interdire les contenus qui correspondent pas à l'idéologie des sites). La société de l'Avant encense le déterminisme des apparences (le look, la marque, la mode, le sport, le corps, la posture, la mise en scène), tout en faisant l'éloge du confort matériel et physique, du "naturel" (les tongs et les claquettes, le short et le jogging - réputés confortables - le grattage des couilles, le barbeuk et la bière).

Cet éloge du confort est aussi mental et intellectuel. Rien ne doit être une "prise de tête" et la mise à mort du culturel est laissé au nouveaux tueurs des séries. A cet égard, il tend à substituer démocratisation et médiocratisation: le but n'est plus d'être au niveau mais d'avoir un niveau, ce qui est plus facile et plus confortable, comme cela le moi n'a pas à répondre au jugement des autres. Il fait écho à la volonté de déresponsabilisation (car prendre ses responsabilités n'est pas confortable) et donc à l'exigence de délégation (la stratégie est de n'être jamais pris en tant que moi en défaut en rejetant la faute (la responsabilité de ses manquements et de ses erreurs) sur les autres: les parents sur les profs, les profs sur leurs collègues, et dans les entreprises les collègues sur leurs subalternes ou sur celui dont on lorgne le poste ou dont on veut récupérer l'avancement, et tous sur les politiques.

La recherche du confort sous-tend également la négation de la notion d'effort, jugée trop contraignante. A l'école, tout doit être ludique, et il n'est plus question de donner des devoirs à la maison, car jugés traumatisants (pour les enfants et plus encore les parents), ni de faire apprendre les règles de grammaire, des poésies ou les tables de multiplications (il y a des machines et les correcteurs d'orthographe pour cela). On préfère faire travailler l'imagination que la mémoire. On oublie que la richesse de l'écriture automatique des Surréalistes s'expliquaient par leurs bagages intellectuels, leur culture et leurs références. Désormais, communication oblige, la reproduction des poncifs et des clichés, des truismes et des banalités, des opinions simplistes et des stéréotypes est jugée préférable, car compréhensible sans trop d'effort et surtout par tout le monde. L'hypocrisie suprême consiste à ne plus noter les progrès mais précisément les efforts de l'enfant: des couleurs lui indiquent s'il peut se contenter de sa zone de confort  ou s'il doit faire des efforts (sa punition) pour y retourner. L'orange macroniste (le bronzage présidentiel) est un purgatoire entre l'Enfer rouge communiste et le Paradis vert écologiste. Au moins, le conditionnement idéologique est clair. 

Cette exigence du moins d'effort et du moindre effort est constante. Dans la  rue, on délaisse les trottinettes et les vélos (trop) classiques (donc ringards) pour se laisser porter par les engins électriques. Le transport individuel (individualiste), autonome, est privilégié au transport public car collectif, même s'il est aussi de bon ton de se déplacer en équipage (en meute) comme lors d'une chasse à cours. 

A dire vrai, la question n'est pas celle du progrès technique, toujours bénéfique, mais du processus mental et comportemental qu'il révèle. Ainsi, ceux qui utilisent la trottinette électrique, par facilité et par confort, sont les mêmes qui vont faire du jogging en tournant en rond comme les auréoles. Mais cet effort là n'est pas perçu comme contraignant, plutôt comme sanitaire et salutaire, sportif donc ludique, utile aussi pour s'entretenir: entretenir l'image de son corps, sa représentation.

De même, au lieu de faire l'effort d'écrire un texte original, on privilégie le montage de copier-coller, par facilité et incapacité. Les thèses qui nécessitaient des années de recherches ne sont plus que des synthèses, des compilations et des mises en abimes des travaux existants, mais réadaptés (modernisés dans leur présentation) et "ré-appropriés" comme les tubes anciens par les nouveaux talents de The Voice (d'ailleurs, le conseil récurrent des coachs n'est pas de dire aux candidats qu'il leur faut travailler mais "prendre du plaisir", "se faire plaisir"). Au lieu de trouver une nouvelle matière à penser, on préfère reformuler ce qui a été déjà fait. La rhétorique se substitue au concept, depuis que l'éloquence est devenue un concours de circonstance (la plaidoirie, le rap). Grâce à l'acquisition de techniques, on nous invite à défendre aussi bien la thèse que son antithèse. Et comme la forme prime sur le fond, le coupable et l'innocent sont mis à égalité, au même niveau, car la rhétorique ne se préoccupe pas de la culpabilité ni de la véracité des dires. La question éthique importe peu  face à l'art de la formule, de la punchline, de la petite-phrase et du slognan. Il suffit que l'énoncé dénonce pour que la peine à mort soit prononcée.  Évidente, rapide, percutante, compacte, non seulement la formule nécessite moins d'effort, et en plus elle en appelle aux sentiments (le faire rire, à tout prix, quitte à devoir ensuite passer chez le chirurgien esthétique pour effacer les rides d'expression).

Le monde d'Avant les considère d'ailleurs comme plus justes, plus réels car immédiats et naturels (cf. la pression hormonale comme chez les adolescents). A l'inverse, on rejette toutes les  démonstrations rationnelles, toujours trop longues et de plus en plus souvent dénoncées comme une forme de manipulation élitiste, (donc) complotiste. Enfin, la société de l'Avant est celle de la satisfaction immédiate des besoins et des désirs (cf. les applications de rencontres), du tout tout de suite, et des rapports sociaux perçus comme une compétition et une consommation, jeu du je mis en je(u).

L'Avoir y définit l’Être. On est ce(ux) que l'on possède, ce(ux) que l'on montre.  Tout est dû et tout est un dû. L'autre - tout ce qui n'est pas moi - est juste considéré comme une utilité et un utilitaire. La notion de collectif n'est envisagée qu'en fonction d'une appartenance à un groupe. Il n'est jamais une perception d'ensemble, mais un ensemble, parcellaire, qui agit ensemble et uniquement en fonction de ses intérêts (la bande, la meute, la mafia, le réseau social qui n'est lui-même qu'une individualisation du collectif, égocentrique et narcissique). Le groupe détermine une morale qui entend rompre avec la Loi collective (Cf. les avis et opinions sur les réseaux sociaux l'essor du harcèlement et du lynchage médiatique). Le démocratisme (le chacun pour soi au nom de tous) y apparaît comme une contestation de la démocratie: on ne croît plus dans la représentation nationale précisément parce qu'elle réfléchit le collectif. 

Dans la société de l'Avant, le communautarisme se définit d'abord en lui-même et par lui-même, selon ses critères et non en vertu du bien commun. A l'échelle de la société, celle-ci peut se représenter comme la somme des communautés, exactement comme dans la théorie libérale le Bonheur est la somme des satisfactions égoïstes. Le communautarisme  serait-il dès lors un égoïsme (un racisme, une différenciation et une opposition à l'autre et à tous ceux qui n'appartiennent pas à sa communauté) ?  Ce n'est peut-être pas un hasard si les pays et cultures qui ont pris le communautarisme comme modèle de société sont d'un côté les États-Unis, ultra-libéraux, (une manière aussi pour les WASP de garder le plus longtemps possible le contrôle) et de l'autre les pays musulmans comme l'Arabie Saoudite ou l’Égypte qui distinguent les communautés religieuses comme au temps des Guerres de Religion en France. 

Dans cette société de l'Avant, la facilité et la disponibilité sont perçues comme une forme d'efficacité (il suffit de taper sur internet). La culture définie comme l'acquisition de connaissances communes et partagées en vue d'instaurer débats et dialogues, de devenir une force de propositions nouvelles, est bannie. La modernité consiste à refaire sans cesse ce qui a déjà été fait, en affirmant qu'il s'agit de quelque chose de nouveaux au prétexte qu'on nie la référence ancienne précisément parce qu'elle appartient au passé. A Hollywood on fait les remakes des remakes (Batman, Spiderman) et les émissions de télé-crochet ne présentent pas de créations originales mais uniquement des reprises modernisées pour l'occasion (cf. the Voice) comme s'il s'agissait d'une mise en abîme. Sur les réseaux sociaux dit de rencontre, on recherche les personnes de même "type", "genre", "race", conformes et semblables à nos désirs, à nos attentes puis on rabâche sans cesse les mêmes rengaines - appelées désormais "conversations" - souvent en menant plusieurs "dialogues" de front, puis on baise toujours selon le même rituel et dans les mêmes positions - seule la tête / corps du partenaire change. Signe de ces temps assez tristes, aucun mouvement musical qui soit affirmé aussi être un mouvement culturel majeur n'a été crée depuis la techno et le rap au XXe siècle (c'est assez symptomatique). Les artistes contemporains ne seraient-ils dans leur majorité que des suiveurs, des faussaires, des copistes ou des plagiaires: des classiques au fond ? (lire l'intéressant et pertinent article de Jean Mairet dans Artpress dont l'intelligence ouvre bien des pistes de questionnements).
 
Le retour à l'Avant est une facilité, parce qu'il s'agit juste de revenir à la normale (sans avoir à se demander si cette normalité est normale), de restaurer ou de conserver un modèle ayant existé et perçu par les nouvelles générations comme originel (le seul qu'elles ont connu). Le retour à l'Avant, c'est le retour au quant-à-soi et à ses intérêts (donc au collaboratif, exactement comme au temps de la Collaboration), aux incivilités (devenues un symboles de libertés), à l’injustice (c'est-à-dire au refus d'exercer et de rendre justice), à la loi de la jungle dite "naturelle"(et parce que naturelle) donc au déterminisme, au mépris, au narcissisme, à l'oppression, au totalitarisme du moi qui n'identifie l'autre qu'à condition qu'il lui soit identique comme un reflet à son miroir, et au néofascisme d'un communautarisme de semblable pour qui les autres n'existent pas sinon à abattre. C'est la mondialisation qui se substitue à la civilisation. C'est tout ce qu'il y a de pire dans la nature humaine (de l'espèce opposée à la culture humaine).

En fait l'idée même de retour est une régression. C'est un peu comme revenir à la société d'Ancien Régime, en l’occurrence celle d'un remake du Second Empire version XXIe siècle,  plus hypocrite et plus égoïste encore que son modèle de référence. Par exemple, dans le modèle contemporain, ceux qui dénoncent les inégalités sont ceux qui sont aussi les premiers à les exploiter. On prend plaisir à se faire conduire en VTC un peu comme si on possédait son propre chauffeur (sans avoir à payer les charges sociales pour lui). Plus les émissions de cuisine se multiplient comme des petits pains à la télévision, plus nombreux sont ceux qui se font livrer leurs repas chez eux, à moindre coûts par les coursiers, nouveaux esclaves estampillés auto-entrepreneurs par les plateformes collaboratives. Les mêmes condamnent l'exploitation des étudiants et des nouveaux immigrés - estampillés "migrants" comme si on attendait à ce qu'ils se déplacent en permanence, quelque part, pour toujours c'est-à-dire jamais, chez eux autrement dit pas chez nous. 

Cette économie de services est devenue une société de services (de charité et de servitudes, comme au XIXe siècle). Le plaisir de se faire servir exprime un profond et singulier contentement du moi, l'auto-satisfaction d'une caste soucieuse de toujours déléguer pour ne pas avoir à prendre ses responsabilités et qui puise en plus dans cette délégation un pouvoir fondé essentiellement sur un ressenti de supériorité. Il est à cet égard la manifestation d'une société du mépris (du ricanement, de la rumeur), dans laquelle la médiocrité s'est imposée comme un étalon de référence (à l'école, dans les concours, dans le milieu professionnel), une société de frustrations (en témoigne la hausse exponentielle des harcèlements sur les réseaux "sociaux" au fur et à mesure que s'allongeait la durée du confinement).

La société de l'Après pourrait-elle devenir une société de l’Être ? Non du moi-moi-moi (la sainte Trinité contemporaine) mais d'une révolution du soi,  du collectif perçu non comme un collectivisme ni un fascisme ni un totalitarisme, ni une addition d'individualités ni leurs dictature, mais comme une éthique, celle d'un ego se définissant d'abord au souci des autres  (pas au regard ni en fonction, mais je dis bien : au souci de l'autre) ? Du moi qui se conçoit d'abord comme une altérité, non par essence ni comme essence mais dans la curiosité et le respect. Une société de l'Autre, et à terme de l'autre c'est-à-dire du non moi, pas forcément de l'opposé ni même du différent, mais juste une reconnaissance du non-moi.

Cette société de l'Être n'est ni une métaphysique, ni une mystique, ni une religiosité (la société de l'être n'est pas celle de l'être suprême). Elle n'est en aucun cas un sacerdoce ni une religion. Elle ne doit surtout pas devenir une idéologie ni un idéalisme. C'est une prise de conscience et un état de conscience (qui n'oppose pas ration et sentiment), c'est peut-être encore un pragmatisme (toute la question est de bien définir la nature et la fonction de "l'intérêt"). C'est toujours une mise en perspective (toute la question est de bien définir le point de référence et la visée). Ce devrait être toujours un paradoxe (en tout cas, il ne devrait pas refuser d'affronter le paradoxe, le contradictoire, l'impossibilité). C'est surtout du concret (l'application effective de la loi et de la justice sociale).

La société de l'Être n'est pas un rapport de force (elle ne cherche pas plus à imposer sa différence aux autres qu'à se différencier des autres). Elle n'est ni une aliénation ni un prosélytisme. Elle est une aventure. Elle est sentiments et désirs (il s'agit d'un désir non compulsif, mais apaisé, un désir qui se satisfait en prenant soin d'autrui). Et parce qu'elle touche à l'être, elle est la reconnaissance et l'acceptation de cet être de chairs, boutonneux, mature et vieillissant, dynamique et malade, inquiets et questionnant  (qui cherchent des réponses). Un être d'effort et non de force ni de violence.  Un être qui ne soit pas une image du corps, un faire image, une représentation mais une prise de conscience du corps comme forme d'auto-métamorphose et de transformation. Un être qui ne nie pas le temps mais qui l'encourage et qui s'encourage à sa durée, à son existence. Qui l'accepte et qui y accède. Un être qui n'est pas une complaisance mais une culture définie comme un lieu de réunion, une curiosité, un cosmopolitisme, une liberté et non comme lien d'appartenance, d'identité et donc de soumission.  Un être qui  analyse tout et qui met tout en doute, y compris lui-même, qui réfléchit avant d'appliquer, mais vite, qui ne se soumet ni aux ordres ni aux diktats parce qu'il ne refuse pas ses responsabilités. Un être non de réseau mais de rhizome. De ferveur et non de foi. Qui ne recherche ni ne redoute la solitude du confinement. Un être libre.

Alors, oui, inventer l'Après est bien moins confortable, car cela implique réflexion et volonté de voir le monde autrement, cela nécessite aussi beaucoup de travail et d'efforts, de rigueur et de concentration, un esprit d'ouverture et d'imagination. Aux lendemains des deux premières guerres mondiales, les artistes européens puis américains ont eu à cœur de transformer le monde en en changeant la perspective et la représentation. Le ready made de Marcel Duchamp exprimait la volonté d'en finir avec la culture du re-make. Peut-être que cette fois-ci il appartient à l'Asie d'être à l'initiative de cette nouvelle dynamique. En tout cas, les séries destinées aux ados (par exemple, en Thaïlande, celles diffusées par  GMMTV ou LINE TV) n'ont rien à voir avec celles des plateformes comme Netflix. Et c'est rassurant.  

Peut-être que la pandémie ayant été mondiale va nous permettre de nous projeter dans une mondialisation nouvelle ( cela va toutefois être un sacré défi, l'instinct de survie privilégiant plutôt le grand renfermement sur soi et la partition du monde en blocs moins complémentaires qu'en compétition) ? Peut-être que le maintien des règles de distanciations physiques sur un long terme va changer notre manière de nous appréhender nous-mêmes, de nous voir - non au plus proche, en selfies, de face à face  mais en pieds - à condition que cette mise à distance n'amplifie pas la défiance et la suspicion envers l'autre et les autres, mais au contraire, qu'elle nous permette d'inventer de nouvelles formes de rapprochement, de trouver des moyens de réduire cette distance, de définir un nouveau rapport à soi (et pas au moi) qui soit un réel souci de l'autre ? Peut-être devrions nous surtout nous intéresser aux pays qui ont réussi à juguler la pandémie, plus par volonté et exigence que grâce à leurs moyens (je songe à l'Italie, à la Grèce, à la Corée du Sud, à la Mauritanie dont nous devrions nous inspirer: il conviendrait que les Grandes Puissances condescendent à prendre en exemple les plus petites). En tout cas, ce défi peut être une vraie chance pour l'humanité. Changer de monde pour changer le monde, c'est vraiment enthousiasmant.

Avant d'être un projet économique (un nouveau Welfare State ou État Providence sans doute fondé sur une répartition nouvelle entre "avantages absolus" et "avantages comparatifs"), avant de poser la question de la régulation de la démographie (la pandémie devrait être appréhendée et analysée comme un régulateur écologique et démographique, une auto-défense de  planète contre une humanité qui est en passe de la détruire) , cette société de l'Être pourrait est rapidement effective grâce à un simple changement de valeurs et de comportement (ce que le confinement aurait dû mettre en œuvre, mais qui a échoué). 

Au regard de la société de l'Avant, nous sommes tous responsables et coupables, quelques soient les générations, nous avons tous profité de ce système,  nous sommes tous comptables de la situation (et c'est précisément ce qu'aurait dû nous enseigner la pandémie actuelle, changer notre point de vue en intégrant la réalité comme collective). Se projeter dans l'après, c'est aussi réfléchir à notre innocence. C'est aussi l'idée qu'on puisse penser le meilleur et l'avenir. 

Les pandémies ont été un moteur de transformation des sociétés occidentales, parfois pour le meilleur (Le Gothique Flamboyant, La Renaissance, La Réforme) et souvent aussi pour le pire (L'Inquisition, les génocides amérindiens, la superstition et l'Intégrisme religieux). Ouverture ou fermeture, à nous de voir à quelle société de l'Après  nous aspirons désormais.


© Sylvain Desmille

On estime à plus 9000 le nombre de victimes du Covid-19 décédées à domicile en France. Ces morts sont à ajouter au bilan quotidien.
 Morts à domicile / Le Parisien




Sitôt le décès constaté, la famille immédiate a cinq minute pour choisir le cercueil où la victime du Covid-19 sera placée telle quelle est morte, sans toilette ni préparation, puis aussitôt scellé et transporté à la mogue ou dans les entrepôts réfrigérés réquisitionnés à cet effet.
Un entrepôt ouvre à Mulhouse pour stocker les morts



Post Scriptum 1

Pour ceux qui pensent que le Covid-19 ne les concernent pas puisque même s'ils attrapent le virus, ils n'en mourront pas (" c'est juste une bonne grosse grippe"), pour ceux aussi qui, parce qu'ils ont eu le virus et donc que ça ne les concerne plus, veulent égoïstement revoir les enfants à l'école et à tous ces professeurs qui disent que les élèves leur "manquent": pour satisfaire leur narcissisme ou palier leurs frustrations, au risque de mettre volontairement et délibérément en danger la vie d'autrui, directement et indirectement, par action et par omission:


Covid-19: syndrome de Kawasaki, le père de l'enfant mort témoigne (Le Parisoen)

Covid-19: plusieurs écoles françaises fermées après la découverte de cas positif (BFM)

Covid-19: 135 enfants français atteints par la maladie de Kawasaki, 1 mort (Le Figaro)

COVID-19: un enfant meurt à Marseille (Le Point)

Covid-19: les Etats-Unis confirment une maladie liée au virus chez les enfants (Ouest France).


Déconfinement: l'encadrement des enfants à l'école créent la polémique 


Covid-19: selon l'UNICEF, e virus pourraient tuer indirectement 6000 enfants par jour


Le Covid-19 et les enfants (Ouest France)


Covid-19: nouveau foyer de contamination dans un collège de la Vienne (France info)


Covid-19: mort d'un enfant de 5 ans à New York 


Covid-19. Universités de Berlin & Cambridge: charge virale des enfants égale à celle des adultes 


Covid-19: défaillances cardiaques chez les 8-15 ans


Covid-19: syndrome de Kawasaki ches les enfants de Londres et d'Île de France 


 Covid-19 et syndrome respiratoire chez les jeunes: l'alerte du centre Necker


Covide-19: des cas sévères chez les jeunes 


Covid-19: les 15-50 ans de plus en plus touchés


Covid-19: une étude française recommande le confinement des plus fragiles jusqu'à février 2020  




 Post Scriptum 2

Si "le moi est bien la somme des état de conscience" (mais chez Merleau-Ponty, cette somme est tout à la fois une addition et une soustraction, une division et une multiplication, un va-et-vient entre l'espace euclidien et weylien), autant profiter du confinement pour tenter de stimuler notre conscientisation, en vue de l'après, en (re)lisant par exemple:

Sur la liberté individuelle comme souci de l'autre (pour l'autre):

Fernando Pessoa,  alias Alvaro de Campos, Ultimatum, 1917 et ré-édité en 1993.

Robert Antelme, L'espèce humaine,  Gallimard, Paris 1957.

Georges Bernanos,  Les Grands Cimetières sous la Lune, Plon, Paris 1938.

Simone Weil, Oppression et liberté, Gallimard, Paris 1955 et peut-être plus encore l'Enracinement , Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain, Gallimard, Paris 1949. 

Sur la liberté individuelle comme un regard en soi pour l'autre :

Pascal Quignard, Dernier Royaume, en particulier:

Les Ombres errantes, Grasset, Paris 2002.
Sur le Jadis, Grasset, Paris 2002.
La Barque silencieuse, Seuil, Paris 2009.

Sur la nature humaine:

Tacite, les Histoires et les Annales, in Œuvre complète, La Pleiade, 1990.

Catulle,  Poèmes,  voir Éditions de la Différence, 1989 ou Tristram 1999.

mais ce ne sont que des pistes, des sentiers, des chemins de traverse.


SD

Commentaires

  1. Merci Sylvain.Toujours un bonheur de recevoir tes lumières.
    Merci également pour ton port folio Italien.
    Remarquable;Poétique et angoissant.
    Amitiés.
    Bruno Debrandt.

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