PÉDALE, UNE AUTO-FICTION DOCUMENTAIRE DE SYLVAIN DESMILLE DIFFUSÉE PAR FRANCE 2


Sylvain Desmille, après l'agression. 



Sylvain Desmille.


Le  film de Sylvain Desmille, Pédale, est une auto-fiction documentaire sur la construction de l'identité sexuelle au regard de l'homophobie. 

Une production Les Batelières productions (Julie Guesnon Amarante et Justine Henochsberg) et l'INA avec la participation de France Télévision et LCP-Assemblée nationale. 





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Audiences France 2 / Première diffusion: 


"Pédale a enregistré le 15 mai à 00:40 une audience moyenne de 230 000 tvsp pour 6,7% de PdA ! ET C'EST UN RECORD EN AUDIENCE ET EN PDA POUR CETTE SAISON !" analyse le chargé d'études de France Télévision. 

Extrait 1



Pré-générique Pédale




EXTRAITS DES NOMBREUX 
COURRIERS SPONTANÉS REÇUS


(et pas une insulte)


Je me permets de vous écrire car je viens de voir votre documentaire, PÉDALE et je me suis tellement reconnu car je suis né en 1967 dans une ville du Pas de Calais et j'ai affronté les choses comme vous j'ai vécu avec la peur. Mais moi, dans mon chemin j'ai n'ai pas eu le courage comme vous, je me suis enfermé dans une relation avec un cousin pendant des années qui me permettait de m'évader pendant un instant et de vivre les plaisirs avec un garçon mais cette peur je vivais et vis encore avec car je sais le mal que l'on se fait et moi je n'ai pas tenté de me suicider mais je me suis détruit petit à petit, tout d'abord je me suis mis à prendre du poids à l'adolescence tellement je gardais tout en moi et dès la fin de ma relation avec mon cousin ,j'ai continué à grossir et laisser diriger dans ma vie par peur. J'ai été moins fort que vous car j'ai subi ma vie au mieux de la vivre et la peur de tous les maux de votre documentaire je n'ai pas réussi à les gérer et me suis renfermé dans une vie triste sans plaisir et tristesse car je n'ai pas trouvé la force comme vous. Mais depuis quelques mois je travaille avec une psy avec qui j'ai réussi à lui dire mes maux et je me sens mieux et elle me donne les armes pour arrêter de me détruire car finalement je pense que c'était un genre d'appel au secours que personne ne voyait et ne comprenait car je ne disais rien car la peur dirigée ma vie. Mon poids m'a mis en danger et ma psy me remet en confiance et elle a du boulot car finalement avec elle j'ai réussi a lui dire que j'étais homosexuel et des documentaire comme le votre qui me met face a une partie de ma vie et que vous avez vécu la même jeunesse que moi ,je vous remercie pour le message positif que vous envoyez et qui fait du bien ,sachez aussi que j'ai fini  de le regarder en pleure alors encore merci pour le bien de votre documentaire .J'espère que je ne vous  ai pas trop dérangé et pris de temps avec ce mail mais il fallait que je vous dise le bien que vous m'avez fait. Merci merci, je vous envoi toutes mes sincères remerciements.

 J-A. S.




Bonjour, 

Je viens à l’instant de terminer de visionner votre reportage diffusé sur France 2 cette nuit. 

J’ai été ému aux larmes. Parce que j’ai découvert votre histoire. Celle d’un homo perdu dans sa génération. Tout comme je l’ai été. 

Nos générations sont bien différentes ! Mais les ressentis, les émotions, et les stratégies d’évitement sont les mêmes ! 

Je voulais simplement vous adresser mon merci le plus sincère... Je vais demander à mes parents de regarder ce reportage ; Même si certaines images heurteront leur sensibilité, j’ai espoir qu’ils comprennent enfin pourquoi je compte continuer de participer à la gay-pride. Et surtout continuer de défendre toute les minorités et toutes les différences. 

Merci encore d’offrir au monde cette image de notre communauté. 

Merci.

Lucien L.


***


Pédale ! Est une oeuvre majeure, qui raconte précisément mon expérience, (et toutes les autres) mais surtout la manière dont je voudrais le partager avec mes parents.
Merci pour ce témoignage, cette analyse si précise. 
J'ai vu votre doc' une 1ere fois en Mai 2019 quelle claque : bien que né à la fin des années 70 j'ai très clairement vécu le moindre mot, la moindre image de ce doc. Vous ne pouviez pas mieux décrire ce parcours de vie compliqué, j'ai eu le même comme tant d'autres of course. Merci d'avoir résumé tout ça de manière si limpide, compréhensible et juste. Bon au risque de me répéter ... non bref...
Merci. Un grand Merci
Cordialement, 
Axel P.-Pédale


***


Monsieur, 
Quand j'ai lu le mot Pédale ! annonçant la diffusion de votre documentaire sur internet, j'ai ressenti comme une effraction. Ce seul mot, écrit sur un écran  a réveillé en moi des douleurs enfouies, qu'il fallait bien mettre à jour pour les combattre. 
J'ai donc regardé votre documentaire. J'y ai trouvé bien des similitudes, notamment ces insultes comme des gifles reçues, jeune enfant. 
Je souhaite juste vous remercier pour votre travail et ce témoignage utile. 
Pour oublier ces insultes qui me blessent encore, j'ai d'abord fui. A Paris d'abord, dans ce milieu gay la nuit que j'ai tant côtoyé et infirmier en maladies infectieuses le jour où j'ai vu tous ces jeunes hommes mourir du SIDA. En vous écrivant je me rends compte que la nuit je les voyais vivre et jouir. Le jour ils agonisaient. (...) Les mots Pédale, sale pédale, tapette n'y sont peut être pas pour rien. 
Alors merci pour votre travail qui, ce dimanche, m'ont donné envie d'écrire, de réfléchir, de comprendre et d'agir. 
Merci
Y.

***


Bonsoir,



Insomnie. Descendue faire un petit tour devant la télé pour tenter de me rendormir, je suis tombée en zappant sur cette "auto-fiction documentaire", par chance quasiment au début.

Je suis restée, captivée, et Pédale ! vient de se terminer. C'est donc là juste un petit mot spontané, pour vous dire mon émotion et mon admiration. Je ne saurais trop analyser tout ceci, là, à chaud, mais j'ai été saisie par votre choix des images et leur montage, remarquables, associés à la qualité et à l'intensité de votre récit ; touchée profondément, également, est-ce besoin de le préciser ?C'est un travail magnifique, dont je tiens à vous féliciter, et aussi tellement nécessaire...Je vous en remercie donc, vraiment.

Bien cordialement, bien admirativement, bien affectueusement,

Cécile

Hétéro (mais quelle importance ?)





***



Salut, 

j'ai vu le documentaire qui est passé sur France 2 hier soir, c'est assez dur à regarder, moi qui me plains toujours de ce que j'ai vécu... finalement ma vie n'est pas si moche, mais nous ne sommes pas de la même génération, la mienne est plus ancienne, alors ça doit jouer. Vincent.



***


Bonsoir,

(...) C'est en voyant votre film que j'ai compris ce que mon fils avait vécu. En tant que mère, je ne m'étais jamais rendue compte de rien, et jamais de la violence qu'il avait subie. J'ai pleuré toute seule, et quand je l'ai revu en replay, j'ai pleuré avec mon compagnon. Votre film m'a rendu fière de mon fils. Alors merci pour votre film et tout ce qu'il a contribué à faire voir. Dominique.

***


Cher Monsieur, 

juste ce petit mot pour vous remercier et vous féliciter pour votre excellent documentaire sur l’homosexualité diffusé sur « France 2 ». Ancien militant proche de la revue « Gai Pied », je serai heureux de pouvoir me procurer le DVD de votre film : « Pédale ».

Merci de votre retour. Bien cordialement,

Hugues.


***


Bonsoir, 

j'ai vu pédale. Je suis une fille et franchement j'ai kiffé. Bon courage. Laura.


***

Bonjour, 

Je viens de voir votre documentaire "Pédale" qui m'a bouleversé. Je dois avoir 10 ans de plus que vous mais j'ai eu l'impression de relire une partie de vie. Troublant.
Ma vie n'est plus à Paris. Je suis aujourd'hui marié avec mon compagnon avec lequel je vis depuis 30 ans. Un très grand merci à vous. Dominique.


***
Bonsoir, 

Je viens de regarder ce documentaire magnifique. Pourriez-vous m'indiquer comment me procurer sa musique originale ? Je vous en remercie par avance. Sincèrement, Sylvie.

***

Bonjour,

Il s’agit ici d’un des nombreux messages que vous avez dû recevoir…. 

Un grand bravo au réalisateur Sylvain Desmille pour la qualité de son travail, la justesse du ton, et les éléments de parcours communs à nous tous dans lesquels il est si facile de se retrouver. J’ai beaucoup apprécié également l’utilisation d’archives personnelles, et d’images de l’époque que j’ai également vécue. Bien à vous, Philippe.


***
Bonjour,

par hasard, j'ai vu votre film en replay. J'ai beaucoup aimé. Je vais avoir bientôt 19 ans et je m'y suis beaucoup reconnu. Je n'ai pas fait mon coming-out. C'est pas facile. Merci encore. Faudrait que tout le monde le voit.  Vous êtes sur les réseaux sociaux ? Merci. T.

***


Bonsoir Sylvain,

Un peu terrassé par le rhume des foins, j'ai voulu me poser devant la télé et regarder ce documentaire sur l'homophobie dans le foot en replay. Finalement, j'ai opté pour un autre documentaire qui m'a semblé bien plus susceptible de m'intéresser. J'ai donc découvert "Pédale".
Votre documentaire m'a bouleversé. J'ignore si c'est parce que j'ai repensé à bien des étapes de ma vie (je suis né en 1965). J'ignore si c'est parce qu'il est question dans celui-ci d'homophobie, du VIH, de suicide, du rejet, d'insultes homophobes, de célébrités qui ont compté pour moi. Toutefois, ce qui est clair, c'est que votre documentaire m'a bouleversé. Je l'ai trouvé bien monté. J'ai trouvé les images bien choisies. J'ai trouvé le texte très cohérent, très émouvant, très intéressant. J'ai lu et vu beaucoup de choses sur ce sujet. Néanmoins, j'ai appris plein de choses.

Bref, juste un message pour vous remercier du bien qu'il m'a fait !

Bravo et merci encore !


***

Bonjour Sylvain,
J'ai vu hier votre film en compagnie d'un jeune ami de 18 ans, qui a effectué récemment son "coming out" dans la plus grande douceur et naturalité. Et qui n'avait pas, ou très peu conscience de cette intériorisation délétère qu'expose si bien votre film : la honte, la peur, la gêne, les bastonnades, le sentiment d'être de trop, ou pas comme il faut. Monsieur 18 ans n'était pas loin de hausser les épaules, de prendre son cas pour une généralité.
Le film remet les choses à leur place avec simplicité, et évidence. Il porte une vertu éducative, pas seulement émotionnelle.
Tant mieux, au fond, si l'histoire épargne les futures générations (pas toutes, malheureusement, comme on peut le constater chaque jour).
Il n'en reste pas moins que ma "naissance" à la pédalerie fut douloureuse, et que votre film m'a beaucoup touché. Il met des mots sur un impalpable de l'adolescence.
Les archives d'enfances sont oniriques et légères, elles racontent un destin.
Je note une phrase, qui me parle à plusieurs titres : "Je baise beaucoup, pour honorer ceux qui sont morts."
J'ai été ému, enfin, par cet "homme de la vie" dont vous faites mention à la fin. Je me suis dit que tout le monde ne rencontrait pas "un homme de la vie".
J'ai aimé la musique qui accompagne ces images, et la mention de Cliff, Guibert, Faucon. C'est Bernard, d'ailleurs, qui m'a transmis votre adresse. 
Amicalement,

Arthur Dreyfus.


***

Cher Sylvain,

Vous me permettrez de vous appeler par votre prénom. C'est ce que je fais avec celles et ceux qui me sont proches. Si je ne vous tutoie pas, c'est parce que le respect que j'éprouve ne me l’autorise pas, même si le désir de le faire me brûle... comme quand on s'adresse à un très proche.



Proche, vous l'êtes, par l'année de naissance - je suis né en '62 -  et par le parcours de vie que vous partagez avec tant de justesse et de délicatesse dans Pédale !, votre documentaire que je viens de voir avec l'homme de ma vie. Nous l'avions enregistré et n'avions eu le temps avant pour le voir.

Nous avons reconnu, lui et moi, tant de facettes de nos vies, tant de détails qui nous habitent encore : le premier achat d'un magazine à la sauvette, avec la sueur qui perle de penser que des yeux vont traverser la mallette que l'on serre avec force en rentrant chez soi; les premières sorties dans les bars, avec ces hommes qui attirent par leur beauté et repoussent par leur uniformité; la honte diffuse de la jeunesse paranoïaque, celle qui provoque à composer un personnage que nous ne sommes guère. Je pourrais m'étendre sur presque chaque moment de votre documentaire, mais ce serait sans doute lassant pour vous et pas nécessaire ici...



Je voulais vous remercier très profondément pour la justesse de votre film, la pudeur qui l'enveloppe, la vérité qui le traverse. Il dit tellement bien votre vie et tout autant la mienne, la nôtre, celle de tout pd qui se découvre un jour.

En terminant, cher Sylvain, vous me permettrez que je vous embrasse amicalement.


Ben
***


Bonsoir,

Je me permets de vous écrire ce mail car je viens de regarder sur LCP votre film Pédale!. Je suis encore sous le coup de toutes les émotions qui m'ont submergées. Tant de poésie, de pudeur de courage. Votre film est beau, d'une grande pureté. Merci Monsieur.


Bien à vous.Corinne.

***

Bonsoir Sylvain,

Le temps file. J'ai le vague souvenir de t'avoir parlé pour la dernière fois au milieu des années 80, dans le RER, lorsque j'étais étudiant.  
Je dois avouer que ton documentaire Pédale, que je viens de regarder sur le conseil d'un ami, m'a bouleversé par sa justesse.
Les photos qui m'ont subitement ramené près de 45 ans en arrière et m'ont littéralement sauté au visage. 
Je reconnais pas mal d'éléments de mon propre parcours dans ce que tu dis et je crois voir défiler une bonne partie de ma jeunesse. Je me passionne également pour l'émergence du mouvement gay aux États-Unis et pour Stonewall et j'ai beaucoup aimé cette partie de ton documentaire.
Notamment angliciste de formation et américanophile, j'avais déjà beaucoup apprécié ton documentaire My American Way of Life il y a quelques années et ce n'est qu'aujourd'hui que je fais le lien avec le Sylvain de mon enfance, l'un de mes grands potes de la Croix de Berny avec Guillaume et Agnès. 

Bravo pour ton travail, même si je ne suis guère étonné : ta curiosité d'esprit, ta passion pour l'Égypte et ton intelligence me fascinaient déjà quand j'étais gamin.

Je suis parisien et si tu es resté sur la région parisienne, je te reverrai avec grand plaisir. 

À bientôt peut-être et merci pour ce documentaire salutaire.


François



***


Bonsoir, 

Juste un petit mot pour vous dire que j’ai regardé votre documentaire et le débat qui le suit sur LCP et je voulais juste vous dire merci. Je suis une femme hétérosexuelle de 27 ans et je suis heureuse que vous ayez partagé votre témoignage brut, sensible et touchant. Alors merci, parce qu’il y a des jours comme aujourd’hui où j’ai l’impression d’être entourée de tant de conformisme que ça me déprime, et en voyant votre film ce soir ça me redonne espoir, je me sens privilégiée qu’il y ai des gens comme vous qui vivent en ce moment même sur la même terre que moi, qui regardent leur vie et ce qui les entoure avec tendresse et lucidité.


Merci beaucoup.

Lena





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PÉDALE
ENTRETIEN AVEC SYLVAIN DESMILLE





Pédale est un titre un peu provocateur. Comment est né ce film ? D’où vous en venue l’idée ? 

Ce film retrace, à travers mon histoire, comment s’opère la construction d’une identité sexuelle dans un climat de haine majoritaire, moraliste et collective. Pour mon cas, cette haine est homophobe. Elle aurait pu être raciste, religieuse, sociale. Elle s’inscrit dans un contexte particulier, marquée par un renforcement de la répression des homosexuels dans la France des années 1960 (dans le sillage de l’amendement Mirguet sur les Fléaux sociaux), et par leurs luttes contre leurs discriminations et pour l’égalité des droits. Leur mouvement s’inscrit dans la révolution et la libération sexuelles des années 1960 et 1970. La décriminalisation de l’homosexualité en 1982 marque un tournant. La législation n’a cessé dès lors de réduire les inégalités. Ces progrès ont-ils ou supprimé l’homophobie ? Les avancées de façades ont atténué mais pas réduit les actes, les injures et les agressions homophobes. Loin de là.

L’actualité fut un élément déterminant dans ma nécessité de faire ce film. Depuis 2013 et la Manif pour tous, les actes homophobes n’ont cessé d’augmenter. Les lignes d’écoute contre l’homophobie ont explosé entre septembre 2017 et septembre 2018: +37%. Les dépôts de plaintes ont augmenté de 15% pend ont les neufs premiers mois de 2018 par rapport à l’année précédente.

Comme l’analysent les rapports annuels de SOS Homophobie, ces actes sont de plus en plus violents, à l’encontre des garçons mais aussi, fait nouveau, vis-à-vis des filles (encore à Lyon, le 17 mars 2019). En 2018, les agressions homophobes ont augmentée de 66% par rapport à l'année précédente (les agressions lesbophobes ont augmenté de 42% - cf: https://www.sos-homophobie.org/article/rapport-sur-l-homophobie-2019-2018-une-annee-noire-pour-les-personnes-lgbt). L’agression verbale s’est banalisée: l’insulte “pédé, pédale” est celle qui est la plus utilisée dans les écoles. Les agressions physiques, toujours en groupe, croissent en nombre et en intensité. Certes, la presse en rend compte, et c’est son honneur mais en même temps, la signalisation parfois quotidienne d’actes homophobes ici et là en France, en Europe ou dans le reste du monde tend à les banaliser. 

Les homophobes proclament que leurs injures sont des «avis», des « likes »,  des «opinions», ou des "j'aime-pas" (ce qui est d'ailleurs souvent une justification des homophobes pour justifier les insultes et leur mépris). Ils invoquent la liberté d’expression. Quand il s’expriment sur les réseaux sociaux, ils s’estiment détachés, déresponsabilisés des législations nationales. Les réseaux sociaux ont d'ailleurs une politique - ou plutôt une idéologie - très ambigüe. Quand j'ai mis des extraits de mes films consacrés aux Révolutions sexuelles (2018) sur Youtube, celui consacré  à l'homosexualité a été censuré, suite à un signalement d'un internaute de la Manif pour tous, et jugé comme "contraire à certaines sensibilités religieuses" et ce alors que le film avait été diffusé en prime time sur Arte sans restriction d'âge et dans une douzaine de pays dans le monde ! 

Ce qui est étrange, c'est que cette censure est toujours unilatérale(https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20170320.OBS6837/homophobie-que-veut-nous-dire-youtube.html), surtout quand le "réseau" est en réalité en situation quasi monopolistique (et qu'il trust tous les autres réseaux qui lui sont affiliés).  En revanche, il est très difficile de faire en sorte que les réseaux sociaux suppriment les messages de haine et les insultes homophobes...  Révélatrice fut aussi la décision du tribunal des Prudhommes qui débouta en 2015 un coiffeur de sa plainte pour discrimination sexuelle au prétexte que se faire traiter de pédé quand on travaille dans un salon de coiffure ne peut être qualifié d'insulte homophobe ! La Cour d'Appel a cassé ce jugement qui renvoyait aux clichés homophobes. Plus grave, La manif pour tous a même voulu faire condamner l'association Act Up parce qu'elle l'avait qualifiée d'homophobe ! au prétexte que ceux qui manifestaient en tenant des propos homophobes n'étaient pas forcément membres de l'association. Heureusement la Cours de cassation a pris soin d'analyser les discours et elle a dit non. Mais il a fallu aller jusqu'à cette juridiction...(https://www.liberation.fr/direct/element/homophobes-une-injure-la-manif-pour-tous-perd-le-proces-intente-a-act-up-en-cassation_76623/ )  Tout cela montre combien d'aucuns se montrent de plus en plus décomplexés sur la question de l'homophobie. 



Lien rapport SOS-Homophobie 2018:







Il faut dire que, sauf en cas d’agression particulièrement violente, symbolique et médiatisée, il est rare de savoir quelles ont été les suites policières et judiciaires. D’où, côté agressés, un sentiment d’injustice, ou de justice partiale, à plusieurs vitesses, et côté agresseurs un sentiment d’impunité, surtout lorsque les violences ont lieu en groupe (et c’est presque toujours le cas) ou via les réseaux dit sociaux, mais d’où semblent bannis toutes les règles de sociabilité et de respect élémentaires. Les victimes sont laissées à elles-mêmes et deviennent des laissés pour compte. Les plaintes classées sans suite sont une nouvelle insulte, une manière de les dévaluer, de les exclure. Moins justiciables que les autres, alors que la loi pourtant stipule la gravité du délit. Et c’est toujours les mêmes excuses: faute de temps, de moyens, faute de volonté, faute d’envie. La faute à pas de chance. C’est terrible pour une victime - pour n’importe quelle victime - de s’entendre dire qu’elle ne doit pas trop se faire d’illusion sur les suites qui seront données à son agression, que la justice ne lui donnera pas justice.

Il y a toutefois un progrès. Il est possible aujourd’hui de pointer les défauts et de dénoncer les carences de la justice. Ce n’était pas le cas auparavant. Même après la dépénalisation de l’homosexualité par la loi Badinter de 1982, il était difficile de porter plainte sans se retrouver stigmatisé voire fiché. Les agressions homophobes étaient presque considérées comme normales - les guides comme Spartacus précisaient d’ailleurs les lieux de dragues réputés dangereux, sous-entendus « à vos risques et périls ». La suspicion des autorités à l’égard des gays rendaient toute plainte difficile voire impossible. Car, pour les hétéros, c’étaient toujours l’homo qui était peu ou prou responsable, car réputé déviant, a-normal, marginal. Considérés comme des corrupteurs par nature selon un diktat moralisateur et religieux, les gays devaient être punis parce que c’étaient toujours eux qui l’avaient cherché. Et nombreux ont été des générations d’homos à vivre avec cette conviction, un peu comme des victimes  du syndrome de Stockholm.


Est-ce la raison pour laquelle vous n’avez pas porté plainte après avoir subi vous-même une agression homophobe violente quand vous étiez encore un jeune homme ?

Vous savez, depuis l’âge de huit ans, je m’étais préparé à être agressé un jour au l’autre. Toute ma jeunesse et mon adolescence j’ai tout fait pour que mon « secret » ne soit pas dévoilé publiquement. Il importait de donner le change, que personne ne se doute de rien. Ou qu’il y ait toujours un doute raisonnable, au moins. C’était une attention et une surveillance et une attention de tous les instants - sans le moindre moment de repos ou de vacances possible. Et en même temps, j’espérais qu’un de mes amis découvre mon homosexualité, et l’accepte, et qu’il m’aime ainsi, et qu’il m’avoue qu’il était gay lui-aussi… On se croirait dans le préambule d’un film porno ! La réalité était moins jouissive.  A force, j’ai appris à faire de cette peur, de ma peur, un état de conscience, un état d’être. 

Mais quand les trois ou quatre mecs m’ont agressé, j’avais beau m’être conditionné, ce fut un choc. Surtout que je n’ai rien vu venir. Je ne sais même pas comment ils ont su que j’étais homo. Peut-être m’ont-ils repéré à la sortie du cimetière du Père LaChaise où je venais d’assister à l’enterrement d’un ami mort du sida ? Peut-être m’ont-ils vu acheter une boite de préservatifs (à l’époque, seuls les gays étaient réputés les utiliser, car seuls à être touchés par l’épidémie) ? En tout cas, c’est arrivé d’un coup. Sans aucun préliminaire ni coup de semonce. Un pur effet de surprise pour ne pas me laisser la moindre chance. Il y a d’abord eu les coups - dans le dos et au visage, direct. Puis,  peut-être parce que j’étais sonné, incapable de me relever, peut-être parce ce qu’ils voulaient reprendre leurs forces, ou juste pour que je comprenne bien ce qu’ils avaient à dire, les insultes, les crachats ont fusé. Enfin, ragaillardis dans leur virilité, et alors que je me recroquevillais dans mon sang, ce furent les coups et les insultes en même temps. Il m’était impossible de répliquer. Je m’en veux encore aujourd’hui de cette faiblesse. Mais il m’était raisonnablement impossible de répondre et puis, forcément, ils étaient plusieurs. Les lâches ne vous laissent aucune chance. 

Franchement, j’ai cru - j’ai espéré peut-être - mourir à cet instant. Mais ils ont disparu. Personne n’est venu à mon secours. Pourtant, cela s’est passé dans une rue du XIXe arrondissement de Paris - un quartier populaire, mais cela n’explique et n’excuse pas tout. Je me souviens avoir vu des ombres me contourner. Une femme aussi s’était émue avant de reprendre son petit bonhomme de chemin. Mais j’étais en sang, et à l’époque tout le monde craignait le moindre contact avec le sang - surtout si les passants ou les habitants avaient entendu les agresseurs me traiter de pédé. Peut-être pensaient-ils qu’il s’agissait d’un règlement de compte ? J’ai mis un temps infini à me relever, en tout cas assez pour que le sang ait pu coaguler. Je suis rentré chez moi en métro. J’ai fixé le regard de tous ceux qui me dévisageaient - même ceux qui me reluquaient l’oeil en coin. C’est à ce moment là que j’ai décidé que personne ne me fera baisser les yeux désormais. C’est une habitude que j’ai gardé. Dans le métro, quand la plupart des gens se courbent sur leur téléphone portable, concentrés sur leur jeu ou leurs selfies comme s’ils lisaient un Coran ou un Missel, je les regarde, je les observe, je les examine. Je me demande. Qui m’aiderait si des homophobes m’agressaient maintenant ? Qui aurait ce courage, cette humanité, cette détermination ? Se lèveraient-ils si une femme se faisait chahuter par un groupe de mecs ? Si ce même groupe, ou un autre deux rames plus loin, s’en prenait à un garçon parce qu’il était juif ? Les faits réputés divers donnent souvent une tendance mais si j’espère toujours qu’ils n’en seront pas forcément la réponse.

Après mon agression, je suis resté chez moi, terré et enterré, jusqu’à ce que les plaies cicatrisent, jusqu’à les bleus s’éclipsent. Jusqu’à ce toutes les traces visibles disparaissent à la surface. Jusqu’à ce que je retrouve un visage normal, symbole d’un retour à la normale. Et effectivement, j’ai fait comme si tout était rentré dans l’ordre, comme si tout allait et irait bien. Je ne suis pas allé porter plainte - une dizaine de jours avaient passé, et il ne restait plus que quelques traces de contusions, surtout sur les avants bras, les côtes, à l’aine. Je n’avais pas envie de raconter ce qui n’avait été qu’une nasse de silences. Je n’avais pas la force de dire dans ma bouche les insultes proférées. Je n’avais pas envie d’avouer, car à l’époque (et sans doute toujours aujourd’hui, plus encore peut-être) , quand on était homo, tout était aveu, c’est-à-dire être un risque de désaveu. Dire que j’avais été victime d’une agression homophobe,  la qualifier comme telle, c’était avouer aussi que j’étais homosexuel. Je n’avais pas envie d’être une nouvelle fois stigmatisé, comme l’avaient fait à leur manière les agresseurs. Je redoutais le mépris et le dédain des policiers. Je ne voulais pas de ce coming out administratif et officiel.

Vous savez, c’est la première fois que je parle de cette agression.  Ceux qui me connaissent vont découvrir cette histoire. Je l’ai toujours tenue secrète, même mes proches de l’époque n’en ont jamais rien su. Comme je n’avais pas encore fait mon coming out auprès de mes parents, il n’était pas question de les inquiéter (on associait alors homosexualité et sida, et pour la génération de mes parents, parce qu’elle restait sinon contre-nature du moins hors-norme, elle conservait une part de risque social). Et puis je n’avais pas non plus envie de me présenter comme une victime, d’associer homosexualité et agression homophobe, même auprès de mes amis, qu’ils soient gays ou non. Surtout, j’avais honte, j’étais en colère, et je redoutais aussi cette colère, sa force, sa démesure, sa lucidité. Il fallait que je la dompte, que je la domestique. Et si je ne parvenais pas à la contrôler, il faudrait alors que je l’élimine, que je la mette à mort. Alors je me suis tu. Toute la première partie de ma vie, j’ai veillé à ce que jamais les mots, les insultes, ne soient jamais prononcées et après l’agression, j’ai fait en sorte qu’ils ne le soient plus jamais. Mon homosexualité fut une affaire de silences.

Se taire, me taire, fut une erreur. Je m’en suis rendu compte au moment où j’ai réalisé le film Après l’attentat (LCP, 2016) qui interrogeait le processus de reconstruction des victimes d’attentats sur le long terme, depuis les années 1980. J’ai compris à ce moment là qu’être victime d’agression homophobe, c’est être une victime en soi et que cesser de se considérer comme une victime -déchirer l’étiquette accrochée gros orteil - implique un certain travail sur soi-même, de l’aide le cas échéant et du temps ne serait-ce que pour réduire les syndromes de stress post-traumatique, exactement comme on réduit une fracture à l’avant-bras ou aux côtes. D’autant plus qu’à la différences des victimes « innocentes » considérées comme des dommages collatéraux parce qu’elles avaient été là au mauvais moment, celles d’actes homophobes éprouvent toujours un certain relent de culpabilité, parce qu’elles ont été visées à dessein, de manière préméditée, pour ce qu’elles sont ou ce qu’elles représentent. C’est sans doute idiot - et les associations sont là pour le faire entendre. Mais peut-être ce sentiment correspond-il à ma génération, à cheval entre répression et libération des homosexuels, même si je pense que si le discours public - légal - a évolué positivement, dans les consciences l’indifférence vis à vis de la différence prend plus de temps. On l’a vu avec La Manif pour tous en 2013, et au moment du vote du Pacs en 1999. 


Le film commence d’ailleurs par un montage chronologique d’archives rapportant des propos homophobes… Une manière de poser le sujet ? 

Oui, les extraits présentés commence dans les années 1970 jusqu’à 2013. C’est toujours un peu la même rengaine qu’on se situe à une époque où l’homosexualité était condamnée (et donc où on pouvait tenir ce genre de propos en toute impunité, face caméra), ou après la dépénalisation, et plus encore quand ce sont les insultes homophobes qui tombent sous le coup de la loi. Il existe cependant des variantes selon qu’on pose une question sur l’homosexualité (perçue alors comme un vice, un pêché, une maladie) ou sur les homosexuels (qui suscitent alors une sorte de dégoût ou encore le like-pas like de l’époque via l’expression  un peu immature du « j’aime pas »).  

Cette permanence montre aussi que le film met en scène un processus qui traverse les époques. Nombreux sont ceux de la jeune génération à s'y reconnaître, à dire que rien n'a véritablement changé. Et c'est bien l'enjeu de ce film, montrer un processus à travers une histoire, mais dans laquelle chacun s'y reconnaît. Souvent, on me dit: "J'ai longtemps cru que j'étais le seul à qui cela était arrivé. On n'en parlait jamais.". J'ai eu aussi le témoignage d'un des Invisibles qui au final a trouvé que son époque celle des années 1950-70, était au final plus légère. Le film lui a fait prendre conscience de l'impact du Sida dans la construction de l'identité sexuelle. Je pense que la situation n'est pas simple encore aujourd'hui pour les jeunes homos."



Il existe en effet une évolution. L’insulte avait pour vocation de mettre à distance et de déprécier l’autre, en opposant une virilité hétérosexualité à une féminité soit disant homosexuelle, l’actif au passif (au point que certains mecs qui baisent avec des hommes - et souvent qu’avec des hommes - se considèrent comme hétéros au prétexte qu’ils ne sont qu’actifs). Le moralisme de circonstance s’inscrivait ou justifiait ce virilisme. Aujourd’hui, la dimension religieuse est de plus en plus affirmée voire soulignée, de manière explicite ou de façon plus hypocrite, en opposant un soit disant naturalisme à un légalisme, la nature à la culture, alors que leur conception de la nature qui sert de référence aux homophobes de ce nouveau genre est elle même l’expression d’une culture religieuse. 

Je me méfie aussi de ce nouveau courant qui consiste à analyser avec moult graphiques les insultes homophobes pour mieux les excuser (par exemple en les contextualisant: individus alcoolisés, effet d’entraînement sous la pression du groupe). En milieu scolaire, surtout au collège, les insultes comme « Enculé de ta race, et sale pédé » sont majoritaires et si fréquentes qu’on leur dénie leur caractère homophobe ! En revanche, très rares - et de plus en plus rares, me confiaient des membres du MAG (Mouvement d’Affirmation des jeunes Gays) - sont les directeurs à solliciter ou à autoriser les associations de luttes contre l’homophobie à intervenir dans les collèges publics où précisément elles se manifestent le plus, et souvent en invoquant le prétexte d’un risque de troubles, de réactions et de débordements violents, ou pour ne pas heurter les sensibilités religieuses. A cela s’ajoute la traditionnelle hantise d’un risque de prosélytisme, théorie homophobes développées par Anita Bryant en 1977 aux Etats-unis. Pourtant les insultes et harcèlements homophobes sont la principale cause du suicide des jeunes gays. 


L’insulte homophobe jouerait-elle un rôle dans la construction d’une identité (homo) sexuelle ? 

Oui, elle joue un rôle fondamentale dans la construction de l’identité sexuelle, qu’on soit effectivement homo ou non. Certains hétéros se font traiter de tapette, de pédé au prétexte qu’ils ne correspondent pas à l’image, c’est à dire à la ressemblance de l’ordre majoritaire, parce qu’ils se montrent plus ou trop sensibles, parce qu’ils sont intellos. L’insulte établit le contraste, elle désigne la différence,  elle stigmatise l’altérité, et dans le pire des cas elle stipule une a-normalité. Quand un garçon traite un autre de pédé, il affirme le pas-pareil, le dissemblable, dans le pareil. 

Dans tous les cas l’insulte dit, et force à vous dire. Elle vous désigne et vous force à vous reconnaitre. Adolescent, je me suis demandé souvent demandé : « Aurais-je été homosexuel si on ne m’avait pas qualifié de pédé ? ». Le diktat du regard des autres m’a-t-il conditionné, déterminé à être homo ? La première fois qu’on m’a traité de pédale, je ne savais pas ce que le mot voulait dire. Sinon j’aurais répliqué, par instinct de conversation et de conservation. Au ton employé par mon camarade, je sentais bien que ce mot comportait une part de trouble, de magie, de double sens, de tabous. Que je devais plutôt chercher par moi même sa signification au lieu de la demander à mes parents. Je ne voulais pas non plus paraître ignare auprès de mes copains. L’insulte fut mon premier silence, ma première traque dans les livres.  Ce ne fut pas facile. Soucieux de bienséance, les dictionnaires destinés aux enfants n’indiquaient pas ce genre de mots. Il n’en devint que plus fascinant et plus terrifiant.

Après, je me suis interrogé comme tout le monde pour savoir s’il existait une raison, des causes ? Si mon homosexualité était naturelle ? Si on naissait homo ou si on le devenait. Je reste dubitatif sur l’origine, et même je me méfie de toutes ces théories qui viseraient à justifier l’homosexualité par la génétique. L’idée sous-jacente est de dire que s’il y a des causes, il y a des solutions. Je comprends que certains gays trouvent ces thèses naturalistes rassurantes et déculpabilisantes. Il y aurait entre 5 et 10% d’homos comme il existerait 5 à 10% de gauchers. Personnellement, je préfère me dire que si l’homosexualité m’a choisi,  en conscience, j’ai choisi d’être homo.

Seriez-vous un partisan du droit à la différence ?

Vous savez la question du droit à la différence  et celle des droit à l’indifférence traverse toute l’histoire de l’homosexualité. Elles sont siamoises. Dans les deux cas, elles posent la question de la norme à travers celle d'une normalisation (les extravagances des Gay pride en sont un des exemples: les gays y assument une singularité, une flamboyance; et c'est aussi ce que les hétéros - et les caméras de télévision - viennent y chercher car cette différence correspond à leur imaginaire). En fait, dans une société où l’homosexualité est normale (naturelle et culturelle), elles ne se posent pas. En revanche, ce sont les sociétés qui désignent les gays comme différents qui les poussent à soit affirmer leur différence soit à faire profil bas. En France, dans les années 1950-60, le mouvement Arcadie militait pour que la société finisse par tolérer les homosexuels en jouant la carte de la respectabilité et en sollicitant une relative indifférence. Les homos devaient se fondre dans la masse, être comme tout le monde. On ouvrait les portes du placard mais on n’en sortait pas. En 1970, le FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) bouscule tout cela et revendique que soit reconnu le droit à la différence, en se montrant extravagant et provocateur, quitte à décliner et à sur-jouer les clichés dont les hétéros se servaient pour les représenter. En 1977-1978, Harvey Milk, à San Francisco, a prouvé que le droit à la différence et à l’indifférence étaient conciliables. L’homosexualité traversait toutes les catégories sociales (bouchers, médecins, pilotes de chasse, ouvriers et ouvrières, patronnes et patron). 


Un an après les émeutes de Stonewall, à New York, la première Gay Pride, 1970.






Extrait Pédale
La Gay Pride de 1970


Je me méfies aussi de tous ceux - y compris parmi les gays - qui veulent que les homos soient comme ci et pas comme ça, qui opposent les uns aux autres, qui veulent imposer à tous leurs visions et leurs conceptions de l’homosexualité. Serait-on plus moins gay parce qu’on vivrait en couple et vraiment gay parce qu’on crierait qu’on aime se faire enculer. Parce que l’on se donne à voir comme différent ? En quoi l’avis personnel, l’opinion égocentrique et narcissique, devraient-ils soumettre tous ceux qui diffèrent de l’ego à sa loi. L’individualisme promu par les réseaux sociaux serait-il un tyrannisme ? Tout réduire à l’ego comme valeur de référence universelle, à l’égoïsme comme valeur de consommation fondamentale  - n’est-il pas le pire des totalitarismes ? 

Personnellement, j’appartiens plus à une génération qui a cherché à poser la question de la personne au centre du collectif, à penser le minoritaire non sous la forme d’une exclusion mais d’une inclusion  et ce en posant la question de l’égalité des droits. Pourquoi certains n’auraient-ils pas les mêmes droits, alors qu’ils sont pareils mais pas du pareils au même ? Pourquoi la majorité exclurait-elle une minorité ? Une société est-elle démocratique à partir du moment où demeurent des inégalités de droits entre citoyens ? 





Agression transphobe à Paris, place de la République, dimanche 31 mars 2019.
Là où des Lesbiennes s'étaient déjà faites agresser peu de temps auparavant.
Scène de lynchage à Paris, Place de la république: tout un symbole.
La France est plus devenue une démocratie en 1982, quand elle a dépénalisé l'homosexualité.
Quand est-il de  qui scandent vouloir la démocratie mais qui dans les faits refusent toute différence ?
Qu'en est-il d'une démocratie qui considère que l'opinion majoritaire légitime l'élimination - physique -  toute expression minoritaire, de toutes les différences, des oppositions , de l'Autre ?



Cette question s’est posée encore récemment en 2013, au moment de la loi concernant le mariage pour tous. En fait sous couvert d’une défense de la famille traditionnelle, d’une conception naturaliste, il était surtout question d’opposer et d’imposer la dimension religieuse du mariage à la république laïque. De maintenir des discriminations.  En fait, il ne faut jamais considérer les acquis comme pérennes.  Les lois ont beau être plus justes, et c’est un progrès, les consciences individuelles se voient parfois entraînées dans des mouvements d’hystérie collective. Nous ne sommes pas dans une société apaisée. Les résistances et les clichés vis à vis des homosexuels sont toujours vivaces, et fait marquant, souvent parmi les plus jeunes. Certes, il s’agit d’un âge où la puberté, la transformation corporelle et l’affirmation d’une sexualité active imposent de poser celle de l’identité sexuelle, où le besoin d’être semblable et de s’identifier à tous entre en conflit avec celui de se concevoir comme différent, autonome, individualiste (c’est-à-dire de devenir un sujet sexuel à part entière)… Mais que l’homosexualité reste «un douloureux problème» montre bien que la révolution des mentalités engagée dans les années 1970 est loin d’être effective. 


Campagne de prévention et de lutte contre l'homophobie à l'école

Je pense d’ailleurs que ce que je raconte dans ce film correspond encore à des situations contemporaines, que le processus de construction de l’identité sexuelle par l’insulte est encore le fait d’un grand nombre, sinon de la majorité des jeunes gays. Nombreux se reconnaîtront dans ce film, s’y identifieront. Et peut-être aussi que les parents, les amis comprendront ce qui peut se passer dans la tête d’une garçon qui découvre et qui comprend son homosexualité. 

Certes, grâce à la technologie, il est plus facile aujourd’hui de savoir « comment on fait » (les films pornos gays sont en accès libre via le net), et il est plus facile aussi de trouver un partenaire sexuel via les chats et autres sites de rencontres. Mais les réseaux sociaux provoque aussi un plus grand contrôle social. Le déchaînement de haine et le harcèlement sont démultipliés, encouragés même par l’anonymat. Et c’est un paradoxe, le jeune gay actuel a plus de facilité pour entrer en contact avec d’autres gays - parfois à l’autre bout de la planète - mais il est contraint aussi à faire profil bas, à rester dans le placard d’internet, masqué pour ne pas être démasqué. Les terminologies actuelles sont significatives d’une certaine tournure d’esprit, d’impliciter et non d’expliciter, de sous-entendre au lieu de dire. Par exemple, les jeunes de disent plus qu’ils cherchent du sexe, mais du « fun ». Le mot sexe devient tabou. On cherche à coucher avec des garçons mais on se dit « hétéro », c’est-à-dire que l’on se place en position d’actif (on ne suce pas et on ne se fait pas enculer) tout en restant passif sexuellement (on se laisse faire) - bref, on se contente d’être l’instrument du plaisir de l’autre. Il importe aussi de rester le plus possible anonyme. 

La croissance des actes homophobes explique sans doute ce phénomène. Le pire, c’est que ce sont parfois ceux qui sont confrontés eux-mêmes au racisme, à l’antisémitisme, au mépris social, qui se montrent les plus virulents. Est-ce peut-être parce qu’elle concerne tous et tout le monde, sans tenir compte de leurs origines ou de leur position sociale, est-ce parce qu’elle universelle, que l’homosexualité est attaquée par tous ?

En tout cas cette montée de l’homophobie est une pression supplémentaire: le jeune gay doit mener une double vie, au risque aussi de développer des comportements paranoïaques et schizophrènes, un mal-être de n’être pas totalement et fièrement lui-même. Bien sûr, les progrès réalisés, l’évolution du regard, facilitent l’affirmation, mais on s’assume plus tard, quand l’autonomie sociale permet de limiter les risques. 


Vous évoquez d’ailleurs assez rapidement votre coming out… 

Oui et non. Le coming out est une sorte d’épreuve initiatrice une étape importante dans la construction de l’identité sexuelle, et surtout l’affirmation de son homosexualité, le fait de s’assumer. Nombreux sont les films consacrés à l’homosexualité à le mettre en scène. C’est Le sujet des films gays.

Il s’agit en effet d’un moment crucial, celui où on se rend visible, où on abat les masques et les cartes. Soit on remporte la mise soit on perd tout. C’est aussi l’aboutissement d’un long travail de conscientisation.

En effet, à la différence du jeune hétéro, le jeune gay doit d’abord apprendre à se reconnaître, à s’identifier comme homo, à se le dire à lui-même avant de le dire aux autres. Il doit prendre conscience et apprendre que ce que d’aucuns qualifient d’anormalité est tout à fait normal. Ce n’est pas simple. C’est loin d’être évident. La fréquentation du milieu homosexuel peut être une étape. Elle ne reste cependant possible que dans les grandes villes. 

Certains préfèrent procéder de manière détournée et progressive, en développant les sous-entendus, les doubles-sens, les quiproquos, les silences explicites,  l’omission et le non-dit mais sans verser dans le dénie forcément. Plus rares sont ceux qui ont assez de confiance en eux ou de culot, ou de révolte, pour s’affirmer gay et faire leur coming out à sec auprès de leurs parents. Car persistent encore aujourd’hui les risques du rejet, de l’exclusion et même de l’expulsion. A mon époque, dominait aussi le risque de déchéance sociale et professionnelle: difficile de faire la politique, sans se cacher, ou mener une double vie.





Le processus le plus courant est de solliciter la confiance d’ami(e)s), sous couvert de secret, de serment, puis d’assumer son homosexualité auprès d’eux, avec un rien de provocation et par connivence. Internet a changé un peu la donne. Aujourd’hui, les jeunes se déclarent homos via les chats et les réseaux sociaux - mais sous couvert d’anonymat, et même dans des vidéos publiques certes mais auprès d’inconnus. La tendance actuelle consiste aussi à filmer son coming out. Ce sont surtout des jeunes anglo-saxons, protestants, garçons ou filles. Plus rares sont les Français - ce qui est en soit assez révélateur du climat de tolérance réelle vis-à-vis de l’homosexualité dans notre pays. Au début, je pensais qu’ils agissaient ainsi pour garder un souvenir, conserver une trace. En fait, quand on tape « Coming out réactions » sur le moteur de recherche, on s’aperçoit que ce sont surtout des jeunes qui ont une chaîne Youtube. Le coming out filmé en direct est un bon moyen  de faire le buzz, d’accroître la fréquentation et le nombre des likes… 

J’ai vu un soit disant documentaire qui n’était en réalité qu’une compilation d’extraits de vidéos youtube. Celui qui l’a commis ne s’est pas pris la tête. Il s’est juste contenté de faire une sélection parmi les quarante premières vidéos mises en avant par l’algorithme du moteur de recherche. Après, il n’a sélectionné que celles en très haute-définition, sans doute pour avoir une image bien proprette, apte à être diffusée sur grand écran.Je dis cela car les autres vidéos, pourtant bien plus intéressantes, mais de qualité médiocre en terme d’Image semblent avoir été systématiquement écartées. J’espère que ce film est en fait une blague, un objet de communication. Sinon, il existe un vrai problème déontologique. Le bout à bout de cette sélection est en effet assez malhonnête. D’un côté il semble proposer une représentation brute du coming out, et donc objective. Mais en réalité les coupes trahissent et le propos et sa représentation. Le montage évacue toutes les références narcissiques et commerciales, toutes les mises en scènes propres aux acteurs des réseaux sociaux. Les introductions et les conclusions sont coupées, et quand le jeune fait son coming out à ses deux parents, l’un des deux est systématiquement oublié. En fait, les jeunes gays sont bien plus honnêtes et bien moins manipulateurs. Prises dans leur intégrité, ces vidéos sont aussi révélatrices du temps présent.

Pour ma part, j’ai préféré mettre en avant la construction de l’identité sexuelle qui aboutit précisément au coming out. Pédale est un peu le préquel, l’ante-épisode qui décrit tout le processus qui conduit à « l’aveu ». C’est un point de vue d’auteur. Après, personnellement, mon coming out, comme épisode, fut assez banal en soi. C’est un peu comme le baccalauréat. On s’en fait toute une montagne, puis quand c’est fait, on se retrouve un peu stupide de s’être pris autant la tête. Mais bon, cela tient aussi au fait que mon coming out s’est bien passé. Surtout auprès de mes amis. Je n’en ai jamais parlé avec mes parents. C’était moins un silence qu’une pudeur. Ce fut de moins en moins une gêne. C’est devenu normal. J’ai eu de la chance. La plus grande réussite serait qu’aujourd’hui on n’est plus à faire son coming out, à avouer son homosexualité, juste à le dire, ou même pas. 


Lorsque vous parlez d’homosexualité, on a l’impression que vous évoquez surtout l’homosexualité masculine. Les lesbiennes sont d’ailleurs absentes de votre film… 

Comme le film à l’origine était plus long, il a fallu couper certains passages. Celui consacré aux lesbiennes fit parti du lot. J’y expliquai pourquoi Pédale n’est parlait pas… En fait, les gays de ma génération, et moi en particulier, avions fort peu de contact avec les lesbiennes. Garçons et filles, femmes et hommes avaient fait corps dans les années 1970 dans les luttes pour la reconnaissance et la dépénalisation de l’homosexualité. Issues du mouvement féministe,  les lesbiennes ont joué un rôle clé et moteur dans l’affirmation des droits. Puis très vite, elles ont accusé les garçons d’être plus préoccupés par leurs relations sexuelles que de vouloir poursuivre un combat politique. Et si on en croit Hervé Guibert, c’est vrai, lors les mecs se rendaient aux Beaux-arts plus pour baiser dans les couloirs que pour participer aux réunions. Lesbiennes et gays ont évolué alors chacun de leurs côtés. Il existait aussi des différences de pratiques. Et même si je n’aime guère les généralités de généralisation, elles étaient réputées plus calmes, plus bon chic bon genre, plus fidèles et désireuses de vivre en couple (ce sont les lesbiennes qui pose la question du mariage gay aux Etats-Unis dans les années 1970). Le regard des hétéros portés sur les lesbiennes étaient beaucoup plus conciliant que celui envers les gays. 




Personnellement, j’ai eu quelques amies lesbiennes (quand je dis cela j'ai l'impression d'être un hétéro qui avoue connaître des gays ! rires). Elles m’ont permis de fréquenter un peu leurs univers - et mieux valait montrer patte blanche - mais dans les clubs comme le Kit-Kat et le Pulp, les mecs restaient très marginaux. Nos mondes évoluaient en parallèle plutôt qu’en connivence. Cela a changé avec le sida. Là encore, pourtant moins concernée, les lesbiennes ont fait corps avec les homos pour les défendre contre le retour à l’ordre moral et conquérir une réelle égalité des droits. Je pense qu’aujourd’hui gays et lesbiennes sont plus proches, y compris dans leurs comportements.   C’est peut-être aussi pour cela qu’elles sont elles aussi de plus en plus victimes d’agressions homophobes. 

En tout cas, loin de moi la volonté d’évincer les lesbiennes de ce film. Comme il s’agit d’une auto fiction documentaire, l’exigence de vérité importait aussi de montrer la réalité non en soi, de manière omnisciente, détachée, extérieure, mais à travers mes expériences. 


Vous qualifiez Pédale d’auto-fiction documentaire ? C’est une première, un genre nouveau, non ? Qu’entendez-vous exactement ? 

D’abord rappelons que le documentaire défend un point de vue,  une intention, une vision, quand le reportage journalistique lui se déclare en principe et par principe objectif, descriptif et illustratif. Cela ne signifie pas que le documentaire n’est pas objectif, au contraire. Mais alors que l’objectivité du reportage est posée comme un fait et une donnée incontestable c’est-à-dire ne pouvant et ne devant être contestée, dans le documentaire, l’objectivité est une quête et pas seulement une enquête. Elle est une interrogation, une mise en perspective et une remise en question, une mise en doute. Elle est un mouvement. Elle n’est ni présupposée ni un présupposé. Elle cherche à comprendre et à se comprendre en changeant les angles et les points de vue. C’est la raison pour laquelle le documentaire est un travail d’auteur: il induit le regard de l’auteur dans le film et c’est sa perception qu’il propose au regard d’autrui, sans chercher à affirmer La vérité, mais en permettant  à l’autre de l’interroger et se faisant de s’interroger, de susciter et de provoquer son propre regard. 

L’acte documentaire engage le film. Il est un exercice de la volonté.  Une démarche plus qu’une marche à suivre. Une danse, parfois (peut-être). Un essai (au sens anglais du terme). Les images qui le composent, une proposition d’imaginaire. Le montage qui les assemble, un démontage et un remontage (quand dans les temps anciens on remontait encore les horloges et les montres pour que s’écoule le temps). Il est un regard qui propose à celui qui le regarde de ne pas être seulement un voyeur mais aussi un voyant. 

Vaincre à Olympie, 1970, avec Jean Marais.


Personnellement, j’ajouterai que le documentaire est un état de conscience, en tout cas j’essaie de poser chaque séquence de mes films et chacun d’eux au regard des autres comme un état de conscience. L’état de conscience se définit comme un moment, un instant. Il n’est jamais une fin en soi. Il n’est ni une vérité ni la vérité, mais un exercice d’honnêteté. 

Dans mes précédents films, My american way of war et My american way of life, j’ai essayé de trouver cette honnêteté en développant le concept de fiction documentaire. Il ne faut pas le confondre avec celui de docu-fiction qui consiste à reconstituer des saynètes illustrant tel ou tel épisode de l’histoire afin de l’illustrer. Dans le docu-fiction, le moderne évoque l’ancien. Il n’est qu’un décor, un décorum, une représentation. Celle-ci, fondée sur les travaux de spécialistes, se veut souvent au plus juste. D’une certaine manière, elle rappelle la démarche journalistique. L’image est là pour rendre compte de ce que fut sans doute (sans aucun doute) la réalité. Elle restitue. Elle affirme l’imaginaire.

Dans les fictions documentaires que j’ai écrites et réalisées, mon intention était moins de reconstituer que de constituer. Le personnage qui raconte sa vie, qui raconte le film comme s’il s’agissait d’une auto-biographie, est en réalité une pure création. Jeff Stryker est un personnage. Mais ce n’est pas non plus un personnage de roman. C’est un je qui décrit son histoire en essayant de la mettre en écho, en résonance, en réflexion, au regard des événements d’une époque qu’il traverse, qu’il accompagne ou qu’il subit. Il est une mise en oeuvre de la conscience individuelle. C’est un subjectif objectif. Une conscience qui oeuvre. C’est aussi une diffraction du temps, car lorsque Jeff raconte tel ou tel événement au moment où celui-ci survient, il le dit avec la distance de celui qui l’intègre au regard d’une histoire plus grande, en connaissance de cause et de conséquence. Comment dire le vivre d’un instant précis en étant conscient de l’avoir vécu, d’être du vécu, comment être là mais pas seulement: tel fut le défi de ces deux fictions documentaires. 

Pour fictionnaliser ce regard, un travail de recherches touchant à tous les aspects de l’époque concernée fut indispensable. Pour ce faire, j’ai croisé les ouvrages contemporains des événements (la presse quotidienne et les journaux intimes) avec ceux de mes contemporains analysant l’époque, les livres des romanciers et des historiens, les films institutionnels et les archives privées (les home-movies). Grâce à cette documentation (la consistance), j’ai pu créer  (constituer) le personnage de Jeff Stryker. Il ne s’agit cependant  pas d’un archétype, mais bien d’un être en soi, avec sa psychologie propre. Il permet d’interroger le passé pensé au présent, à travers le filtre du regardé l’homme et à travers son récit. Le portrait de Jeff est un essay. Sa mémoire, ses mémoires, un acte de création. Le terme fiction doit être pris dans son sens étymologique. Fingere en latin signifie « forger, façonner ». La fiction documentaire se forge à partir du documenté et façonne le documentaire.

Pédale est une autofiction documentaire déjà par son caractère autobiographique. Le moi qui parle est bien le mien. Il est ma voix. Le style est à cet égard volontairement très écrit, très littéraire et sans doute certains trouveront cela trop. Mais le documentaire est comme une nouvelle ou un Haïku: la phrase doit être ramassée sur elle-même et frapper comme la fronde de David. Et puis j'avoue que j'en ai un peu assez de ces films qui ne doivent plus être "écrits" c'est-à-dire dont l'auteur doit être absent, où il ne faut plus utiliser des passés simples car réputés trop élitistes ni des mots trop longs ou des concepts trop compliqués, ou pire: abstraits, où on renonce au mot juste au prétexte qu'il va être jugé c'est-à-dire condamné comme trop précieux parce que précis - autrement dit suspect d'arrogance. Je pense que l'écriture, le souci d'expression est une marque de respect envers  le spectateur. Je ne suis pas de ceux qui le méprise ou qui le considère a priori comme stupide, inapte, inculte ou pire incapable tout simplement de comprendre quoi que ce soit qui dépasse deux syllabes. D'ailleurs, au vue des retours, nombreux sont ceux à m'avoir remercier pour avoir eu ce souci de la langue. Le style de ce film est aussi celui d'une époque, et il suit l'évolution au fil des âges, de l'enfance à l'adolescence et à l'âge adulte. Il fait corps. 

Tous les événements, et jusqu’aux prénoms cités, correspondent à ma réalité. Tout ce que le film met en action est véridique. Mais j’ai également essayé d’aborder cette histoire - mon histoire - d’un point de vue documentaire, de me documenter moi-même, de me percevoir non seulement comme un sujet mais aussi comme un objet, et souvent il m’est arrivé de penser le « je » comme un « il », de passer par ce regard du " il " pour recouvrer un « je ». A cet égard, le film s’est imposé comme un travail d’objectivation, un état de conscientisation, d’honnêteté radicale. Il m'a fallu penser le subjectif en terme d'objectivité, d'être le journaliste de ma subjectivité, d'aborder l'autobiographie comme un biographe aurait pu l'écrire, bref, de faire du "je" un "autre" mais qui reste un "je "aussi, mon "je", tout en se mettant à la mesure de devenir celui de tous les autres, de vous, et de nous, aussi.  Les livres comme Mars de Fritz Zorn, les récits d’Hervé Guibert et surtout L’Âge d’homme  de Michel Leiris ont été des guides. 

Le fait que le texte soit interprété par Bruno Debrandt participe à ce travail de distanciation. Je l'avais entendu dans un autre documentaire dont il faisait la voix off. J'ai écrit aussi avec sa voix en tête, son timbre, en anticipant la qualité et la finesse de son jeu, tranchant comme une ligne de crête, claire comme une ligne d'horizon, et concentré comme un pas de funambule. Ce fut une rencontre anticipée qui s'est révélé être une vraie expérience humaine, celle avec un homme de qualité. Le mixage de Georges Lafitte magnifie l'ensemble et permet à ce je dit par un autre lui-même tout à fait je de réaliser le projet de l'auto-fiction documentaire.

Sylvain Desmille.

En fait cette démarche conceptuelle correspond à celle de ma construction sexuelle. Elle est une mise en résonance, en assonance et en abîme de tout le travail de conscience engagé depuis mon enfance pour tenter de comprendre ce qu’était cette homosexualité que je devais apprendre à faire mienne. Et, je suis persuadé que le processus que je décris dépasse ma propre histoire. Nombreux ont été les gays de ma génération à l’avoir suivi. Nombreux sont ceux de la génération actuelle qui s’y reconnaîtront sans doute aussi. Car ce processus s’inscrit en fait dans le parcours de la construction de l’identité sexuelle dans une société où la norme n’intègre pas encore les efforts de normalisation.

Et peut-être dépasse-t-il aussi cette dimension purement sexuelle pour interroger notre rapport à l’autre ?  L’homosexualité a longtemps été appréhender comme une différence, une altérité. En fait, l’homo est perçu comme « autre » au même titre que tous les autres qui sont identifiés comme différents, et discriminés pour ce motif. C’est pourquoi il est légitime d’associer homophobie et racisme. Le pire, c’est que le gays peuvent subir des agressions homophobes de la part de ceux qui sont également victime de racisme. 

La part de fiction est aussi signifié par les sources d’archives. Certaines sont personnelles, mais la plupart proviennent d’autres fonds, de films amateurs, de courts métrages, et surtout de l’INA. Le projet Pédale avait été sélectionné lors du Concours INALAB 2018. Il s’agissait de montrer que l’on pouvait utiliser les archives à d’autres fins, en faire une écriture romancée. Il ne s’agit pas d’un détournement. Par exemple, les archives retraçant l’approche psychanalytique de l’homosexualité sont mises en scène exactement comme je les avais reçues et perçues au moment de leur diffusion par la télévision. En revanche, il est vrai que les extraits de courts-métrages ont été utilisés autant comme des éléments de fiction que comme une source documentaire (apte à documentée le récit). C’est pourquoi, je pense qu’on peut parler vraiment d’auto-fiction documentaire pour ce film. 

Comment percevez-vous l’homosexualité dans la société d’aujourd’hui ? 

Des progrès considérables ont été réalisés dans les cinquante dernières années. Discriminés hier, les gays ont vu leur condition d’être humain changée. Les lois ont restauré l’égalité des droits. Au niveau mondial aussi les évolutions - les révolutions - en matière de moeurs sont notables, en particulier en Inde, en Asie. En revanche, le fait que l’homophobie se renforce, en particulier en Occident, est symptomatique de sociétés où la question de l’autre se pose à nouveau comme une inquiétude, une peur, et plus encore comme une négation de l’autre, une haine de l’autre. Elle manifeste l’idée que tout le monde doit être semblable, doit penser, agir, se comporter pareil. Il importe d’être conforme. La différence sexuelle est attaquée au même titre que toutes les différences. Et c’est vrai que je ressens beaucoup plus aujourd’hui cette homophobie latente. C’est souvent une attitude méprisante, du genre: « je ne dis rien mais je n’en pense pas moins ». La bonne conscience des bonnes gens qui ont la certitude d’être dans la nome majoritaire. Cela correspond aux sociétés adolescentes, immatures égoïstes et narcissiques: quand le « je » devient la norme et le principe référentiel de toute chose. Paradoxalement et parce qu’il refuse de penser le collectif  et la collectivité, d’induire chacun au regard de l’autre, sinon en adéquation avec son quant-à-soi, et seulement à condition d’être conforme à son propre avis, l’individualisme permet cela. Et il faut aussi compter sur le climat de religiosité actuel. Il peut se référencer explicitement à la religion ou correspondre à un état d’esprit: celui de percevoir l’altérité comme anathème, de tout juger, de définir des boucs émissaires… Pour revenir à une société apaisée, Il suffirait de restaurer le concordat laïc, c’est-à-dire dégagé de toute référence religieuse ou de religiosité. De refonder l’éthique et non de tout chercher à percevoir et à interroger selon des principes moraux. C’est dans ce contexte laïc que l’égalité des droits pour les homosexuels a pu être réalisée. Il suffirait que la loi contre l’homophobie soit appliquée dans sa plus grande fermeté pour restaurer les digues du droit et de l’égalité des droits, restaurer l’apaisement.  Le fait que la justice ne donne souvent pas suite participe à la reconnaissance et donc à l’essor de ce climat délétère. Personnellement, je ne dissimule pas mon homosexualité, même sous la forme du non-dit, mais je comprends dans le climat actuel pourquoi certains ont tendance à faire profil bas, à rentrer dans le placard. Il faut faire attention à ce que le processus qui se met à l’oeuvre actuellement ne fasse pas du XXIe siècle un retour au XIXe siècle.















FICHE TECHNIQUE


Titre: Pédale.
Durée:61'
Auteur-réalisateur Sylvain Desmille.
Produit par Julie Guesnon Amarante et Justine Henochsberg (les Batelières productions)
Texte interprété par Bruno Debrandt.
Musique originale: Gérard Cohen-Tannugi. 
Avec au Bandonéo: Daniel Colin et au piano: Joël Drouin.
Documentaliste: Sylvain Desmille.
Montage: Sylvain Desmille.
Mixage: Georges Lafitte.
Etalonnage: Jean-Marie Frémont.
Conception graphique: Olivier Marquezy.
Avec le soutien du CNC et de la PROCIREP-AGICOA
ISAN: 0000-0004-8D64-0000-R-0000-0000-U
© Les Batelières productions / INA 2019.






LIENS ANNEXES:


















Commentaires

  1. Merci Sylvain, Brillant, précieux, comme à chaque fois.Amitiés.Bruno.

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  2. Bonjour Sylvain. Votre document est brillant, optimiste, votre vie rassemble ce qui est épars.
    Je souhaite connaître le titre disco qui m'a accompagné longtemps et dont le nom me fait défaut : il apparaît dans la séquence qu'ouvre l'élection de 1981. Mais n'est pas crédité. Je me suis abonné à votre chaîne youtube. Je vous remercie énormément.

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  3. Merci, un grand merci !

    Je viens de découvrir votre documentaire qui m'a replongé peu ou prou, dans mon passé pas si lointain je suis de 1965 et j'ai tout repris en plein coeur, comme avec 120 Battements par minutes !

    Je voulais savoir s'il était possible de trouver le texte de votre documentaire, s'il est édité et sinon, si vous m'autorisez à le repére dre à partir du docu pour le retranscrire mots à mots !
    Je suis comédiens et je vous demande l'autorisation de faire des lectures de votre texte en province dans des cafés associatifs ou en lycée pour sensibiliser les jeunes gens d'aujourd'hui !
    Merci de votre réponse !
    Bravo pour ce magnifique témoignage.

    Cordialement,

    Loïc Gaston

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